Saint Thomas More

Sir Thomas More, par Hans Holbein le jeune

Grand-​chancelier d’Angleterre, mar­tyr (1478–1535)

Fête le 6 juillet.

Thomas More naquit à Londres le 7 février 1478 d’une famille appar­te­nant a la petite noblesse ou à la bonne bour­geoi­sie. De bonne heure il fut mis au col­lège. Son père, sir John More, juge à la cour du Banc du roi (Haute-​Cour), homme de mœurs aus­tères, prit soin de l’accoutumer aux pri­va­tions et au tra­vail, réglant stric­te­ment ses dépenses. Thomas sut tou­jours gré à son père de cette édu­ca­tion un peu rude.

Le car­di­nal Morton, chan­ce­lier d’Henri VII et arche­vêque de Cantorbéry, prit chez lui l’enfant pour en faire son page et fut char­mé de la viva­ci­té d’esprit qu’il mon­trait. Le vieil arche­vêque aimait à se récréer, et de temps en temps, sur­tout aux fêtes de Noël, Thomas ne crai­gnait pas de mon­ter sur les tré­teaux pour l’égayer par quelque rôle impro­vi­sé. Le car­di­nal en était ravi : « Vous voyez, disait-​il à ses hôtes, ce petit gar­çon qui nous sert à table et qui joue si bien la comé­die, regardez-​le bien ; je vous dis qu’il sera un jour un grand homme. » Remarquable par sa ver­tu et par sa foi, le car­di­nal Morton eut sur Thomas une influence profonde.

De l’office de page au poste de grand-chancelier.

Après avoir vécu quelque temps dans la mai­son de ce prince de l’Eglise, Thomas vint ter­mi­ner ses études à l’Université d’Oxford, de 1492 à 1494. Il y fut ce qu’il avait été à Londres, stu­dieux, mor­tifié, oublieux de soi-même.

A peine âgé de 17 ans, il por­tait un cilice, cou­chait sur la terre nue ou sur un simple banc de bois, ne pre­nait que quatre heures de repos par nuit, consa­crant le reste du temps à la prière ou à l’étude des Livres Saints ; il jeû­nait fré­quem­ment, et, aus­si dis­cret que mor­ti­fié, il déro­bait avec soin ses aus­té­ri­tés conti­nuelles aux yeux mêmes de ses amis les plus intimes.

Pour obéir à son père qui vou­lait faire de lui un légiste, Thomas More revint à Londres et se mit à l’étude du droit. Par tempéra­ment, il y répu­gnait un peu, car il était plu­tôt lit­té­ra­teur et artiste. Très ver­sé dans les lettres grecques et latines, il étu­diait aus­si dans leur texte les auteurs fran­çais, savait la musique et maniait l’archet avec une cer­taine dex­té­ri­té. Néanmoins, par défé­rence pour celui en qui il aimait à recon­naître Dieu lui-​même, il s’adonna avec ardeur à l’étude par­fois aride de la jurisprudence.

Ses pro­grès y furent tels que dès 1501 et pen­dant trois ans il fut char­gé d’un cours dans l’un des col­lèges dépen­dant de Lincoln’s Inn.

Vers cette époque, atti­ré par la vie reli­gieuse, il son­gea à se faire Franciscain de l’Observance ou Chartreux. Pendant quatre ans, il logea à la porte de la Chartreuse de Londres, par­ta­geant la vie des moines, se sou­met­tant à leur règle rigou­reuse, fai­sant un fré­quent usage des sacre­ments qu’il devait gar­der toute sa vie ; cepen­dant il renon­ça à pro­non­cer des vœux. En 1508, More épou­sa Jeanne Colt dont il eut quatre enfants et qui mou­rut en 1511. Il se rema­ria avec une veuve, Alice Middleton, qui ne lui don­na pas d’enfant mais fut une mère dévouée pour ceux du pre­mier lit.

