Lefebvristes : ce qui est négociable et ce qui ne l’est pas pour la réconciliation avec l’Eglise catholique

Note de la rédac­tion de La Porte Latine :
il est bien enten­du que les com­men­taires repris dans la presse exté­rieure à la FSSPX
ne sont en aucun cas une quel­conque adhé­sion à ce qui y est écrit par ailleurs.

Vatican Insider, sous la plume de Lisa Palmieri-​Billig, écri­vant col­lec­ti­ve­ment au nom de l’American Jewish Committee accré­di­té auprés du Saint-​Siège, publie un article sur l’é­tat des négo­cia­tions en cours entre Rome et la Fraternité Saint-​Pie X et sur les points négo­ciables ou pas d’un côté comme de l’autre.

L’auteur reprend les com­men­taires de per­son­na­li­tés catho­liques, juives et musul­manes – enga­gées dans le dia­logue inter­re­li­gieux – à par­tir des der­nières décla­ra­tions de Mgr Guido Pozzo, secré­taire de la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei, parues dans Christ und Welt du 28 juillet 2016. [1]

La Porte Latine du 1er août 2016

Article collectif de Vatican Insider

Dans une inter­view publiée dans le pério­dique de langue alle­mande Christ und Welt, en kiosque le 28 juillet, l’archevêque Guido Pozzo, secré­taire de la Commission pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei char­gée par le pape François de mener les entre­tiens avec les tra­di­tio­na­listes catho­liques qui ont fait scis­sion, de la Fraternité sacer­do­tale Saint-​Pie X (com­mu­né­ment connue comme FSSPX), jette une lumière sur cer­taines ques­tions clés quant aux négo­cia­tions. La Fraternité n’est plus excom­mu­niée, bien que non encore réin­té­grée cano­ni­que­ment, et même si elle a fait quelques conces­sions ini­tiales, conti­nue à refu­ser cer­taines docu­ments impor­tants de Vatican II. Selon le jour­na­liste qui a mené l’in­ter­view, le compte-​rendu de l’ar­che­vêque Pozzo est des­ti­né à sou­le­ver des ques­tions ultérieures.

Les ques­tions les plus évi­dentes, mais qui n’ont jamais été posées dans cette inter­view et par consé­quent res­tent sans réponse sont : « Sur quels points spé­ci­fiques le Vatican est-​il dis­po­sé à accep­ter des com­pro­mis ? » et « Le Vatican serait-​il prêt à sacri­fier la nature auto­ri­taire de cer­tains docu­ments de Vatican II qui, même s’ils ne sont pas des dogmes, sont deve­nus de pré­cieux ins­tru­ments pour le dia­logue interreligieux ? ».

Il y a deux ques­tions prin­ci­pales en jeu. La pre­mière est le très grand désir qu’a le pape François de l’u­ni­té pas­to­rale à l’in­té­rieur de l’Eglise et de la récon­ci­lia­tion des frac­tures de nature théo­lo­gique. La seconde concerne quant à elle les impor­tantes réper­cu­tions pour l’a­ve­nir des docu­ments fon­da­men­taux de Vatican II, à savoir : 1) Nostra Aetate - dont on a célé­bré l’an­née der­nière dans le monde entier le 50ème anni­ver­saire de la publi­ca­tion – qui traite de la nature des rela­tions entre l’Eglise catho­lique et les juifs, les musul­mans et les autres reli­gions non chré­tiennes dans le monde et 2) Dignitatis Humanae – la Déclaration sur la liber­té religieuse.

