Depuis le 19e siècle, les papes, de Grégoire XVI (Mirari Vos) à Pie XI (Quas Primas) en passant par Léon XIII (Libertas) et Pie IX (Quanta Cura et le Syllabus) ont eu à cœur de dénoncer la prétention des Etats devenus athées à s’émanciper de toute soumission même indirecte envers l’Eglise. Dans son encyclique Vehementer Nos, du 11 février 1906, le pape saint Pie X récapitulait cet enseignement prophétique que les faits ne cessent de confirmer depuis.
« Qu’il faille séparer l’Etat de l’Eglise, c’est – juge saint Pie X – une thèse absolument fausse, une très pernicieuse erreur. Basée sur ce principe que l’Etat ne doit reconnaître aucun culte religieux, elle est tout d’abord très gravement injurieuse pour Dieu ; car le Créateur de l’homme est aussi le Fondateur des sociétés humaines, et Il les conservent dans l’existence comme Il nous soutient. Nous Lui devons donc non seulement un culte privé, mais un culte public et social pour L’honorer. »
Dieu, hélas, a depuis longtemps été chassé de la vie publique pour n’être cantonné que dans l’intime le plus privé des individus auxquels on dénie le droit de se référer à leur foi pour toute démarche publique.
Monsieur Castaner a ainsi justifié le refus d’autoriser les cérémonies religieuses dès la fin du confinement en disant : « Je pense que la prière se fait dans son rapport à celui qu’on accompagne, que l’on célèbre (…) soi-même, et n’a pas forcément besoin de lieu de rassemblement où l’on ferait courir à l’ensemble de sa communauté religieuse (un risque de contamination) ». Soyons humblement reconnaissants au ministre de l’Intérieur de bien vouloir nous expliquer après 2000 ans de christianisme comment pratiquer notre religion en corrigeant la fausse conception que nous avions du culte à rendre à Dieu ! Mais où sont alors la neutralité et l’incompétence en matière de religion que le gouvernement prétend respecter ? S’il veut être cohérent, il doit s’interdire de nous dire comment pratiquer notre religion et accéder volontiers aux demandes raisonnables qui lui sont faites pour cela.
Mais, en tant que catholiques, nous ne devons pas nous contenter d’exiger la neutralité de l’Etat en matière religieuse ce qui débouche sur la liberté de culte pour toutes les religions sans distinction ; nous devons au contraire proclamer et réclamer le droit de la religion catholique à être reconnue par l’Etat comme la seule vraie religion et traitée comme telle.
« En outre, continue le pape saint Pie X, cette thèse [de la séparation de l’Église et de l’État] est la négation très claire de l’ordre surnaturel. Elle limite en effet l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique durant cette vie, qui n’est que la raison prochaine des sociétés publiques ; et elle ne s’occupe en aucune façon, comme lui étant étrangère, de leur raison dernière, qui est la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin. Et pourtant l’ordre présent des choses, qui se déroule dans le temps, se trouvant subordonné à la conquête de ce bien suprême et absolu, non seulement le pouvoir civil ne doit pas faire obstacle à cette conquête, mais il doit encore nous y aider. »
N’est ce pas ce que nous vivons aujourd’hui à l’occasion de cette pandémie ? Sous prétexte de neutralité, le gouvernement ignore totalement les biens spirituels des citoyens. Ils accordent le même traitement aux églises qu’aux théâtres et autres lieux de divertissements. Certes, elles peuvent rester ouvertes [1], mais, jusqu’au 11 mai, qui pouvait y venir, puisque le motif de s’y rendre n’était pas pris en compte dans les déplacements autorisés ? De plus, même après le début du déconfinement, toutes cérémonies sont interdites sauf les enterrements et encore avec une assistance limitée à vingt personnes [2].
Le gouvernement considère l’exercice de la religion comme moins important que la nécessité de travailler, de faire du sport, de se procurer la nourriture nécessaire ou de consulter le médecin. Ces différentes activités autorisées ont une chose en commun : elles sont toutes au service du corps humain. L’Etat, comme le dénonce saint Pie X, ignore totalement le bien spirituel et surnaturel des citoyens.
