Saint Jean-​Baptiste

Saint Jean-Baptiste, par le Maître de Jacques IV d'Ecosse

Précurseur du Messie

Fête le 24 juin.

Un jour que Jésus-​Christ prê­chait aux mul­ti­tudes, il dit en par­lant de Jean : « Qu’êtes-vous allés voir dans le désert ? Un roseau agi­té par le vent (c’est-à-dire un homme faible, sans carac­tère, qui tourne à tous vents d’opinions) ? Mais encore qu’êtes-vous allés voir ? Un homme vêtu mol­le­ment ? Vous savez que c’est dans les palais des rois qu’on trouve ceux qui portent des riches habits et qui vivent dans les plai­sirs. Qu’êtes-vous donc allés voir ? Un pro­phète ? Oui, je vous le dis, et plus qu’un pro­phète. Car c’est de lui qu’il a été écrit : Voici que j’envoie mon ange devant ta face, afin qu’il pré­pare ton che­min devant toi. En véri­té, je vous le dis, entre les fils des femmes, il n’en a point paru de plus grand que Jean-​Baptiste. » [1]

Quel éloge ! Et dans quelle bouche ! Celle du Fils de Dieu !

Saint Jean-​Baptiste occupe dans l’histoire de l’humanité une place unique et incom­pa­rable, il est un trait d’union entre les deux mondes, il résume en lui tout l’Ancien Testament et pré­pare le Nouveau. Montrant le Messie pro­mis déjà pré­sent au milieu de son peuple, il ferme la suc­ces­sion des pro­phètes et il ouvre la mis­sion des apôtres.

Par un pri­vi­lège unique entre les pro­phètes, il a eu l’honneur d’être lui-​même pro­phé­ti­sé, plus de sept siècles avant sa nais­sance, par Isaïe et Malachie.

Les parents de saint Jean-Baptiste.

Il y avait en Israël deux familles nobles entre toutes : la famille royale de David, d’où devait naître le Messie, et la famille sacer­do­tale d’Aaron, dont le sacer­doce figu­rait, annon­çait et pré­pa­rait le vrai et unique sacer­doce de Jésus-​Christ. Marie, Mère de Jésus, était de la race de David ; Zacharie et son épouse Elisabeth, parents du saint Précurseur, étaient de la race d’Aaron. En outre, Elisabeth, fille d’une sœur de sainte Anne, mère de Marie, se trou­vait être la cou­sine ger­maine de la Très Sainte Vierge. Elle était tou­te­fois beau­coup plus âgée que Marie. Elisabeth et Zacharie avaient une autre noblesse, noblesse excel­lente et per­son­nelle, celle de la sain­te­té : « Tous deux étaient justes devant Dieu, dit l’évangéliste saint Luc, mar­chant sans reproche dans tous les com­man­de­ments et les ordon­nances du Seigneur. »

Mais, tris­tesse immense pour les deux époux, « ils n’avaient point de fils », et humai­ne­ment ne pou­vaient plus en espé­rer, ce qui était consi­dé­ré comme un opprobre et une malé­dic­tion chez les Hébreux. Dieu le per­met­tait ain­si pour éprou­ver et per­fec­tion­ner leur ver­tu et aus­si parce que saint Jean-​Baptiste, comme Isaac, Samson, Samuel, comme Marie enfin, la Vierge bénie entre toutes les créa­tures, devait être le fruit de la grâce et de la prière, plus encore que de la nature.

Apparition de l’archange Gabriel.

Les des­cen­dants d’Aaron avaient été divi­sés par David en classes ou familles qui se suc­cé­daient à tour de rôle pour exer­cer leur minis­tère dans le Temple de Jérusalem. Zacharie appar­te­nait à la classe d’Abia, c’était la hui­tième. Le Temple était un vaste édi­fice, pas, comme le sont nos cathé­drales, un édi­fice impor­tant n’offrant qu’un seul lieu de réunion. Qu’on ima­gine d’abord une vaste place ou espla­nade, entou­rée d’une enceinte et flan­quée de construc­tions diverses. Entrez sur cette espla­nade, vous êtes dans une vaste cour, c’est le par­vis des Gentils, où tout le monde peut entrer. Une sorte de balus­trade et une double ran­gée de colonnes séparent cette pre­mière cour d’une seconde, le par­vis des Juifs, où les Hébreux seuls peuvent péné­trer ; ce par­vis est sépa­ré lui-​même d’un troi­sième, le par­vis des Lévites ou des Prêtres, où l’on immole les vic­times et au milieu duquel se dresse le sanc­tuaire ou temple pro­pre­ment dit. Ce der­nier édi­fice est très éle­vé et on y arrive par de nom­breuses marches ; il est divi­sé en deux par­ties, le Saint et le Saint des saints. Le grand-​prêtre seul, une fois l’an, peut entrer dans le Saint des saints. Dans le Saint on voit, entre autres, l’autel des par­fums, petite table en bois de sétim, cou­verte de lames d’or.

