À quoi sert la louange divine ?

David jouant de la harpe par Jacob Jordaens (1593 - 1678), huile sur toile, Musée de l’Hôtel Sandelin, Saint-Omer

Le chré­tien qui aime Dieu ne peut pas se conten­ter de lui adres­ser des demandes. Par la louange qui jaillit de son cœur, il Lui exprime son amour.

Qui d’entre vous n’a jamais vu un prêtre réci­tant son bré­viaire ? Ce prêtre est age­nouillé dans l’église, ou bien assis, ou bien il marche recueilli, dans un lieu silen­cieux, et il tient entre ses mains un livre écrit tout en latin, cou­vert d’une cus­tode en cuir noir. Il prie. Son corps est sur la terre, mais son esprit est dans les cieux.

Un jour, un enfant demande à sa mère : maman, qu’est-ce qu’il fait, Monsieur l’abbé, il lit un livre ? – Ce prêtre récite son bré­viaire, répond la mère. – C’est quoi, maman, un bré­viaire ? – C’est un livre de prière. – Maman, qu’est-ce que Monsieur l’abbé demande à Dieu dans sa prière du bréviaire ?

La dame n’a pas su répondre à cette ques­tion dif­fi­cile. La réponse est la sui­vante : dans son bré­viaire, le prêtre ne demande pas grand-​chose à Dieu. L’essentiel de la prière du bré­viaire n’est pas une prière de demande. – Mais alors, pour­rait reprendre l’enfant, qu’est-ce que c’est qu’une prière, si ce n’est pas une prière de demande ? Quand on prie, est-​ce qu’on ne demande pas des grâces à Dieu ? – Pas néces­sai­re­ment. Certaines prières ne demandent rien à Dieu. Mon enfant, la prière du bré­viaire est sur­tout une prière de louange. Quand le prêtre prie son bré­viaire, il loue le bon Dieu.

Que signi­fie louer le bon Dieu ?

Mon enfant, lorsque tu adresses des prières à ton père, elles peuvent prendre la forme d’une demande : « Papa, j’ai faim, donne-​moi du pain s’il te plaît. Papa, j’ai soif, donne-​moi de l’eau s’il te plaît. Papa, j’ai froid, donne-​moi un man­teau et des gants ». Mais il est aus­si pos­sible de s’adresser à son père, non pour lui deman­der quelque chose, mais pour lui adres­ser des louanges. « Papa, qu’est-ce que tu es fort, qu’est-ce que tu es intel­li­gent ! Papa, tu es vrai­ment le meilleur papa du monde ! Papa, tu es cou­ra­geux, tu es beau, tu es sage, tu es pré­voyant, tu es juste, tu es cha­ri­table, tu es patient, tu es misé­ri­cor­dieux, etc. ». Voilà une belle louange que l’enfant adresse à son père. On ima­gine aisé­ment la joie du père en enten­dant son fils lui adres­ser de telles paroles d’admiration, de tels compliments.

Nous sommes les enfants du bon Dieu. Nous devons donc, évi­dem­ment, lui adres­ser des prières de demandes, parce que nous avons besoin de son aide. Mais il faut aus­si le louer, exal­ter ses qua­li­tés, admi­rer ses per­fec­tions. Voilà ce que fait le prêtre tous les jours en réci­tant son bréviaire.

Peut-​être l’un d’entre vous serait-​il ten­té de deman­der : ça sert à quoi de louer Dieu ?

Ah, il faut abso­lu­ment sor­tir de cette men­ta­li­té uti­li­ta­riste inté­res­sée ! Louer Dieu, ça ne sert à rien ! Ce qui est beau dans la louange divine, c’est pré­ci­sé­ment qu’elle est dés­in­té­res­sée. Elle jaillit spon­ta­né­ment du cœur qui aime Dieu. L’enfant qui aime et qui admire son père laisse par­ler son cœur et ne peut pas gar­der le silence. Il laisse s’exprimer son amour. Le chré­tien qui aime Dieu ne peut pas se conten­ter de lui adres­ser des demandes. C’est une néces­si­té pour lui de se réjouir de la joie de Dieu et d’exalter ses perfections.

