Cinquante après : le Pape peut-​il autoriser la contraception ?

Crédit : Antoine Mekary / Godong

« Le pape François, dans l’a­vion qui le rame­nait de Mexico le 16 février 2016, a mon­tré son prag­ma­tisme
en entrou­vrant la porte à l’u­sage de la contra­cep­tion pour lut­ter contre le virus Zika
 » [La Croix du 19/​02/​2016]

1. Lorsque, le 25 juillet 1968, le pape Paul VI publia l’en­cy­clique Humanæ vitæ, on aurait pu croire que les débats autour de la mora­li­té de la contra­cep­tion seraient défi­ni­ti­ve­ment clos. Bien au contraire, très nom­breux furent les prêtres et les évêques qui refu­sèrent de suivre les conclu­sions de l’en­cy­clique et ensei­gnèrent à leurs fidèles que la contra­cep­tion était par­fois per­mise mora­le­ment. Cinquante ans plus tard, le débat est tou­jours aus­si brû­lant. Le pape François aurait-​il le pou­voir de modi­fier Humanæ vitæ et de per­mettre ain­si l’emploi de moyens arti­fi­ciels qui empêchent l’acte conju­gal d’a­bou­tir à la fécondation ?

2. Ce qu’un pape a fait, un autre pape peut le défaire, dit-​on. Si Paul VI a inter­dit la contra­cep­tion, pour­quoi François ne pourrait-​il pas l’au­to­ri­ser ? Pour répondre cor­rec­te­ment à cette ques­tion, il faut consi­dé­rer que le pape a le pou­voir le modi­fier les lois pure­ment ecclé­sias­tiques, comme par exemple la loi qui demande de jeû­ner le mer­cre­di des cendres, mais il n’a pas de pou­voir sur la loi divine, qu’elle soit révé­lée ou natu­relle. En effet, cel­le­ci a Dieu pour auteur, donc aucune auto­ri­té humaine ne peut la modi­fier ou en dis­pen­ser [1]. Par exemple, c’est cette loi qui inter­dit de tuer un inno­cent ou de men­tir. Aucun pape n’a le pou­voir de per­mettre de tuer un inno­cent ou de men­tir. La loi qui inter­dit la contra­cep­tion est elle une loi pure­ment ecclé­sias­tique ou fait-​elle par­tie de la loi naturelle ?

3. Regardons pré­ci­sé­ment en quoi consiste la contra­cep­tion : pour faci­li­ter la conser­va­tion de l’in­di­vi­du, le Créateur a joint à la nutri­tion un plai­sir. De la même façon, pour faci­li­ter la conser­va­tion de l’es­pèce humaine, le Créateur a joint à l’acte conju­gal un plai­sir. Sans le plai­sir de la nutri­tion, les êtres humains se lais­se­raient dépé­rir. De même, sans le plai­sir de la repro­duc­tion, l’es­pèce humaine aurait dis­pa­ru il y a bien long­temps. Les païens de la Rome antique dis­so­ciaient la nour­ri­ture du plai­sir qu’elle pro­cure. Lorsqu’ils ne pou­vaient plus man­ger, ils se ren­daient au vomi­to­rium pour débar­ras­ser leur esto­mac des ali­ments et pou­voir man­ger à nou­veau. Ils cher­chaient ain­si le plai­sir de la nour­ri­ture mais excluaient sa fin natu­relle qui est la nutri­tion. De même, les époux ona­nistes – c’est-​à-​dire ceux qui usent de la contra­cep­tion – cherchent le plai­sir de l’acte conju­gal mais excluent sa fin natu­relle qui est la pro­créa­tion. La contra­cep­tion est donc direc­te­ment contraire à la loi natu­relle. C’est un péché mor­tel parce qu’il empêche une nou­velle vie humaine, ce qui est une matière grave. Ainsi, des époux qui use­raient d’un pré­ser­va­tif ou de la pilule ou qui pra­ti­que­raient le retrait en inter­rom­pant l’acte, se souille­raient d’une faute grave.

4. Saint Thomas d’Aquin explique [2] pour­quoi la contra­cep­tion est contraire à la loi natu­relle : il rap­pelle que l’é­mis­sion de la semence mas­cu­line est ordon­née à la géné­ra­tion. Si l’é­mis­sion de cette semence sur­vient de telle manière que la géné­ra­tion ne puisse en résul­ter, cela va contre la fina­li­té et le bien de la semence. Mais comme la semence est une par­tie de l’homme, cela va contre le bien de l’homme. Et si cela est fait à des­sein, c’est un péché contre-​nature. Et le saint doc­teur de conclure : « Après le péché d’ho­mi­cide, qui détruit la nature humaine déjà en acte, ce péché qui empêche la géné­ra­tion de la nature humaine nous paraît tenir la seconde place. »

5. Remarquons bien que par­fois, c’est pour un motif indé­pen­dant des époux que l’acte conju­gal ne peut pas abou­tir à une pro­créa­tion. C’est le cas par exemple lorsque l’un des époux est sté­rile. L’acte conju­gal est alors par­fai­te­ment licite puis­qu’il se déroule natu­rel­le­ment. S’il n’a­bou­tit pas à une fécon­da­tion, c’est par une cause natu­relle et non par l’in­ter­ven­tion des époux. Il n’y a pas ici de contraception.

