Saint Irénée

Saint Irénée, vitrail par Lucien Bégule dans l'église Saint-Irénée à Lyon

Évêque de Lyon et mar­tyr (130?-208).

Fête le 3 juillet.

Chaque fois que l’hérésie a vou­lu se mesu­rer avec l’Eglise, elle a tou­jours trou­vé de rudes adver­saires pour lui bar­rer le che­min, et ces cham­pions de l’Eglise étaient tou­jours des géants. Contre l’arianisme, un saint Athanase s’est dres­sé ; contre le péla­gia­nisme, un saint Augustin.

Saint Irénée a tenu un rôle iden­tique à une époque par­ti­cu­liè­re­ment déli­cate, celle des ori­gines chré­tiennes ; il eut à lut­ter, ain­si que nous le ver­rons, contre un ensemble d’erreurs qu’on appe­lait la « Gnose ». Contre elle l’évêque de Lyon, dont le nom signi­fie le Pacifique, sou­tint de longs et savants com­bats, qui l’ont fait sur­nom­mer par l’antiquité chré­tienne « la hache de l’hérésie », ou encore, ain­si que dit Tertullien, « le curieux explo­ra­teur de toutes les doc­trines » en même temps que « l’homme de la tradition ».

D’un autre point de vue, saint Irénée occupe une place capi­tale, car son œuvre est comme l’anneau d’or par lequel la doc­trine des Pères rejoint l’esprit de l’Evangile. Il fut, en effet, le dis­ciple le plus aver­ti de saint Polycarpe, lui-​même dis­ciple de saint Jean, le confi­dent le plus intime des pen­sées du Sauveur. Il a donc encore dans l’oreille les tout der­niers échos de l’Evangile prê­ché par Jésus.

Pour ce motif, il a été consi­dé­ré comme pou­vant prendre rang par­mi les « Pères apos­to­liques » ; expres­sion qui, enten­due dans un sens large, com­prend les écri­vains des pre­miers âges, contem­po­rains des apôtres ou qui ont pu connaître quelqu’un d’entre eux.

Saint Irénée à l’école de saint Polycarpe.

On peut situer la nais­sance d’Irénée autour de l’année 130, à Smyrne ou dans cette région. Par une lettre que lui-​même adres­sait à un de ses amis, du nom de Florin, nous savons qu’il fut dis­ciple de saint Polycarpe :

Mon cher Florin, lui disait-​il, je vous vis en Asie Mineure, je n’étais alors qu’un enfant. Vous viviez dans la demeure de Polycarpe ; il vous don­nait le spec­tacle de ses grandes et héroïques actions. Toutes les cir­cons­tances de cette période de ma vie, la plus recu­lée pour­tant, se sont gra­vées dans ma mémoire beau­coup mieux que les évé­ne­ments plus récents. Je pour­rais mar­quer du doigt le lieu où le bien­heu­reux Polycarpe s’asseyait pour s’entretenir avec ses dis­ciples : je crois voir encore sa démarche, son air véné­rable, les traits de son visage qui reflé­taient si bien la pure­té de sa vie. Il me semble l’entendre, quand il par­lait à l’assemblée ; il racon­tait en quelle douce inti­mi­té il avait vécu avec Jean et avec les autres qui avaient vu le Seigneur. Il citait leurs paroles et tout ce que ceux-​ci lui avaient appris du divin Maître, de ses miracles et de sa doc­trine. Avec quelle ardeur, je recueillais ces tra­di­tions augustes, dont il plut à la bon­té divine d’ouvrir pour moi le tré­sor. Je les fixais, non sur un par­che­min qui s’efface, mais au plus pro­fond de mon cœur, et je les repasse conti­nuel­le­ment dans mon esprit.

Par ce docu­ment de pre­mière valeur, nous voyons com­ment Irénée relie les temps des apôtres aux siècles sui­vants, et nous aper­ce­vons avec évi­dence le prin­cipe fon­da­men­tal de l’orthodoxie catho­lique, qui est de res­ter fidèle d’une manière invio­lable au dépôt de la révé­la­tion. L’œuvre d’Irénée marque donc une date consi­dé­rable dans l’Eglise et la Tradition.

Saint Irénée dans les Gaules.

