Saint Jean de Capistran

Saint Jean de Capistran, par un maître anonyme, cc. 1480-1485

De l’ordre des Frères Mineurs (1385–1456)

Fête le 28 mars

A la fin du XIVe siècle, l’Eglise tra­ver­sait l’une des plus effroyables tem­pêtes qui l’assaillirent depuis son ori­gine. Le schisme déchi­rait la chré­tien­té et offrait au monde conster­né le lamen­table spec­tacle d’un Pape et d’un anti­pape se dis­pu­tant la tiare et se lan­çant l’anathème. L’hérésie enva­his­sait l’Europe. En Angle­terre, sous les coups de Wiclef, les dogmes, la morale, les ins­ti­tu­tions catho­liques s’écroulaient ; en Allemagne, Jean Huss arbo­rait à son tour l’étendard de la révolte et don­nait le signal de l’anarchie reli­gieuse et poli­tique ; en France, ces doc­trines de folle indé­pen­dance à l’égard du Saint-​Siège, dont Philippe le Bel et ses légistes avaient semé le germe fatal, com­men­çaient à se déve­lop­per. Le sen­sua­lisme, le luxe et l’immoralité s’infiltraient de plus en plus dans les masses ; et tan­dis que rois et peuples s’énervaient dans la volup­té ou s’épui­saient dans de sté­riles dis­cordes, les Turcs, fran­chis­sant les fron­tières de l’Asie, mar­chaient à l’assaut de l’Occident. Nulle part n’ap­paraissait le salut ; le monde chré­tien sem­blait pen­cher vers sa ruine, et la civi­li­sa­tion aurait dis­pa­ru avec lui.

Mais Jésus-​Christ, qui a pro­mis d’être avec son Eglise jusqu’à la fin des siècles, ne l’abandonna pas. Il vint à son secours de plu­sieurs manières mer­veilleuses, mais sur­tout en sus­ci­tant des Saints admi­rables dont l’un des plus éton­nants fut Jean de Capistran. Homme extra­or­di­naire, enri­chi de dons divers, semant les miracles sur ses pas, d’un zèle, d’une aus­té­ri­té, d’une ver­tu incom­pa­rables, il appa­rut dans le monde, comme un nou­veau saint Paul.

Magistrat chrétien

Cependant, ses pre­mières années ne lais­sèrent pas devi­ner l’apostolique mis­sion que Dieu lui réser­vait. Jean était né à Capistrano, petite ville du royaume de Naples, le 24 juin 1385 ; il était fils d’un gen­til­homme fran­çais, qui avait sui­vi en Italie le roi Louis d’Anjou, et avait épou­sé à Capistrano une per­sonne éga­le­ment noble, et d’une rare pié­té. Il était jeune encore quand il per­dit son père, mais sa ver­tueuse mère veilla sur son éducation.

Ses pre­mières études, dans son pays natal, firent conce­voir à ses maîtres de grandes espé­rances. Le jeune homme, envoyé ensuite à Pérouse, s’y livra pen­dant plus de dix ans à l’étude du droit civil et ecclé­sias­tique. Les plus brillants suc­cès signa­lèrent ses efforts ; il mon­tra une telle capa­ci­té, un juge­ment si sûr, que ses condis­ciples le consi­dé­raient comme le prince des juris­con­sultes, et ses maîtres eux-​mêmes ne dédai­gnaient pas de recou­rir à ses lumières, dans les ques­tions les plus épi­neuses. Enfin, il comp­ta par­mi ses admi­ra­teurs et ses amis Ladislas, roi de Naples, qui s’estima heu­reux de l’appeler aux plus hautes fonc­tions de la magis­tra­ture. Le brillant juris­con­sulte avait à peine vingt-​sept ans, lorsque le prince, confiant dans ses ver­tu et sa pru­dence, le nom­ma, vers 1412, gou­ver­neur de Pérouse. Il s’agissait de paci­fier la cité agi­tée par divers troubles. Jean se mon­tra à la hau­teur de cette mis­sion dif­fi­cile. Les pauvres eurent en lui un sou­tien, les gens de bien un pro­tec­teur, les hommes de désordre un juge sévère. Sous son auto­ri­té, la pro­vince entière recou­vra la plus grande sécurité.

