Monseigneur Marcel Lefebvre – [29/11/1905 – 25/03/1991]
« Comment croiront-ils en celui dont ils n’ont pas entendu parler ? et comment en entendront-ils parler, si personne ne le leur prêche ? » (Rom. X, 14)
Dans une lettre du 26 mars 1961 adressée à son diocèse, Monseigneur Lefebvre, alors archevêque de Dakar, cite ces lignes du Révérend Père Daniélou :
« Si nous ne disons pas la vérité aux autres, c’est peut-être parce que nous sentons qu’ils ne sont pas disposés à la recevoir, mais c’est aussi souvent par lâcheté, par égoïsme, parce que nous n’avons pas le courage d’affronter leur mécontentement. Parce que nous craignons de leur déplaire nous n’osons pas les aimer vraiment et jusqu’au bout [allusion à Jean, XIII, 1]. Car aimer les autres, c’est vouloir leur bien, même contre eux-mêmes. Aimer les autres, c’est les aider à faire triompher en eux leur vérité sur leur pauvre réalité quotidienne. Aimer, c’est aider chaque homme à réaliser sur lui le dessein de Dieu. Il est certain que cette forme de charité empêche de concéder aux autres ce que l’on sait n’être pas leur bien. Le véritable aimant est celui qui, fidèlement, patiemment, avec réalisme, dans le silence (car l’amour est fidèle, patient, intelligent, plein de tact) essaie d’aider les autres à réaliser ce qu’ils portent de meilleur en eux.
« Dans le monde d’aujourd’hui, des millions d’âmes sont privées du pain vivant de la vérité, et ceci, nous n’avons pas le droit de le supporter. Nous le supportons beaucoup trop facilement. En prendre son parti, ce n’est pas aimer. Il ne s’agit pas ici de combattre, il s’agit de sauver. On pense trop généralement qu’il n’y a pas d’espace entre le conflit et la complicité. Il y en a un, c’est l’amour, l’amour qui ne prend pas son parti de voir les hommes en dehors de ce qu’il sait être la vraie vie et qui cherche à les aider à réaliser entre eux cette vie-là, qui va à tous les hommes sans faiblesse.
« Mais si la première des charités est de donner la vérité, cette vérité doit être donnée dans la charité. Il y a une façon de servir la vérité qui, précisément parce qu’on ne la sert pas assez dans la charité, finit par faire du mal à la vérité. Nous sentons très bien qu’il peut y avoir dans notre manière de servir la vérité quelque chose de très impur : la vérité devient notre affaire, son triomphe est notre triomphe. A partir de ce moment-là, ce n’est plus elle que nous servons, c’est nous. Et puis, nous sommes satisfaits de posséder la vérité, alors que d’autres ne la possèdent pas. Nous abordons l’autre dans une attitude de propriétaire.
« La véritable attitude est bien différente. Moi, je suis aussi pauvre que l’autre, par moi-même je n’ai absolument rien. La vérité n’est pas ma vérité ; elle m’a été donnée et je devrais sentir combien je la reçois mal. C’est pourquoi je dois simplement lui rendre témoignage avec le sentiment que j’en suis très indigne. Loin de dire aux autres : « Faites comme moi », je dois dire : « Imitez Jésus-Christ, Lui est la vraie vie. Je ne suis qu’un témoin imparfait qui s’est mis à sa suite. Ce dont je témoigne m’a été donné, me dépasse infiniment, et c’est le bien commun de tous les hommes ». Ainsi, je peux servir la vérité dans l’humilité, sans humilier la vérité. Ceci est vrai aussi au niveau collectif. Si l’Occident a reçu le christianisme le premier, il n’en est nullement propriétaire, mais seulement dépositaire.
« Une autre déformation dans la façon de présenter la vérité serait de rechercher avant tout des résultats apparents et rapides. Caritas patiens est, a dit saint Paul. Etre patient ne signifie pas prendre son parti. La patience est une attitude éminemment active ; sans forcer le dessein de Dieu, on entre dans ses longs délais. C’est là une attitude respectueuse des personnes, intermédiaire entre un prosélytisme intempestif et une pseudo-tolérance qui mettrait tout sur le même plan. »
Dans une lettre de Noël 1977 adressée aux membres de la Fraternité Saint Pie X, Monseigneur Lefebvre écrivait ces lignes :
« Dans cette période de confusion, (…) évitons les prises de position extrêmes qui ne correspondent pas à la réalité, mais à des a priori, qui troublent inutilement les consciences sans les éclairer. Evitons le zèle amer que condamne saint Pie X dans sa première encyclique : « Mais pour que ce zèle à enseigner produise les fruits qu’on en espère et serve à former en tous le Christ, rien n’est plus efficace que la charité ; gravons cela fortement dans notre mémoire, ô Vénérables Frères, car le Seigneur n’est pas dans la commotion (1Rois, XIX, 11). En vain espérerait-on attirer les âmes à Dieu par un zèle empreint d’amertume ; reprocher durement les erreurs et reprendre les vices avec âpreté cause très souvent plus de dommage que de profit. Il est vrai que l’Apôtre, exhortant Timothée, lui disait : Accuse, supplie, reprends, mais il ajoutait : en toute patience (2Tim. IV, 2). Rien de plus conforme aux exemples que Jésus-Christ nous a laissés. C’est lui qui nous adresse cette invitation : Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui gémissez sous le fardeau, et je vous soulagerai (Matth. XI, 28). Et, dans sa pensée, ces infirmes et ces opprimés n’étaient autres que les esclaves de l’erreur et du péché. Quelle mansuétude, en effet, dans ce divin Maître ! Quelle tendresse, quelle compassion envers tous les malheureux ! »
Abbé Thierry Roy, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Sources : Le Carillon du Nord n° 176 de mars 2016/La Porte Latine du 28 mars 2016
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