Faut-​il faire repentance pour la conquête du Mexique par les espagnols ?

Entre légende noire et réa­li­té his­to­rique, retour sur la Conquista espa­gnole, 500 ans après le début de cette épopée. 

Le 13 août 1521, la ville de Tenochtitlán, actuelle ville de Mexico, tom­bait et avec elle l’empire aztèque après 80 jours de siège. Ce jour mar­qua pour tou­jours la nais­sance de la nou­velle Espagne et le début de l’évangélisation de l’Amérique. A par­tir de cette date, l’empire espa­gnol s’étendit en l’espace de quelques décen­nies de la Terre de Feu au sud, jusqu’à la Californie au nord. Tous ces évè­ne­ments ont reçu le nom de Conquista ou Conquête par les historiens.

L’année 2021, qui vient de se ter­mi­ner, cor­res­pon­dait aux 500 ans du début de cette épo­pée. Faut-​il ou non se réjouir de cette conquête ? Si nous sui­vons la bien-​pensance d’aujourd’hui il semble que la réponse soit non.

En février 2016, alors que le pape François était en voyage au Mexique, lors d’une grande messe à Chiapas, il appe­la à « apprendre à dire par­don » et à faire un « exa­men de conscience insis­tant sur l’exclusion des peuples indi­gènes dans l’histoire. De même, le 9 juillet 2015, lors de son voyage en Bolivie, le Pape François pré­sen­ta offi­ciel­le­ment ses excuses au nom de l’Église catho­lique pour les « bles­sures » faites aux peuples autoch­tones du conti­nent par les colons espa­gnols. « De nom­breux et de graves péchés ont été com­mis envers les peuples ori­gi­naires des Amériques au nom de Dieu ». Il a recon­nu alors qu’il s’agissait de « crimes », chose inédite.

Mais bien avant lui, sans par­ler de crimes, le Vatican avait men­tion­né les bles­sures faites par les colons. Ainsi en 2007, Benoît XVI avait recon­nu « les souf­frances, les injus­tices et les ombres » de cette période de colo­ni­sa­tion. Et dès 1992, la voie de la repen­tance était déjà emprun­tée. Jean-​Paul II avait, lors de son voyage en République domi­ni­caine, « hum­ble­ment deman­dé par­don », for­mule reprise par le pape François en Bolivie. Il recon­nais­sait alors la « dou­leur et la souf­france » cau­sées par des chré­tiens durant 500 ans. Lors de la grande céré­mo­nie de repen­tance de l’an 2000, dans le cadre du Jubilé, Jean-​Paul II avait solen­nel­le­ment renou­ve­lé cette démarche de par­don [1].

En octobre 2020, le pré­sident mexi­cain, Andrés Manuel Lopez Obrador, gau­chiste invé­té­ré, envoya une lettre [2] au pape François invi­tant l’Église à deman­der par­don pour les abus com­mis il y a 500 ans lors de la conquête du Mexique. Le pré­sident rap­pe­lait les « atro­ci­tés hon­teuses » subies par les peuples ori­gi­naires, le pillage de leurs biens et de leurs terres et leur assu­jet­tis­se­ment cultu­rel et reli­gieux, « depuis la conquête de 1521 jusqu’à un pas­sé récent ». Il décla­rait aus­si : « Je pro­fite de cette occa­sion pour insis­ter sur le fait qu’à l’occasion de ces éphé­mé­rides, l’Église catho­lique, la monar­chie espa­gnole et l’État mexi­cain doivent pré­sen­ter des excuses publiques aux peuples d’origine ». Le 27 sep­tembre 2021, on appre­nait que le Vatican avait envoyé une lettre de réponse dans laquelle il pré­sen­tait des excuses au peuple mexi­cain « pour tous les péchés per­son­nels et sociaux, pour toutes les actions ou omis­sions qui n’ont pas contri­bué à l’évangélisation », sui­vant ain­si la longue tra­di­tion de repen­tance inau­gu­rée par le pape Paul VI. Mais ce n’est pas tout : le gou­ver­ne­ment de la ville de Mexico a déci­dé le 13 mars 2021 de ne pas fêter les 500 ans de la conquête mais les 700 ans de la fon­da­tion de Mexico- Tenochtitlán ; et à cette occa­sion de chan­ger le nom de plu­sieurs rues et quelques sta­tues emblé­ma­tiques de la ville pour que, 500 ans après la san­glante inva­sion colo­niale espa­gnole, on puisse mettre en valeur la diver­si­té culturelle.