Le bri­gan­dage dis­pa­rut, les crimes dimi­nuèrent, les lois furent res­pec­tées. Rien ne pou­vait le faire tran­si­ger avec l’injustice. Un jour, un puis­sant sei­gneur de la contrée lui pro­mit une somme con­sidérable, pour obte­nir de lui une sen­tence de mort contre un de ses enne­mis, et le mena­ça du poi­gnard s’il ne cédait à sa demande. Jean, indi­gné des pré­ten­tions de cet homme, exa­mi­na immé­dia­te­ment l’affaire avec tout le soin pos­sible, et, ayant recon­nu l’innocence de l’accusé, il le ren­voya libre, sans se sou­cier des menaces dont il pou­vait lui-​même deve­nir la victime.

En captivité

Tout sou­riait au jeune gou­ver­neur ; il était uni­ver­sel­le­ment esti­mé des gens de bien ; des rêves d’ambition et de gloire rem­plis­saient déjà son cœur ; un des plus riches sei­gneurs de Pérouse lui offrit sa fille unique en mariage ; et pour­tant l’heure était venue où Dieu, par un de ces coups impré­vus qui fou­droient et changent les âmes, allait faire res­plen­dir à ses yeux les aus­tères beau­tés du renon­ce­ment au monde, du dénue­ment évan­gé­lique et de l’u­nique amour de Dieu.

C’était en 1416 Ladislas était mort, et Jean repré­sen­tait à Pérouse la reine de Naples, Jeanne II, qui avait suc­cé­dé à ce prince. La guerre écla­ta alors entre les Pérugins et les sei­gneurs de Rimini : ses conci­toyens le dépu­tèrent pour réta­blir la paix. Saisi par tra­hi­son, il fut enfer­mé dans une tour, les pieds char­gés de fers énormes qui pesaient quarante-​deux livres. On n’accordait au pri­son­nier, pour toute nour­ri­ture, qu’un peu de pain et d’eau. Dans une si grande infor­tune, Jean son­geait au moyen d’échapper à la mort. S’étant aper­çu que la hau­teur de la tour n’était pas consi­dé­rable, il déchire sa cein­ture et un mor­ceau de son vête­ment en longues lanières, en fabrique une espèce de corde, qu’il fixe à la fenêtre, et essaye de des­cendre le long de la muraille, mal­gré ses chaînes qui gênent ses mou­ve­ments. Mais la corde impro­vi­sée se rompt bien­tôt, le fugi­tif tombe à terre et se casse le pied. Le bruit de sa chute, aug­menté par le cli­que­tis de ses chaînes, attire l’attention des gardes ; ils accourent, s’emparent de lui, et le jettent bru­ta­le­ment dans un cachot sou­ter­rain. Il y était dans l’eau jusqu’aux genoux ; une chaîne pas­sée autour de son cou le liait à la muraille et l’obligeait a se tenir tou­jours debout.

Vocation extraordinaire

Pendant cette dure cap­ti­vi­té, il se prit à réflé­chir pro­fon­dé­ment sur le néant des biens et des hon­neurs ter­restres, sur la mort et sur l’éternité. Un jour qu’épuisé de fatigue, il s’était endor­mi, un bruit sou­dain vient le tirer de son som­meil. La pri­son s’illumine tout à coup d’une clar­té céleste, et un Frère Mineur, qui por­tait les stig­mates de Jésus-​Christ, lui apparaît :

– Pourquoi ces hési­ta­tions et ces retards ? lui dit-​il ; obéis aux ordres de Dieu et à la voix inté­rieure qu’il te fait entendre.

– Que demande donc de moi le Seigneur, répon­dit Jean, et que veut-​il que je fasse ?

– Ne vois-​tu pas, répon­dit le moine, qui n’était autre que saint François d’Assise, ne vois-​tu pas l’habit que je porte ? Abandonne le monde pour te sanc­ti­fier désor­mais par­mi les Frères Mineurs.

– Il est dur de vivre dans un cloître et d’abdiquer pour tou­jours sa liber­té, répon­dit Jean avec un pro­fond sou­pir… Cependant, reprit-​il, puisque Dieu l’ordonne, j’obéirai.

A ces mots, la vision dis­pa­rut, et le pri­son­nier, por­tant la main à sa tête, sen­tit que ses che­veux étaient cou­pés en forme de cou­ronne, comme une ton­sure de moine.

Devant ce miracle, cer­tain de la volon­té de Dieu, il ne son­gea plus qu’à embras­ser promp­te­ment la vie religieuse.