Irénée se trou­vait à Rome lorsque saint Polycarpe subit à Smyrne, en 155, le der­nier sup­plice pour la foi de Jésus-​Christ. Ce saint évêque, avant de mou­rir, vou­lant don­ner à la terre des Gaules qu’il aimait spé­cia­le­ment, un gage de sa sol­li­ci­tude, déta­cha de son entou­rage une pieuse colo­nie de mis­sion­naires qu’il envoya à la conquête spi­ri­tuelle de notre patrie : c’étaient Pothin, Irénée, Bénigne et d’autres encore, non moins dignes de leur noble mis­sion ; Pothin, en com­pa­gnie d’Irénée, se fixa à Lyon, où il éta­blit son siège épiscopal.

L’archéologie est d’accord avec la tra­di­tion pour attes­ter l’origine orien­tale des chré­tien­tés du Rhône. De même, elle atteste que c’est par la val­lée du Rhône qu’a com­men­cé l’évangélisation de la Gaule.

Lyon était alors la capi­tale de la Gaule romaine. Sur les deux rives de la Saône, s’étendait le quar­tier des Asiatiques, qui étaient venus en cette région pour y faire du com­merce. Beaucoup d’entre eux sui­vaient la reli­gion du Christ et ils se pres­saient volon­tiers autour de leurs mis­sion­naires, orien­taux comme eux, leur deman­dant, au milieu de l’universelle anar­chie, des doc­trines, un idéal de ver­tu et de pure­té. Mais la loi romaine était très sévère pour les chré­tiens ; leur situa­tion était réglée par un res­crit de Trajan, datant de 111 à 113, et qui leur inter­di­sait de faire pro­fes­sion de leur foi. De ce fait, la per­sé­cu­tion, éteinte depuis quelques années, se ral­lu­ma avec plus de vio­lence que jamais. Les pri­sons regor­gèrent de fidèles, le sang cou­la à tor­rents, il y eut à Lyon tout un peuple de mar­tyrs. Saint Pothin lui-​même, vieillard plus que nona­gé­naire, fut mas­sa­cré par la foule ido­lâtre (177). Irénée échap­pa on ne sait com­ment à la rage des persécuteurs.

Le messager des martyrs.

Au moment où l’hérésie gnos­tique vint aggra­ver le péril de la mal­heu­reuse Église de Lyon, du fond de leur cachot où ils étaient rete­nus, quarante-​huit confes­seurs de la foi réso­lurent dans cette extré­mi­té de s’adresser au Pape saint Eleuthère, comme au Père com­mun de la chré­tien­té, afin de lui deman­der, à pro­pos des erreurs qui venaient de s’élever par­mi eux, ce qu’ils avaient à croire et à pratiquer.

Pour trans­mettre leur mes­sage au chef suprême des fidèles, ils vou­lurent choi­sir le prêtre le plus dis­tin­gué de l’Eglise lyon­naise, celui, par consé­quent, dont la pré­sence eût été le plus néces­saire durant cette affreuse tour­mente qui avait empor­té déjà Pothin, leur guide et leur pilote. Ce prêtre était Irénée. Mais la pru­dence la plus mer­veilleuse avait dic­té leur choix aux confes­seurs de Jésus-​Christ, car s’ils pri­vaient leur Église de la pré­sence d’un vaillant défen­seur, c’était pour que le Pape leur ren­dît, en la per­sonne d’Irénée, un second et digne évêque.

Celui-​ci refu­sa d’abord cette mis­sion : s’éloigner de Lyon, n’était ce point aban­don­ner l’espoir si cher à son âme de trou­ver le mar­tyre avec ses frères ? Mais les saints confes­seurs exi­gèrent à tout prix ce sacri­fice, et, après une vive résis­tance, Irénée dut se rendre à leurs prières. En consé­quence, il prit le che­min de la Ville Eternelle, por­teur d’une lettre pour le Souverain Pontife, qui finis­sait par ces mots élogieux :

Cette épître vous sera remise par notre frère et col­lègue Irénée, qui a cédé à nos ins­tances en accep­tant ce mes­sage. Nous vous sup­plions de l’accueillir comme un apôtre zélé du tes­ta­ment de Jésus-​Christ et nous vous le recom­man­dons à ce titre.

