Saint Grégoire de Nazianze

Homélies de Grégoire de Nazianze, Codex grec, XIIe s.

Archevêque de Constantinople et doc­teur de l’Église (328?-390).

Fête le 9 mai.

Version courte

La mère de saint Grégoire dut la nais­sance de ce fils à ses prières et à ses larmes. Elle se char­gea elle-​même de sa pre­mière édu­ca­tion et lui apprit à lire, à com­prendre et à aimer les Saintes Écritures. L’enfant devint digne de sa sainte mère, et demeu­ra pur au milieu des séductions.

« Un jour, raconte-​t-​il lui-​même, j’a­per­çus près de moi deux vierges d’une majes­té sur­hu­maine. On aurait dit deux soeurs. La sim­pli­ci­té et la modes­tie de leurs vête­ments, plus blancs que la neige, fai­saient toute leur parure. A leur vue, je tres­saillis d’un trans­port céleste. « Nous sommes la Tempérance et la Chasteté, me dirent-​elles ; nous sié­geons auprès du Christ-​Roi. Donne-​toi tout à nous, cher fils, accepte notre joug, nous t’in­tro­dui­rons un jour dans les splen­deurs de l’im­mor­telle Trinité. » La voie de Grégoire était tra­cée : il la sui­vit sans fai­blir toute sa vie.

Il s’embarqua pour Athènes, afin de com­plé­ter ses études. Dieu mit sur le che­min de Grégoire, dans la ville des arts antiques, une âme grande comme la sienne, saint Basile. Qui dira la beau­té et la force de cette ami­tié, dont le but unique était la ver­tu ! « Nous ne connais­sions que deux che­mins, raconte Grégoire, celui de l’é­glise et celui des écoles. » La ver­tu s’ac­corde bien avec la science ; par­tout où l’on vou­lait par­ler de deux jeunes gens accom­plis, on nom­mait Basile et Grégoire.

Revenus dans leur patrie, ils se conser­vèrent tou­jours cette affec­tion pure et dévouée qui avait sau­ve­gar­dé leur jeu­nesse, et qui désor­mais for­ti­fie­ra leur âge mûr et conso­le­ra leur vieillesse. Rien de plus suave, de plus édi­fiant que la cor­res­pon­dance de ces deux grands hommes, frères d’a­bord dans l’é­tude, puis dans la soli­tude de la vie monas­tique et enfin dans les luttes de l’épiscopat.

A la mort de son père, qui était deve­nu évêque de Nazianze, Grégoire lui suc­cède ; mais, au bout de deux ans, son amour de la soli­tude l’emporte, et il va se réfu­gier dans un monas­tère. Bientôt on le réclame pour le siège patriar­cal de Constantinople. Il résiste : « Jusqu’à quand, lui dit-​on, préférerez-​vous votre repos au bien de l’Église ? » Grégoire est ému ; il craint de résis­ter à la Volonté divine et se dirige vers la capi­tale de l’empire, dont il devient le patriarche légi­time. Là, sa man­sué­tude triomphe des plus endur­cis, il fait l’ad­mi­ra­tion de ses enne­mis, et il mérite, avec le nom de Père de son peuple, le nom glo­rieux de Théologien, que l’Église a consa­cré. Avant de mou­rir, Grégoire se reti­ra à Nazianze, où sa vie s’a­che­va dans la pra­tique de l’o­rai­son, du jeûne et du travail.

Source : Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Saint Grégoire de Nazianze fut le fruit des pleurs et des humbles prières de sainte Nonna, sa mère, qui habi­tait à Arianze ou près d’Arianze, en Cappadoce.

« Seigneur, donnez-​moi un fils, redi­sait sans cesse la pieuse femme, afin que je puisse le consa­crer au ser­vice de vos autels. » Une nuit, vers l’an 328 ou 329, elle s’endort tout en larmes, en répé­tant son orai­son habi­tuelle. Un enfant d’une céleste beau­té lui appa­raît alors. Tandis qu’elle le contemple avec amour, ces paroles reten­tissent : « Voici le fils que le ciel t’accorde ; nomme-​le Grégoire, car telle est la volon­té d’en haut. »

Dans sa joie d’être mère d’un ministre de Jésus-​Christ, Nonna oublia les dou­leurs de l’enfantement. A peine avait-​elle reçu dans ses bras le petit être que, joyeuse, elle l’offrit au Sauveur.