La légende noire, qui se retrouve en arrière-​fond de la men­ta­li­té actuelle, existe depuis des siècles. C’est Monseigneur Bartolomé de las Casas, o.p., qui le pre­mier a dénon­cé de sup­po­sés faits atroces lors de la conquête espa­gnole [3]. Tout ce qu’il avance s’appuie, selon lui, sur ce qu’il a vu de ses propres yeux, mais il n’y a jamais, ni noms, ni dates, ni lieux exacts qui per­mettent de cor­ro­bo­rer les faits, ce qui nous montre le manque de sérieux de ses affir­ma­tions. Évidemment, tous les pays enne­mis de l’Espagne, Angleterre en tête, en ont pro­fi­té pour répandre ces écrits et salir l’image des Espagnols. S’il fal­lait cari­ca­tu­rer les affir­ma­tions de cette légende noire, nous devrions dire que les Espagnols, gen­tils hommes en Europe, par le seul fait de tra­ver­ser l’Atlantique, se seraient mon­trés tels qu’ils étaient vrai­ment : d’horribles hommes, avides de richesses et de pou­voirs, prêts à tout pour par­ve­nir à leurs fins : escla­vage, tor­tures, homi­cides, etc. Une courte ana­lyse des faits nous mon­tre­ra un pay­sage un peu différent.

Certains auteurs dénoncent l’utilisation du terme « conquête » car selon eux il fau­drait plu­tôt par­ler de « libé­ra­tion ». En effet, lorsqu’on étu­die les évè­ne­ments et que l’on voit dans quel contexte vivaient les peuples ori­gi­naires du Mexique (et la plu­part des peuples amé­rin­diens) à l’arrivée des Espagnols et ce que l’empire espa­gnol leur a lais­sé, on peut bien par­ler de libé­ra­tion, tant sociale que religieuse.

Le Mexique avant l’arrivée des Espagnols

Rappelons tout d’abord que « jusqu’au début du XVIe siècle, le Mexique n’existait ni comme État, ni comme Nation, ni comme Patrie [4]. II n’y avait pas d’unité poli­tique à pro­pre­ment par­ler. Il exis­tait une enti­té plus puis­sante que les autres, les Aztèques, avec comme capi­tale, la Grande Tenochtitlán (aujourd’hui Mexico). Cette enti­té guer­rière s’étendait du Golfe du Mexique, avec les régions de Veracruz et Tabasco, jusqu’à l’Océan Pacifique avec les régions de Guerrero et Oaxaca. Mais de très nom­breux autres peuples, on en compte plus de 110, vivaient dans ce qui est aujourd’hui le Mexique et cer­tains à moins de 50 kilo­mètres des Aztèques (par exemple le peuple de Tlaxcala). Quand on parle d’empire aztèque, ce n’est donc pas vrai­ment com­pa­rable avec notre idée euro­péenne d’empire. On par­lait plus de 80 langues dif­fé­rentes dans ces contrées. Ces peuples ne connais­saient pas l’écriture pho­né­tique et n’utilisaient que sym­boles et figures. Ils ne connais­saient pas l’usage indus­triel et méca­nique de la roue et ne tra­vaillaient pas le fer, ils n’avaient pas d’animaux de trait et de charge, ni de bovins, porcs, chèvres ou mou­tons et man­quaient des prin­ci­pales céréales. Il n’y avait pas d’unité reli­gieuse non plus si ce n’est le fait des sacri­fices humains au sujet des­quels l’historien Frère Diego Durán déclare : « Si l’histoire ne m’y obli­geait pas, et si je n’a­vais pas vu l’événement affir­mé et décrit en de nom­breux autres endroits, je n’oserais pas m’y réfé­rer avec la crainte d’être consi­dé­ré comme un homme qui écrit des fables. » On parle de plu­sieurs dizaines de mil­liers de vic­times pour l’inauguration du Temple Majeur de Tenochtitlán de 1487. Pour réa­li­ser ces sacri­fices, il y avait de nom­breuses guerres afin d’y faire des pri­son­niers, vic­times par­faites, et les peuples sou­mis devaient aus­si payer un tri­but annuel de futures vic­times. Toutes ces vic­times, après avoir subi l’ablation de leur cœur, étaient dévo­rées par les habi­tants ! En ce qui concerne l’ambiance morale, un des prin­ci­paux his­to­riens de l’histoire de la Conquista, le Frère Toribio Benavente (1482–1569), aus­si connu comme Motolinia, mis­sion­naire fran­cis­cain au Mexique, nous donne ce témoi­gnage un peu cru mais réa­liste : « Cette terre était un trans­fert de l’enfer ; on pou­vait voir ses habi­tants crier la nuit, cer­tains appe­lant le diable, d’autres ivres. (…) Ils avaient tous les femmes qu’ils vou­laient, et il y en avait qui avaient jusqu’à deux cents femmes, et en deçà cha­cun en avait autant qu’il vou­lait, et pour cela les grands sei­gneurs volaient toutes les femmes, de sorte que lorsqu’un Indien ordi­naire vou­lait se marier, il pou­vait dif­fi­ci­le­ment trou­ver une femme. » [5]