Concernant la pre­mière ques­tion, Pozzo affirme : « Tout ce qui favo­rise la ren­contre et l’u­ni­té est proche du cœur du Pontife ». Quand on lui demande ce qui a chan­gé sous le pape François dans l’at­ti­tude du Vatican envers la Fraternité, il répond : « De 2009 à 2012 la ques­tion prin­ci­pale concer­nait les dis­cus­sions théo­lo­giques. Les dif­fi­cul­tés de nature doc­tri­nale ren­daient dif­fi­cile la recon­nais­sance cano­nique de la Confraternité. Mais nous savons que la vie n’est pas faite de la seule doc­trine. Au cours des trois der­nières années, le désir d’ap­prendre et de mieux com­prendre la réa­li­té concrète de cette Fraternité sacer­do­tale est allé crois­sant (…) alors qu’a­vant les ren­contres se dérou­laient dans une aula magna, disons que main­te­nant nous nous ren­con­trons dans une atmo­sphère plus ami­cale et déten­due, même si les dis­cus­sions sont les mêmes ».

Selon Pozzo, le rap­pro­che­ment avec la FSSPX a été favo­ri­sé par l’ex­pul­sion et l’exil des extré­mistes et néga­tion­nistes de l’Holocauste tel que par exemple Richard Williamson, l’ex « Evêque » de la FSSPX. L’excommunication de Mgr Marcel Lefebvre et de ses par­ti­sans (décré­tée en 1988 à la suite de l’or­di­na­tion de cer­tains évêques effec­tuée sans l’ac­cord du pape) fut révo­quée par le pape Benoît XVI à la suite de la recon­nais­sance de la supré­ma­tie de Rome de la part du supé­rieur géné­ral de la Fraternité, Mgr Bernard Fellay, de sa part et au nom des évêques qui res­tent. Un autre signe de la détente dans les rap­ports fut l’au­dience pri­vée accor­dée récem­ment par le pape François à Fellay.

Pozzo a rap­pe­lé que Benoît XVI avait décla­ré que l’ex­com­mu­ni­ca­tion de la Fraternité ne venait pas des argu­men­ta­tions de la FSSPX contre Vatican II, mais pure­ment du fait qu’ils ne recon­naissent pas la supré­ma­tie de Rome, ques­tion qui est main­te­nant résolue.

Cependant, la recon­nais­sance cano­nique n’a pas encore été recon­nue à la FSSPX et le motif prin­ci­pal est pré­ci­sé­ment leur refus conti­nuel d’ac­cep­ter cer­tains docu­ments de Vatican II. C’est là la ques­tion prin­ci­pale des entre­tiens en cours, et c’est aus­si le sujet prin­ci­pal débat­tu dans l’in­ter­view en langue alle­mande avec l’en­voyé du Vatican pour la média­tion avec la FSSPX.

Ce qui d’emblée saute aux yeux dans le compte-​rendu est l’ab­sence totale de toute réfé­rence contex­tuelle aux ori­gines his­to­riques des docu­ments de Vatican II, et donc des moti­va­tions pour les­quelles Jean XXIII, Paul VI et les pères conci­liaires les consi­dé­raient comme importants.

Un exemple évident est l’ab­sence totale de dis­cus­sion (et de men­tion) sur le para­graphe 4 de Nostra Aetate, sur les rela­tions de l’Eglise catho­lique avec le peuple juif. Une lacune encore plus impor­tante si l’on consi­dère l’his­toire récente de l’an­ti­sé­mi­tisme théo­lo­gique vrai­sem­bla­ble­ment inné de la Fraternité, déjà pré­sent dans les années 80 et 90 du siècle der­nier dans les ser­mons et les revues de la Fraternité, bien avant que soient enle­vés cer­tains articles incri­mi­nés sur leur site internet.

Il est impor­tant de rap­pe­ler les ori­gines de Nostra Aetate, conçu au départ uni­que­ment comme un « Document sur les Juifs ». Dans les inten­tions du pape Jean XXIII, c’é­tait une façon de sup­pri­mer fina­le­ment l’endoctrinement défor­mé de l’ac­cu­sa­tion de « déi­cide » de la part de nom­breuses églises et paroisses, même si cette accu­sa­tion avait été décla­rée fausse et absurde du point de vue his­to­rique et théo­lo­gique déjà lors du Concile de Trente. La déci­sion sur la néces­si­té de for­mu­ler le docu­ment fut prise par le pape Roncalli quand il s’a­per­çut, lors d’une ren­contre avec Jules Isaac (l’his­to­rien, qui sur­vé­cut à l’Holocauste, lui pré­sen­ta une pre­mière rédac­tion de son livre, « L’enseignement du mépris ») qui mon­tra au Pontife que cette rhé­to­rique anti­sé­mite qui cir­cu­lait en Europe avait créé un milieu favo­rable au déve­lop­pe­ment de féroces sté­réo­types anti­sé­mites, qui avaient à leur tour ali­men­té la haine qui ren­dit pos­sible la Shoah.