Chaque matin à neuf heures et chaque soir à trois heures, l’un des prêtres de semaine, dési­gné par le sort, entrait dans le Saint et fai­sait brû­ler une poi­gnée d’encens sur l’autel des par­fums ; puis il sor­tait, et du haut des degrés du sanc­tuaire il bénis­sait le peuple réuni dans les par­vis : « Que le Seigneur, disait-​il en croi­sant les mains, te bénisse et te conserve ; que le Seigneur te découvre son visage et ait pitié de toi ; que le Seigneur tourne vers toi son visage et te donne la paix. » Triple invo­ca­tion qui s’adressait mys­té­rieu­se­ment à la Sainte Trinité, en faveur de son peuple choisi.

Or, raconte l’évangéliste, lorsque Zacharie rem­plis­sait devant Dieu les fonc­tions du sacer­doce, selon le rang de sa classe, il arri­va qu’il lui échut par le sort, sui­vant la cou­tume obser­vée entre les prêtres, d’entrer dans le temple du Seigneur pour y offrir l’encens. Et toute la mul­ti­tude était dehors priant, à l’heure de l’encens. Et un ange lui appa­rut, debout à droite de l’autel des par­fums. A cette vue, Zacharie se trou­bla et fut sai­si de crainte. Mais l’ange lui dit :

— Ne crai­gnez point, Zacharie, parce que votre prière a été exau­cée, et Elisabeth votre épouse vous don­ne­ra un fils que vous nom­me­rez Jean (nom qui veut dire grâce de Dieu). Il sera pour vous un sujet de joie et de ravis­se­ment, et à sa nais­sance beau­coup se réjoui­ront. Car il sera grand devant le Seigneur ; il ne boi­ra point de vin ni d’aucune liqueur enivrante, il sera rem­pli de l’Esprit-Saint dès le sein de sa mère. Il conver­ti­ra un grand nombre d’enfants d’Israël au Seigneur leur Dieu ; il mar­che­ra devant sa face dans l’esprit et la ver­tu d’Elie, afin qu’il unisse les cœurs des pères à ceux des fils (c’est-à-dire apprenne aux Juifs d’alors à imi­ter la foi de leurs pères les patriarches anciens), qu’il ramène les déso­béis­sants à la pru­dence des justes, pour pré­pa­rer au Seigneur un peuple parfait.

— A quoi reconnaîtrai-​je la véri­té de ce que vous me dites ? répon­dit Zacharie, car je suis vieux et ma femme est avan­cée en âge.

Alors l’ange répon­dit avec majesté :

— Je suis Gabriel qui me tiens devant Dieu, et j’ai été envoyé pour vous par­ler et vous annon­cer cette heu­reuse nou­velle. Et voi­ci que vous serez muet et ne pour­rez par­ler parce que vous n’avez pas cru à mes paroles, qui s’accompliront en leur temps.

Cependant le peuple atten­dait Zacharie et s’étonnait qu’il demeu­rât si long­temps dans le Temple.

Enfin il sor­tit pour don­ner la béné­dic­tion accou­tu­mée, mais « il ne pou­vait par­ler et ils com­prirent qu’il avait eu une vision dans le Temple. Quant à lui, h leur fai­sait des signes, et il res­ta muet.

« Quand les jours de son minis­tère furent accom­plis, Zacharie revint à la mai­son », triste, dit saint Paulin, deman­dant par­don à Dieu dans le secret de son cœur. Sa mai­son était à Aïn-​Karim, petite ville située à deux lieues de Jérusalem, sur un pla­teau incli­né, au bas d’une mon­tagne, et au-​dessus d’une riante val­lée. Bientôt Elisabeth eut la cer­ti­tude de don­ner le jour à un enfant.