Aujourd’hui, les bien-​pensants se sont créé un mythe à pro­pos des com­mu­nau­tés indi­gènes de l’époque. On nous les pré­sente comme si toutes vivaient dans un état idéal. Mais la réa­li­té his­to­rique est bien dif­fé­rente. De fait, la plu­part des peuples oppri­més par la tyran­nie anthro­po­phage aztèque se sont alliés aux Espagnols pour se libé­rer du joug aztèque et ont ain­si per­mis la prise de Tenochtitlan en 1521. Ce sont ces mil­liers d’amérindiens qui, plus que les quelques cen­taines de sol­dats espa­gnols, ont fait tom­ber « l’empire » aztèque. On com­prend leur désir de sor­tir d’une telle ambiance que cer­tains ont l’air de regret­ter ! C’est une spé­cia­li­té moderne que de chan­ger l’histoire pour s’en ser­vir à des fins idéo­lo­giques. Par exemple, beau­coup de mexi­cains sont ame­nés à croire qu’ils sont tous des des­cen­dants d’un seul des peuples – les Aztèques – qui peu­plaient le ter­ri­toire actuel du Mexique, et on leur fait oublier que beau­coup d’entre eux des­cendent des peuples que les Aztèques cap­tu­raient pour des sacri­fices humains [6]. Un phi­lo­sophe argen­tin, Juan José Sebreli, déclare avec jus­tesse que « la des­truc­tion des grands monu­ments, temples et palais des Aztèques et des Incas est répré­hen­sible, mais une civi­li­sa­tion ne consiste pas seule­ment en ses œuvres d’art, mais sur­tout en son orga­ni­sa­tion poli­tique et sociale, son droit et son éthique, et à cet égard, les grandes civi­li­sa­tions pré­co­lom­biennes n’ont guère été exem­plaires. C’étaient des théo­cra­ties san­gui­naires sans auto­ri­té morale pour condam­ner la cruau­té des Espagnols […]. Les indi­gé­nistes répu­dient comme un acte de bar­ba­rie la des­truc­tion de la culture aztèque par les conquis­ta­dors, mais ils oublient que cent ans plus tôt, sous le règne d’Izcoatl, les Aztèques avaient détruit les livres anciens et bri­sé les monu­ments des Toltèques afin d’imposer leur propre culture. Celui qui tue un assas­sin reste un assas­sin, mais le meur­trier qui est tué ne retrouve pas pour autant son inno­cence. » [7]

