Marie, la nouvelle Eve

Vierge à l'Enfant, église saint Ours à Loches (37)

« Elle est notre mère, c’est enten­du. Elle est la mère du genre humain, la nou­velle Eve. Mais elle est aus­si sa fille. » Bernanos [1]

Il est d’usage de mettre en contraste Eve, la femme séduite, la femme déchue, la femme par qui tout le mal est venu et Marie, la femme pru­dente, la femme sainte, la média­trice de toute grâce. Eve, la mère du genre humain, toute péche­resse quelle soit, n’en est pas moins une magni­fique figure de la Vierge Marie ; elle l’est à plus d’un titre, et dans plus d’une pré­ro­ga­tive. Eve est issue du cœur d’Adam, Eve est l’aide qu’il décou­vrit avec bon­heur, Eve est la mère des enfants qu’il engen­dra. Autant de res­sem­blances entre la mère et la fille.

Sortie du cœur d’Adam

Le récit de la Genèse est d’une grande sim­pli­ci­té et d’une beau­té sans faille.

« Yahweh Dieu fit tom­ber un pro­fond som­meil sur l’homme, qui s’endormit, et il prit une de ses côtes et refer­ma la chair à sa place. De la côte qu’il avait prise de l’homme, Yahweh Dieu for­ma une femme et il l’amena à l’homme. Et l’homme dit : « Celle-​ci cette fois est os de mes os et chair de ma chair ! Celle-​ci sera appe­lée femme, parce qu’elle a été prise de l’homme. » (Gen 2/21–23)

Tout est dit du lien mys­té­rieux qui unit Eve à Adam et la Vierge au Christ Jésus.
Eve est tirée d’Adam, plus pré­ci­sé­ment du côté, c’est-à-dire du cœur ; ain­si sont mani­fes­tés les liens d’affection qui doivent unir dans le plan de Dieu l’homme à la femme, l’époux à son épouse, le fils à sa mère, liens qu’illustra la chré­tien­té dans les rap­ports de famille, dans la che­va­le­rie et dans la dévo­tion à la Vierge Mère.

Car la réa­li­té est encore plus belle si l’on sai­sit qu’elle est le pré­lude, la pré­pa­ra­tion, la figure d’une ori­gine plus noble : celle de Notre-​Dame née du Cœur Sacré de son Fils.

Seul par­mi tous les hommes, le fils de Dieu a choi­si sa mère, seul il l’a choi­sie en fonc­tion de ses pré­fé­rences ; seul par­mi tous les fils, Jésus a aimé sa mère avant d’en être conçu, avant même qu’elle exis­tât, et il l’a aimée pour qu’elle fût sa mère. Marie est en véri­té, et plus encore qu’Eve d’Adam, sor­tie du Cœur Sacré de Jésus.

C’est durant le som­meil du pre­mier homme qu’Eve fût engen­drée du côté d’Adam, et c’est du som­meil de la mort de Jésus que Marie fût engen­drée du Cœur Sacré du nou­vel Adam. Son Immaculée concep­tion et ses grâces sans pareilles ne lui ont-​elles pas été accor­dées en pré­vi­sion des mérites de son Fils unique, en anti­ci­pa­tion des grâces obte­nues par sa pas­sion et sa mort ?

Marie, en voyant cou­ler le sang et l’eau du cœur bien-​aimé de son fils sut que les pri­vi­lèges dont son âme est ornée s’écoulaient de cette fon­taine de grâces ouverte par la lance. En voyant le cœur ouvert de Jésus, elle sut qu’elle en émanait.

Une aide bienvenue

Adam avait cher­ché en vain « une aide sem­blable à lui » dans la nature. Tous les ani­maux avaient défi­lé devant lui, cha­cun avec ses talents, ses bigar­rures, mais aucun n’était en mesure de satis­faire le cœur d’Adam.

De même, le nou­vel Adam avait beau regar­der du côté des hommes, aucun n’était sans tache, aucun n’était sans souillure, aucun n’était indemne dans son âme, dans son esprit, dans son cœur. « Dieu, du haut des cieux, regarde les fils de l’homme, pour voir s’il se trouve quelqu’un d’intelligent, quelqu’un qui cherche Dieu. Tous sont éga­rés, tous sont per­ver­tis ; il n’en est aucun qui fasse le bien, pas même un seul ». (Ps 52/3–4)

Le Rédempteur cher­chait une coré­demp­trice mais qu’aurait-il pu trou­ver sinon des pécheurs ? Dieu fit tom­ber Adam dans un pro­fond som­meil et façon­na Eve à par­tir du côté d’Adam. Quelle ne fut pas l’admiration d’Adam, c’est-à-dire un mélange d’étonnement, de ravis­se­ment, de joie, de curio­si­té et en même de pro­fonde satis­fac­tion en voyant ce chef‑d’œuvre du créa­teur qui répon­dait si bien et de manière si inat­ten­due à ses attentes !

Eve, cette vierge imma­cu­lée, façon­née par Dieu pour la mis­sion d’Adam, était l’image de la nou­velle Eve des­ti­née à aider le nou­vel Adam dans le redres­se­ment de l’humanité.