La place hono­rable qu’il conquit au bar­reau, les fonc­tions de sous-​shériff qu’il fut appe­lé à rem­plir, lui don­nèrent droit de sié­ger à la cour du lord-​maire. Comme juge, il fut d’une inté­gri­té invio­lable. « Si le diable que je hais sou­ve­rai­ne­ment, aimait-​il à répé­ter, et si mon père que j’aime bien, se pré­sen­taient pour me deman­der jus­tice, et que le diable eût rai­son, je condam­ne­rais sans pitié mon père. »

Elu dépu­té à la Chambre des Communes en 1504, il s’y fit remar­quer par son cou­rage à résis­ter à des exi­gences exces­sives du roi Henri VII. Cette atti­tude lui valut d’être mis en dis­grâce ; il pas­sa sur le conti­nent et visi­ta les Universités de Louvain et de Paris ; reve­nu enfin en Angleterre, il repa­rut défi­ni­ti­ve­ment dans la vie publique en 1509 à l’avènement du roi Henri VIII.

Sa répu­ta­tion de savoir avait atti­ré sur lui l’attention du jeune prince qui l’attacha à son ser­vice et lui confia diverses charges publiques : maître des requêtes, secré­taire du roi, membre du Conseil pri­vé, che­va­lier et tré­so­rier, spea­ker ou pré­sident de la Chambre des Communes, chan­ce­lier du duché de Lancastre, trois fois ambas­sa­deur dans les Flandres et en France, pre­nant une part active à l’entrevue du camp du Drap d’or, il fut enfin nom­mé chan­ce­lier du royaume, le 25 octobre 1529, sans l’avoir désiré.

Vertus de saint Thomas More.

Malgré les occu­pa­tions de sa charge, le nou­veau chan­ce­lier ne chan­gea rien à ses habi­tudes de dévo­tion. Il fré­quen­tait assidû­ment la petite église de Chelsea, sa paroisse : même, assis au lutrin, les dimanches et jours de fête, il répon­dait de sa voix grave aux chants du célé­brant, et comme le duc de Norfolk lui disait qu’il ne conve­nait guère au pre­mier chan­ce­lier du royaume d’être chantre de paroisse, et que Sa Majesté, si elle l’apprenait, s’en offen­se­rait, il lui fit cette belle réponse : « Non, non, il n’est pas pos­sible que je déplaise au roi, mon maître, en ren­dant cet hom­mage public au Maître suprême de mon roi. »

Comme il sui­vait à pied les pro­ces­sions des Rogations, ordinai­rement longues et pénibles, ses amis lui pro­po­sèrent d’assister à che­val à cette céré­mo­nie ; il refu­sa en disant : « Je ne veux point suivre à che­val mon divin Maître qui che­mine à pied. »

Toutes les fois qu’il était appe­lé à trai­ter quelque affaire diffi­cile, il recou­rait d’abord à la sainte com­mu­nion et invo­quait avec fer­veur l’Esprit-Saint.

Sa pié­té n’avait d’égale que sa cha­ri­té. Il ne se pas­sait pas de semaine que Thomas ne recueillît pour le soi­gner quelque infirme aban­don­né ; il avait loué pour cela une vaste mai­son qu’il entre­tenait de ses deniers. Dans le temps qu’il sié­geait au tri­bu­nal, une pauvre veuve que la perte d’un pro­cès avait réduite à la plus pro­fonde misère trou­va chez lui asile et secours.

Vie familiale à Chelsea.

Thomas More avait fait bâtir à Chelsea, au sud-​ouest de Londres, une petite mai­son « blanche, lui­sante au soleil, enca­drée dans les fleurs, et sans autres orne­ments exté­rieurs que de beaux volets verts ». C’est là qu’il vit, entou­ré des pré­ve­nances et de l’amour de sa femme et de ses quatre enfants.

Lui-​même s’est char­gé de l’éducation de ces der­niers. « La mai­son de More est un vrai col­lège chré­tien », dit son ami Erasme. Le chan­ce­lier vou­lait faire de son fils et de ses trois filles, non point des pédants, mais des per­sonnes ornées de tout ce qui pou­vait rele­ver leurs charmes et leur ver­tu. Il les pous­sait dès lors à cul­tiver divers talents et à étu­dier, avec les lettres, la musique, le des­sin, la pein­ture, les sciences natu­relles, les langues mortes et même un peu de droit.