Ce que les Espagnols ont apporté

Les Espagnols ont donc appor­té avec eux la paix avec la fin de ces guerres tri­bales et des cou­tumes san­gui­naires. Ils ont fait œuvre de cha­ri­té en fon­dant des mil­liers d’hôpitaux sur tout le conti­nent, en fon­dant des cen­taines d’universités, ils ont appor­té leurs tech­no­lo­gies, leur langue, leur culture, leur reli­gion et ils ont offert à ce conti­nent leur propre sang en éta­blis­sant les bases d’un nou­veau peuple, résul­tat du métis­sage entre peuples ori­gi­naires et espa­gnol. Ils ont aus­si per­mis l’unité autour de la seule reli­gion véri­table, la reli­gion catho­lique. En un mot, ils ont appor­té la vraie civi­li­sa­tion. C’est grâce à eux que les dif­fé­rents pays d’Amérique latine existent. Revenons main­te­nant sur la reli­gion, car si la libé­ra­tion sociale fut une grande chose, que dire de la libé­ra­tion reli­gieuse sachant que les âmes valent bien plus que les corps. Nous avons vu com­ment les amé­rin­diens étaient tous trom­pés par l’idolâtrie anthro­po­phage. Il est impor­tant de rap­pe­ler que les rois espa­gnols ont vou­lu que l’évangélisation des peuples amé­rin­diens soit le but pre­mier de la Conquista, au moins dans l’ordre de l’intention quand cela n’était pas pos­sible dans l’ordre de l’exécution. Ils ne fai­saient que suivre les indi­ca­tions du pape Alexandre VI dans sa bulle Inter cœte­ra (1493) : « Nous savons à mer­veille que vous vous pro­po­sez, depuis long­temps, de cher­cher et de trou­ver des Iles et des Continents, éloi­gnés et incon­nus, dont per­sonne encore n’a fait la décou­verte ; que vous vou­lez en rame­ner les habi­tants et indi­gènes à hono­rer notre Rédempteur et à pro­fes­ser la foi Catholique ; et que, fort occu­pés, jusqu’à ce jour, à assié­ger et recou­vrer le Royaume de Grenade, vous n’avez pu conduire à bonne fin ce saint et louable pro­jet. » Le pape pour­suit en disant qu’avec la décou­verte des Indes, l’heure vou­lue par Dieu est arri­vée : « Et ain­si, puisque vous-​mêmes, de votre propre mou­ve­ment, vou­lez, par amour pour la foi ortho­doxe, com­men­cer et pour­suivre jusqu’au bout cette entre­prise, nous vous pres­sons très vive­ment, dans Notre Seigneur, et, tout ensemble, par la récep­tion du saint Baptême, qui vous lie aux ordres apos­to­liques, et par les entrailles de la misé­ri­corde de Notre Seigneur Jésus-​Christ, nous vous sol­li­ci­tons avec ins­tance de croire que vous devez enga­ger les peuples, qui habitent ces îles et ces conti­nents, à embras­ser la reli­gion chré­tienne, de vou­loir les y por­ter, de ne vous lais­ser jamais détour­ner par les périls ni les labeurs, d’espérer et de pen­ser fer­me­ment que le Dieu Tout-​Puissant béni­ra vos efforts. » La reine Isabelle, dans son Testament de 1504 ne dira pas autre chose, rap­pe­lant que sa prin­ci­pale inten­tion avait été de conver­tir les peuples de ces terres à notre Sainte foi Catholique, et deman­dant que ces der­niers ne reçoivent pas la moindre atteinte à leur per­sonne ou à leurs biens. Ces pré­oc­cu­pa­tions se retrouvent dans de nom­breux textes offi­ciels du Vatican et des rois Espagnols. Les conquis­ta­dors ont-​ils sui­vi ces direc­tives ? Voici quelques extraits des chro­ni­queurs au sujet des agis­se­ments d’Hernan Cortès : Bernal Diaz del Castillo témoigne : « Nous nous sommes diri­gés vers la côte du Yucatan, en arri­vant d’abord sur l’île de Cozumel. Il y avait là quelques idoles aux figures très dif­formes, dans un sanc­tuaire où les indi­gènes avaient l’habitude d’of­frir des sacri­fices. Cortès fit mettre les idoles en pièces et construi­sit un autel dans le temple où l’on pla­ça l’image de la Vierge et une croix. Et le père Juan Diaz a dit la messe, avec une grande atten­tion des « papas » et des caciques et de tous les Indiens. » [8]. Lopez de Gomara raconte quant à lui : « Dans chaque endroit où il [Cortès] allait, il éle­vait une cha­pelle ou un autel et pla­çait une croix ou l’image de Notre Dame, à laquelle tous ces insu­laires ren­daient un culte avec dévo­tion et prières, et ils met­taient leur encens, et offraient des cailles et du maïs et des fruits et les autres choses qu’ils avaient l’habitude d’apporter en offrande. Et ils étaient si dévoués à l’image de Notre Dame de Sainte Marie qu’ils allaient avec elle vers les navires espa­gnols qui tou­chaient l’île, en criant : ‘Cortès’, ‘Cortès’ et en chan­tant : ‘Maria, ‘Maria, ‘Maria pour mon­trer qu’ils étaient des amis de notre sainte reli­gion et qu’ils connais­saient notre sainte reli­gion. » [9]