Il se mit à négo­cier avec ses enne­mis pour recou­vrer sa liber­té ; on la lui accor­da au prix d’une énorme ran­çon. Jean accep­ta, ren­tra dans son palais, ven­dit ses biens, paya sa ran­çon, don­na le reste aux pauvres, et, renon­çant aux joies du mariage, aux hon­neurs, aux espé­rances du monde, il vint se pré­sen­ter au couvent des Francis­cains de la Stricte Observance, à Bergame, où il deman­da humble­ment l’habit de Saint-​François. Un ancien doc­teur en droit, deve­nu un aus­tère et saint reli­gieux, le bien­heu­reux Marc de Bergame, était alors Gardien de ce couvent. Cette voca­tion subite et extra­or­di­naire l’étonna, et il vou­lut la mettre à l’épreuve :

– Sachez, dit-​il au nou­veau pos­tu­lant, que les cou­vents ne sont point le refuge des vaga­bonds et de qui­conque est fati­gué du siècle ; il nous faut des preuves de la sin­cé­ri­té de votre voca­tion. Je vous rece­vrai quand vous aurez dit solen­nel­le­ment adieu au monde et à toute vani­té terrestre.

Jean décla­ra qu’il ne tenait plus à rien, qu’il était prêt à tous les sacri­fices et à toutes les humiliations.

En effet, il revient à Pérouse, et au milieu de cette ville, témoin naguère de son pou­voir et de ses splen­deurs, il se fait conduire à tra­vers les rues, mon­té à rebours sur un âne et la tête coif­fée d’une mitre de car­ton, sur laquelle sont écrits en gros carac­tères les prin­cipaux péchés de sa vie.

Ainsi, cet homme, naguère esti­mé de tous pour sa science et sa pru­dence, devient la fable de la ville entière et l’objet de la risée publique ; les enfants le pour­suivent lui jetant des pierres, et la popu­lace l’accueille par des huées ; les plus sages s’attristent de voir que l’ancien gou­ver­neur est deve­nu fou.

Après une pareille vic­toire sur son orgueil, Jean vient de nou­veau se pré­sen­ter au couvent de Bergame. Cette fois, le bien­heu­reux Marc, pré­voyant tout ce que la grâce de Dieu pour­rait faire d’un carac­tère si bien trem­pé, l’admet avec joie au nombre des Frères et le revêt de l’habit reli­gieux. C’était en 1416 le 4 octobre, en la fête du patriarche d’Assise ; Jean avait alors trente ans.

Son apprentissage de la vie religieuse

Marc lui don­na pour maître des novices un simple Frère convers, Onuphre de Seggiano, homme sans lit­té­ra­ture, mais d’une pru­dence et d’une ver­tu extra­or­di­naires. Fr. Jean de Capistran se mit sous sa direc­tion avec l’humilité et la sim­pli­ci­té d’un enfant, avec l’énergie et l’exactitude d’un vieux sol­dat. D’une obéis­sance à toute épreuve, il était aus­si plein de dévoue­ment pour ses Frères, assi­du à la prière et à l’oraison. La médi­ta­tion quo­ti­dienne de la Passion du Sauveur rem­plis­sait de force son âme, et il lui en fal­lait beau­coup pour sup­por­ter avec joie les épreuves jour­na­lières que lui impo­sait Fr. Onuphre : c’était tou­jours de nou­velles répri­mandes et de nou­velles péni­tences, tan­tôt de dîner à genoux, tan­tôt de rece­voir la dis­ci­pline, ou de jeû­ner au pain et à l’eau.

Jean conser­va toute sa vie la plus vive affec­tion et la plus pro­fonde recon­nais­sance pour ce maître aus­tère, qui l’avait fait mar­cher à si grands pas dans les voies de la per­fec­tion monas­tique. Il se plai­sait à répéter :

– Je rends grâces au Seigneur de m’avoir don­né un tel guide : s’il n’eût usé envers moi de pareilles rigueurs, jamais je n’aurais pu acqué­rir l’humilité et la patience.

Il infli­geait à son corps des aus­té­ri­tés inouïes et pra­ti­quait des péni­tences qui font fré­mir, et qu’on ne sau­rait sup­por­ter long­temps sans un secours spé­cial de Dieu.