L’âme chré­tienne, à l’égard de son Créateur et de son Sauveur, est rem­plie d’admiration, de com­plai­sance, de jouis­sance, d’amour de bien­veillance, d’amour repen­tant, d’amour recon­nais­sant. Elle est donc heu­reuse de s’unir au psal­miste de l’Ancien tes­ta­ment qui ne ces­sait de louer Dieu nuit et jour.

De même, nous sommes heu­reux de louer la Bienheureuse Vierge Marie. Un jour, un chré­tien peu éclai­ré fit cette réflexion : moi, quand je prie le Je vous salue Marie, je ne récite que la 2e moi­tié, à par­tir de « sainte Marie, mère de Dieu, etc. », parce que c’est une prière utile, nous avons besoin en effet que la sainte Vierge prie pour nous. Alors que la 1re par­tie de cette prière est tota­le­ment inutile : on ne demande rien à Marie, donc ça ne sert à rien.

Ce chré­tien n’a rien com­pris. Il se trompe lour­de­ment en omet­tant de réci­ter le début de la salu­ta­tion angé­lique. C’est une admi­rable prière de louange qui rem­plit de joie notre mère du ciel. C’est une joie pour un fils de féli­ci­ter sa mère et d’exalter ses pri­vi­lèges. C’est une joie pour un chré­tien de réjouir Marie en lui rap­pe­lant qu’elle est pleine de grâce, que le Seigneur est avec elle, qu’elle est bénie entre toutes les femmes. C’est une prière dés­in­té­res­sée dans laquelle on ne trouve pas la moindre trace d’égoïsme. Le début du Je vous salue Marie est une magni­fique louange de Notre-Dame.

De même, dans le bré­viaire, le prêtre loue Dieu. Par exemple, il s’écrie : Je chan­te­rai toutes vos mer­veilles, Seigneur ; votre misé­ri­corde est éter­nelle, c’est pour­quoi je vous béni­rai à jamais ; qui est sem­blable à vous, o Dieu de force et de puis­sance ? Votre puis­sance a créé et votre sagesse a ordon­né toutes choses avec une magni­fi­cence infi­nie. Je chan­te­rai un can­tique au Seigneur qui m’a com­blé de biens. O, mon âme, bénis le Seigneur, et que tout ce qui est en moi loue son saint nom. Il t’a par­don­née tes fautes, il t’a gué­rie de tes bles­sures, il t’a rame­née de l’abîme. Il te cou­ronne de misé­ri­corde, il t’environne de bon­té, il te comble de bien­faits au-​delà de tes dési­rs. Peuples, exal­tez le Seigneur notre Dieu, car il est saint. Anges du ciel, bénis­sez le Seigneur. Tous les royaumes de la terre, chan­tez un can­tique au Seigneur, car Dieu est admi­rable sur toute la terre. Etc.

L’un des mots les plus fré­quents dans le bré­viaire est alle­luia. C’est un cri d’allégresse qui signi­fie « Louez le Seigneur ». Le prêtre le pro­nonce chaque jour un nombre incal­cu­lable de fois, hors du temps de la sep­tua­gé­sime et du carême. Ce terme hébreu contient tant d’énergie, dit dom Calmet, que l’on a cru devoir le conser­ver sans le tra­duire ni en grec ni en latin, de peur d’en dimi­nuer le goût et la dou­ceur. C’est donc à toute heure du jour et de la nuit que le prêtre, en réci­tant son bré­viaire, loue le Seigneur avec joie.

Le pro­phète Daniel raconte un miracle qui fait mieux com­prendre le rôle de la louange divine. L’histoire se déroule en l’an 605 av. J.-C., à Babylone, sous le règne de Nabuchodonosor. Ce roi fait fabri­quer une sta­tue d’une gran­deur colos­sale repré­sen­tant un faux dieu, et il donne l’ordre sui­vant : « Au moment où vous enten­drez le son de la trom­pette, de la flûte et de la cithare, prosternez-​vous et ado­rez la sta­tue d’or. Si quelqu’un ne se pros­terne pas et n’adore pas, il sera à l’instant même jeté dans une four­naise embra­sée ». Or, trois pieux ado­les­cents du peuple hébreu, en cap­ti­vi­té à Babylone, refusent d’obéir à cet ordre. Le roi l’apprend et, fou de rage, il ordonne qu’on lui amène les trois enfants : est-​il vrai que vous n’honorez pas mes dieux et que vous n’adorez pas la sta­tue d’or que j’ai éri­gée ? Les jeunes gens, cou­ra­geux, répondent : sache, ô roi, que nous ne ser­vi­rons pas tes dieux, et que le Dieu que nous ser­vons peut nous déli­vrer d’entre tes mains. Rempli de fureur, le roi ordonne qu’on chauffe la four­naise sept fois plus que d’habitude, et qu’on y jette immé­dia­te­ment les trois enfants, tout habillés. Les bour­reaux obéissent, mais ils s’approchent si près de la four­naise embra­sée que, en y jetant les hébreux, ils sont tués, brû­lés par les flammes de 25 mètres de hau­teur et asphyxiés par la fumée.