Marie est en effet l’aide « sem­blable » au Christ Jésus. Forgé dans le cœur du nou­vel Adam, le cœur imma­cu­lé de Marie brûle du même amour ; il par­tage le même désir de la gloire du Père, du salut éter­nel des âmes et du royaume de la grâce. Marie, la nou­velle Eve, est prête à deve­nir la mère des vivants.

Mater dolorosa

La mater­ni­té d’Eve est mar­quée d’une béné­dic­tion et d’une malédiction.

Avant même de don­ner la sen­tence de condam­na­tion, Dieu ne peut s’empêcher d’annoncer son des­sein de misé­ri­corde, comme pour mon­trer que la jus­tice qu’il applique s’exerce dans la dépen­dance et l’ordre de sa misé­ri­corde, que son cœur divin n’accomplit la jus­tice que pour don­ner à sa bon­té un nou­veau motif de répandre ses bienfaits.

Alors qu’il ne s’est pas encore adres­sé à la femme et qu’il condamne le ser­pent, il pro­phé­tise la gran­deur d’une femme à venir, d’une mater­ni­té à venir, d’une des­cen­dance à venir. « Et je met­trai une ini­mi­tié entre toi et la femme, entre ta pos­té­ri­té et sa pos­té­ri­té ; celle-​ci te meur­tri­ra à la tête, et tu la meur­tri­ras au talon. » (Gen 3, 15)

Quelle étrange façon de pro­cé­der ! La femme a chu­té, la femme a pré- vari­qué, la femme a tra­hi, mais la femme – bien­tôt condam­née – est bénie : la femme, la mère et avec elle la famille.

Au-​delà de l’institution de la vie, Dieu annonce la femme par excel­lence, la Vierge Marie.

Si Eve est la mère d’une des­cen­dance grosse de tous les saints que por­te­ront la terre, si Eve est noble de conte­nir dans ses flancs l’Église des saints, elle est bien enten­du noble de celle qu’elle repré­sente, d’une fille qui répa­re­rait l’outrage de la mère, d’une fille qui serait la vraie mère des vivants, non celle qui donne la vie natu­relle, mais celle par qui vient Celui qui est la Vie, celle par qui nous advient la vie sur­na­tu­relle, la vie éternelle.

Bien plus et bien mieux qu’Eve, Marie est la mère des vivants.

Et « elle n’est Mère que des vivants, l’Eve par­faite. Remarquons-​le bien (…) : toute autre mater­ni­té humaine est à la fois mys­tère de vie et de mort puisque c’est dans le péché que nous conçoivent nos mères, comme le dit le psaume Miserere. Seule la mater­ni­té de Marie est pur mys­tère de vie : Vita nos­tra, salve. » [2]

Mais Eve devient mère après la malé­dic­tion, laquelle porte sur sa mater­ni­té : « Je mul­ti­plie­rai tes souf­frances, et spé­cia­le­ment celles de ta gros­sesse ; tu enfan­te­ras des fils dans la douleur ».

En lisant ces lignes, on serait ten­té d’exclure Marie de cette malé­dic­tion, en son­geant que l’enfantement mira­cu­leux de Jésus ne fut témoin d’aucune dou­leur de la Vierge Mère. Pourtant, Eve est là encore, et d’une manière tou­chante, une figure de Marie.

On note­ra que Jésus ne donne à Marie le nom de mère qu’une seule fois dans l’Evangile. Au soir du Vendredi Saint. Il vient de l’appeler « femme », pour indi­quer qu’elle est la femme annon­cée dans la Genèse. « Femme, dit-​il à Marie, voi­ci ton fils ». Puis se tour­nant vers saint Jean, « voi­ci ta mère ».

Jésus n’appelle Marie mère qu’au moment de cet enfan­te­ment dou­lou­reux des âmes ; elle est nom­mée Mère, et mère des dou­leurs, car si la mater­ni­té natu­relle sup­pose de grandes souf­frances, la mater­ni­té sur­na­tu­relle en sup­pose de plus grandes encore.

O felix culpa chante la litur­gie de la faute d’Adam. Si Eve n’avait pas été séduite, Marie aurait-​elle été sa fille ? On peut en dou­ter. Comme on peut pen­ser que si Eve dis­tin­gua dans les dou­leurs de la Mater do- loro­sa une ultime répa­ra­tion de sa faute, elle dis­cer­na aus­si dans sa propre chute une bea­ta fra­gi­li­tas dont sut tirer par­ti l’inépuisable misé­ri­corde du Père éternel. 

Source : Le Chardonnet n° 367 – mai 2021

Notes de bas de page
  1. Journal d’un curé de cam­pagne, Plon, 1936, p. 229.[]
  2. R.P. P.-Th. Dehau, op,
    Le contem­pla­tif et la Croix (Les Editions du Cerf), p. 303.[]

FSSPX

M. l’ab­bé François-​Marie Chautard est l’ac­tuel rec­teur de l’Institut Saint Pie X, 22 rue du cherche-​midi à Paris.