Un autre fait encore relève l’indifférence de ce gouvernement envers la religion catholique ; c’est la date choisie pour autoriser à nouveau le culte : le 2 juin, soit le jour suivant la fête de la Pentecôte, l’une des plus grandes fêtes catholiques de l’année. Un jour fait-il une si grande différence quant à une éventuelle transmission de la maladie ? Bien sûr que non ! Mais nos gouvernants n’ont simplement pas réalisé l’importance pour les catholiques de pouvoir célébrer cette fête. Le premier ministre a reconnu implicitement et corrigé cette erreur en évoquant devant le sénat la date du 29 mai, pour permettre aux musulmans, aux juifs et aux catholiques – ne les oublions pas tout de même – de célébrer d’importantes fêtes ce week-end là.
« Cette thèse bouleverse également l’ordre très sagement établi par Dieu dans le monde, ordre qui exige une harmonieuse concorde entres les sociétés ; Ces deux sociétés, la société religieuse et la société civile, ont en effet les mêmes sujets, quoique chacune d’elle exerce dans sa sphère propre son autorité sur eux. Il en résulte forcément qu’il y aura bien des matières dont la connaissance et le jugement sera du ressort de l’une et de l’autre. Or, qu’entre l’Etat et l‘Eglise l’accord vienne à disparaître, et de ces matières communes pulluleront facilement les germes de différends, qui deviendront très aigus des deux côtés ; la notion de vrai en sera troublée et les âmes remplies d’une grande anxiété. »
L’histoire nous enseigne que la laïcité de l’Etat français a toujours été une illusion. La fin du 19e siècle et le début siècle suivant ont été marqués par de nombreuses mesures vexatoires envers la religion catholique. Nos évêque semblent avoir oublié cette leçon du passé, eux qui se réjouissent d’une laïcité française « apaisée » et affirment, à la suite du concile Vatican II, qu’elle représente le meilleur régime possible des relations entre l’Eglise et l’Etat au point de militer positivement pour le maintien en l’état de la loi de 1905, pourtant solennellement condamnée par saint Pie X.
Mais les faits sont têtus, et il en faut peu pour que l’Etat se laisse aller à brimer à nouveau la religion catholique. Dans les mesures de confinement, il a brutalement interdit toute cérémonie, refusé l’accès auprès des mourants aux prêtres et n’a pas inclus dans les motifs de déplacement autorisé la visite des églises pourtant autorisées à rester ouverte. Et ce sans aucun dialogue avec les évêques. D’abord très coopérants pour appuyer la mise en place des « mesures barrières » dans les églises, ceux-ci se félicitaient naïvement des bonnes relations entretenues avec le gouvernement :
« Le Président de la Conférence des évêques a pu témoigner de la qualité du dialogue engagé tant avec le Président de la République qu’avec le Gouvernement. Tous se sont réjouis de la convergence de vue entre le Pape François et le Chef de l’Etat sur les enjeux internationaux et humanitaires de la pandémie.
« Un plan de déconfinement alliant le désir résolu de permettre à nouveau aux fidèles de participer aux sacrements et un grand esprit de responsabilité sanitaire a été présenté et discuté. Il sera communiqué aux pouvoirs publics dès aujourd’hui pour que le dialogue puisse se poursuivre, tant au niveau national qu’au plan local des préfets et des maires. Ce plan attire aussi l’attention sur la situation particulière des sanctuaires. » (Communiqué de la CEF du 24 avril 2020)
Leur déception n’en a été que plus grande devant le constat que les services du premier ministre ne tenaient aucun compte du plan de déconfinement qu’ils lui avaient présentaient à leur demande :
« Notre déception est venue, a déclaré Mgr de Moulins-Beaufort, du fait que nous n’avons pas eu de retour sur le plan de déconfinement que nous avaient demandé les services du premier ministre. »
Ceux-ci ont préféré, toujours sans concertation préalable, imposer une date du 2 juin bien mal choisie comme nous l’avons souligné plus haut.
La parole de certains évêques s’est alors enfin libérée : « Je dénonce l’atteinte aux droits des fidèles catholiques de participer librement à la messe, je dénonce le rejet qui est fait de ce droit. La loi civile, dont il resterait à prouver l’obligation en la matière, ne peut s’imposer à ma conscience de pasteur quand elle m’empêche d’accomplir mon devoir », dénonce Mgr Ginoux, évêque de Montauban, dans une « Lettre aux diocésains de Montauban » datée du 11 mai 2020.