Quand il s’agissait de vaincre les répu­gnances et les révoltes de la nature, il n’était pas de moyens et de tour­ments que n’inventât le pieux novice ; sa per­sé­vé­rance lui per­mit de conqué­rir un empire com­plet sur ses sens. On raconte qu’un jour, il vint à pas­ser près du lieu où l’on exé­cu­tait les scé­lé­rats. Un cadavre était sus­pen­du à une potence. En aper­ce­vant ce corps qui déjà tom­bait en pour­ri­ture, en sen­tant l’odeur infecte qui s’en exha­lait, le voya­geur, dans un pre­mier mou­ve­ment, hâta le pas et se cou­vrit le visage ; mais il eut honte de sa fai­blesse, et se rap­pe­lant les exemples de saint François qui embras­sait les lépreux, il vou­lut rem­por­ter sur lui une écla­tante vic­toire. Il s’approche de la potence, sai­sit une échelle qui y était appuyée, monte jusqu’au cadavre, le baise et le tient long­temps ser­ré entre ses bras. Alors Dieu lui témoigne com­bien il est content de son cou­rage en chan­geant sou­dain l’odeur insup­por­table du cadavre en un par­fum délicieux.

Saint Jean de Capistran et le pendu.

Jean ne se démen­tit jamais de l’obéissance et de l’humilité de son novi­ciat, qu’il ter­mi­na par la pro­fes­sion, le 5 octobre 1417. Plus tard, alors qu’il est deve­nu nonce du Pape et véné­ré de toute l’Europe comme un Saint, on le ver­ra encore recher­cher dans son couvent les plus humbles offices, balayer les cel­lules et laver la vaisselle.

Par son habi­tude du recueille­ment et de la médi­ta­tion, il arri­va à une telle union avec Dieu et à une telle faci­li­té de contem­pla­tion, que, par la suite, ni les sol­li­ci­tudes de l’apostolat, ni les fatigues des voyages, ni le tra­cas des affaires, ni le tumulte des foules, ne l’empê­chaient de vaquer à ses prières avec la plus fidèle atten­tion et la plus vive dévo­tion. Pour lui, la nature entière devint comme un voile trans­pa­rent der­rière lequel se cachait le Seigneur, un ins­tru­ment aux mer­veilleux accords dont toutes les notes exal­taient les per­fec­tions de l’essence divine, un radieux tableau où le Très-​Haut avait semé quelques reflets de sa puis­sance, de sa sagesse, de sa bonté.

Apostolat merveilleux

Appliqué à l’étude de la théo­lo­gie, il fut l’élève de saint Bernardin de Sienne et le condis­ciple de saint Jacques de la Marche, l’un et l’autre Frères Mineurs comme lui ; ses pro­grès dans cette science furent admi­rables, autant par les illu­mi­na­tions inté­rieures que par les efforts de son appli­ca­tion. Ordonné diacre vers l’an 1420 et ensuite éle­vé au sacer­doce, il com­men­ça sa car­rière de mis­sion­naire sous la direc­tion de son maître véné­ré saint Bernardin de Sienne.

Pendant trente-​six ans, il évan­gé­li­sa l’Europe cen­trale ; les fruits de son apos­to­lat furent pro­di­gieux et incalculables.

A son arri­vée dans une pro­vince – dit son dis­ciple Nicolas de Fara, – les bour­gades et les cités s’ébranlaient et accou­raient en foule pour l’entendre. Les villes l’ap­pe­laient soit par des lettres pres­santes, soit par des dépu­ta­tions, soit en recou­rant à l’intervention du Souverain Pontife par l’intermédiaire de per­son­nages puis­sants. Il annon­çait à tous le royaume de Dieu, non avec des paroles dic­tées par l’humaine sagesse, mais par la ver­tu de l’Esprit-Saint, et le Seigneur confir­mait sa mis­sion par des pro­diges. La renom­mée de sa sain­te­té l’avait ren­du célèbre auprès de tous les peuples d’Italie ; les habi­tants d’Aquila, de Sienne, d’Arezzo, de Florence, de Venise, de Padoue, de Trévise, de Vicence, de Vérone, de Mantoue, de Milan, le véné­raient et le ché­ris­saient au delà de tout ce qu’on peut ima­gi­ner. Les peuples de ces villes et ceux de la Sicile étaient si dési­reux de le voir et de l’entendre, que ceux qui accou­raient à ses pré­di­ca­tions rem­plis­saient les places publiques et sou­vent une plaine très éten­due. On comp­ta à ses ser­mons jusqu’à vingt mille audi­teurs, quel­que­fois qua­rante mille ; en cer­taines cir­cons­tances, on en vit plus de cent mille.

Tous l’écoutaient comme un ange venu du ciel ; et on com­prend l’enthousiasme de la mul­ti­tude, quand on songe aux nom­breux miracles qu’il accom­plis­sait chaque jour.

