Lettre n° 76 de Mgr Bernard Fellay aux Amis et Bienfaiteurs de la FSSPX de mai 2010

Chers Amis et Bienfaiteurs,

a situa­tion de l’Eglise res­semble de plus en plus à une mer agi­tée en tous sens. On y voit des vagues, qui tou­jours plus semblent vou­loir faire cha­vi­rer la barque de Pierre, l’entraînant dans des abysses sans fin. Depuis le Concile Vatican II, une vague semble vou­loir tout empor­ter vers le bas pour ne lais­ser qu’un mon­ceau de ruines, un désert spi­ri­tuel que les papes eux-​mêmes ont appe­lé une apos­ta­sie. Nous ne vou­lons pas décrire à nou­veau cette dure réa­li­té, nous l’avons fait sou­vent déjà, et tous vous pou­vez la consta­ter. Mais cepen­dant il nous semble utile de com­men­ter un peu les évé­ne­ments de ces der­niers mois ; je veux par­ler de ces coups, sur­pre­nants par leur vio­lence et par­ti­cu­liè­re­ment bien orches­trés, qui sont por­tés contre l’Eglise et le Souverain Pontife. Pourquoi une telle violence ?

Pour reprendre notre image, il semble que depuis quelque temps, plus ou moins depuis l’accession au pon­ti­fi­cat du pape Benoît XVI, soit appa­rue une nou­velle vague, beau­coup plus modeste que la pre­mière, mais suf­fi­sam­ment per­sis­tante pour qu’on puisse néan­moins la remar­quer. Contre toute attente, elle semble aller dans le sens contraire de la pre­mière. Les indices sont suf­fi­sam­ment variés et nom­breux pour qu’on puisse affir­mer que ce nou­veau mou­ve­ment de réforme ou de res­tau­ra­tion est bien réel. On le constate en par­ti­cu­lier auprès des jeunes géné­ra­tions, mani­fes­te­ment frus­trées par le peu d’efficacité spi­ri­tuelle des réformes de Vatican II. Si l’on consi­dère les reproches très durs et amers que for­mulent les pro­gres­sistes contre Benoît XVI, il est cer­tain que ceux-​ci per­çoivent dans la per­sonne même du pape actuel l’une des causes les plus vigou­reuses de ce com­men­ce­ment de renou­veau. Et de fait, même si nous trou­vons les ini­tia­tives du pape plu­tôt timides, elles contra­rient pro­fon­dé­ment le monde révo­lu­tion­naire et gau­chi­sant, tant au-​dedans de l’Eglise qu’au dehors, et ce à plu­sieurs niveaux.

Cet aga­ce­ment des pro­gres­sistes et du monde se fait d’abord sen­tir dans les ques­tions qui touchent la morale. En par­ti­cu­lier, la gauche et les libé­raux ont été aga­cés par les pro­pos pour­tant bien pesés du pape sur l’usage des pré­ser­va­tifs dans la ques­tion du sida en Afrique. Concernant la vie de l’Eglise, la réha­bi­li­ta­tion en 2007 de la messe de tou­jours dans son droit, puis l’annulation deux ans plus tard de la peine infa­mante qui vou­lait nous dis­qua­li­fier, ont pro­vo­qué la rage des libé­raux et pro­gres­sistes de tout poil. De plus, l’heureuse ini­tia­tive d’une année sacer­do­tale remet­tant le prêtre à l’honneur, rap­pe­lant son impor­tance capi­tale et si néces­saire pour le salut des âmes, et pro­po­sant comme modèle le Saint Curé d’Ars, est non seule­ment une invi­ta­tion faite au peuple chré­tien de prier pour les prêtres, mais encore un appel à recou­rir au sacre­ment de péni­tence, com­plè­te­ment tom­bé dans l’oubli dans de larges por­tions de l’Eglise, ain­si qu’à prendre soin du culte eucha­ris­tique en consi­dé­rant notam­ment l’importance de l’adoration de Notre-​Seigneur dans la Sainte Hostie, claire indi­ca­tion de la réa­li­té de la pré­sence réelle et sub­stan­tielle de Notre-​Seigneur Jésus-Christ.