Le vœu des confes­seurs s’accomplit, car Irénée, pen­dant son séjour à Rome, reçut la consé­cra­tion épis­co­pale de la main d’Eleuthère. Le Pape lui remit éga­le­ment une réponse adres­sée à toutes les Églises qui com­bat­taient pour la foi du Christ dans les Gaules. Après avoir heu­reu­se­ment conclu les affaires qui avaient moti­vé son voyage, Irénée se mit à recher­cher dili­gem­ment les céré­mo­nies, cou­tumes et tra­di­tions que les princes des apôtres, saint Pierre et saint Paul, avaient ensei­gné à l’Eglise romaine et qui, depuis, s’y étaient conser­vées avec fidé­li­té. Son des­sein était de les implan­ter ensuite dans l’Eglise lyon­naise. Après une année pas­sée dans ces tra­vaux, il revint dans les Gaules s’asseoir sur le siège épis­co­pal d’où les satel­lites avaient arra­ché le véné­rable Pothin pour le traî­ner au tri­bu­nal païen.

On connaît les noms de quarante-​huit vaillants qui, à la même époque que saint Pothin, subirent le mar­tyre. Il convient d’ajouter à leur liste les saints Marcel et Valérien (178), qui ver­sèrent leur sang pour Jésus-​Christ, l’un à Chalon-​sur-​Saône, l’autre à Tournus, à 30 kilo­mètres de Mâcon, et enfin saint Symphorien, dont s’honore la ville d’Autun (180). Mais leur nombre est beau­coup plus grand, puisque saint Eucher les appelle « un peuple de martyrs ».

Saint Irénée bénit et encou­rage ceux qui vont subir le martyre

La lutte contre les hérésies.

La « Gnose » était, au iie siècle de notre ère, un peu ce qu’était au début du xxe, par­mi les gens d’une ins­truc­tion moyenne, plus éten­due que solide, le « scien­tisme », cette ido­lâ­trie du pro­grès qui pré­tend rem­pla­cer la reli­gion et la morale. Les gnos­tiques se pré­oc­cu­paient d’avoir une reli­gion scien­ti­fique – le mot grec gno­sis signi­fie connais­sance – qui, en soi, n’a rien de blâ­mable ; mais leur sub­ti­li­té leur avait fait ima­gi­ner les trou­vailles les plus invrai­sem­blables. D’après Valentin, l’un de leurs maîtres, la créa­tion s’explique par trois choses : la matière, le « Démiurge », auteur de ce monde impar­fait, et le « Sauveur », char­gé de répa­rer l’œuvre man­quée du Démiurge. A ces pré­ten­dus dogmes les gnos­tiques ajoutent celui de « l’émanation », et pré­tendent faire sor­tir toutes choses du sein d’un Dieu suprême, être inef­fable et irré­vé­lé ; c’est le Père ou « abîme », uni de toute éter­ni­té à sa com­pagne, la « Solitude silen­cieuse ». De leur union naît « l’Intellect » qui épouse « Vérité », les­quels engendrent à leur tour « Verbe et Vie » dont sont issus enfin « Homme » et « Église ». Ce sont les huit « Eons » de « l’Ogdoade ». D’autres couples s’unissent qui, au nombre de quinze, consti­tuent le « Plérome », c’est-à-dire la socié­té par­faite des « êtres inef­fables » … Le reste est à l’avenant, et consti­tue la plus bizarre des lignées où les hommes se rangent en trois caté­go­ries, les « hyliques » ou maté­riels, les « psy­chiques » ou ani­més, et les « pneu­ma­tiques » ou spirituels.

Telles étaient les idées qui venaient d’être impor­tées sur les rives de la Saône et du Rhône ; en fait, la Gnose opé­rait de ter­ribles ravages dans la com­mu­nau­té chrétienne.

Irénée pou­vait sou­rire de tant d’extravagances, mais il mesu­rait aus­si l’immense por­tée du péril cou­ru par la foi des simples, sub­mer­gés et séduits par tant de subtilités.

C’est alors qu’il com­po­sa son Livre contre les héré­sies, admi­rable trai­té en cinq par­ties, écrit en langue grecque.

L’auteur aver­tit modes­te­ment le lec­teur que celui-​ci ne doit pas recher­cher dans son trai­té des agré­ments lit­té­raires, ce que ne lui per­mettent ni son tra­vail de mis­sion­naire par­mi les Gaulois, ni son manque d’habileté dans les arti­fices du lan­gage. Cependant, on voit qu’Irénée connais­sait les poètes et les phi­lo­sophes de l’antiquité.