Sa pié­té lui valut de nou­velles grâces. Dans la suite, elle don­na le jour à deux autres Saints : un fils, nom­mé Césaire, et, une fille, Gorgonia. A son époux, qui lui aus­si por­tait le nom de Grégoire, et qui vivait dans le paga­nisme, elle méri­ta la grâce de la conver­sion. Après quatre ans de per­sé­vé­rance dans les ver­tus chré­tiennes, Grégoire fut éle­vé, par ses conci­toyens, de la digni­té de pre­mier magis­trat de Nazianze à celle de pas­teur et d’évêque. Nonna est hono­rée dans l’Eglise à la date du 5 août.

L’éducation au foyer domestique. – Chastes fiançailles.

L’innocence de ses enfants était pour sainte Nonna le tré­sor le plus cher. Aussi, ne voulut-​elle confier à per­sonne le soin de leur pre­mière édu­ca­tion. Elle-​même leur apprit à lire dans la Bible ; leur fai­sant com­prendre et aimer les ensei­gne­ments de ce livre divin.

Dans une terre bien pré­pa­rée, le grain de fro­ment rend le cen­tuple. Les exemples de Nonna avaient tout spé­cia­le­ment dis­po­sé Grégoire à la ver­tu. Aussi, les dons divins fructifièrent-​ils heureu­sement dans son âme. Malgré sa jeu­nesse, il fuyait les jeux, les fes­tins et la socié­té des femmes, afin de pou­voir se livrer plus long­temps à la médi­ta­tion et à l’étude. Toujours, il redou­tait de tom­ber dans le péché. Il mar­chait devant le Seigneur avec crainte et trem­blement. Son inno­cence lui valut cepen­dant les faveurs d’en haut.

Un jour, raconte-​t-​il lui-​même, j’aperçus près de moi deux vierges d’une majes­té sur­hu­maine. On aurait dit deux sœurs. La sim­pli­ci­té et la modes­tie de leurs vête­ments, plus blancs que la neige, fai­saient toute leur parure. A leur vue, je tres­saillis d’un trans­port céleste. Mais com­ment rendre ce qui se pas­sa en moi, quand elles vinrent me cou­vrir de bai­sers ! « Nous sommes la tem­pé­rance et la chas­te­té, me dirent-​elles. Nous sié­geons auprès du Christ-​Roi. Donne-​toi tout à nous, cher fils ; accepte notre joug ! Nous t’introduirons un jour dans les splen­deurs de l’immortelle Trinité ! »

Saint Grégoire encou­ra­gé par la tem­pé­rance et la chasteté.

La tempête apaisée.

Grégoire fut fidèle aux deux aus­tères com­pagnes que le ciel lui don­nait. Aussi put-​il se livrer tout entier à l’étude. Sa science se déve­lop­pa à l’égale de sa pié­té. Après quelques années, les maîtres de Nazianze, de Césarée de Cappadoce, puis de Césarée de Palestine, et enfin d’Alexandrie, n’eurent plus rien à lui apprendre. Il s’em­barqua donc pour Athènes, la métro­pole des lettres et des arts.

Le démon, cepen­dant, ne voyait pas sans ter­reur Grégoire avan­cer dans les connais­sances divines et humaines. Il devi­nait en lui un adver­saire ter­rible pour l’avenir. Pour se mettre à l’abri de toute défaite, Satan vou­lut se débar­ras­ser de son enne­mi pen­dant la tra­versée : tout à coup, il obs­cur­cit le ciel, excite les vents, sou­lève les flots. Le navire qui porte le jeune homme est assailli par une furieuse tem­pête. « La neu­vième plaie d’Egypte ne fut pas plus ter­rible », dit un contem­po­rain. Passagers et mate­lots, tous pleu­raient la vie et les biens d’ici-bas, que le nau­frage allait leur enle­ver. Seul, Grégoire déplo­rait le mal­heur de son âme : selon un usage du temps, il n’avait pas encore reçu le bap­tême ; il allait donc trou­ver la mort dans les eaux, avant que d’y pui­ser le salut comme tous les chré­tiens. « Seigneur, répétait-​il en san­glo­tant, si vous nous sau­vez, si je puis être bap­ti­sé, je ne vivrai plus que pour vous. »