La Visitation.

Six mois après, l’ange Gabriel appa­rais­sait à l’humble et incom­pa­rable Vierge de Nazareth, il annon­çait à Marie sa mater­ni­té vir­gi­nale et divine, et ajou­tait en témoi­gnage de ses paroles : « Voilà qu’Elisabeth, votre cou­sine, a elle-​même conçu un fils dans sa vieillesse, et c’est le sixième mois de celle qui était appe­lée sté­rile, parce que rien n’est impos­sible à Dieu. » Ainsi, Jean sem­blait déjà rem­plir son rôle de pré­cur­seur ; mais cette âme d’élite gémis­sait encore cap­tive sous les ruines du péché ori­gi­nel : une ins­pi­ra­tion inté­rieure apprend à Marie que la visite de la Mère de Dieu sera le salut de Jean, non moins que la joie d’Elisabeth.

Marie se lève donc et se met en route. Quatre ou cinq jours de marche séparent Nazareth des mon­tagnes de Judée où demeure sa cou­sine, mais la cha­ri­té semble lui don­ner des ailes ; elle voyage rapi­de­ment, dit l’évangéliste, afin de saluer Elisabeth. La Mère de Dieu pré­vient la mère de Jean ; Jésus pré­vient son pré­cur­seur ; Jésus parle par la bouche de Marie, et sa voix péné­trant jusqu’à l’âme du fils d’Elisabeth, celui-​ci se réveille à la vie de la grâce, il a recon­nu son Sauveur, il tres­saille dans le sein de sa mère. L’Esprit-Saint, qui illu­mine lame du fils, rejaillis­sant sur la mère, Elisabeth s’écrie d’une grande voix (comme si elle par­lait au nom de tous les siècles à venir) : « Vous êtes bénie entre toutes les femmes et le fruit de vos entrailles est béni. Et d’où me vient ce bon­heur que la Mère de mon Seigneur vienne me visi­ter ? Vous êtes heu­reuse, vous qui avez cru que les choses qui vous ont été dites de la part du Seigneur s’accompliraient. »

Mais Marie, repous­sant la louange qui s’adresse à elle pour repor­ter à Dieu toute gloire, s’écrie : « Mon âme glo­ri­fie le Seigneur », et elle fait entendre, pour la pre­mière fois en ce lieu soli­taire, les sublimes accents du Magnificat, répé­té depuis par tous les siècles, en sou­ve­nir d’elle. Si cette pre­mière ren­contre fut si mer­veilleuse pour l’âme du Précurseur, com­bien de grâces durent accom­pa­gner le séjour de Marie auprès d’Elisabeth pen­dant envi­ron trois mois ?

Naissance de saint Jean-Baptiste.

Quand le temps fut arri­vé, Elisabeth mit au monde un fils ; les parents et les voi­sins, qui esti­maient la ver­tueuse mère, apprirent avec joie la misé­ri­corde dont le Seigneur avait usé envers elle. Le hui­tième jour, on vint, sui­vant l’usage, cir­con­cire l’enfant, et ils lui don­naient le nom de Zacharie por­té par son père.

— Il n’en sera pas ain­si, dit Elisabeth, mais il s’appellera Jean.

On lui dit :

— Il n’y a per­sonne dans votre famille qui ait reçu ce nom.

Et on deman­dait par signe au père com­ment il vou­lait qu’on le nom­mât. Zacharie se fai­sant don­ner ce qu’il faut pour écrire tra­ça ces mots : « Jean est son nom. »

Mais à peine a‑t-​il répa­ré, par cet acte de foi et d’obéissance, son doute d’autrefois, que l’esprit des pro­phètes illu­mine son âme, sa langue se délie, le beau can­tique du Benedictus jaillit de ses lèvres ins­pi­rées : « Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël, parce qu’il a visi­té et rache­té son peuple… Et toi, petit enfant, tu seras appe­lé le pro­phète du Très-​Haut, car tu mar­che­ras devant sa face pour pré­pa­rer ses voies… »

Les miracles s’ajoutaient donc aux miracles autour du ber­ceau de l’enfant ; ceux qui demeu­raient dans les lieux voi­sins furent sai­sis d’une crainte res­pec­tueuse. Le bruit de ces mer­veilles se répan­dit sur toutes les mon­tagnes de Judée, tous ceux qui les enten­dirent racon­ter les conser­vèrent dans leur cœur, et ils disaient : « Que pensez-​vous que sera un jour cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui. »

