Sermon de Mgr Lefebvre – Funérailles de Maître Roger Lovey – 23 août 1989

Messieurs les membres du Gouvernement,
Messieurs les dépu­tés,
Messieurs les magis­trats,
Mes bien chers frères,

Permettez-​moi qu’avant de vous adres­ser quelques mots en votre nom, au nom de toute l’assemblée, je pré­sente mes res­pec­tueuses et cor­diales condo­léances à sa digne épouse Madame Lovey, à ses enfants et à toute sa famille.

S’il est vrai que dans ces cir­cons­tances, notre cœur est étreint de dou­leur et de tris­tesse, com­bien plus doit être grande la dou­leur de la famille, de ceux qui l’ont aimé, qui l’ont connu de si près.

Et c’est pour cela que nous sommes aujourd’hui réunis ici, autour de la dépouille mor­telle du cher Maître Lovey. Réunis dans la prière de l’Église. Et l’Église sait trou­ver des accents, des prières, qui nous consolent, qui nous ras­surent, qui mettent la paix dans nos âmes.

Il n’y a peut-​être pas de plus belle litur­gie dans les fêtes de l’Église, que la litur­gie des défunts. Il semble que l’Église nous trans­porte dans le Ciel. À tout ins­tant, la litur­gie fait appel aux anges. Subvenite ange­li Dei : Venez anges de Dieu. In Paradisium dedu­cant te ange­li : Que les anges vous conduisent dans le Paradis. Et ain­si de suite…

Il semble que vrai­ment dans ces cir­cons­tances, l’Église relie d’une manière plus émou­vante encore que jamais, la terre au Ciel. Oui la litur­gie de l’Église catho­lique est une litur­gie d’espérance. Et c’est cette espé­rance qui nous sou­tient ; Spes non confun­dit : Notre espoir ne sera pas confondu.

Et Dieu sait si le cher Maître Lovey a mani­fes­té cette espé­rance. Quel exemple il nous a don­né, au cours de sa mala­die, avec une séré­ni­té par­faite, comme il était tou­jours. Avec une pré­sence d’esprit com­plète, il a vu la mort venir. Et sans hési­ter, il a pré­pa­ré tous les détails de son enter­re­ment. Il a indi­qué ses der­nières volon­tés. Quel exemple pour nous.

Dans le jour­nal qui publie les dif­fé­rents articles des amis de Maître Lovey, nous avons pu admi­rer com­bien cette per­son­na­li­té de Maître Lovey était atta­chante, était excep­tion­nelle. Avec beau­coup d’émotion et de jus­tesse, ils ont rap­pe­lé les dons excep­tion­nels que Dieu avait dépar­tis à Maître Lovey : don d’intelligence, don de mémoire, dou­blés de ver­tus sociales par­ti­cu­lières. Il suf­fi­sait de le voir, de le ren­con­trer pour être atti­ré par cette per­son­na­li­té. Pour être à la fois plein de res­pect et en même temps rem­pli de cette sim­pli­ci­té qu’il déga­geait de sa per­sonne. Cette bon­té natu­relle qui ravis­sait les cœurs.

Mais je n’insisterai pas là-​dessus puisque ces auteurs l’ont fait d’une façon magni­fique. Nous n’avons qu’à nous repor­ter à ces articles, pour com­prendre quelle fut vrai­ment la per­son­na­li­té excep­tion­nelle de Maître Lovey dans ses rela­tions, dans son action aus­si bien fami­liale que professionnelle.

J’insisterai sim­ple­ment sur ce que d’ailleurs les auteurs de ces articles ont déjà évo­qué : toutes ces ver­tus, tous ces dons qui éma­naient de la per­sonne de Maître Lovey ne pou­vaient bien se com­prendre que par sa foi.

Maître Lovey a été un catho­lique et un catho­lique valai­san. Il semble que sa foi venait de ce ter­roir, de sa petite patrie du Valais qu’il aimait tant, qu’il aimait chan­ter. Il a trou­vé là, dans sa famille et dans le ter­roir du Valais, cette foi pro­fonde qui fai­sait l’admiration de tous ceux qui l’approchaient.