Par consé­quent de sérieuses ques­tions se pose­raient si la FSSPX était régu­la­ri­sée cano­ni­que­ment avant que les dis­cus­sions bila­té­rales quant au désac­cord de la Fraternité sur la vali­di­té de ce docu­ment se concluent de façon satisfaisante.

Répondant à une ques­tion à ce pro­pos, le rab­bin David Rosen, direc­teur inter­na­tio­nal de l’AJC pour les rela­tions inter­re­li­gieuses a répon­du ain­si : « J’ai pleine confiance dans les décla­ra­tions du car­di­nal Kurt Koch, pré­sident du Conseil Pontifical pour la Promotion de l’Unité des Chrétiens, qui a affir­mé que l’ac­cep­ta­tion de Nostra Aetate en tant que docu­ment obli­ga­toire de la part de la Société Saint-​Pie X est un pas néces­saire pour que les membres de la Fraternité puissent être accueillis for­mel­le­ment par le Saint-​Siège ; et je ne peux croire que le pape François puisse accep­ter moins que cela. Cependant, outre l’ac­cep­ta­tion des ensei­gne­ments du Magisterium sur le judaïsme et le peuple juif, j’ose espé­rer que le Saint-​Siège insiste sur le rejet de l’an­ti­sé­mi­tisme qui a fait par­tie de la culture de la Société Saint-​Pie X. Il n’y a pas eu que l”« Evêque » Williamson et quelques per­sonnes ; les sites inter­net de l’or­ga­ni­sa­tion étaient par le pas­sé pleins de dis­cours anti-​juifs. J’ose espé­rer qu’il puisse y avoir une recon­nais­sance for­melle de l’af­fir­ma­tion du pape François, en ligne avec celles de ses pré­dé­ces­seurs, qui sou­tient qu’il est impos­sible d’être un vrai chré­tien si l’on a des opi­nions antisémites ».

Sur ce même sujet, le révé­rend Joseph Sievers de l’Institut Biblique Pontifical et consul­teur de la Commission Pontificale pour les Relations reli­gieuses avec le Judaïsme a fait le com­men­taire sui­vant : « Parmi les ques­tions non réso­lues, les prin­ci­pales sont celles qui concernent la valeur doc­tri­nale et l’in­ter­pré­ta­tion des docu­ments du Concile Vatican II qui traitent de l’oe­cu­mé­nisme, des rela­tions inter­re­li­gieuses et de la liber­té reli­gieuse. Pozzo a cer­tai­ne­ment rai­son quand il affirme que Vatican II doit être vu non de façon iso­lée, mais en connexion directe avec les autres ensei­gne­ments pré­cé­dents – et sui­vants – de l’Eglise. Et il a rai­son éga­le­ment quand il affirme que les dif­fé­rentes typo­lo­gies de docu­ments conci­liaires ont divers degrés d’au­to­ri­té. Nostra Aetate est une décla­ra­tion (non un décret), ce qui la place sur un degré infé­rieur par rap­port à la consti­tu­tion dog­ma­tique Lumen Gentium et d’autres docu­ments. Toutefois, les points fon­da­men­taux de Nostra Aetate concer­nant les reli­gions non chré­tiennes furent déjà abor­dés dans Lumen Gentium 16 [2] et ne sont donc pas pure­ment « pas­to­raux ». En outre, comme l’a sou­vent répé­té le pape François, la théo­lo­gie pas­to­rale et la théo­lo­gie dog­ma­tique ne peuvent être sépa­rées qu’à leur risque et péril ».