Marie assistait-​elle à ces joyeux évé­ne­ments ? Quelques-​uns pensent qu’elle était déjà retour­née à Nazareth ; mais saint Ambroise et beau­coup d’autres croient qu’elle ne quit­ta la mai­son de Zacharie qu’après la nais­sance de Jean. Nous aimons à nous repré­sen­ter le petit saint Jean, tou­jours pré­cur­seur, pré­cé­dant Jésus dans les bras de Marie ! Quand le divin Sauveur fut né à Bethléem, Elisabeth et Zacharie vinrent-​ils rendre à Marie sa visite d’autrefois ? L’évangéliste ne nous l’apprend pas ; mais, étant don­née la proxi­mi­té des lieux (d’Aïn-Karim à Bethléem il y a envi­ron deux heures), de bonnes rai­sons nous auto­risent à le pen­ser. Et si le petit Jean qui, mal­gré son enfance, jouis­sait déjà de l’usage de sa rai­son, fut alors por­té à Bethléem, qui pour­ra décrire les scènes ravis­santes qui se pas­sèrent alors !

Bientôt, Hérode, usur­pa­teur du trône de David, apprend la nais­sance du Messie, il craint pour son auto­ri­té, il envoie des satel­lites mas­sa­crer tous les petits enfants de Bethléem et des envi­rons ; Jésus, empor­té en Égypte par Joseph et Marie, échappe à la mort. Mais que devint le fils de Zacharie, né non loin de Bethléem ? D’anciennes légendes racontent qu’il fut mira­cu­leu­se­ment sau­vé. Quoi qu’il en soit, Zacharie, qui rem­plis­sait à Jérusalem ses fonc­tions sacer­do­tales, fut mas­sa­cré, d’après quelques auteurs, par ordre du roi, entre le Temple et l’autel, et la trace de son sang res­ta indé­lé­bile sur le pavé.

Elisabeth mou­rut à son tour dans le désert mon­ta­gneux, quelque temps après, et les anges, dit-​on, prirent soin du petit orphe­lin, dont la vie tout entière devait être si sem­blable à la leur.

Saint Jean au désert.

Jusqu’à l’âge de trente ans, saint Jean vécut dans les déserts, loin de tout ce qui pou­vait ter­nir l’incomparable pure­té de son inno­cence ; la prière, l’adoration, la louange de Dieu, la contem­pla­tion des gran­deurs divines, voi­là l’occupation de cet ange de la terre. Le lieu le plus habi­tuel de son séjour était une grotte taillée dans le roc, que le pèle­rin peut visi­ter encore, dans une val­lée soli­taire, étroite et pro­fonde, non loin de l’ancienne Aïn-​Karim, la ville natale du saint Précurseur. N’en déplaise à l’imagination des peintres, saint Jean-​Baptiste n’allait point à demi cou­vert d’une peau de mou ton : une sorte de robe ou tunique tis­sée, en poil de cha­meau, ser­rée autour des reins par une cein­ture de cuir, tel était son vête­ment, tunique rude et pauvre, véri­table cilice et ins­tru­ment de per­pé­tuelle souf­france. Du miel sau­vage, des sau­te­relles, voi­là sa nour­ri­ture, nous dit l’évangéliste. Et quand le désert lui refu­sait ces maigres ali­ments, on raconte qu’il y sup­pléait par les fruits du carou­bier. Venait-​il quel­que­fois au Temple de Jérusalem ? C’est pos­sible, mais saint Luc ne nous l’apprend point.

N’allait-il jamais à Nazareth voir Jésus ? Un pas­sage de ses dis­cours au peuple semble indi­quer que non. Le témoi­gnage que Jean était appe­lé à rendre de Jésus devait paraître aux Juifs plus dés­in­té­res­sé et plus divin, venant d’un homme qui avait gran­di et vécu loin de Nazareth et de la socié­té du Fils de Marie. Mais quelle mor­ti­fi­ca­tion inté­rieure pour lame si aimante de Jean ! Savoir son doux Sauveur si près et ne point aller jouir de sa suave et sainte pré­sence ! … « Qu’est-ce que cela, s’écrie saint François de Sales, si ce n’est se pri­ver de Dieu pour l’aimer d’autant mieux et plus pure­ment ? Cet exemple accable mon esprit par sa grandeur… »

Saint Jean prêche aux foules et baptise le Fils de Dieu.

