Les évêques et la messe traditionnelle : un aveuglement persistant

Une note interne de la CEF révèle l’avis de l’é­pis­co­pat fran­çais sur la célé­bra­tion dans leur dio­cèse de la messe traditionnelle. 

En mars 2020, Rome a envoyé aux évêques un ques­tion­naire pour éva­luer l’application dans leur dio­cèse du motu pro­prio Summorum Pontificum ; motu pro­prio qui, tout en l’encadrant stric­te­ment, accor­dait plus lar­ge­ment la célé­bra­tion de la messe tra­di­tion­nelle[1].

La Conférence des Évêques de France a recueilli la réponse de la plu­part des évêques fran­çais pour en faire la syn­thèse dans une note qui a fui­té sur l’Internet. Que révèle-t-elle ? 

Des contradictions flagrantes

Ces messes sont pro­mues par de jeunes familles nom­breuses (p. 2) ; la jeu­nesse est fas­ci­née par la messe tra­di­tion­nelle (p. 9) qui pro­duit un engoue­ment chez les jeunes (p. 10) : ce qui n’empêche pas les évêques de conclure à un repli sur soi dans les com­mu­nau­tés qui la célèbrent (p. 3), à une faible dimen­sion mis­sion­naire (p. 4), et de lais­ser non réso­lue la ques­tion de savoir si elle répond véri­ta­ble­ment à un besoin pas­to­ral (p. 2). 

Les évêques recon­naissent n’avoir qu’une connais­sance indi­recte du res­pect des normes du motu pro­prio (p. 5) ; ils ne peuvent répondre clai­re­ment à la ques­tion de savoir si c’est le mis­sel de 1962 qui est uti­li­sé, ou alors un mis­sel anté­rieur ou pos­té­rieur (réforme de 1965). Ignorance avouée qui n’ar­rête pas le rédac­teur de la note quand il s’agit de por­ter un juge­ment géné­ral sur la médio­cri­té des pré­di­ca­tions (p. 3, p. 9). Aucune place ou presque n’est faite à la messe tra­di­tion­nelle dans les sémi­naires ; on déplore cepen­dant que les sémi­na­ristes soient obli­gés de s’y for­mer ailleurs.

Un but : faire accepter les orientations conciliaires

Ces contra­dic­tions révèlent l’esprit de cette note. Il ne s’agit pas d’un état des lieux de l’application du motu pro­prio, mais d’un pro­gramme pour l’avenir. Son but ? Faire accep­ter à tous ceux qui célèbrent la messe tra­di­tion­nelle le Concile Vatican II et ses orien­ta­tions, « l’adhésion au magis­tère actuel » (p. 10) « jusqu’à la récep­tion d’Amoris lae­ti­tia » (p. 9). Quelques points pour y arriver : 

  • « Revenir sur l’usage exclu­sif de la forme extra­or­di­naire du rite romain » (p. 9), autre­ment dit impo­ser le bi-​ritualisme qui, insiste la note de la CEF, fait par­tie de la lettre du motu pro­prio de Benoît XVI et condamne les pré­ten­tions de cer­tains de célé­brer uni­que­ment la messe traditionnelle.
  • Imposer le même lec­tion­naire et le même calen­drier litur­gique pour favo­ri­ser l’unité (p. 10).
  • Former quelques sémi­na­ristes à la messe tra­di­tion­nelle « afin de se défaire de la dépen­dance d’Instituts par­ti­cu­liers et notam­ment de la FSSP » (p. 8)[2]

Une cita­tion éclai­rante : « Aux dires des évêques, l’esprit qui s’est créé dans ces groupes donne à pen­ser qu’une éven­tuelle conces­sion de la messe tri­den­tine mar­que­rait le début, à l’intérieur des diverses com­mu­nau­tés ecclé­siales, d’une atti­tude de mépris pour ce qui a été éta­bli par le concile Vatican II et par le Saint-​Père, ce qui serait une bles­sure grave faite à la com­mu­nion et à l’unité de l’Église ». 

Ces lignes résument par­fai­te­ment l’avis don­né dans cette note de la CEF sur la messe tra­di­tion­nelle. Or elles datent de qua­rante ans (cf Itinéraires n° 262, Avril 1982, p. 58) : Rome avait lan­cé une enquête sur « l’usage du latin et la messe dite tri­den­tine » en 1980 et publié une syn­thèse en décembre 1981 ; elles font par­tie du com­men­taire offi­ciel qui en a été donné.