Pozzo a répon­du ain­si à quelques ques­tions posées par Christ und Welt : « Le Concile n’est pas un super­dogme pas­to­ral, mais il fait par­tie de la tra­di­tion com­plète de l’Eglise et de ses ensei­gne­ments per­ma­nents ». Sur ce point, l’Archevêque explique que « tan­dis que la tra­di­tion de l’Eglise conti­nue à évo­luer, ce n’est jamais dans le sens de l’in­no­va­tion, qui serait en conflit avec ce qui existe déjà, mais plu­tôt vers une com­pré­hen­sion plus pro­fonde du Depositum Fidei, le patri­moine authen­tique de la foi. Tous les docu­ments de l’Eglise doivent être inter­pré­tés en ce sens, y com­pris ceux du Concile. Ce pos­tu­lat, avec l’en­ga­ge­ment pour la pro­fes­sion de foi, la recon­nais­sance des sacre­ments et la supré­ma­tie papale forment la base de la décla­ra­tion doc­tri­nale qui sera sou­mise à la Fraternité pour signa­ture. Ce sont là les condi­tions qui font qu’un catho­lique peut être en pleine com­mu­nion avec l’Eglise Catholique ».

A la ques­tion de savoir si la Fraternité ne devait plus accep­ter toutes les décla­ra­tions conci­liaires, y com­pris les textes qui traitent de l’oe­cu­mé­nisme et du dia­logue inter­re­li­gieux, l’ar­che­vêque a répon­du : « La Fraternité s’en­gage à adhé­rer aux doc­trines défi­nies et aux véri­tés catho­liques qui ont été confir­mées par les docu­ments conci­liaires ». Il donne comme exemple « la nature sacra­men­telle de l’é­pis­co­pat (…) en plus de la Suprématie du pape et du Collège des Evêques avec leur Président, comme ce fut éta­bli dans la consti­tu­tion dog­ma­tique Lumen Gentium et inter­pré­té dans la Nota Explicativa Praevia, deman­dée par la plus haute autorité ».

L’obstacle réside cepen­dant dans les docu­ments qui traitent spé­ci­fi­que­ment des rela­tions de l’Eglise avec le monde non catho­lique qui l’en­toure, et qui sont deve­nus les points fon­da­men­taux du dia­logue inter­re­li­gieux de l’Eglise post-conciliaire.

« La Fraternité consi­dère comme pro­blé­ma­tiques plu­sieurs aspects de Nostra Aetate, qui concernent le dia­logue inter­re­li­gieux ; la décla­ra­tion Unitatis Redintegratio sur l’Oecuménisme ; Dignitatis Humanae, la « Déclaration sur la liber­té reli­gieuse » ; ain­si que diverses ques­tions qui concernent le rap­port du Christianisme avec la moder­ni­té », a‑t-​il ajouté.

Pozzo a rap­pe­lé que les divers docu­ments de Vatican II ont un poids doc­tri­nal dif­fé­rent. « Cependant, ce ne sont pas des doc­trines de foi », a‑t-​il pré­ci­sé, « et ce ne sont pas non plus des affir­ma­tions défi­ni­tives. Ce sont plu­tôt des sug­ges­tions, des ins­truc­tions, des lignes de conduite indi­ca­tives pour la pra­tique pas­to­rale. Ces aspects pas­to­raux peuvent être dis­cu­tés pour des cla­ri­fi­ca­tions ulté­rieures après la recon­nais­sance canonique ».

C’est alors que le jour­na­liste a deman­dé : « Le Vatican a peut-​être allé­gé ses propres cri­tères pour favo­ri­ser la réconciliation ? ».