Enfin, les temps sont venus ; Jésus, caché à Nazareth, va bien­tôt se mani­fes­ter au monde. Jean a trente ans, c’est l’âge qu’on exige des doc­teurs en Israël pour leur accor­der le droit d’expliquer au peuple les Livres Saints ; Dieu l’envoie annon­cer aux hommes la grande nou­velle qu’ils ignorent et pré­pa­rer les voies à Jésus-​Christ. Jean com­mence à prê­cher dans les mon­tagnes de Judée, non loin du lieu de sa retraite, et bien­tôt il vient faire entendre sa parole sur les rives du Jourdain. Après quatre cents ans de silence, la voix des pro­phètes se fait de nou­veau entendre en Israël ; toute la Palestine s’émeut, les mul­ti­tudes s’ébranlent et affluent vers le Jourdain, on admire la sain­te­té du Précurseur, son aus­té­ri­té extra­or­di­naire ; les mer­veilles qui ont jadis signa­lé sa nais­sance reviennent sans doute à la mémoire de plusieurs.

« Race de vipères, s’écriait le nou­vel Elie en s’adressant aux Pharisiens, qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? Faites donc de dignes fruits de péni­tence, et n’essayez pas de dire : Abraham est notre père ; car je vous dis que de ces pierres mêmes Dieu peut sus­ci­ter des enfants à Abraham. Déjà la cognée est à la racine de l’arbre. Tout arbre donc qui ne porte pas de bons fruits sera cou­pé et jeté au feu ! »

Et les foules l’interrogeaient : « Que pouvons-​nous faire ? » Jean ne se per­dait pas en vaines for­mules. Sa réponse était nette et pra­tique. A tous il se conten­tait de rap­pe­ler la règle de la cha­ri­té et de l’aumône : « Que celui qui a deux tuniques par­tage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi man­ger fasse de même. » Aux publi­cains il répon­dait : « N’exigez rien au-​dessus du tarif. » Aux sol­dats : « Ne moles­tez per­sonne, ne calom­niez per­sonne, conten­tez – vous de votre solde. » On voit que Jean connais­sait son milieu.

Beaucoup se repentent de leurs péchés et, comme témoi­gnage de ce repen­tir, reçoivent de Jean le bap­tême de la péni­tence dans les eaux du Jourdain.

Enfin, le Baptiste – car tel sera désor­mais son nom – paraît un per­son­nage tel­le­ment sur­hu­main, qu’on se demande si peut-​être il ne serait pas le Christ. Une dépu­ta­tion de prêtres et de lévites vient de Jérusalem l’interroger. « Je ne suis pas le Christ, répond Jean. Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Préparez les che­mins du Seigneur, ain­si que l’a dit Isaïe… Moi je bap­tise dans l’eau, mais il en est un qui a paru au milieu de vous et que vous ne connais­sez pas ; c’est lui qui doit bap­ti­ser dans l’Esprit-Saint et dans le feu (c’est-à-dire dans la grâce sanc­ti­fiante et la cha­ri­té). Il vien­dra après moi, mais il est avant moi et je ne suis pas digne de délier les cor­dons de sa chaussure. »

Un jour, voi­ci un homme de Nazareth qui arrive à son tour et demande à Jean de le bap­ti­ser. Jean a recon­nu son Maître : cet homme est Jésus, l’âme du Précurseur tres­saille de joie :

— C’est moi qui dois être bap­ti­sé par vous, lui dit-​il, et c’est vous qui venez à moi !

— Laissez faire main­te­nant, dit le Sauveur, il nous faut accom­plir ain­si toute justice.

Jésus des­cend dans l’eau, il reçoit le bap­tême de la péni­tence ; ce n’est pas l’eau qui sanc­ti­fie Jésus, mais Jésus qui sanc­ti­fie l’eau, et désor­mais le véri­table bap­tême, le bap­tême de Jésus-​Christ qui efface le péché, est ins­ti­tué. Le fils de Dieu remonte hors de l’eau, les cieux s’entr’ouvrent, la voix du Père se fait entendre : « Celui-​ci est mon Fils bien-​aimé en qui j’ai mis toutes mes com­plai­sances. » Le Saint-​Esprit des­cend sous forme de colombe et repose sur Jésus. Journée de bon­heur et de gloire pour Jean, car il a bap­ti­sé le Fils bien-​aimé de Dieu !