Contre des adver­saires très dan­ge­reux, l’auteur emploie toutes les res­sources de la dia­lec­tique la plus vigou­reuse. Il expose d’abord toute nue l’hérésie gnos­tique, et son expo­sé sou­vent iro­nique est déjà une réfu­ta­tion. « Lorsqu’une bête mal­fai­sante, dit-​il, est cachée dans une forêt, celui qui la pour­suit éclair­cit le four­ré, de façon à lais­ser voir la bête elle-​même. » Puis il éta­blit un dilemme, ou rai­son­ne­ment, offrant deux solu­tions contra­dic­toires : Ou votre Plérome contient tout, comme son nom l’indique, et alors, pour­quoi en excluez-​vous le monde visible ? ou il ne contient pas tout, et alors, pour­quoi le nommez-​vous le Plérome ? Puis il les pour­chasse dans leurs plus bizarres sinuo­si­tés, sans leur per­mettre de souffler.

C’est un sujet de joie et de fier­té pour le chré­tien de trou­ver à une date si recu­lée, sous la plume d’Irénée, nos propres croyances expri­mées avec une net­te­té par­faite, par exemple, dans le pas­sage suivant :

L’Eglise de Jésus-​Christ, répan­due par toute la terre, jusqu’aux extré­mi­tés du monde, a reçu des mains des Apôtres et de leurs dis­ciples le dépôt de la foi qu’elle pro­fesse. Elle consiste à croire en un seul Dieu, Père tout-​puissant, qui a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qui s’y trouve conte­nu ; en un seul Jésus-​Christ, Fils de Dieu, qui s’est fait homme pour notre salut, et au Saint-​Esprit qui, par la bouche des Prophètes, a prê­ché les des­seins de Dieu, pour les temps à venir ; l’avènement de Jésus-​Christ dans sa chair, sa nais­sance au sein d’une Vierge, ses souf­frances et sa mort, sa résur­rec­tion, son ascen­sion dans le ciel où ce bien-​aimé Fils de Dieu, son Père, pour res­sus­ci­ter tous les hommes, et rendre à cha­cun selon ses œuvres ; afin qu’en pré­sence de Jésus-​Christ, Seigneur, Dieu, Sauveur et Roi, tout genou flé­chisse dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, ain­si qu’il est ordon­né par Dieu son Père, que toute langue le confesse et lui rende l’hommage qui lui est dû. Nous croyons que les esprits de malice, les anges rebelles, que les impies, les méchants, les hommes qui se sont aban­don­nés à l’iniquité, au blas­phème, seront châ­tiés par le sup­plice du feu qui ne s’éteindra jamais ; et que les ser­vi­teurs de Dieu, tous ceux qui, soit dès le com­men­ce­ment, soit après avoir fait péni­tence de leurs péchés, auront per­sé­vé­ré dans l’observation de ses com­man­de­ments, seront récom­pen­sés par le don d’une vie éter­nelle, incor­rup­tible, au sein d’une immor­telle gloire.

Irénée pré­cise net­te­ment le rôle de la Très Sainte Vierge dans l’œuvre de la Rédemption :

Comme Eve, ayant un mari, mais étant encore vierge, fut par sa déso­béis­sance cause de mort pour elle-​même et pour l’humanité entière, ain­si Marie, ayant, elle aus­si, un époux pré­des­ti­né et étant cepen­dant vierge elle aus­si, devint, par son obéis­sance, pour elle et pour toute l’humanité, une cause de salut.

Il écrit encore sur le même sujet :

Comme Eve se lais­sa séduire par le dis­cours d’un ange et aban­don­na Dieu en trans­gres­sant sa parole, ain­si Marie reçut de la bouche d’un ange la joyeuse nou­velle qu’elle por­te­rait Dieu, en obéis­sant à sa parole. Et si la pre­mière fut déso­béis­sante à Dieu, la seconde se lais­sa per­sua­der de lui obéir, afin que la Vierge Marie devînt l’avocate de la vierge Eve. Et comme le genre humain fut enchaî­né à la mort par une vierge, c’est par une Vierge aus­si qu’il est sau­vé, puisque la balance est en équi­libre, la déso­béis­sance d’une vierge com­pen­sée par l’obéissance de la Vierge.

