Sermon de Mgr Lefebvre – Jeudi-​Saint – Messe chrismale – 16 avril 1981

Mes bien chers amis,
Mes bien chers frères,

Nous voi­ci à nou­veau réunis en ce jour du Jeudi Saint pour la consé­cra­tion des saintes Huiles, selon l’antique tra­di­tion de l’Église. Et si notre connais­sance de la signi­fi­ca­tion de cette céré­mo­nie nous est bien connue, cepen­dant il nous est tou­jours agréable de recher­cher avec l’Église, ce que signi­fient ces magni­fiques céré­mo­nies, ce que signi­fient ces prières qui dans quelques ins­tants vont être dites pour la consé­cra­tion des saintes Huiles.

C’est pour­quoi je vou­drais en quelques mots répondre à cer­taines ques­tions qui se pré­sentent à notre esprit afin de mieux péné­trer le mys­tère de la litur­gie d’aujourd’hui et de cette consé­cra­tion des saintes Huiles.

Pourquoi l’Église a‑t-​elle choi­si les huiles ? Pourquoi cette créa­ture ? Parce que le terme lui-​même de Chrisma est emprun­té à la signi­fi­ca­tion d’huile et Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même a vou­lu que son nom – Christ – soit tiré de cette déno­mi­na­tion de l’huile. Le Christ c’est-à-dire Celui qui est oint et qui reçoit en Lui, cette huile et cette onction.

Pourquoi Notre Seigneur a‑t-​il vou­lu choi­sir ce terme de Christ ? Pour signi­fier sa mis­sion, pour signi­fier son action, pour signi­fier tous les bien­faits qu’il répand sur nous.

Et pré­ci­sé­ment parce que les pro­prié­tés de cette créa­ture qu’il a faite Lui-​même, qu’il a choi­sie, les pro­prié­tés de l’huile sont pré­ci­sé­ment celles qui signi­fient d’une manière la plus admi­rable, la plus exacte, les grâces que le Bon Dieu nous donne. L’huile, en effet, nour­rit, réchauffe, for­ti­fie, illu­mine. Et ce sont autant d’effets qui sont pro­duits spi­ri­tuel­le­ment dans nos âmes par le Saint Chrême.

En effet, la grâce nous nour­rit ; la grâce c’est l’esprit de Notre Seigneur Jésus-​Christ venant en nous. C’est Notre Seigneur Jésus-​Christ Lui-​même venant dans nos âmes : Il nous nour­rit ; Il nous for­ti­fie ; Il nous illumine.

Voilà donc pour­quoi Notre Seigneur a vou­lu s’appeler Christ et qu’il a vou­lu – car la Tradition nous enseigne que c’est Lui-​même qui aurait deman­dé aux apôtres, d’utiliser l’huile pour les sacre­ments – et nous venons de l’entendre dans l’Évangile, lorsqu’il a envoyé ses apôtres pour leur pre­mier apos­to­lat, Il leur a deman­dé d’oindre les malades et que par là ils recou­vri­raient la santé.

Il est évident que c’est la san­té spi­ri­tuelle sur­tout qui est l’effet de cette onc­tion. Et c’est bien ce que vou­lait signi­fier Notre Seigneur. Et nous pou­vons nous deman­der aus­si, mais pour­quoi l’huile d’olives particulièrement ?

Eh bien ce choix de l’huile d’olives est aus­si une antique tra­di­tion. L’huile d’olives, parce que les Patriarches ont consa­cré leurs autels avec cette huile d’olives. Parce que, dit la Préface que l’évêque chante à l’occasion de la consé­cra­tion des saintes Huiles, l’olivier a été choi­si, par­mi les créa­tures, par­mi les arbres frui­tiers que Dieu a créés. Il a choi­si l’olivier pour être la signi­fi­ca­tion de la paix et de la lumière. Les Pères appellent l’olivier : arbor pacis et lucis : l’arbre de la paix, l’arbre de la lumière.

Arbre de paix parce que, en effet, c’est un rameau d’olivier que la colombe a appor­té à Noé dans l’arche pour signi­fier que la paix reve­nait dans le monde ; que la colère de Dieu était apai­sée ; que désor­mais une ère de paix allait surgir.