Quant aux trois enfants, au contraire, ils marchent au milieu des flammes, tout joyeux, en louant le Seigneur, sans sen­tir la moindre cha­leur. Une fois sor­tis de la four­naise, le roi et ses ministres consta­te­ront, stu­pé­faits, que leurs che­veux n’ont pas été brû­lés, que leurs vête­ments sont res­tés intacts et qu’aucune odeur de feu ou de fumée ne se dégage d’eux.

Qu’est-ce que les trois enfants ont fait au milieu de la four­naise ardente ? Une seule chose : ils ont loué le Seigneur dans la joie. Voici un extrait de l’immense can­tique de louange qu’ils ont chan­té dans les flammes : « Vous êtes béni, Seigneur, Dieu de nos pères. Soleil et lune, bénis­sez le Seigneur, louez-​le et exaltez-​le dans tous les siècles. Tous les oiseaux du ciel, bénis­sez le Seigneur, louez-​le et exaltez-​le dans tous les siècles ». Etc.

Et le roi Nabuchodonosor, frap­pé d’étonnement, s’écrie : « Béni soit le Dieu de ces trois enfants, qui a déli­vré ses ser­vi­teurs ! Voici donc le décret que je porte : que tout peuple qui aura pro­fé­ré un blas­phème contre le Dieu de ces trois enfants périsse, car il n’y a pas d’autre Dieu qui puisse sau­ver ainsi ».

Ces trois enfants nous donnent un modèle de prière. Leur can­tique de louange est si beau, il plaît tant à Dieu, que les prêtres, tous les dimanches matins, le récitent après leur réveil. À peine sor­tis du lit, nous nous unis­sons aux trois jeunes hébreux pour louer le bon Dieu avec joie.

Certes, l’obligation de la louange divine touche d’abord ceux qui ont reçu l’ordre sacré du sous-​diaconat. C’est le pri­vi­lège des clercs majeurs de pou­voir offrir à Dieu, au nom de toute l’Église, l’office divin. Cependant, les laïcs aus­si sont concer­nés. N’est-il pas écrit dans le Catéchisme : « L’homme a été créé pour louer Dieu » ?

Il est impor­tant que nos prières ne soient pas seule­ment des demandes adres­sées à Dieu, mais qu’elles soient aus­si des louanges. Pendant la messe, unissons-​nous au prêtre lorsqu’il loue le bon Dieu, par exemple dans le Gloria Patri, le Gloria in excel­sis Deo, l’Alleluia avant l’évangile, la pré­face, le Sanctus, etc. Saint Paul écri­vait aux Hébreux : « Par Jésus, offrons sans cesse à Dieu un sacri­fice de louange, c’est-à-dire le fruit de lèvres qui confessent son nom ».

Nous sommes inca­pables de trou­ver les mots justes pour louer Dieu comme il veut être loué. Mais si nous nous ser­vons des mots que le Saint Esprit nous révèle, ou que l’Église, sous l’inspiration du Saint Esprit, met sur nos lèvres et dans nos cœurs, alors nous pou­vons être cer­tains que notre prière devient infi­ni­ment agréable à Dieu. Cette prière n’est que le début de la louange per­pé­tuelle que nous chan­te­rons avec les anges et les saints dans la bien­heu­reuse éternité.

FSSPX

M. l’ab­bé Bernard de Lacoste est direc­teur du Séminaire International Saint Pie X d’Écône (Suisse). Il est éga­le­ment le direc­teur du Courrier de Rome.