On admire aus­si dans ce trai­té la clar­té avec laquelle il parle du prin­ci­pat suprême et du magis­tère infaillible du Souverain Pontife. Aussi, un témoi­gnage si écla­tant de la croyance des pre­miers siècles à ce dogme arrachait-​il à un pro­fes­seur pro­tes­tant cet aveu : « Si les livres d’Irénée sont authen­tiques, il faut tous nous faire catho­liques romains. »

Au temps de sa jeu­nesse, le futur évêque de Lyon avait eu pour maître saint Papias, évêque d’Hiérapolis, qui pro­fes­sait l’opinion mil­lé­na­riste, selon laquelle le Messie devait reve­nir un jour sur la terre et y régner cor­po­rel­le­ment pen­dant un mil­lier d’années. Irénée sui­vit, il est vrai, sur ce point, les idées de son maître. Mais il convient de rap­pe­ler qu’à cette époque le mil­lé­na­risme était une opi­nion qui pou­vait être encore libre­ment dis­cu­tée ; ce n’est qu’au ve siècle que saint Augustin lui don­ne­ra le coup de grâce, en offrant une inter­pré­ta­tion exacte de l’Apocalypse sur lequel le mil­lé­na­risme pré­ten­dait s’appuyer.

La Pâque. – Les « quartodécimans ».

A la fin du iie siècle, une grave ques­tion conti­nuait de divi­ser le monde catho­lique : quelques Églises d’Orient et plu­sieurs per­son­nages per­sis­taient à célé­brer la fête de Pâques le qua­tor­zième jour du mois de nisan, qui com­men­çait avec la pre­mière lune de mars, c’est-à-dire à la date même où le Sauveur la célé­bra, sui­vant l’ancienne loi et la cou­tume per­sis­tante des Juifs ; de l’autre côté, le Pape saint Victor, comme l’avait fait son pré­dé­ces­seur saint Anicet vers l’an 154, com­man­da, vers l’an 191, de la célé­brer le pre­mier dimanche qui sui­vait le 14 nisan, c’est-à-dire le jour où Notre-​Seigneur était res­sus­ci­té, et cela afin de se confor­mer à ren­sei­gne­ment de saint Pierre et non plus à l’usage judaïque.

La contro­verse fut extrê­me­ment vive, puisque le Pape décla­ra excom­mu­nier les « quar­to­dé­ci­mans » ou par­ti­sans du « 14 », c’est-à-dire sur­tout les Églises d’Asie. Irénée inter­vint près de saint Victor, et l’on peut croire que son geste eut un résul­tat heu­reux car, soit que le Pontife eût rap­por­té son décret, soit qu’il n’insistât plus sur la sanc­tion, quelques Églises main­tinrent l’ancienne date du 14 nisan, et l’usage n’en fut com­plè­te­ment abo­li que par le concile de Nicée en 325. Il n’en reste pas moins qu’à la fin du iie siècle l’autorité de l’évêque de Rome n’est contes­tée par per­sonne, alors même que ses déci­sions sont jugées trop sévères, voire inop­por­tunes. La démarche res­pec­tueuse et pres­sante de l’évêque de Lyon confirme le fait his­to­rique de la supré­ma­tie pon­ti­fi­cale dès les pre­miers âges.

Propagation de la foi.

Lyon a tou­jours été un centre d’apostolat, et nous voyons saint Irénée y com­men­cer l’œuvre des Missions étran­gères ; il for­mait, en effet, des dis­ciples qui, avec le titre « d’évêques des nations », allaient prê­cher l’Evangile par toute la Gaule, sans déli­mi­ta­tion de peuple ni de diocèse.

Aussi, n’avons-nous aucune peine à admettre le bien fon­dé des récits bour­gui­gnons du vie siècle qui rat­tachent à saint Irénée, de la façon la plus for­melle, l’évangélisation de Langres et de Dijon par saint Bénigne, celle de Besançon par le prêtre Ferréol et le diacre Ferjeux, celle de Saulieu par les saints Andoche et Tyr, celle de Valence par les saints Félix, Achillée et Fortunat.