La retraite de Chelsea res­sem­blait à un monas­tère. Matin et soir on y priait en com­mun. Les jours de dimanches et de fêtes, tous les membres de la famille assis­taient ensemble à la grand’messe et aux Vêpres.

Le père avait com­po­sé à l’usage de ses enfants des médi­ta­tions chré­tiennes toutes rem­plies de la moelle des Ecritures. En un mot, il ne négli­geait rien de ce qui contri­buait à leur sanctification.

On s’employait, en outre, à toutes sortes de tra­vaux utiles. La vie était loin de paraître aus­tère : le grave chan­ce­lier était tou­jours d’humeur joyeuse, nul ne l’égalait comme conteur ou comme cau­seur. « Il eût fait rire un cha­meau », dit gaie­ment Erasme.

Humaniste et apologiste.

L’activité lit­té­raire de More se par­tage en deux périodes bien dis­tinctes ; dans la pre­mière c’est sur­tout l’humaniste qui se révèle ; il y paraît dilet­tante à la manière de son ami Erasme. Ses pre­mières œuvres remontent aux années d’Oxford et de Lincoln’s Inn ; ce sont de petits poèmes anglais ou latins, tan­tôt pieux, tan­tôt sati­riques. Puis viennent la tra­duc­tion en anglais d’une Vie de Pic de La Mirandole, com­po­sée en latin, à laquelle il ajoute un long poème d’édification ; une Vie du roi Richard III ; la traduc­tion latine, en col­la­bo­ra­tion avec Erasme, de plu­sieurs dia­logues de l’auteur grec Lucien et une col­lec­tion d’épigrammes latines. En 1516 paraît l’Utopie. Dans cet ouvrage, More ou Morus (selon une mode de l’époque qui consis­tait pour les écri­vains à lati­ni­ser leurs noms) cri­tique la socié­té de son temps et ima­gine une île loin­taine où une orga­ni­sa­tion idéale démo­cra­tique serait appliquée.

Les évé­ne­ments reli­gieux d’Europe don­nèrent une autre direc­tion aux tra­vaux lit­té­raires de Thomas More ; il se jeta dans la mêlée pour défendre la foi et l’Eglise.

En 1523, Henri VIII, répon­dant aux écrits de Luther, se posait en défen­seur de l’orthodoxie. Luther ayant répli­qué par un gros­sier libelle, More fut char­gé de conti­nuer la contro­verse ; sous le pseu­donyme de Guillaume Rosseus, il reproche au réfor­ma­teur alle­mand d’opposer son juge­ment pri­vé à celui de l’Eglise tout entière. Puis viennent ses grands ouvrages contre les héré­tiques anglais par­ti­sans de Luther : tout ce que les angli­cans attaquent, fêtes, jeûnes, céré­monies, Crucifix, images des Saints, messe consi­dé­rée comme sacri­fice expia­toire, prières pour les défunts, confes­sion, péni­tence, Eucharistie, céli­bat ecclé­sias­tique, trouve en lui un remar­quable défen­seur. Il réfute une à une les affir­ma­tions des enne­mis de la foi catho­lique par des argu­ments de bon sens plu­tôt que par des rai­son­ne­ments abs­traits ; il traite de la pra­tique de la reli­gion et non de pro­blèmes théo­lo­giques ; il ne conteste pas les abus, mais il estime qu’on peut les faire ces­ser en appli­quant les règles et non en sup­pri­mant toute règle.

Quant à l’autorité et l’infaillibilité de l’Eglise et à la supré­ma­tie pon­ti­fi­cale, il les déclare d’institution divine et c’est pour elles qu’il don­ne­ra sa vie.

La disgrâce.