Saint Jean bap­tise le Messie

Martyre de saint Jean-Baptiste.

Un autre jour, Jean-​Baptiste voit encore Jésus venir à lui : « Voici l’Agneau de Dieu, s’écrie-t-il, voi­ci Celui qui efface le péché du monde. » Deux de ses dis­ciples l’entendent et suivent Jésus : c’étaient André, frère aîné de Pierre, et Jean, le futur évan­gé­liste, image vivante de Jean-​Baptiste lui-même.

Bientôt le divin Maître com­mence ses pré­di­ca­tions et ses miracles sans nombre, les foules accourent autour de lui. Quelques dis­ciples de Jean s’en affligent, mais le Précurseur sur­abonde de joie : « Ne vous avais-​je pas dit que je n’étais pas le Christ, mais que je le pré­cé­dais ? Il faut qu’il croisse et que moi je diminue. »

Hérode l’Ancien, le bour­reau des Innocents, était mort depuis long­temps, mais son fils, Hérode le tétrarque, était sou­ve­rain de la Galilée. Prince débau­ché, il avait enle­vé à son frère Philippe sa femme, Hérodiade, pour l’épouser lui-​même. Jean-​Baptiste, dont les per­sé­cu­tions des pha­ri­siens n’avaient pu vaincre le cou­rage et l’apostolique fran­chise, osa éga­le­ment dire la véri­té à Hérode : « Il ne t’est pas per­mis, lui répéta-​t-​il, d’avoir la femme de ton frère. » Hérode fit enfer­mer le Précurseur dans la for­te­resse Machéronte, au-​delà de la mer Morte. Toutefois, il le crai­gnait et l’estimait, et même lui deman­dait conseil sur beau­coup de choses. Hérodiade, nou­velle Jésabel, n’en était que plus furieuse contre le nou­vel Elie. Au jour anni­ver­saire de sa nais­sance, Hérode offrit un grand fes­tin aux prin­ci­paux per­son­nages de ses États, la fille d’Hérodiade, Salomé, vint dan­ser devant les convives. Ce spec­tacle plut tant au prince que, dans un moment d’exaltation, il dit à la dan­seuse : « Demande-​moi tout ce que tu vou­dras, serait-​ce la moi­tié de mon royaume. » Salomé cou­rut prendre conseil près de sa mère ; elle revint bien­tôt : « Je veux, dit-​elle, que vous me don­niez à l’instant ici, dans ce bas­sin, la tête de Jean-​Baptiste. » Hérode fut attris­té, mais par res­pect humain il n’osa man­quer à sa pro­messe devant ses invi­tés ; un garde fut envoyé dans la pri­son, cou­pa la tête de Jean, l’apporta dans un plat à la dan­seuse, et celle-​ci la don­na à sa mère. Quelle atro­ci­té dans un fes­tin ! A cette nou­velle, les dis­ciples de Jean vinrent et ense­ve­lirent le corps du mar­tyr, mis à mort pour avoir défen­du les lois sacrées du mariage.

Le culte de saint Jean-​Baptiste a tou­jours tenu une grande place dans l’église, qui a tou­jours fêté sa nais­sance le 24 juin et sa « décol­la­tion » ou mar­tyre le 29 août. Les feux de joie allu­més en son hon­neur sont un antique et louable usage, pour­vu qu’on en écarte tout désordre et toute super­sti­tion. Saint Jean-​Baptiste reçoit des hon­neurs spé­ciaux dans une mul­ti­tude d’églises, depuis Saint-​Jean-​de-​Latran, la cathé­drale de Rome et du monde, jusqu’en de nom­breux sanc­tuaires qui attirent des pèle­rins en foule. La cathé­drale d’Amiens pos­sède la majeure par­tie de son chef.

A. E. L.

Sources consul­tées. – Evangiles.R. P. D. Buzy, Saint Jean-​Baptiste (Études his­to­riques et cri­tiques, Paris, 1922). – (V. S. B. P., nos 436 et 1069.)

Notes de bas de page

  1. Saint Matthieu, xi, 7–11.[]