Conte de Noël : la dernière visiteuse

Adoration des bergers par Georges de la Tour vers 1645, Musée du Louvre, Paris.

L’histoire se passe à Bethléem à la pointe du jour. L’étoile vient de dis­pa­raître, le der­nier pèle­rin a quit­té l’étable et Jésus s’est endormi.

Doucement la porte s’ouvrit, pous­sée, eût-​on dit, par un souffle plus que par une main, et une femme parut sur le seuil, cou­verte de haillons, si vieille et si ridée que, dans son visage cou­leur de terre, sa bouche sem­blait n’être qu’une ride de plus.

En la voyant, Marie prit peur, comme si ç’avait été quelque mau­vaise fée qui entrait. Heureusement Jésus dor­mait ! L’âne et le bœuf mâchaient pai­si­ble­ment leur paille et regar­daient s’avancer l’étrangère sans mar­quer plus d’étonnement que s’ils la connais­saient depuis tou­jours. La Vierge, elle, ne la quit­tait pas des yeux. Chacun des pas qu’elle fai­sait lui sem­blait long comme des siècles.

La vieille conti­nuait d’avancer, et voi­ci main­te­nant qu’elle était au bord de la crèche. Grâce à Dieu, Jésus dor­mait tou­jours. Mais dort-​on la nuit de Noël ?

Soudain, il ouvrit les pau­pières, et sa mère fut bien éton­née de voir que les yeux de la femme et ceux de son enfant étaient exac­te­ment pareils et brillaient de la même espérance.

La der­nière visi­teuse se pen­cha alors sur la paille, tan­dis que sa main allait cher­cher dans le fouillis de ses haillons quelque chose qu’elle sem­bla mettre des siècles encore à trou­ver. Marie la regar­dait tou­jours avec la même inquié­tude. Les bêtes la regar­daient aus­si, mais tou­jours sans sur­prise, comme si elles savaient par avance ce qui allait arriver.

Enfin, au bout de très long­temps, la vieille finit par tirer de ses hardes un objet caché dans sa main, et elle le remit à l’enfant.

Après tous les tré­sors des Mages et les offrandes des ber­gers, quel était ce pré­sent ? D’où elle était, Marie ne pou­vait pas le voir. Elle voyait seule­ment le dos cour­bé par l’âge, et qui se cour­bait plus encore en se pen­chant sur le ber­ceau. Mais l’âne et le bœuf, eux, le voyaient et ne s’étonnaient tou­jours pas.

Cela encore dura bien long­temps. Puis la vieille femme se rele­va, comme allé­gée du poids très lourd qui la tirait vers la terre. Ses épaules n’étaient plus voû­tées, sa tête tou­chait presque le chaume, son visage avait retrou­vé mira­cu­leu­se­ment sa jeu­nesse. Et quand elle s’écarta du ber­ceau pour rega­gner la porte et dis­pa­raître dans la nuit d’où elle était venue, Marie put voir enfin ce qu’était son mys­té­rieux présent.

Ève (car c’était elle) venait de remettre à l’enfant une petite pomme, la pomme du pre­mier péché (et de tant d’autres qui sui­virent !) Et la petite pomme rouge brillait aux mains du nouveau-​né comme le globe du monde nou­veau qui venait de naître avec lui.

Jérôme et Jean Tharaud