Cependant, la situa­tion reli­gieuse se modi­fiait rapi­de­ment en Angleterre. Henri VIII, qui son­geait à divor­cer, c’est-à-dire à répu­dier Catherine d’Aragon, sa femme, pour épou­ser Anne Boleyn, dési­rait avoir l’appui du chan­ce­lier ; dès le mois de sep­tembre 1527, il sol­li­ci­ta son avis. Thomas More, allé­guant son insuffi­sance théo­lo­gique, évi­ta de se pro­non­cer tant que les doc­teurs réunis pour étu­dier ce cas de conscience n’auraient rien décidé.

Toutefois, pres­sé par les ins­tances d’Henri VIII, il pro­mit d’étu­dier en secret la ques­tion, consul­ta, en effet, les écrits des Pères et des théo­lo­giens, et, convain­cu de l’illusion dans laquelle vivait le monarque, il lui expo­sa libre­ment sa pen­sée. Sans paraître reti­rer au grand chan­ce­lier sa confiance, le roi mit tout en œuvre pour l’amener à ses vues. Ses efforts furent vains, et More, voyant ses conseils mécon­nus, se retran­cha dans le silence et refu­sa de se mêler à cette scan­da­leuse affaire.

Le 11 février 1531, le Parlement accorde au roi le titre de chef suprême de l’Eglise d’Angleterre « dans la mesure où la loi du Christ le per­met ». Le chan­ce­lier offre alors sa démis­sion, qui n’est pas accep­tée. L’année sui­vante, Henri VIII obtient du Parlement de nou­veaux pou­voirs sur le cler­gé ; la rup­ture avec Rome est immi­nente. More aban­donne ses fonc­tions le 16 mai 1532. Il reporte alors toute son acti­vi­té d’un autre côté et pour­suit sa contro­verse avec les héré­tiques anglais.

Premières tracasseries. — Captivité.

Ne pou­vant gagner à leur cause cet homme intègre, le roi et la nou­velle reine, Anne Boleyn, cher­chèrent à le perdre.

Il fal­lait un pré­texte pour l’emprisonner. Une reli­gieuse, sur­nommée « la sainte fille de Kent », avait pro­phé­ti­sé, au sujet du nou­veau mariage illé­gi­time du roi, et annon­cé la mort du souve­rain à brève échéance ; on accu­sa de crime de lèse-​majesté tous ceux qui, ayant eu connais­sance de ces pré­ten­dues pro­phé­ties, ne les avaient pas dévoilées.

Thomas More fut com­pris sans preuve par­mi les pré­ve­nus, et, en consé­quence, rayé de la liste des membres du Parlement. Pour­suivi pour haute tra­hi­son devant la Chambre des Lords au début de 1534, il refu­sa d’approuver le divorce du roi et de reje­ter l’auto­rité du Pape, Mais la popu­la­ri­té de More était si grande et son inno­cence si évi­dente que les pour­suites furent momen­ta­né­ment aban­don­nées. Au mois de mars sui­vant, le Parlement décla­ra seuls légi­times et héri­tiers du trône les enfants d’Anne Boleyn, et le 13 avril, Thomas More, seul par­mi les laïques, fut som­mé d’apposer sa signa­ture au bas de cet « acte de suc­ces­sion ». Il refu­sa ; quatre jours après, il était enfer­mé à la Tour de Londres, pri­son d’Etat.

En entrant dans la chambre qui devait lui ser­vir de lieu de déten­tion, More ne put s’empêcher de pous­ser un sou­pir de sou­lagement à la vue d’un encrier et d’une plume oubliés là comme par mégarde. C’était pour lui une for­tune ines­pé­rée, mais le geô­lier se hâta de l’en pri­ver. Par bon­heur, quelques char­bons avaient été lais­sés dans un coin de la che­mi­née ; après les avoir émous­sés contre la muraille, il s’en ser­vit en guise de crayons. Il put ain­si écrire un dia­logue sur les tri­bu­la­tions et les dan­gers devant l’apostasie, des prières, des médi­ta­tions, un trai­té sur la Passion de Notre-​Seigneur et un frag­ment démon­trant qu’ « il ne faut pas fuir la mort pour la foi ». Il se plai­sait à répé­ter cette devise : « Ne rien faire contre la conscience et rire jusqu’à l’échafaud inclusivement. »

Sa fille aînée, Marguerite, obtint la per­mis­sion de le visi­ter dans son cachot. Le roi comp­tait, par son entre­mise, cor­rompre enfin le cœur du père, et en réa­li­té il ne pou­vait employer d’argument plus irré­sis­tible que celui des larmes et des bai­sers de son enfant. Pourtant, le chré­tien y résista.