C’est aus­si signi­fi­ca­tif que Notre Seigneur ait vou­lu com­men­cer sa Passion au Jardin des Oliviers, sanc­ti­fiant en quelque sorte, ces arbres qui l’entouraient et qui étaient en défi­ni­tive les seuls témoins de sa Passion. À ce moment-​là, Notre Seigneur a vou­lu sanc­ti­fier ces arbres qui nous donnent cette huile qui va deve­nir l’Huile sainte pour nous sanc­ti­fier aus­si, à notre tour.

Et il est remar­quable que dans tous les docu­ments de l’Église – docu­ments des Pères, docu­ments offi­ciels de l’Église – il s’agit tou­jours de l’huile d’olives. Et il est bien expli­ci­te­ment mar­qué : il ne s’agit pas d’une autre huile, mais uni­que­ment de celle d’olivier.

Et la conclu­sion que tirent les théo­lo­giens dans cette étude sur la Tradition de l’Église, arrive à cette fin que : Un sacre­ment de confir­ma­tion don­né avec une autre huile que l’huile d’olives, ne serait pas valide.

Alors nous devons vrai­ment nous deman­der avec angoisse et avec inquié­tude, com­ment l’on a pu ces der­niers temps don­ner l’autorisation aux évêques de bénir n’importe quelle huile, car ce n’est plus une consé­cra­tion non plus, de bénir n’importe quelle huile pour don­ner les sacre­ments et par­ti­cu­liè­re­ment le sacre­ment de confir­ma­tion. Car la matière du sacre­ment de confir­ma­tion, c’est pré­ci­sé­ment le Saint Chrême. C’est la matière du sacre­ment de confirmation.

Pour les autres sacre­ments, le Saint Chrême inter­vient comme un com­plé­ment de grâces, aus­si bien pour le bap­tême, pour les ordi­na­tions sacer­do­tales, c’est l’huile des caté­chu­mènes. Mais pour la consé­cra­tion de l’évêque aus­si, c’est le Saint Chrême.

Ces onc­tions n’entrent pas dans l’essence même du sacre­ment. Mais pour la confir­ma­tion, l’huile du Saint Chrême étant la matière du sacre­ment, entre dans l’essence même du sacre­ment. Et c’est pour­quoi les théo­lo­giens disent que jusqu’au concile tout au moins, la confir­ma­tion don­née avec une autre huile que celle de l’huile d’olives n’est pas valide. Quelle consé­quence pour toutes ces âmes qui éven­tuel­le­ment sont confir­mées avec une huile qui ne serait pas une huile d’olives !

Et pour­quoi l’Église a‑t-​elle choi­si le Jeudi Saint pour faire la consé­cra­tion de ces saintes Huiles ? Eh bien, pré­ci­sé­ment, parce que Notre Seigneur a vou­lu souf­frir au Jardin des oli­viers, peu de temps avant sa mort. Il a vou­lu com­men­cer sa Passion, là. Il y a donc un rap­pro­che­ment étroit entre l’Eucharistie, entre l’institution du sacer­doce, et la Passion de Notre Seigneur qui com­mence. Entre la Cène et Gethsémani, il y a un lien étroit, profond.

Alors de même que Notre Seigneur Jésus-​Christ a choi­si la vigne, a choi­si le blé, le fro­ment, pour son Eucharistie, pour son sacri­fice eucha­ris­tique et que ces élé­ments sont broyés – remarquez-​le – il faut pas­ser au crible en quelque sorte, ces grains : grains de rai­sin, grains de fro­ment, pour qu’ils puissent deve­nir le Corps et le Sang de Notre Seigneur Jésus-​Christ. Car c’est du pain et du vin, qui sont les élé­ments que Notre Seigneur a choi­sis pour les trans­for­mer en son Corps et en son Sang.

Eh bien, ce sera la même chose pour l’olive. L’olive aus­si sera écra­sée afin de don­ner ce suc qui devien­dra l’Huile sainte.