Des évêques figés

A cette époque déjà, l’épiscopat mani­fes­tait dans un docu­ment offi­ciel son absence de clair­voyance. Le latin ? « En usage seule­ment dans cer­tains groupes de haut niveau cultu­rel et chez les spé­cia­listes de chant gré­go­rien ». La « messe dite tri­den­tine » ? « La quasi-​totalité des évêques la consi­dère comme un pro­blème pour ain­si dire inexis­tant ; ils s’opposent à la conces­sion de l’ancien rite ». Éventuellement quelques-​uns « peuvent être consi­dé­rés comme favo­rable à une conces­sion limi­tée et sous condi­tion de la messe tri­den­tine, non comme un idéal, mais comme un moindre mal, pour évi­ter des troubles dans leur dio­cèse ». On croi­rait lire la note de la CEF de 2021 ! 

Ainsi, qua­rante années de crise n’ébranlent aucune cer­ti­tude épis­co­pale[3] ; si les jeunes sont atti­rés par la messe tra­di­tion­nelle, la pra­tique reli­gieuse géné­rale a conti­nué de s’effondrer ; les évêques avouent n’avoir pas même les moyens de leur ambi­tion de faire célé­brer la messe tra­di­tion­nelle par des prêtres dio­cé­sains « en rai­son du faible nombre de prêtres » (p. 2). Pourtant le logi­ciel de l’é­pis­co­pat appa­raît inca­pable d’une mise à jour. Sa bous­sole demeure Vatican II et la messe du concile. La seule solu­tion qu’il pro­pose est d’étendre à tous le can­cer qui les ronge. L’aigreur le dis­pute au gro­tesque quand au détour d’une phrase, la Fraternité Saint-​Pie X est accu­sée d’être hors de l’Eglise, accu­sa­tion dont on se demande bien com­ment elle pour­rait être jus­ti­fiée[4].

Cette vieillesse de l’esprit, cette inca­pa­ci­té à réagir et à regar­der la réa­li­té en face donne au tableau de l’Église de France une atmo­sphère de crépuscule.

Illustration : Wikimedia Commons

Notes de bas de page
  1. Le docu­ment parle de la FERR : Forme Extraordinaire du Rite Romain, manière de mettre la nou­velle messe sur un pied d’égalité avec la messe de tou­jours, alors que l’on sait que le nou­vel ordo est de saveur pro­tes­tante dans toute sa réforme.[]
  2. On peut remar­quer que cer­tains évêques ont déjà com­men­cé à appli­quer ce pro­gramme. Ainsi, le 29 juin 2020, l’évêque de Moulins a signé un décret pour per­mettre aux prêtres de l’Institut du Christ-​Roi de célé­brer la messe tra­di­tion­nelle dans l’église du Sacré-​Cœur de Bressolles, près de Moulins, tous les dimanches. Les condi­tions impo­sées par l’é­vêque et accep­tées par l’Institut du Christ-​Roi mani­festent bien cette volon­té d’amener les fidèles de cette messe tra­di­tion­nelle à la doc­trine conci­liaire et à accep­ter la légi­ti­mi­té de la nou­velle messe : « La pré­pa­ra­tion aux sacre­ments sera assu­rée par la paroisse » ; « En cer­taines occa­sions (fête patro­nale, visite pas­to­rale de l’évêque, ins­tal­la­tion d’un nou­veau curé …), une seule messe est célé­brée dans la paroisse. Afin de mar­quer l’unité parois­siale, et par sou­ci de com­mu­nion, la com­mu­nau­té rejoin­dra la messe parois­siale », autre­ment dit la nou­velle messe.[]
  3. Ou de l’é­pis­co­pat dans sa majo­ri­té, une par­tie des évêques n’ayant pas trans­mis sa réponse à la CEF et cette note n’ayant pas un carac­tère offi­ciel[]
  4. A ce sujet, on peut relire avec inté­rêt ces paroles de Mgr Lefebvre dans une confé­rence don­née à Ecône le 9 sep­tembre 1988 : « La catho­li­ci­té, c’est la foi une dans l’es­pace. L’apostolicité, c’est la foi une dans le temps et la sain­te­té, c’est le fruit de la foi, qui se concré­tise dans les âmes par la grâce du Bon Dieu, par la grâce des sacre­ments. Il est tout à fait faux de nous consi­dé­rer comme si nous ne fai­sions pas par­tie de l’Eglise visible. C’est invrai­sem­blable. C’est l’Eglise offi­cielle qui nous rejette, mais pas nous qui reje­tons l’Eglise, bien loin de là. Au contraire, nous sommes tou­jours unis à l’Eglise romaine et même au pape bien sûr, au suc­ces­seur de Pierre ».[]