6. Que la contra­cep­tion soit contraire à la loi natu­relle et divine, c’est ce que la rai­son peut démon­trer, comme nous venons de le voir, mais c’est aus­si ce que l’Église a tou­jours ensei­gné. En 1853, le Saint-​Siège est consul­té au sujet de la mora­li­té de la contra­cep­tion. La réponse est claire : « C’est intrin­sè­que­ment mau­vais [3]. » Autrement dit, si la contra­cep­tion est immo­rale, ce n’est pas seule­ment parce que le légis­la­teur ecclé­sias­tique l’a inter­dite – elle serait alors extrin­sè­que­ment mau­vaise – mais parce que sa nature même contient un grave désordre. Dans l’en­cy­clique Casti connu­bii, le pape Pie XI écrit en 1930 : « Tout mariage, quel qu’il soit, dans l’exer­cice duquel l’acte est pri­vé, par l’ar­ti­fice des hommes, de sa puis­sance natu­relle de pro­créer la vie, offense la loi de Dieu et la loi natu­relle ; ceux qui auront com­mis quelque chose de pareil se sont souillés d’une faute grave. » Et le pape Pie XII, dans un dis­cours du 29 octobre 1951, s’ex­prime ainsi :

« Tout atten­tat des époux dans l’ac­com­plis­se­ment de l’acte conju­gal ou dans le déve­lop­pe­ment de ses consé­quences natu­relles, atten­tat ayant pour but de le pri­ver de la puis­sance qui lui est inhé­rente et d’empêcher la pro­créa­tion d’une nou­velle vie, est immo­ral ; de plus, aucune indi­ca­tion ou néces­si­té ne peut faire d’une action intrin­sè­que­ment immo­rale un acte moral et licite. Cette pres­crip­tion est en pleine vigueur aujourd’­hui comme hier et elle le sera demain et tou­jours, parce qu’elle n’est pas un simple pré­cepte de droit humain, mais l’ex­pres­sion d’une loi natu­relle est divine. »

7. Certains objec­te­ront qu’une telle morale est com­plè­te­ment péri­mée. Il est vrai qu’elle n’est pas conforme à la men­ta­li­té de notre époque. Nous vivons dans une atmo­sphère de jouis­sance et d’é­goïsme. Il est donc nor­mal que la contra­cep­tion y soit si répan­due. Si nous consi­dé­rons que le mariage a pour but pre­mier la satis­fac­tion per­son­nelle des époux, la loi de Dieu et de l’Église paraît effec­ti­ve­ment insup­por­table. Mais si nous com­pre­nons que le sacre­ment de mariage a été ins­ti­tué d’a­bord pour la pro­créa­tion et l’é­du­ca­tion des enfants, alors c’est la contra­cep­tion qui devient insup­por­table : elle enferme les époux dans leur égoïsme au lieu de les ouvrir à la vie.

8. D’autres feront remar­quer que par­fois, cer­tains époux se trouvent dans des situa­tions dra­ma­tiques. Une nou­velle nais­sance serait tra­gique et la conti­nence par­faite est impos­sible ou risque de mettre en péril l’a­mour conju­gal. Nous répon­dons avec saint Paul que Dieu ne nous tente jamais au-​dessus de nos forces. Aux époux qui prient et qui se sacri­fient, Dieu donne tou­jours la grâce pro­por­tion­née pour qu’ils vivent chré­tien­ne­ment leurs enga­ge­ments du mariage. Le pape Pie XII a aus­si expli­qué [4] que la conti­nence pério­dique était auto­ri­sée pour de graves rai­sons d’ordre médi­cal, éco­no­mique, social ou eugé­nique. Dans ces situa­tions, les époux peuvent lici­te­ment limi­ter l’acte conju­gal aux seuls jours de sté­ri­li­té de l’épouse.

9. Il faut donc conclure que l’in­ter­dic­tion de la contra­cep­tion n’est pas une loi pure­ment ecclé­sias­tique et modi­fiable, mais bien une loi natu­relle qui a Dieu pour auteur. Elle est donc immuable et éter­nelle. Si un pape auto­ri­sait une telle pra­tique contre-​nature, sa déci­sion serait nulle et sans valeur.

Abbé Bernard de Lacoste-​Lareymondie, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X, pro­fes­seur au sémi­naire d’Ecône.

Sources : Courrier de rome n° 610 de mai 2018

Notes de bas de page
  1. SAINT THOMAS, quo­dli­bet 4, art.13 : « Le pape n’a pas le pou­voir de dis­pen­ser de la loi divine ou natu­relle. » []
  2. Contra Gentes, livre I, ch. 122 []
  3. Réponse du St-​Office du 6 avril 1853, DS 2795 []
  4. Allocution aux sages-​femmes du 29 octobre 1951[]

FSSPX

M. l’ab­bé Bernard de Lacoste est direc­teur du Séminaire International Saint Pie X d’Écône (Suisse). Il est éga­le­ment le direc­teur du Courrier de Rome.