A son arri­vée à Brescia, trois cents gen­tils­hommes des meilleures familles vinrent au-​devant de lui à che­val. Toute la ville les sui­vait à pied. Fr. Jean prê­cha dans la plaine, du haut d’une estrade gar­dée par des cava­liers aux épe­rons d’or. A la suite de son ser­mon, il don­na l’habit fran­cis­cain à cin­quante sol­dats qu’il avait convertis.

A l’exemple de son maître saint Bernardin, il avait un culte spé­cial pour le saint Nom de Jésus. Il fai­sait por­ter devant lui une ban­nière sur laquelle était écrit ce nom vic­to­rieux, dont il ne ces­sait de prê­cher les gloires.

Digne du fils du patriarche d’Assise, Jean de Capistran, comme plu­sieurs de ses frères en reli­gion, tra­vailla avec zèle à la réforme et à l’extension de l’Ordre de Saint-​François. Un grand nombre de cou­vents s’étaient relâ­chés de l’austérité pri­mi­tive, en par­ti­cu­lier dans la pra­tique de la pau­vre­té com­mune. Avec l’appui du Pape Martin V. il réus­sit momen­ta­né­ment, en 1430, à rame­ner l’Ordre tout entier à l’u­ni­té de l’observance ; mais devant l’expérience des faits, il dut sol­li­ci­ter lui-​même du Pape Eugène IV la per­mis­sion de lais­ser les Conventuels suivre leurs règle­ments miti­gés et d’organiser un gou­vernement dis­tinct pour les reli­gieux de la Stricte Observance. Il pro­tégea sainte Colette, réfor­ma­trice des Clarisses et éten­dit son zèle à la pro­pa­ga­tion du Tiers-​Ordre fran­cis­cain. Une des joies de sa vie fut, en 1450, la cano­ni­sa­tion de saint Bernardin, à laquelle il avait effica­cement travaillé.

Nommé aux pre­mières charges de son Ordre, il visi­ta les cou­vents de France, d’Angleterre, d’Espagne et ceux de Terre Sainte. En Palestine, il s’occupa avec zèle de la conver­sion des Arméniens et revint avec leurs dépu­tés au Concile de Florence.

En 1451 le Pape Nicolas V, inquiet des pro­grès de l’hérésie, envoie l’infatigable mis­sion­naire en Allemagne. Jean de Capistran s’em­presse d’obéir. Pendant cinq ans il évan­gé­lise la Carinthie, la Styrie, l’Autriche, la Bohême, la Moravie, la Silésie, la Bavière, la Saxe, la Thuringe, la Franconie et la Pologne. L’enthousiasme qui lui ame­nait pré­cé­dem­ment les peuples d’Italie sou­lève éga­le­ment les peuples du Nord ; des mil­liers d’auditeurs se pressent pour l’entendre. Il ramène à Dieu une immense mul­ti­tude de pécheurs, de schisma­tiques, d’hérétiques : Hussites, Taborites ou Patarins ; dans les villes, il fait amon­ce­ler sur les places publiques les parures immo­destes, les tableaux déshon­nêtes, les cartes à jouer et tout un atti­rail de vani­té et y fait mettre le feu ; c’est l’incendie du châ­teau du diable. A sa voix, cent vingt étu­diants de l’Université de Leipzig embrassent la vie reli­gieuse ; il réunit deux cents novices au couvent de Vienne, cent trente dans celui de Cracovie, et ain­si dans les autres villes.

La victoire de Belgrade

Fr. Jean entre ensuite en Hongrie et les popu­la­tions s’ébranlèrent à sa parole. Il était temps, car une for­mi­dable armée de Turcs, sou­tenue sur le Danube par une flotte puis­sante, mar­chait contre Bel­grade, mena­çant tout l’Occident de la ser­vi­tude musul­mane. Jean de Capistran prêche la Croisade. Les guer­riers chré­tiens accourent sous les dra­peaux du valeu­reux Jean Huniade, vrai croi­sé, digne de Godefroy de Bouillon et de saint Louis. Cependant, le sul­tan Maho­met II inves­tit Belgrade le 4 juillet 1456 et en pousse le siège avec acti­vi­té. Le saint moine, mal­gré ses soixante-​dix ans, encou­rage les assié­gés ; quit­tant la ville au milieu de périls, il vole cher­cher du secours. Bientôt, il revient avec Huniade, à la tête d’une flot­tille de barques rapides et légères ; la flotte musul­mane est vain­cue et les guer­riers de la croix entrent dans Belgrade. Mahomet II, furieux, fait don­ner l’assaut à la place par toutes ses troupes ; il est repous­sé avec perte. Mais chaque jour, les Turcs reviennent à la charge, avec un achar­ne­ment incroyable, et bom­bardent conti­nuel­le­ment la ville. Jean de Capistran, assis­té de quelques-​uns de ses reli­gieux, est sans cesse au milieu des croi­sés, mul­ti­pliant les secours reli­gieux et soute­nant le cou­rage de tous. Mais après onze jours de com­bat, les rem­parts mena­çaient ruine, et la grande tour, fen­due en deux, chance­lait. Le vaillant Huniade fut lui-​même désespéré :