Un jour, Marguerite, entrant dans la chambre du pri­son­nier, s’écria d’une voix triomphante :

— Jurez, mon père. L’évêque de Rochester (Jean Fisher, ami intime de More) a prê­té serment.

— Taisez-​vous, ma fille, dit More, cela n’est pas possible.

— C’est le chan­ce­lier qui vient de me le dire…

— Sortez, cria Thomas More indi­gné, sor­tez, vous êtes folle !

A son tour, sa femme Alice vint le sup­plier, mais ce fut en pure perte.

— A Chelsea, dit-​elle, vous aviez une petite mai­son, une biblio­thèque, un jar­din frui­tier, un par­terre, et toutes les dou­ceurs de la vie. Au nom du Seigneur, com­ment pouvez-​vous res­ter ici ?

— Ma chère femme, répondit-​il, ce cachot n’est-il pas aus­si près du ciel que Chelsea ?

Puis il ajouta :

— Combien pensez-​vous qu’il me reste de temps à vivre ?

— Au moins vingt ans.

— Vraiment ? Quand vous m’auriez dit cent, je m’entends trop en affaires pour ris­quer l’éternité au prix d’un siècle.

Derniers jours de saint Thomas More.

Au mois de novembre 1534, allant plus loin qu’en 1531, le Par­lement avait décré­té le roi chef suprême de l’Eglise d’Angleterre et décla­ré cou­pable de haute tra­hi­son qui­conque dési­re­rait « mali­cieusement » le pri­ver de ce titre. Le 30 avril 1535, l’ex-chancelier fut tra­duit devant le Conseil pri­vé et som­mé d’exprimer son opi­nion sur cet « acte de supré­ma­tie ». More répon­dit qu’il ne s’occupait plus des choses de ce monde et se bor­nait à médi­ter sur la Passion du Christ et sur sa propre mort. Le 3 juin, puis le 14, nou­veaux inter­ro­ga­toires. Thomas More refu­sa de répondre. Enfin, le 1er juillet il est conduit devant un nou­veau tri­bu­nal. Il allait à pied, escor­té comme un voleur de grand che­min, les épaules cou­vertes d’un man­teau en lam­beaux. Son corps amai­gri et voû­té, ses jambes flé­chissantes, le bâton sur lequel il était obli­gé de s’appuyer, disaient assez com­bien il avait souf­fert durant sa longue captivité.

L’accusation, longue, enche­vê­trée, confuse, concluait au crime de lèse-​majesté et récla­mait la peine de mort. L’ancien chan­ce­lier, qui, jusqu’à ce moment, était demeu­ré silen­cieux, prit alors la parole pour condam­ner avec force la supré­ma­tie d’un sou­ve­rain tem­po­rel sur l’Eglise. Il écou­ta impas­sible la lec­ture du verdict :

Sir Thomas sera conduit à la Tour, et, de la Tour, il sera traî­né sur une claie au gibet de Tyburn, pen­du, déta­ché à demi mort de la potence ; ses entrailles seront jetées au feu, et ensuite son corps, par­ta­gé en quatre tron­çons, sera expo­sé aux portes de la ville de Londres et sa tête appen­due au centre du pont de la Cité.

Aux der­niers mots, il eut un léger sou­rire et mur­mu­ra : « Bien. » Comme on le recon­dui­sait en pri­son, sa fille Marguerite, se frayant un pas­sage à tra­vers la foule et la haie de hal­le­bar­diers, se pré­ci­pite aux pieds de son père, et, d’une voix entre­cou­pée de san­glots, s’écrie : « Mon père ! Mon père ! » Le condam­né, les mains éten­dues comme pour la bénir, regar­dait le ciel sans pou­voir pro­non­cer une parole ; puis il la pres­sa lon­gue­ment dans ses bras : « Ma bonne fille, mon enfant, dit-​il, je te bénis ; je suis inno­cent et je vais mou­rir : que la volon­té de Dieu soit faite ! » Il fal­lut user de vio­lence pour les séparer.