On retrouve les mêmes témoi­gnages dans les chro­niques de voyage de Laonso de Parada, Panfilo de Narvaez et de Cristobal de Olid. Malgré quelques dif­fi­cul­tés dans les débuts, et sur­tout à par­tir des appa­ri­tions de Guadalupe de 1531, il y eu des dizaines de mil­liers de conver­sions au catho­li­cisme et le mou­ve­ment fut si pro­fond que ces terres sont encore aujourd’hui celles où l’on trouve le plus de catholiques.

Un autre point inté­res­sant qui peut nous aider à juger cette Conquista est l’intervention du ciel. On retrouve dans de très nom­breuses chro­niques, tant espa­gnoles qu’indigènes, les récits de faits extra­or­di­naires. Par exemple, lors de la « noche triste » (la nuit triste), alors que les espa­gnols fuyaient la ville de Tenochtitlan, une dame (la Vierge Marie) et un cava­lier (Saint Jacques) les pro­té­geaient des assauts aztèques. Que dire des appa­ri­tions de Guadalupe en 1531 ? La Vierge appa­rait à un amé­rin­dien du nom de Juan Diego et laisse sur sa til­ma (habit local) son image, sans qu’aucun scien­ti­fique ne puisse encore aujourd’hui expli­quer com­ment cette image a pu être peinte et com­ment il se fait que la toile ne soit pas pour­rie depuis des siècles. Ce genre de faits est assez cou­rant et a d’ailleurs lais­sé des traces : des cen­taines de sanc­tuaires répar­tis sur toute l’Amérique latine. Les miracles sont un motif de cré­di­bi­li­té et Dieu les uti­lise pour mon­trer qu’une œuvre est divine. Si le ciel est inter­ve­nu tant de fois dans cette Conquista en faveur des Espagnols, c’est qu’il n’y était pas oppo­sé, bien au contraire ! De fait, si nous regar­dons les évè­ne­ments avec une vision sur­na­tu­relle : com­bien d’âmes sau­vées par l’action des Espagnols et des missionnaires !

Le jugement de l’Église sur l’œuvre de l’Espagne en Amérique

Le pape Pie IX, s’adressant le 20 juin 1871 à une com­mis­sion de catho­liques espa­gnols, leur disait : « L’Espagne a tou­jours mon­tré une pré­di­lec­tion spé­ciale pour ce Siège apos­to­lique, et elle s’est effor­cée de por­ter la civi­li­sa­tion chré­tienne à toutes les nations du globe. Le dra­peau espa­gnol a flot­té sur les mers d’Amérique, de l’Inde et d’autres régions, comme le sym­bole de la foi en Jésus-​Christ (…). Pour cela l’Espagne fut grande autre­fois, parce qu’elle fon­dait sa gran­deur à pro­pa­ger la reli­gion chré­tienne, à la ser­vir et à la défendre, au prix de tous les sacri­fices.[10]»