De même, la nomi­na­tion d’évêques net­te­ment plus conser­va­teurs, par­mi les­quels un cer­tain nombre célé­braient déjà aupa­ra­vant la messe tri­den­tine. On pour­rait encore citer comme exemple indé­niable de la réa­li­té de cette petite vague contra­riante la invi­tant à la péni­tence, à la confes­sion, aux exer­cices spi­ri­tuels, deman­dant aus­si l’adoration à Jésus Eucharistie. Même si avec rai­son on esti­me­ra, dans nos milieux, que ces efforts sont encore insuf­fi­sants pour arrê­ter la déca­dence et la crise de l’Eglise, notam­ment au vu d’un cer­tain nombre d’actes qui se situent dans la regret­table ligne de son pré­dé­ces­seur, comme les visites à la syna­gogue et au temple pro­tes­tant, cepen­dant dans les milieux moder­nistes, l’heure du branle-​bas de com­bat a son­né ! La grande vague s’en prend à la toute petite avec une vio­lence sur­pre­nante. Il n’est pas éton­nant que la ren­contre de ces deux vagues, fort inégales, cause beau­coup de remous et de tumultes, et pro­voque une situa­tion fort confuse où il est bien dif­fi­cile de dis­tin­guer, et de pré­dire, qui des deux va l’emporter. Cependant, cela est nou­veau et mérite d’être salué. Il ne s’agit pas de tom­ber dans un enthou­siasme incon­si­dé­ré qui vou­drait faire accroire que la crise est ter­mi­née. Au contraire, les forces vieillis­santes, qui voient remis en ques­tion les acquis qu’elles pen­saient défi­ni­tifs, vont livrer sans aucun doute un com­bat d’envergure pour essayer de sau­ver ce rêve de moder­ni­té qui com­mence à s’effondrer. Il est très impor­tant de conser­ver un regard aus­si réa­liste que pos­sible sur ce qui se passe. Si nous nous réjouis­sons de tout ce qui se fait de bien dans l’Eglise et le monde, nous sommes cepen­dant sans illu­sion devant la gra­vi­té de la situa­tion actuelle.

Que devons-​nous pré­voir pour les années qui viennent ? La paix dans l’Eglise, ou la guerre ? Le triomphe du bien et son retour tant espé­ré, ou une nou­velle tour­mente ? La petite vague arrivera-​t-​elle à croître suf­fi­sam­ment pour un jour s’imposer ? La cer­ti­tude de l’accomplissement de la pro­messe de Notre-​Dame à Fatima – « à la fin mon Cœur Immaculé triom­phe­ra » –, ne résout pas néces­sai­re­ment et direc­te­ment notre ques­tion, car il n’est pas du tout exclu qu’il faille d’abord pas­ser par une tri­bu­la­tion encore plus grande avant que n’arrive le triomphe tant attendu…

Ce for­mi­dable enjeu se retrouve aus­si for­cé­ment dans notre croi­sade de cha­pe­lets : nous ne vou­drions en rien enle­ver quelque chose à la joie de l’annonce du résul­tat extra­or­di­naire de notre Croisade du Rosaire. Nous vous deman­dions auda­cieu­se­ment, il y a un an, une dou­zaine de mil­lions de cha­pe­lets afin de cou­ron­ner, d’entourer d’une magni­fique cein­ture de louanges comme autant d’étoiles, Notre bonne Mère du Ciel, la Mère de Dieu, cette Mère qui se pré­sente devant les enne­mis de Dieu comme « aus­si ter­rible qu’une armée ran­gée en bataille » (Cant. 6,3). Vous avez répon­du avec une telle géné­ro­si­té que nous pou­vons à pré­sent por­ter à Rome un bou­quet de plus de 19 mil­lions de cha­pe­lets, sans comp­ter tous ceux qui se sont unis à nous sans être direc­te­ment de nos fidèles.

Ce n’est cer­tai­ne­ment pas par hasard si Pie XII, en pro­cla­mant le dogme de l’Assomption, a vou­lu chan­ger l’Introït de la fête du 15 août par le pas­sage de l’Apocalypse qui salue le grand signe appa­ru dans le ciel. Cet extrait de l’Apocalypse inau­gure la des­crip­tion de l’une des guerres les plus ter­ribles qui soient expo­sées dans le Livre saint : le grand dra­gon, qui va empor­ter avec sa queue un tiers des étoiles, vient livrer bataille à la grande Dame (cf. Apoc. 12). Tout ce pas­sage est-​il des­ti­né à notre temps ? On peut faci­le­ment le croire, tout en évi­tant de faire des appli­ca­tions par trop lit­té­rales et uni­voques de ces mys­té­rieuses et pro­phé­tiques des­crip­tions. Nous n’avons abso­lu­ment aucun doute que toutes nos prières ont leur impor­tance, et même une très grande impor­tance dans ce moment de l’histoire où nous nous trou­vons. Cependant nous pen­sons devoir aus­si vous aver­tir et vous encou­ra­ger en ces cir­cons­tances de l’histoire de l’Eglise.