L’archevêque a répon­du : « Non, dans les der­nières années nous avons vou­lu régler les points essen­tiels, en les sépa­rant des ques­tions qui pou­vaient être abor­dées par la suite. Précédemment nous avions essayé de trou­ver un accord immé­diat sur toutes les ques­tions épi­neuses, mais mal­heu­reu­se­ment cela n’a­vait mené à aucune suc­cès. Alors nous nous sommes deman­dé : quels sont les condi­tions vrai­ment néces­saires pour être catho­liques ? Et, en accord avec le Souverain Pontife, nous avons insé­ré les condi­tions que nous avons énon­cées dans la Déclaration Doctrinale qui a été sou­mise à la Fraternité ».

Puis il a été deman­dé à Pozzo : « Comment le Vatican est-​il arri­vé à la déci­sion que les divers docu­ments du Concile avaient dif­fé­rentes valeurs dogmatiques ? ».

Sa réponse : « Ce ne fut pas notre conclu­sion, mais c’é­tait déjà un don­né non équi­voque à l’é­poque du Concile. Le 16 novembre 1964 le Secrétaire géné­ral du Concile, le Cardinal Pericle Felici, décla­ra : « Ce Saint Synode ne défi­nit comme obli­ga­toire pour l’Eglise que ce qui est spé­ci­fi­que­ment décla­ré tel en termes de Foi et de morale ». Seuls les textes qui ont été spé­ci­fi­que­ment décla­rés obli­ga­toires par les pères Conciliaires le sont. Ce n’est pas « le Vatican » qui l’a déci­dé. C’est écrit dans les Actes de Vatican II ».

Quand on lui demande ce qu’il répon­drait à qui dirait que, s’il en est ain­si, la valeur et l’au­to­ri­té d’un docu­ment conci­liaire d’une telle impor­tance dis­pa­raissent, l’archevêque fait remar­quer que « le 18 novembre 1964, le Secrétaire pour l’Unité Chrétienne affir­ma que son Secrétariat n’a­vait aucune inten­tion d’é­mettre des affir­ma­tions dog­ma­tiques sur les reli­gions non chré­tiennes, mais seule­ment des normes pra­tiques et pastorales ».

Puis il conti­nue : « Nostra Aetate ne contient pas d’o­bli­ga­tions dog­ma­tiques. Par consé­quent, nous ne pou­vons pré­tendre que cette Déclaration soit reçue par qui­conque comme un dogme obli­ga­toire. La Déclaration ne peut être plei­ne­ment com­prise qu’à la lumière de la tra­di­tion et des ensei­gne­ments permanents ».

Pozzo a fait réfé­rence à « une autre opi­nion très répan­due, qui est oppo­sée à la foi catho­lique, à savoir qu’il y aurait un par­cours vers le salut indé­pen­dant du Christ et de son Eglise. Ce fut rap­pe­lé récem­ment par la Déclaration Dominus Iesus de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. Toute inter­pré­ta­tion de Nostra Aetate en ce sens est com­plè­te­ment dépour­vue de fon­de­ment et doit être rejetée ».