Pourquoi avoir choi­si ces dif­fé­rents fruits, ces dif­fé­rentes créa­tures qui doivent être broyées ? Notre Seigneur l’a dit Lui-​même : Torculum cal­ca­bit solus (Is 63,3) : « J’étais seul auprès du pres­soir ». Je me suis trou­vé seul au pres­soir. Mais au pres­soir, c’était Lui-​même en quelque sorte, qui était dans le pres­soir. C’est Lui qui allait souf­frir ; c’est Lui qui allait être écra­sé ; c’est Lui qui allait être fla­gel­lé ; 452

c’est Lui qui allait tom­ber sous sa Croix et qui allait don­ner tout son Sang pour la Rédemption de nos péchés.

Ainsi Il a vou­lu choi­sir ces créa­tures qui elles aus­si seraient broyées à son image, afin de don­ner cette Huile sainte ; afin de don­ner ce pain ; afin de don­ner ce vin qui devien­draient les ins­tru­ments de notre sanc­ti­fi­ca­tion, de notre Rédemption. Quelle signi­fi­ca­tion pour nous !

Si Jésus a vou­lu choi­sir ces élé­ments et les broyer, c’est parce que nous aus­si, nous devons avec Lui, en union avec Lui, deve­nir des vic­times, être broyés aus­si dans l’épreuve, dans la souf­france, dans la péni­tence, dans le sacri­fice afin de nous unir davan­tage à Notre Seigneur Jésus-​Christ. Car c’est bien pour nous unir à Lui que nous man­geons son Corps et que nous buvons son Sang et que nous rece­vons ces Huiles saintes.

Alors, nous deman­de­rons n’est-ce pas, au cours de cette céré­mo­nie, de nous rap­pe­ler que nous aus­si nous avons été oints au moment de notre bap­tême, au moment de la confir­ma­tion, au moment de notre ordi­na­tion, nous deman­de­rons au Bon Dieu de res­sus­ci­ter en nous les grâces qui nous ont été don­nées alors, afin que – à nou­veau – les effets de ces saintes Huiles, effets spi­ri­tuels, se déve­loppent en nous et fassent de nous d’autres Christ ; que nous soyons vrai­ment des chré­tiens, d’autres Christ, des frères de Notre Seigneur Jésus-Christ.

Et nous le deman­de­rons aus­si pour tous ceux qui, au cours de cette année, seront signés par ces Huiles saintes. Que Dieu fasse que ces âmes soient aus­si vrai­ment chré­tiennes. Que ceux qui reçoivent le Saint Chrême au moment de la confir­ma­tion, deviennent vrai­ment des sol­dats du Christ, qu’ils n’aient pas peur de pro­fes­ser leur foi dans ces temps si dif­fi­ciles, en cette ter­rible crise de l’Église.

Alors nous prie­rons à toutes ces inten­tions. Nous prie­rons aus­si pour les prêtres qui auront les mains ointes de l’huile des caté­chu­mènes au moment de leur ordi­na­tion ; nous prie­rons pour tous les infirmes qui rece­vront l’huile des infirmes, peu de temps avant leur mort. Nous deman­de­rons donc pour toutes ces âmes, les grâces de Notre Seigneur.

Nous le deman­de­rons plus par­ti­cu­liè­re­ment à la très Sainte Vierge Marie, elle qui a été rem­plie du Saint-​Esprit, qui a donc comme Notre Seigneur – bien sûr dans une mesure plus modeste – mais qui a été éga­le­ment rem­plie du Saint-​Esprit, donc éga­le­ment rem­plie des effets de cette onc­tion que Notre Seigneur Jésus-​Christ avait reçue.

Demandons à la Vierge Marie de nous aider à bien rece­voir toutes ces grâces afin de nous unir tou­jours davan­tage à Notre Seigneur.

Au nom du Père et du Fils et du Saint-​Esprit. Ainsi soit-il.

Fondateur de la FSSPX

Mgr Marcel Lefebvre (1905–1991) a occu­pé des postes majeurs dans l’Église en tant que Délégué apos­to­lique pour l’Afrique fran­co­phone puis Supérieur géné­ral de la Congrégation du Saint-​Esprit. Défenseur de la Tradition catho­lique lors du concile Vatican II, il fonde en 1970 la Fraternité Saint-​Pie X et le sémi­naire d’Écône. Il sacre pour la Fraternité quatre évêques en 1988 avant de rendre son âme à Dieu trois ans plus tard. Voir sa bio­gra­phie.