Cependant, dans un songe mys­té­rieux, sainte Nonna a vu le dan­ger de son fils. Elle aus­si se jette à genoux ; elle rap­pelle au Seigneur les pro­messes qu’elle en a reçues en faveur de Grégoire. Comment l’offrira-t-elle au ser­vice des autels si la mer l’engloutit avant même qu’il soit deve­nu membre vivant de l’Eglise ?

De sa demeure de Nazianze, la pieuse femme fai­sait plus que les mate­lots qui lut­taient contre l’ouragan. En effet, un des ser­vi­teurs qui accom­pa­gnaient Grégoire s’écria : « Je vois Nonna, ma maî­tresse, mar­cher sur les eaux et gui­der le vais­seau vers le port. » Pour confir­mer ces paroles, la tem­pête s’apaisa sur-​le-​champ ; tous les païens pré­sents embras­sèrent la foi du Christ.

Un ami sincère et un faux ami.

Le monde est plus à craindre encore que l’Océan en cour­roux. Ce fut dans le bap­tême, reçu vers l’an 360, et les sacre­ments que Grégoire alla cher­cher la force d’échapper aux périls qui l’atten­daient à Athènes ; pour l’aider encore dans la lutte, Dieu lui fit ren­con­trer un jeune homme des­ti­né aus­si à de grandes choses : c’était saint Basile, d’un ou deux ans plus jeune que lui.

Ces deux âmes, si dignes l’une de l’autre, s’unirent bien­tôt par les liens d’une affec­tion immor­telle. Les nou­veaux amis se communi­quaient leurs pen­sées les plus intimes, le désir qu’ils avaient éga­lement de la per­fec­tion chré­tienne. Ils demeu­raient ensemble dans une stu­dieuse retraite, par­ta­geant leur temps entre des prières et des tra­vaux communs.

Marchant en tête dans la voie de la per­fec­tion, les deux amis tenaient aus­si la pre­mière place dans la car­rière des sciences et des lettres à tel point que, par­tout où l’on par­lait d’Athènes et de ses maîtres habiles, on citait Basile et Grégoire. Il y avait alors un autre étu­diant, appe­lé à deve­nir tris­te­ment célèbre sous le nom de Julien l’Apostat ; sa com­pa­gnie était évi­tée avec soin par les deux amis.

Cependant, ceux-​ci avaient par­cou­ru tout le cycle des études. Ils allaient quit­ter Athènes et se sépa­rer l’un de l’autre. Toute la ville s’en émut. Professeurs et élèves les entou­raient, en les conju­rant de res­ter encore. Basile, inexo­rable, s’arracha à tant de regrets. Grégoire, tou­jours doux et humble, ne sut pas résis­ter. Il accep­ta une chaire d’éloquence. Cependant, tous les deux se reti­rèrent quelque temps aux bords de l’Iris, où ils s’essayèrent à la vie monas­tique. En 361, Grégoire se déro­ba sans bruit à ses dis­ciples, pour aller rejoindre sa famille à Nazianze.

Saint Grégoire à Nazianze, puis de nouveau dans la solitude

C’était l’amour filial qui lui avait dic­té cette réso­lu­tion. Son père, acca­blé de vieillesse, ne pou­vait plus suf­fire au gou­ver­ne­ment de son Eglise. Il avait récla­mé le secours et l’appui de Grégoire.

Celui-​ci, tout en vaquant à ses nou­veaux devoirs, enga­gea contre sa chair une lutte ardente et per­sé­vé­rante. La terre nue lui ser­vait de lit. Le jeûne était sa nour­ri­ture habituelle.

Grégoire pui­sait l’énergie d’une telle mor­ti­fi­ca­tion dans la prière et la médi­ta­tion. Aussi, tout en rem­plis­sant auprès du vieil évêque de Nazianze les fonc­tions de secré­taire et de major­dome, il gémis­sait d’avoir à lais­ser l’oraison pour gou­ver­ner, disait-​il, les ser­vi­teurs de son père ten­tés d’abuser de la faci­li­té des bons maîtres, pour déjouer les fraudes des agents du fisc, ou sou­te­nir en jus­tice la cause des plaideurs.

