C’ÉTAIT bien de sa mort dont le Fils de l’homme parlait à cet instant. Les juifs le comprirent ainsi. Mais en reprenant l’image du serpent d’airain, le Christ annonçait l’autre réalité de sa charité qui attire tout à Lui.
Aux Hébreux, il suffisait de regarder le serpent d’airain pour être guéris. Pour nous, le regard de Jésus vient nous chercher le premier : « quand tu étais sous le figuier, Nathanaël, je t’ai vu. »
« Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob… non des philosophes et des savants », écrivait une dernière fois Pascal. Le Dieu des philosophes et des savants est un absolu de plénitude sans souffrance, un absolu d’harmonie sans dissonance mais un absolu froid et distant.
Notre Dieu est un Dieu incarné, personnel. Il a été en tout notre semblable, sauf pour le péché. Notre relation à lui est unique ; elle est aussi, par la grâce, ce qui nous rend uniques. « Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob », Il est le Dieu des élus. Jésus est le nom par lequel nous l’appelons et Il appelle sa créature par son nom et en son nom.
« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi – et qu’il boive ». C’est par un désir jaloux que Jésus se manifeste à nos âmes. Ce désir n’attend qu’une réponse de notre part : un choix exclusif. Le Christ est l’autre de mon âme, il est au-dessus de toute pensée et de toute la création et il m’a regardé le premier, là où j’étais. Souvenons-nous du regard que Notre-Seigneur a adressé à saint Pierre dans le prétoire : celui-ci venait de le renier par trois fois. L’évangile le dit : Notre-Seigneur et saint Pierre se virent, ils se rencontrèrent. Pensez à tout ce qu’il y eut dans le regard de Jésus.
C’est donc au milieu des choses que nous devons retrouver son regard, en habituant notre cœur à le posséder en tout temps comme quelqu’un de présent.
Comment se réalise une telle possession de Dieu ? C’est un sentiment du cœur – non une sensibilité – et une orientation continuelle de la volonté vers Dieu. Ce n’est pas une idée fixe ou permanente ; ce serait humainement impossible et Dieu disparaîtrait de l’âme en même temps que cette idée. C’est une soif spirituelle que rien ne satisfait.
Qui a ainsi Dieu, a Dieu divinement et Dieu rayonne devant lui à travers toutes choses : tout lui donne le goût de Dieu et lui rappelle cette soif intérieure et pressante de Jésus. C’est ce que l’on appelle la vie de foi. Cette rencontre ne peut être l’objet d’un discours. Abraham conduisait Isaac au sacrifice et gardait le silence. La foi dans son cœur était si intimement sienne qu’il n’avait aucun autre mot à répondre à Isaac qu’un « Dieu y pourvoira ».
Dans quelques jours la liturgie nous montrera notre Dieu humilié. Nous le suivrons au pied de la Croix où il pend, comme un autre nous-mêmes. Nous le retrouverons au matin de Pâques, glorieux et ressuscité, et désormais continuellement à nos côtés. Ayons seulement soif de Lui et ouvrons nos poitrines : tout le vide que notre foi fera en nous, la grâce le comblera.
Abbé V. Bétin, prêtre de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X
Source : L’Aigle de Lyon n°345 /La Porte Latine du 10 avril 2019