Lors du 4e cen­te­naire de la décou­verte de l’Amérique, le pape Léon XIII ren­dait « grâces au Dieu immor­tel pour cet heu­reux évé­ne­ment » par lequel « des mil­lions d’hommes qui se trou­vaient dans l’oubli et dans les ténèbres, ont été réin­té­grés à la socié­té, et sont pas­sés de la bar­ba­rie à la dou­ceur et à l’humanité, et, ce qui plus est, ont été appe­lés de la mort à la vie éter­nelle par la com­mu­ni­ca­tion des biens que Jésus-​Christ engen­dra » [11].

À l’occasion de la fin de la guerre d’Espagne, le pape Pie XII mani­fes­tait sa joie au géné­ral Franco et rap­pe­lait : « L’héroïque Espagne (…) est la nation choi­sie par Dieu comme prin­ci­pal ins­tru­ment d’évangélisation du Nouveau Monde et comme rem­part inex­pug­nable de la foi catho­lique » [12].

Le même pon­tife, rece­vant en audience les rec­teurs des grands sémi­naires d’Amérique latine, leur disait : « L’Amérique latine est ce for­mi­dable bloc catho­lique, que le zèle mis­sion­naire des deux grandes mères ibé­riques sut édi­fier à leur grand hon­neur et à l’avantage de l’Église. [13]»

Lors d’un dis­cours à une mis­sion navale espa­gnole, le pape s’exprimait ain­si : « Votre pro­fes­sion de marins espa­gnols ramène à notre mémoire ces pro­vi­den­tielles cara­velles de l’Espagne mis­sion­naire, véri­tables auxi­liaires de la Barque de Pierre, qui, avec la civi­li­sa­tion de l’Europe, appor­tèrent les pre­mières au Nouveau Monde le tré­sor incom­pa­rable de la foi en Jésus-​Christ, et avec la reli­gion catho­lique léguèrent à ces immenses conti­nents la sublime et véri­table civi­li­sa­tion des âmes » [14].

Pie XII a même loué la dévo­tion mariale des Conquistadors en ces termes : « On connaît la part émi­nente qui revient à la dévo­tion à Notre Dame de la Vierge Marie dans l’évangélisation du Nouveau Continent et dans sa conser­va­tion dans la foi. L’Amérique des Conquistadors – Jérôme de Aguilar, Hernan Cortès, Pierre de Alvarado, Alphonse de Ojeda – qui, dans leur poi­trine cui­ras­sée, savaient conser­ver un cœur très tendre pour leur mère ; cette Amérique dont plus de cent cités portent son très doux nom, dont des dizaines de cathé­drales se réclament de son patro­nage (…)» [15].

Au congrès marial des Philippines, le même pape loua ain­si le pays des Rois Catholiques : « L’élan évan­gé­li­sa­teur et colo­ni­sa­teur de l’Espagne mis­sion­naire, dont un des mérites fut de savoir fondre en une seule chose ces deux aspects de son action [évan­gé­li­sa­tion et colo­ni­sa­tion], ne pou­vant se conte­nir, pas même dans les immen­si­tés du Nouveau Monde, se lan­ça dans les soli­tudes du Pacifique (…) » [16].