D’Athènes, saint Basile était pas­sé dans les soli­tudes de la région du Pont, et y vivait en ana­cho­rète. Connaissant l’attrait de Grégoire pour le silence, le calme et la médi­ta­tion, il essayait de l’attirer en lui dépei­gnant en termes heu­reux sa vie toute de prière et de travail.

Il n’en fal­lait pas tant pour déci­der Grégoire qui bien­tôt vint rejoindre Basile au désert. Plus tard, lan­cé au milieu des agi­ta­tions du monde, il évo­quait en sou­pi­rant cette période bénie de son existence.

Saint Grégoire et Julien l’Apostat.

Cependant, Julien était mon­té en 361 sur le trône impé­rial. Il se sou­vint alors de ceux dont il avait vou­lu autre­fois par­ta­ger l’amitié à Athènes ; il osa, dans une lettre, deman­der à Basile de venir aider de son expé­rience et de ses conseils celui qui avait été autre­fois « son com­pa­gnon d’étude ». Le Saint refu­sa, sans égard pour l’orgueil du César rené­gat. Grégoire alla plus loin : son frère, Césaire, méde­cin du prince, rési­dait au palais ; il lui écrivit :

En res­tant à la cour, ou tu res­te­ras chré­tien de cœur, et l’opinion publique te ran­ge­ra par­mi ces carac­tères lâches et timides, qui vivent dans le déshon­neur et la honte ; ou bien, tu ne gar­de­ras plus de mesure, tu recher­che­ras les digni­tés à tout prix, et tu oublie­ras alors la seule affaire impor­tante : celle du salut. Dans ce cas, si tu échappes aux flammes de l’enfer, tu en sen­ti­ras au moins la fumée.

Césaire com­prit le dan­ger. Bientôt, il vint, à côté de Grégoire et de Basile, cher­cher un refuge dans la soli­tude céno­bi­tique du Pont.

Ordination de saint Grégoire.

De nou­veau, l’évêque de Nazianze avait récla­mé ses fils avec plus d’instances que jamais. Ceux-​ci durent se rendre à son appel. Le vieillard, pour fixer Grégoire auprès de lui, vou­lut l’ordonner prêtre. L’humble ana­cho­rète fut donc sai­si et conduit de force aux pieds de son père qui lui impo­sa les mains, vers 362. Comme la vic­time qui se dérobe au sacri­fi­ca­teur, le nou­vel ordon­né s’échappa immé­diatement après la céré­mo­nie, et rega­gna sa retraite. Les fidèles de Nazianze vinrent bien­tôt l’y cher­cher pour le rame­ner dans leur église, et Grégoire dut paraître dans la chaire sacrée pour expli­quer ses refus et ses scru­pules qu’inspirait une humi­li­té excessive.

Les écoles au IVe siècle.

Ces pré­oc­cu­pa­tions d’un esprit natu­rel­le­ment timide et inquiet n’entravaient nul­le­ment les forces de Grégoire ; son éner­gie gran­dissait en pro­por­tion de l’audace des méchants. Pour anéan­tir le chris­tia­nisme, Julien l’Apostat vou­lut réduire tous les enfants des chré­tiens à l’ignorance. Plus radi­cal que ses suc­ces­seurs, il publia un décret écar­tant de l’enseignement tous les dis­ciples du Christ, refu­sant aux adultes le droit d’instruire la jeu­nesse, et, chose encore plus odieuse, pri­vant leurs enfants de la fré­quen­ta­tion des écoles.

Grégoire se mil alors à com­po­ser, sur des thèmes de théo­lo­gie et de morale, ou sur des sujets tirés de la Bible et des hymnes, des idylles, des élé­gies, des odes et des tra­gé­dies. H écri­vit plus de trente mille vers. Ses poé­sies, admi­rables par l’élévation de la pen­sée et la beau­té de l’expression, rem­pla­cèrent avan­ta­geu­se­ment, pour les enfants chré­tiens, les livres païens qu’un tyran leur fermait.