– Mon père, dit-​il à Capistran, nous sommes vain­cus ; j’ai fait ce que j’ai pu, mais la résis­tance n’est plus pos­sible, les sei­gneurs de Hongrie ne viennent pas, et demain notre armée de pay­sans ne pour­ra sou­te­nir le choc.

– Ne crai­gnez pas, dit le moine, nous défen­dons la cause de Dieu, il sera avec nous !

Capistran choi­sit quatre mille des plus braves, les exhorte au cou­rage jusqu’à la mort, et leur fait pro­mettre de mar­cher avec lui en invo­quant le nom de Jésus. Le len­de­main, au plus fort de la mêlée, Fr. Jean, tenant à la main son éten­dard, sur lequel brille le nom de Jésus, s’élance à la tête de ses braves eu criant :

– Victoire ! Jésus ! Victoire !

Les infi­dèles sont repous­sés, leurs cadavres jonchent les fos­sés. Capistran les pour­suit jusque dans leur camp. En vain, Mahomet II les reforme en bataille ; ses hordes enfon­cées lâchent pied de toutes parts, insen­sibles aux pro­messes et aux menaces. Le sul­tan lui-​même, dan­ge­reu­se­ment bles­sé, et sur le point d’être fait pri­son­nier, est empor­té par ses sol­dats. La déroute est complète.

Cette vic­toire rem­plit d’allégresse le cœur du Pape Calixte III et eut une réper­cus­sion pro­fonde chez tous les chré­tiens d’Occident.

Sa mort

L’héroïque Frère Mineur, épui­sé par tant de fatigues, mou­rut trois mois après, le 23 octobre 1456, au couvent d’Ilok en Hongrie, aujourd’hui en Yougoslavie, et alla jouir de son triomphe dans l’éter­nité bien­heu­reuse. Son corps, inhu­mé à Ilok, dis­pa­rut en 1526 lorsque les Turcs se furent empa­rés de cette ville ; il se trouve aujour­d’hui dans un monas­tère des Basiliens schis­ma­tiques, à Bistrica, en Roumanie ; le voya­geur n’est pas peu éton­né d’y voir des chré­tiens dis­si­dents véné­rer les restes d’un fils si dévoué de Rome et du Pape.

Dès l’année 1515 Léon X auto­ri­sa la ville de Capistrano à rendre un culte public à Jean, qui, béa­ti­fié en 1694, fut cano­ni­sé par Alexandre VIII le 16 octobre 1690 en même temps que quatre autres Saints dont saint Pascal Baylon, éga­le­ment Frère Mineur. Sa fête, fixée d’abord au 23 octobre, est célé­brée le 28 mars, en ver­tu d’un décret de Léon XIII du 19 août 1890.

Maxime Viallet.

Sources consul­tées. – Mgr Paul Guérin, Les Petits Bollandistes (Paris). – L’Aurore séra­phique. – (V. S. B. P., n° 568.)

Source de l’ar­ticle : Un saint pour chaque jour du mois, 1re série, mars, Maison de la Bonne Presse

Les quatre pan­neaux laté­raux repré­sentent des scènes de la vie du saint [dans le sens inverse des aiguilles d’une montre] : dans le pan­neau supé­rieur gauche, la Sainte Messe célé­brée sur le champ de bataille en pré­sence des croi­sés ; en des­sous, la bataille de Belgrade, où les croi­sés ont com­bat­tu les Turcs ; dans le pan­neau supé­rieur droit, un ser­mon pro­non­cé par St. Jean à L’Aquila, au cours duquel des per­sonnes pos­sé­dées ont été gué­ries. à l’arrière-​plan, la cathé­drale Saint-​Maximus, telle qu’elle appa­rais­sait avant le trem­ble­ment de terre catas­tro­phique de 1703 qui l’a presque entiè­re­ment détruite. dans le pan­neau infé­rieur droit, la mort du saint.