Votre grande géné­ro­si­té montre, sans le moindre doute pos­sible, votre atta­che­ment et votre amour bien réels pour notre sainte Mère l’Eglise catho­lique romaine, pour le Successeur de saint Pierre, pour la hié­rar­chie, même si nous avons beau­coup à souf­frir de celle-​ci. Dieu est plus fort que le mal et le bien vain­cra, mais peut-​être pas avec toute la pompe que nous voudrions.

Il faut main­te­nant convaincre les auto­ri­tés d’accomplir la fameuse consé­cra­tion de la Russie qu’elles disent avoir été déjà faite ; il faut rap­pe­ler l’actualité de ce que disait Notre-​Dame à Fatima, alors que, en l’an 2000, on vou­lut mani­fes­te­ment tour­ner la page pour ne plus y reve­nir. Les dif­fi­cul­tés et les obs­tacles semblent devoir se mul­ti­plier afin que ce que nous deman­dons ne se réa­lise sur­tout pas. Peu importe, nous comp­tons bien davan­tage sur Dieu que sur les hommes, de même que nous atten­dons d’actes aus­si simples que celui de la consé­cra­tion de la Russie au Cœur Immaculé de Marie des résul­tats sur­pre­nants pour l’Eglise et pour le monde, des résul­tats dépas­sant tout ce que nous pou­vons ima­gi­ner. C’est folie aux yeux des hommes, mais c’est bien le reflet de ce que déjà saint Paul prê­chait à son époque : ce qui est sage aux yeux des hommes est folie pour Dieu, tan­dis que la sagesse de Dieu est consi­dé­rée par les sages de ce monde comme une folie insen­sée (cf. 1 Cor. 1, 20).

Alors que nous por­te­rons à la connais­sance du Saint-​Père vos remar­quables efforts ain­si que la rai­son de ces prières en espé­rant contri­buer ain­si, à notre manière, au bien de l’Eglise, nous vous deman­dons de bien vou­loir conti­nuer ces mêmes efforts. Suivant l’exemple auquel nous invite Notre-​Seigneur lui-​même dans sa si tou­chante exhor­ta­tion à la prière : « Demandez et vous rece­vrez », en insis­tant, et même beau­coup (cf. Mt. 7, 7–11). La gran­deur de ce que nous deman­dons, sans que nous dou­tions d’être exau­cés, réclame une insis­tance et une per­sé­vé­rance proportionnées.

Souvenons-​nous aus­si que l’essentiel du mes­sage de Fatima ne se trouve pas seule­ment dans la consé­cra­tion de la Russie, mais bel et bien dans la dévo­tion au Cœur Immaculé de Marie. Que ces prières et sacri­fices nous fassent tous gran­dir et appro­fon­dir cette dévo­tion spé­ciale au Cœur de la Mère de Dieu. C’est par là que Dieu veut se faire toucher.

Qu’en ce début du mois de mai, le mois de Marie, nous nous retrou­vions tous encore bien davan­tage sous sa mater­nelle pro­tec­tion, c’est là notre vœu le plus cher. En vous remer­ciant pour votre géné­ro­si­té bien grande, nous deman­dons à Notre-​Dame qu’elle daigne vous bénir avec l’Enfant-Jésus.

+Bernard Fellay – 1er mai 2010,
en la fête de saint Joseph artisan

FSSPX Premier conseiller général

De natio­na­li­té Suisse, il est né le 12 avril 1958 et a été sacré évêque par Mgr Lefebvre le 30 juin 1988. Mgr Bernard Fellay a exer­cé deux man­dats comme Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X pour un total de 24 ans de supé­rio­rat de 1994 à 2018. Il est actuel­le­ment Premier Conseiller Général de la FSSPX.