L. Cristiani.

C’est pour ce motif que la Franche-​Comté a tou­jours spé­cia­le­ment hono­ré le nom d’Irénée, en qui elle vénère le père spi­ri­tuel des saints Ferréol et Ferjeux.

L’avertissement céleste.

Cependant, l’heure de la récom­pense appro­chait. L’empereur romain Septime Sévère, infor­mé de l’influence immense exer­cée à Lyon par Irénée, fît cer­ner la ville par les gla­dia­teurs les plus cruels, avec le mot d’ordre d’égorger qui­conque refu­se­rait de sacri­fier aux dieux. Irénée fut aver­ti par un ange du dan­ger qu’il cou­rait. L’évêque répon­dit à ce mes­sage par une prière qui nous a été ain­si transmise :

Seigneur Jésus-​Christ, lumière éter­nelle, splen­deur de la jus­tice, source et prin­cipe de pié­té, je vous rends grâce d’avoir dai­gné me réjouir et me conso­ler par le minis­tère de votre ange. Donnez à ce peuple, qui est le vôtre, la constance qui empê­che­ra qu’aucun ne défaille dans la confes­sion de votre nom ; sou­te­nus par votre force, qu’ils obtiennent dans un noble triomphe le prix annon­cé par vos saintes pro­messes, et qu’ils trouvent, en mou­rant, la gloire de l’immortalité.

Après cette prière, Irénée s’occupa à for­ti­fier ses frères dans le Christ.

On peut admettre avec Paul Allard que Septime Sévère, l’auteur du violent édit de 202, ait fait exé­cu­ter les chré­tiens ren­con­trés sur sa route quand il repas­sa à Lyon vers 208. Le Martyrologe hié­ro­ny­mien signale au 28 juin de cette année la mort, à Lyon, de l’évêque Irénée avec six autres.

L. Cristiani.

D’après une ancienne ins­crip­tion qu’on voit à Lyon, au fron­ton de l’église qui porte le nom du Saint, le nombre glo­bal des mar­tyrs d’alors est éva­lué à dix-​neuf mille hommes sans comp­ter les femmes et les enfants. Le Martyrologe dit que saint Irénée reçut la glo­rieuse « cou­ronne du mar­tyre avec presque tout le peuple chré­tien de la cité » épiscopale.

Les reliques du dis­ciple de saint Pothin et de saint Polycarpe furent conser­vées à Lyon dans un cha­pelle sou­ter­raine de l’église Saint-​Irénée, sur la mon­tagne de Fourvière, jusqu’à l’an 1562, époque où les hugue­nots, pro­fa­nant cette auguste tombe, les dis­per­sèrent. Le crâne, jeté sur la voie publique par ces misé­rables, fut recueilli par des mains pieuses qui le dépo­sèrent dans l’église pri­ma­tiale de Saint-​Jean, où on le vénère encore.

Le culte.

La fête de saint Irénée, évêque de Lyon, était célé­brée solen­nel­le­ment par de nom­breux dio­cèses de France, sur­tout par ceux du Midi. Les anciens dio­cèses de Lodève et d’Agde, pour n’en citer que deux, avaient éle­vé cette fête au rite double. Le calen­drier des cha­noines de Saint-​Ruf, près Avignon, asso­ciait le 28 juin, au nom de saint Irénée, le sou­ve­nir de ses compagnons.

Les coptes honorent ce Saint le 18 juin ; les grecs-​ruthènes le 23 août. Dans le calen­drier romain approu­vé en 1913, sa fête, dépla­cée du 28 juin, en rai­son de la vigile des saints Pierre et Paul, est repor­tée au 9 juillet. 

Benoit XV l’a intro­duite en 1922 dans la litur­gie de l’Eglise uni­ver­selle, en main­te­nant la date du 28 juin. [Note de LPL : La fête est fixée au 3 juillet dans le mis­sel de Jean XXIII].

A.Poirson.

Sources consul­tées – L. Cristiani, Saint Irénée (Paris, 1928). – E. Lacoste, Les Papes à tra­vers les âges, t. Ier (Paris). – O. Bardenhewer, Les Pères de l’Eglise (Paris, 1899). – Mgr Freppel, Les Pères de l’Eglise des trois pre­miers siècles (Paris, 1894). – (V. S. B. P., n° 229.)

Source de l’ar­ticle : Un saint pour chaque jour du mois, Juin, La Bonne Presse, 1932