Bilan

Certes, la Conquista ou la libé­ra­tion de l’Amérique des griffes du démon a aus­si eu des points sombres car, comme dans toute œuvre humaine, il y eut aus­si des péchés, des abus et des faits moins relui­sants, bien que le gou­ver­ne­ment espa­gnol châ­tiât habi­tuel­le­ment tous ceux qui outre­pas­saient les lois éta­blies pour la pro­tec­tion des habi­tants indi­gènes. Mais si nous jetons un coup d’œil géné­ral sur cette œuvre, il est évident, après ce que l’on a pu étu­dier, que la balance penche du côté du bien : conver­sion et œuvre de civi­li­sa­tion n’ont pas de prix. De plus, les quelques abus n’ont jamais eu le carac­tère sys­té­ma­tique que la légende noire a vou­lu leur attri­buer. Avant de conclure, voi­ci les paroles de Fray Toribio de Benavente, confes­seur de Hernan Cortès, au sujet de ce conquis­ta­dor, le plus illustre de tous et le plus décrié aujourd’hui par les bien-​pensants : « Bien que, en tant qu’homme, il était pécheur, il avait la foi et les œuvres d’un bon chré­tien et un grand désir d’utiliser sa vie et ses biens pour élar­gir et accroître sa foi en Notre Seigneur. Il se confes­sait avec beau­coup de larmes et rece­vait la Sainte Communion avec dévo­tion, et met­tait son âme et ses biens entre les mains du confes­seur, afin qu’il puisse les com­man­der et en dis­po­ser en tout ce qui conve­nait à sa conscience. Et Dieu le visi­ta par de grandes afflic­tions, des tra­vaux et des mala­dies pour pur­ger ses fautes et puri­fier son âme. Et je crois qu’il est un fils du salut. » [17]. Ce petit résu­mé que donne le confes­seur de ce grand conquis­ta­dor est à l’image de son œuvre. En tant que catho­liques, il n’y a donc pas de rai­son de faire repen­tance pour cette œuvre pro­vi­den­tielle, il faut au contraire remer­cier les Espagnols !

Achevons cette petite étude par la décla­ra­tion d’un his­to­rien mexi­cain : « Un enfer et rien d’autre, tel était le pays habi­té par nos ancêtres. Comment est-​il pos­sible qu’il y ait des per­sonnes qui regrettent cette situa­tion et qui regrettent qu’elle ait été détruite par les Espagnols ? Nous ne dou­tons pas que le diable, le vrai et l’au­then­tique diable, avait pris pos­ses­sion du peuple et le met­tait à son ser­vice. Glorieux fut le jour où la Croix appa­rut et mit en fuite la légion sata­nique ! » [18]

Abbé Pierre Mouroux

Source : Courrier de Rome n° 651

Notes de bas de page
  1. https://www.vaticannews.va/fr/monde/news/2019–03/colonisation[]
  2. Lettre du Président mexi­cain Andrés Manuel Lopez Obrador au Pape François, 2 octobre 2020.[]
  3. DE LAS CASAS, Bartolomé, Brevisima rela­tion de la des­trui­cion de las Indias, 1542.[]
  4. SANCHEZ RUIZ, Pedro, Prehistoria de Méjico, In Nacimiento, gran­de­za, deca­den­ciay rui­na de la Nation Mejicana.[]
  5. BENAVENTE, Fray Toribio, Historia de los Indios de la Nueva Espana, Porrua, Mexico, 2011.[]
  6. GULLO OMODEO, Marcelo, Madré Patria.[]
  7. SEBRELI J. J., El ase­dio.[]
  8. DIAZ DEL CASTILLO, Bernal, Historia Verdadera de la Conquista de la Nueva Espana, capi­tule » 27, Porrùa, Mexico, 1994.[]
  9. LOPEZ DE GOMARA, Francisco, la lle­ga­da a la isla de Cozumel, In Cronica General de las Indias.[]
  10. Cité par Jean Terradas dans Une chré­tien­té d’outremer, NEL, Paris, 1960.[]
  11. Encyclique Quarto abeunte sae­cu­lo du 16 juillet 1892.[]
  12. Radiomessage à la nation espa­gnole du 16 avril 1939.[]
  13. Discours du 23 novembre 1958.[]
  14. Discours du 6 mars 1940.[]
  15. Radiomessage du 12 décembre 1954.[]
  16. Radiomessage du 5 décembre 1954.[]
  17. BENAVENTE, Fray Toribio, Historia de los Indios de la Nueva Espana, Porrua, Mexico, 2001.[]
  18. TRUEBA, Alfonso, Huichilobos, Jus, 1955.[]

FSSPX

M. l’ab­bé Pierre Mouroux est Supérieur du District du Mexique.