A ce sujet, Sievers affirme qu” « en ce qui concerne la pro­po­si­tion de dif­fé­rents par­cours vers le salut, Nostra Aetate déclare spé­ci­fi­que­ment au n°2 que l’Eglise pro­clame, et pro­cla­me­ra tou­jours le Christ comme « la voie, la véri­té, la vie » (Jean 14:6), même s’il n’est pas clair que le Christ puisse être la voie pour des per­sonnes dont le cre­do est dif­fé­rent ou qui n’ont pas de cre­do. Un cha­pitre entier du docu­ment récent de la Commission Pontificale pour les Relations reli­gieuses avec le Judaïsme est consa­cré à cette même ques­tion sous le titre « L’universalité du salut en Jésus-​Christ et l’al­liance jamais révo­quée de Dieu avec Israël ». Je trouve encou­ra­geante les paroles attri­buées à l’é­vêque FSSPX Fellay : « Il y a des points ambi­gus dans ce Concile, mais ce n’est pas à nous de les éclair­cir. Nous, nous pou­vons expo­ser le pro­blème, mais l’au­to­ri­té pour les éclair­cir, cette auto­ri­té, se trouve à Rome ». Si Fellay est dis­po­sé à lais­ser Rome éclair­cir les ques­tions, il ne devrait pas lui être impos­sible, à lui et aux autres membres de la Fraternité, d’ac­cep­ter les expli­ca­tions de Nostra Aetate qui se trouvent dans« Pourquoi les dons et l’ap­pel de Dieu sont Irrévocables (Rom 11:29), Réflexions sur les rap­ports entre catho­liques et juifs à l’oc­ca­sion du 50ème anni­ver­saire de Nostra Aetate (n.4) », de la Commission Pontificale pour les Relations reli­gieuses avec le Judaïsme. En der­nière ana­lyse, comme l’a indi­qué Pozzo, la ques­tion prin­ci­pale pour­rait être l’her­mé­neu­tique, à savoir non de chaque affir­ma­tion par­ti­cu­lière, mais d’une approche adap­tée à l’in­ter­pré­ta­tion des textes conci­liaires. En cela, comme en de nom­breux domaines, les grands élé­ments de conti­nui­té doivent être lus avec les élé­ments impor­tants de nou­veau­té, qui doivent être recon­nus en par­ti­cu­lier dans Nostra Aetate », conclut Sievers.

Pour finir, à pro­pos des para­graphes qui traitent du dia­logue inter­re­li­gieux avec l’Islam et les autres reli­gions non chré­tiennes conte­nus dans Nostra Aetate et que les repré­sen­tants de la FSSPX trouvent pro­blé­ma­tiques, et la mise en garde de Pozzo sur un éven­tuel usage impré­cis ou inter­pré­ta­tion erro­née de l” « esprit d’Assise » expri­mé dans cette inter­view, l’imam Yahya Pallavicini, vice-​président de l’Association Coreis en Italie et célèbre repré­sen­tant inter­na­tio­nal de l’Islam tra­di­tion­nel « modé­ré », s’est expri­mé ain­si : « La com­mu­nau­té isla­mique inter­na­tio­nale suit avec atten­tion le déve­lop­pe­ment de ce pro­ces­sus de rap­pro­che­ment de la Fraternité Saint-​Pie X vers la réin­té­gra­tion dans l’Eglise Catholique. Il s’a­vère déli­cat de trou­ver une cohé­rence sur les impli­ca­tions pas­to­rales du fruit du Concile et du docu­ment Nostra Aetate. En effet, tan­dis que le pape François et l’Eglise catho­lique célèbrent avec les auto­ri­tés spi­ri­tuelles de nom­breuses confes­sions reli­gieuses la valeur pro­phé­tique de ce Concile qui a ouvert de façon pro­vi­den­tielle le cycle his­to­rique de cin­quante intenses années de dia­logue inter­re­li­gieux et d’oe­cu­mé­nisme, la Fraternité Saint-​Pie X semble du moins rééva­luer l’im­por­tance de ce par­cours et de cette orien­ta­tion pour pré­ser­ver une inter­pré­ta­tion tra­di­tio­na­liste qui nie de fait l’op­por­tu­ni­té spi­ri­tuelle d’un res­pect et d’une fra­ter­ni­té même avec les croyants et les créa­tures d’autres fois dans le Dieu Unique. Dans une période de dra­ma­tique crise inter­na­tio­nale, quand la mani­pu­la­tion de la reli­gion semble pri­son­nière de cer­tains groupes fon­da­men­ta­listes qui pré­tendent légi­ti­mer une vio­lence « jus­ti­cia­liste » contre musul­mans, chré­tiens et juifs, nous sommes pré­oc­cu­pés par l’a­na­chro­nisme et l’in­sen­si­bi­li­té de mou­ve­ments qui s’obs­tinent à vou­loir impo­ser à la socié­té et jus­qu’à ensei­gner à l’Eglise une hié­rar­chie de valeurs dif­fé­rente de celle que pré­voi­rait le Concile et l’o­béis­sance aux saints et aux papes ».