Et c’est cela, je pense aus­si, qui éclai­rait tous ses juge­ments et qui don­nait une lumière par­ti­cu­lière à toute sa conver­sa­tion. Jamais il ne se dépar­tis­sait des prin­cipes de la foi. Je dirai même plus, il était non seule­ment un catho­lique, il était même un théo­lo­gien. Et ce mot n’est pas trop fort. Il avait la science de Dieu. Une science pro­fonde, une science que l’on pour­rait com­pa­rer à celle de nos meilleurs théo­lo­giens. Il lisait saint Thomas dans le texte. Il se nour­ris­sait de cette théo­lo­gie de saint Thomas. Combien de fois il me l’a dit. Et c’est cela qui don­nait à toute sa per­son­na­li­té, cette gran­deur que l’on remar­quait en lui et cette sûre­té dans le juge­ment. Jamais il ne s’est dépar­ti de voir, de juger et d’agir, en catho­lique. C’est cela je pense qui était la plus belle marque de sa personnalité.

Et il me semble que je ne puisse sépa­rer de son nom, mes bien chers frères, le nom de ceux qui l’ont entou­ré et que nous avons connus par­ti­cu­liè­re­ment. Bien sûr on pour­rait en citer de très nom­breux, mais je ne cite­rai que ceux que j’ai par­ti­cu­liè­re­ment moi-​même bien connus et que vous avez connus éga­le­ment : Monsieur Alphonse Pedroni qui fai­sait par­tie aus­si de cette asso­cia­tion qui nous a per­mis d’acquérir cette pro­prié­té d’Écône, M. Alphonse Pedroni, M. Guy Genoux, qui entre­te­nait des rela­tions de pro­fonde ami­tié avec Maître Lovey et que la pro­fes­sion aus­si et les charges impor­tantes que M. Guy Genoux a rem­plies dans le Valais, le met­tait néces­sai­re­ment en contact très sou­vent avec ce cher ami qu’était pour lui Roger Lovey. Et je ne pour­rai pas non plus ne pas ajou­ter celui qui vient de nous quit­ter récem­ment et qui était pour nous un catho­lique modèle Victor Salamin. Trois per­son­na­li­tés du ter­roir valai­san : venant de ces belles val­lées, val­lée d’Orsières, Val Novillé ; vous les aimez ces val­lées et vous avez rai­son. Restez‑y atta­chés. Ce sont elles qui vous ont don­né ces ver­tus pro­fondes et qui vous ont atta­chés à Dieu. Ces belles mon­tagnes ne peuvent pas ne pas éle­ver vers Dieu.

Et puis j’ajouterai encore ceux que la Providence m’a per­mis de connaître avant même que nous ayons (fait) l’acquisition d’Écône. Étant supé­rieur géné­ral des Pères du Saint-​Esprit, j’avais l’occasion de visi­ter les familles valai­sannes des pères du Saint-​Esprit. Et il y avait envi­ron quatre-​vingts prêtres mis­sion­naires du Saint-​Esprit, venant du Valais, valai­sans. Cela me don­nait donc l’occasion de visi­ter par­fois ces familles et je n’en cite­rai qu’une qui m’avait par­ti­cu­liè­re­ment frap­pé, c’est celle du colo­nel Giroud. Encore un homme, dites-​moi, chers amis, dites-​moi mes bien chers frères, dites-​moi chers amis, si des hommes comme cela ne repré­sentent pas des valeurs magni­fiques ; des valeurs pour un pays comme celui-​ci. Combien de fois j’ai eu l’occasion de par­ler et de ren­con­trer ce cher colo­nel Giroud. Quelle foi catho­lique, quelles convic­tions, quel amour de son pays, quelle loyau­té, quelle fran­chise dans son parler !

Voilà des hommes qui sont des patriarches et qui ont fon­dé des familles, des foyers qui sont à leur hon­neur. Je me sou­viens avoir visi­té en par­ti­cu­lier, sa sainte et véné­rée mère, à Chamoson, une sainte Personne ; la sain­te­té rayon­nait sur son visage. Voilà des exemples.

Si je les unis à la pen­sée et à la per­sonne du cher Maître Lovey, c’est parce que je pense que les qua­li­tés et les ver­tus de ces per­son­na­li­tés, ne viennent pas seule­ment d’elles-mêmes. Elles viennent de l’ambiance, de l’entourage, de ce Valais catho­lique, de ce ter­roir. Vous qui êtes habi­tués à culti­ver les vignobles, vous savez bien qu’il faut entre­te­nir les terres pour que la vigne soit bonne. Eh bien, pour que la foi catho­lique soit si mani­feste dans ces per­son­na­li­tés, il faut que le sol, que l’humus de leur famille, dans leur ambiance, soit vrai­ment catholique.

