Réponse à la Fraternité Saint Vincent Ferrier.
1. Fallait-il s’y attendre ? La Fraternité Saint Vincent Ferrier, par la plume du Père de Araujo, donne sur la page du 28 juin dernier du site Claves de la Fraternité Saint Pierre une « Brève réponse à la réponse ». Réponse obligée à l’article paru dans le numéro de juin 2024 du Courrier de Rome, reproduit sur le site de La Porte Latine et dont la teneur avait été synthétisée au préalable sur la page du 31 mai du même site.
2. La Fraternité Saint Vincent Ferrier entend ainsi nier non pas que la Déclaration sur la liberté religieuse du concile Vatican II puisse s’entendre dans un sens contraire à la Tradition, mais précisément qu’elle le doive. Qu’elle le puisse, cela serait déjà grave, car cela attesterait qu’un document conciliaire soit foncièrement ambigu, au rebours de ce que devrait être, dans sa définition même, un acte du Magistère. Qu’elle le doive, cela est suffisamment attesté par toutes les déclarations subséquentes, réitérées à l’envi, des successeurs de Paul VI, lesquels ont levé (s’il en était besoin) l’ambiguïté des textes du Concile dans un sens opposé à la Tradition.
3. Contre cela, toutes les réponses – possibles et imaginables – du Père de Blignières et de la Fraternité Saint Vincent Ferrier ne pourront jamais rien. Car cela s’impose à la droite raison, en vertu des règles mêmes de la logique.
4. La réponse que nous avons adressée à la Fraternité Saint Vincent Ferrier n’est d’ailleurs pas – du moins exclusivement – celle de Mgr Lefebvre. C’est aussi celle du Père Joseph de Sainte Marie, celle d’Arnaud de Lassus, celle de Michel Martin, cités et référenciés dans notre article, lequel renvoie au site « Salve-regina » créé par des membres de la Fraternité Saint Pierre. De cela, la « Brève réponse » du Père de Aurajo ne souffle mot, laissant son lecteur dans l’illusion de croire que le Courrier de Rome ne ferait que refléter la pensée unique de l’abbé Gleize ou de la Fraternité Saint Pie X.
5. Le Père de Aurajo nous étonne lorsqu’il déclare que les citations de Benoît XVI que nous avons produites à l’appui de nos conclusions figurent « surtout dans des documents de moindre importance », alors que nous avons cité à cinq reprises de longs passages tirés de l’Exhortation apostolique Ecclesia in Medio Oriente de Benoît XVI (2012). Le Père nous répond aussi que nos citations sont extraites de déclarations données « à l’adresse de pays musulmans, où les chrétiens sont minoritaires et persécutés ». C’est oublier un peu vite que ces textes, lorsqu’ils prennent occasion des visites de Benoît XVI en Turquie ou ailleurs, entendent rappeler des affirmations de principe, lesquelles valent partout et toujours, que les chrétiens soient persécutés ou non, ainsi qu’en témoigne le Discours de Benoît XVI à l’union des juristes catholiques italiens de 2006.
6. Quant au Nouveau Catéchisme, nous attendons toujours la réponse de la Fraternité Saint Vincent Ferrier à l’analyse précise et rigoureuse d’Arnaud de Lassus, mis en ligne sur le site « Salve-regina » de la Fraternité Saint Pierre et à laquelle nous renvoyons dans notre article. En tout état de cause, ce Nouveau Catéchisme devrait s’entendre en conformité avec toutes les clarifications faites par Benoît XVI, dont celle-ci parmi bien d’autres : « La liberté religieuse est le sommet de toutes les libertés. Elle est un droit sacré et inaliénable. Elle comprend à la fois, au niveau individuel et collectif, la liberté de suivre sa conscience en matière religieuse, et la liberté de culte. Elle inclut la liberté de choisir la religion que l’on juge être vraie et de manifester publiquement sa propre croyance. Il doit être possible de professer et de manifester librement sa religion et ses symboles, sans mettre en danger sa vie et sa liberté personnelle. La liberté religieuse s’enracine dans la dignité humaine ; elle garantit la liberté morale et favorise le respect mutuel » (Benoît XVI, Exhortation apostolique post-synodale Ecclesia in Medio Oriente, 14 septembre 2012, § 26).
7. Et dans le numéro 55 de son Encyclique Caritas in veritate, c’est bien vrai, ainsi que le souligne le Père de Araujo, « avec sa retenue coutumière », Benoît XVI déclare que « l’autorité civile doit traiter différemment les religions, selon qu’elles peuvent apporter leur contribution « en vue d’édifier la communauté sociale dans le respect du bien commun », ce qui appelle un discernement, fondé « sur le critère de la charité et de la vérité ». Comme le pressent justement – et paradoxalement – le bon Père, dans une dernière remarque lancée à notre adresse, Benoît XVI se garde effectivement – « avec sa retenue coutumière » – de donner ici trop de précision à ce qu’il entend par ce « critère de la vérité »[1]. Ainsi tout le monde est content : les Turcs et le Père de Blignières.
8. Restons-en là. La Fraternité Saint Vincent Ferrier veut manifestement à tout prix légitimer – à la conscience des catholiques dits de Tradition – l’acceptation de Dignitatis humanae. A tout prix, c’est-à-dire même au mépris des textes, lesquels s’en trouvent sollicités ou passés sous silence. Le désaccord qui nous divise trouverait-il son explication profonde en des racines non point seulement intellectuelles mais aussi morales ? L’idée que l’on se fait de l’obéissance revient en effet ici au centre du débat, tant il est vrai que, Jean-Paul II, dans le numéro 5 de Ecclesia Dei afflicta, a définitivement scellé le destin des communautés auxquelles son Motu proprio a donné leur nom, en leur enjoignant de « mettre en lumière la continuité du Concile avec la Tradition », au rebours même de l’évidence.
- En réalité, toute la précision requise est donnée par Benoît XVI dans son Discours à l’union des juristes catholiques italiens du 9 décembre 2006. La « saine laïcité » prônée par le concile Vatican II implique « l’autonomie effective des réalités terrestres, non pas de l’ordre moral, mais du domaine ecclésiastique ». L’édification de la communauté sociale et le bien commun qui lui correspond correspondent à la vérité d’un ordre moral naturaliste, c’est-à-dire à la fois dépendant de la loi divine naturelle (tel que peuvent l’énoncer elles aussi les religions non catholiques) et indépendant de la loi divine surnaturelle révélée (que seule énonce la religion catholique). « Cela comporte en outre qu’à chaque confession religieuse (à condition qu’elle ne soit pas opposée à l’ordre moral et qu’elle ne soit pas dangereuse pour l’ordre public), soit garanti le libre exercice des activités de culte – spirituelles, culturelles, éducatives et caritatives – de la communauté des croyants ».[↩]