Cette réaction est, certes, à leur honneur quoique bien tardive. Mais la satisfaction de voir enfin quelques évêques faire preuve de combativité ne doit pas nous cacher qu’ils basent leur contestation sur le principe de la liberté des cultes qu’ils revendiquent pour toutes les religions dans le respect de la laïcité. Peut-être est-ce cette erreur de départ qui rend leur action aussi peu compréhensible et efficace auprès du gouvernement ?
Si certains doutaient encore de notre analyse, le traitement bienveillant des musulmans à l’occasion du Ramadan vient la confirmer. Alors que le prêtre a l’interdiction de célébrer le moindre office quelque soit le nombre d’assistants, les musulmans se voient octroyer la permission de célébrer le ramadan entre voisins. Comment ne pas voir là une différence de traitement qui trouve sa source dans la détermination dont les musulmans ont fait preuve par le passé pour braver les consignes de l’Etat quand elles s’opposaient à la pratique de leur religion ?
Laissons courir notre imagination et supposons ce qu’aurait pu être la réaction de l’Eglise catholique en France menée par des évêques dédiés avant tout au bien surnaturel de leurs fidèles. Mais, il ne s’agit pas là d’un rêve utopique puisque il s’est réalisé dans certains diocèses d’Espagne et d’Italie. Leurs pasteurs ont tout simplement refusé de céder au diktat gouvernemental de fermeture des églises avec suppression de toute cérémonie publique. Ils n’ont pas pour autant fait preuve d’imprudence face à la pandémie. Ils ont appliqués les « mesures barrières » en vidant les bénitiers, en déconseillant les gestes habituels de civilité (embrassade, poignée de mains), en multipliant les messes pour éviter une trop grande promiscuité et en étant particulièrement vigilant pour la distribution de la sainte communion. Ils ont ainsi apporté la preuve que l’Etat n’avait pas de raison légitime pour interdire toute cérémonie de culte catholique. Nos évêques français n’auraient-ils pas pu organiser une résistance passive en s’inspirant de leur exemple ? Déjà justifiée par les principes énoncés ci-dessus avant même l’autorisation donnée aux musulmans de fêter le ramadan, une telle attitude s’avère dans les faits encore bien plus légitime depuis.
Concluons avec saint Pie X :
« Enfin, cette thèse inflige de graves dommages à la société civile elle-même, car elle ne peut pas prospérer ni durer longtemps lorsqu’on n’y fait pas sa place à la religion, règle suprême et souveraine maîtresse quand il s’agit des droits de l’homme et de ses devoirs. Aussi, les pontifes romains n’ont-ils pas cessé, suivant les circonstances et selon les temps, de réfuter et de condamner la doctrine de la séparation de l’Eglise et de l’Etat. »
Il parlait en 1906. Depuis le temps a passé et d’autres papes ont cru devoir évoluer avec la société moderne et adapter la doctrine de l’Eglise en se faisant les champions de la liberté religieuse et de la laïcité. Pourtant, l’enseignement de saint Pie X, et de bien d’autres papes, n’en reste pas moins vrai, car il l’a présenté avec autorité et la vérité est intemporelle.
Abbé F. Castel (prieuré de Plauzat)
Sources : La Porte Latine du 14 mai 2020
- Dans le premier arrêté 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, une liste précise recense les lieux publics concernés. Les établissements de culte, pour reprendre cette expression non-neutre (en effet les mots exercent une influence pour transformer la façon de penser des individus et de la société), n’en font pas partie. Les a‑t-on oubliés ou volontairement omis ? Toujours est-il que cette omission sera réparée, par un arrêté du 15 mars complétant celui du 14 mars, d’une manière bien brutale.[↩]
- Arrêté du 15 mars 2020, article 1, III : « Les établissements de culte, relevant de la catégorie V, sont autorisés à rester ouverts. Tout rassemblement ou réunion de plus de 20 personnes en leur sein est interdit jusqu’au 15 avril 2020, à l’exception des cérémonies funéraires. » Ce texte a été repris à l’identique (sauf la date du 15 avril) dans le décret 2020-293 du 23 mars 2020. Il n’est pas de la compétence de l’Etat d’établir une hiérarchie entre les cérémonies importantes à autoriser malgré la situation difficile (enterrement) et les « offices mineurs » à reporter jusqu’à ce que le danger soit passé d’autant plus qu’il se déclare neutre et incompétent en matière religieuse.[↩]