Saint Thomas More, sor­tant du tri­bu­nal où il a été condam­né, ren­contre sa fille et la bénit

More pas­sa quatre jours encore dans sa pri­son. La veille de l’exécution, il écri­vit, à l’aide d’un mor­ceau de char­bon, de tou­chants adieux à sa famille.

Le supplice. — Le culte.

Le 6 juillet, on lui annon­ça que l’heure suprême était arri­vée, et que le roi, eu égard aux grandes charges qu’il avait rem­plies dans l’Etat, avait com­mué la pre­mière peine en celle de la déca­pi­ta­tion. Le condam­né remercia.

Vers les 9 heures du matin, les portes de la Tour s’ouvrirent, et More, tenant à la main un grand Crucifix, tout absor­bé en Dieu, mar­cha d’un pas ferme vers le lieu du supplice.

Arrivé au pied de l’échafaud : « Donne-​moi le bras pour mon­ter, dit-​il à l’un des valets du bour­reau, je n’importunerai per­sonne pour descendre. »

On lui avait défen­du de haran­guer la foule. Aussi ne dit-​il que ces simples mots : « Priez pour moi, mes frères. Je déclare que je meurs fidèle au roi, et dans la foi et pour la foi de l’Eglise catholique. »

Il se mit à genoux, réci­ta le Miserere, puis embras­sa le bour­reau qui, selon la cou­tume, lui deman­dait de lui par­don­ner, et il lui don­na une pièce d’or. « Courage, lui dit-​il. Tu vas me rendre aujourd’hui le plus grand ser­vice que je puisse rece­voir. Observe seule­ment que j’ai le cou un peu court : tâche de t’en tirer à ton honneur. »

Il se ban­da lui-​même les yeux, pla­ça sa tête sur le billot, ran­geant sa barbe pour qu’elle ne fût pas cou­pée, « car, dit-​il encore en sou­riant, elle, du moins, n’a pas com­mis le crime de haute tra­hi­son ! » Un ins­tant après, la tête tom­bait sous le coup de la hache. Placée au bout d’une perche, elle fut expo­sée sur le Tower Bridge.

Marguerite obtint le chef du mar­tyr, le gar­da avec amour, et, sur le point de mou­rir, deman­da à être ense­ve­lie avec cette relique si pré­cieuse pour elle. Le corps de Thomas More fut dépo­sé dans la cha­pelle de Saint-​Pierre, à la Tour de Londres.

Cette exé­cu­tion pro­vo­qua une vive indi­gna­tion à tra­vers la chré­tienté et le récit en fut tra­duit dans toutes les langues de l’Europe.

Grégoire XIII per­mit de rendre des hon­neurs publics à cet héroïque défen­seur de la foi. Le 29 décembre 1886, Léon XIII con­firma et encou­ra­gea le culte de cinquante-​quatre mar­tyrs d’Angle­terre. A leur tête figu­raient Jean Fisher, cardinal-​évêque de Rochester, et Thomas More. Les causes de ces deux mar­tyrs ayant été reprises à part le 17 juin 1930, ils ont été cano­ni­sés par Pie XI le 19 mai 1935. Une cha­pelle dédiée au Saint Sacrement et un couvent confié aux reli­gieuses de l’Adoration Réparatrice occupent l’empla­cement de la pro­prié­té de saint Thomas More, à Chelsea.

C. Octavien.

Sources consul­tées. — Robert E. Noble, Life and times of Blessed Thomas More (Londres). — P. Janelle, Le bien­heu­reux Thomas More, dans Dictionnaire de théo­lo­gie catho­lique de Vacant et Mangenot, t. X (Paris, 1929). — (V. S. B. P., n° 1243.)