Alors recueillons, en défi­ni­tive, le tes­ta­ment de ces hommes qui nous ont lais­sé un sou­ve­nir immé­mo­rial, dont nous gar­dons fidè­le­ment le souvenir.

Que nous disent-​ils ? Gardez la foi, gar­dez la foi ! Alors nous devons tout faire comme le fai­sait Maître Lovey. Il a tout fait ce qu’il a pu, pour que le caté­chisme du dio­cèse de Sion demeure le caté­chisme des familles chré­tiennes du Valais. Il a com­pris que l’école catho­lique était une néces­si­té pour les enfants et pour les familles et que c’était bien de mul­ti­plier les familles chré­tiennes, d’avoir de nom­breux enfants, mais si c’est pour les confier à des maîtres qui leur font perdre la foi et la morale, que c’est inutile de fon­der des foyers catholiques.

Alors il s’est atta­ché à fon­der ces petites écoles pri­maires, trois écoles pri­maires, une école secon­daire. Voilà l’œuvre d’un père de famille catholique.

Et c’est pour­quoi le Bon Dieu lui a fait cette grâce insigne, d’être entou­ré au moment de sa mort d’une fille reli­gieuse, d’un diacre qui allait deve­nir prêtre quelques heures plus tard, le cher Philippe qui célèbre la messe aujourd’hui ; entou­ré d’une reli­gieuse, entou­ré d’un prêtre, entou­ré de ses trois filles mères chré­tiennes qui lui ont don­né une des­cen­dance joyeuse et nom­breuse ; entou­ré d’une épouse pro­fon­dé­ment chré­tienne, qui l’a aidé à être ce qu’il était, pen­dant toute sa vie. Quelle récom­pense pour lui et comme il le com­pre­nait et comme il s’en réjouis­sait profondément.

Alors, mes bien chers frères, si vous vou­lez vous aus­si jouir de ces bien­faits spi­ri­tuels des fruits de la foi catho­lique, entre­te­nez cette flamme que ces témoins de la foi, valai­sans, ont entre­te­nue dans leurs familles, dans leurs foyers, dans leurs cités. Faites en sorte que le Valais rede­vienne cette val­lée pro­fon­dé­ment catho­lique qui a don­né de nom­breuses vocations.

Permettez un petit exemple, un jour, étant supé­rieur géné­ral des Pères du Saint-​Esprit et ayant quelques prêtres valai­sans mis­sion­naires, fati­gués, mais qui auraient pu rendre ser­vice dans une paroisse, je suis allé trou­ver Mgr Adam. Et je lui ai deman­dé s’il ne pou­vait pas employer ces quelques mis­sion­naires fati­gués dans une des paroisses du Valais. Et Mgr Adam me répon­dait en toute sim­pli­ci­té : « Mais Monseigneur, c’est impos­sible. Je ne puis pas rece­voir ces mis­sion­naires chez moi, j’ai trop de prêtres. Je ne sais plus que faire de mes prêtres. Nous avons plus de 640 prêtres sor­tis du Valais, encore vivants, m’a‑t-il dit, entre ceux qui sont dans le Valais et ceux qui sont hors du Valais dans les mis­sions. Je ne puis pas rece­voir le secours de ces prêtres. » Voilà ce que me disait Mgr Adam, il y a trente ans environ.

Alors il faut reve­nir à ce temps bien­heu­reux, où les voca­tions étaient nom­breuses, où les familles étaient nom­breuses, où la foi était pro­fonde et où ain­si le Valais avait une répu­ta­tion qui dépas­sait bien toutes ses fron­tières et qui ren­dait heu­reux ceux qui venaient dans ce pays privilégié.

Et c’est pour­quoi nous remer­cions et nous ren­dons grâces à Dieu de nous avoir fait venir dans ce pays et nous remer­cions aus­si le Bon Dieu de nous don­ner des voca­tions, voca­tions du Valais, voca­tions de reli­gieux, de religieuses.

Que le cher Maître nous aide du haut du Ciel à conti­nuer le tra­vail qu’il a si bien accom­pli ici-bas.

Qu’il soit notre modèle ; qu’il soit tou­jours notre guide.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.