Pozzo rap­pelle qu’il y a 600 prêtres de la FSSPX, 200 sémi­na­ristes et autres membres de la Fraternité pré­sents dans 70 pays avec 750 églises où ils célèbrent la messe, et que « nous ne pou­vons fer­mer les yeux face à une réa­li­té si signi­fi­ca­tive ». Les conces­sions qui devront être faites pour pou­voir légi­ti­mer ces réa­li­tés peuvent sem­bler minus­cules en com­pa­rai­son avec l’é­norme monde catho­lique qui nous entoure, qui les relègue dans une sphère d’in­fluence rela­ti­ve­ment mineure. Mais rien n’ar­rive en ce monde sans consé­quences. Les conces­sions trouvent le moyen de se répandre, d’une per­sonne à l’autre, et pour­raient faci­le­ment por­ter atteinte à la résis­tance déjà fra­gile aux pres­sions pour le retour aux anciens pré­ju­gés contre les façons de célé­brer son propre cre­do en dehors de la foi chré­tienne, qui pour­raient se chan­ger en une convic­tion bel­li­queuse de pos­sé­der l’u­nique véri­table voie vers Dieu, avec par consé­quent du mépris pour tous les autres.

Ce serait un pas de plus vers le déni­gre­ment et la délé­gi­ti­mi­sa­tion de l’ardent désir de Jean XXIII d’un « aggior­na­men­to » de l’Eglise catho­lique, et, en même temps, vers la réap­pa­ri­tion de sté­réo­types anti­sé­mites pseudo-​religieux qui pen­dant trop de siècles ont cau­sé d’im­menses souf­frances, et ont mené fina­le­ment aux per­sé­cu­tions dia­bo­liques et aux géno­cides du XXème siècle.

Le silence du pape François pen­dant sa visite à Auschwitz, pro­fon­dé­ment signi­fi­ca­tif, est assourdissant.

Lisa Palmieri-​Billig, écri­vant col­lec­ti­ve­ment au nom de l’American Jewish Committee

Sources : Vatican Insider/​Traduction de Marie Perrin pour La Porte Latine du 1er août 2016

Notes de bas de page
  1. Lire aus­si : Mgr Pozzo : le dia­logue avec la Fraternité Saint-​Pie X se pour­suit du 1er juillet 2016[]
  2. Lumen Gentium 16 – pre­mière par­tie : « Enfin, pour ceux qui n’ont pas encore reçu l’Évangile, sous des formes diverses, eux aus­si sont ordon­nés au Peuple de Dieu et, en pre­mier lieu, ce peuple qui reçut les alliances et les pro­messes, et dont le Christ est issu selon la chair (cf. Rm 9, 4–5), peuple très aimé du point de vue de l’élection, à cause des Pères, car Dieu ne regrette rien de ses dons ni de son appel (cf. Rm 11, 28–29). Mais le des­sein de salut enve­loppe éga­le­ment ceux qui recon­naissent le Créateur, en tout pre­mier lieu les musul­mans qui, pro­fes­sant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, misé­ri­cor­dieux, futur juge des hommes au der­nier jour. Et même des autres, qui cherchent encore dans les ombres et sous des images un Dieu qu’ils ignorent, de ceux-​là mêmes Dieu n’est pas loin, puisque c’est lui qui donne à tous vie, souffle et toutes choses (cf. Ac 17, 25–28), et puisqu’il veut, comme Sauveur, ame­ner tous les hommes au salut (cf. 1 Tm 2, 4). En effet, ceux qui, sans qu’il y ait de leur faute, ignorent l’Évangile du Christ et son Église, mais cherchent pour­tant Dieu d’un cœur sin­cère et s’efforcent, sous l’influence de sa grâce, d’agir de façon à accom­plir sa volon­té telle que leur conscience la leur révèle et la leur dicte, eux aus­si peuvent arri­ver au salut éter­nel ». []