Divers travaux de saint Grégoire.

La per­sé­cu­tion, du reste, ne fut pas très longue. Bientôt, Grégoire put annon­cer aux fidèles ter­ri­fiés la mort du prince renégat.

Il per­dit sainte Gorgonia, sa sœur, à qui il avait écrit, le jour de son mariage : « Demandez à Jésus-​Christ une nom­breuse famille, pour aug­men­ter le nombre de ses ado­ra­teurs. » Césaire, son frère, et sa pieuse mère Nonna mou­rurent suc­ces­si­ve­ment. Au milieu de ces peines, il reçut la visite de son ami saint Basile, qui dési­rait divi­ser le vaste dio­cèse de Césarée et le répar­tir entre plu­sieurs suf­fra­gants ; Basile déci­da Grégoire à deve­nir évêque de Sasima, en Cappadoce, et lui-​même lui impo­sa les mains, à Nazianze, en 371 ou 372. Les res­pon­sa­bi­li­tés de la charge épis­co­pale, et les ser­vices de col­lec­teur de dîmes, que lui deman­dait saint Basile, furent bien­tôt trop pénibles pour ses épaules. Il aver­tit Basile, et retour­na dans la soli­tude. Les appels de son père mou­rant l’en arra­chèrent. Le vieillard lui confia son Eglise de Nazianze, et rejoi­gnit au tom­beau, en 374, tous les siens qui l’y avaient précédé.

Grégoire se reti­ra de nou­veau dans la soli­tude, à Isauris, où il apprit, au début de l’année 379, la mort de son ami saint Basile.

Saint Grégoire archevêque de Constantinople.

A cette époque, Constantinople était une véri­table sen­tine d’héré­sies. Démophile, évêque arien, leur don­nait à toutes l’hospitalité. Le petit nombre de catho­liques qui avaient sur­vé­cu étaient sans pas­teur et sans église. Dans cette triste situa­tion, Dieu leur ins­pi­ra d’ap­pe­ler à leur secours l’illustre évêque de Nazianze. Ils vinrent le trou­ver dans son cloître, en 379.

« Verbe divin, s’écria l’humble Grégoire, c’est pour toi que je demeu­rais ici, pour toi, encore, je m’en éloi­gne­rai : envoie-​moi un de tes anges pour me conduire », et il se diri­gea vers Constantinople.

Le par­ti qui l’avait appe­lé était sans cré­dit, sans richesses, sans influence, n’ayant pas même de loge­ment à offrir à son nou­vel évêque. Le Pontife reçut l’hospitalité dans une famille alliée de la sienne ; en guise de cathé­drale, il avait la petite cha­pelle de l’Anastasis (Résurrection), où il réunis­sait les fidèles.

Il s’y tint plu­sieurs jours enfer­mé, étu­diant les hommes et les choses, jeû­nant, priant et pleu­rant ; un mor­ceau de pain, une poi­gnée d’herbes fai­saient toute sa nourriture.

Cependant, dira-​t-​il plus tard, si j’eusse ame­né avec moi la peste dans la cité, je n’aurais pas été plus haï. On m’accusait d’idolâtrie parce que je prê­chais le mys­tère de l’auguste Trinité, un seul Dieu en trois Personnes. Ma mai­son était assaillie par une grêle de pierres. L’orage recom­men­çait sur­tout à l’heure de mes repas, comme si j’avais été affa­mé de cette nour­riture indi­geste. Les évêques ariens s’étaient pro­mis de me séduire. « Nous savons flat­ter, et vous non, venaient-​ils me dire ; nous fré­quen­tons les cours, et vous les églises ; nous aimons les fes­tins somp­tueux, vous vivez en moine ; nous savons nous confor­mer au temps et à l’opinion publique, vous êtes une véri­table enclume, d’autant plus dure qu’on la frappe davan­tage. Homme de bien ! voyez ce que vous faites avec votre genre de vie et vos belles théo­ries. Le peuple se divise de plus en plus à votre sujet. Pour les uns, vous êtes un aimant attrac­tif ; pour les autres, une fronde à laquelle on riposte. »

A force de dou­ceur, de patience et de modé­ra­tion, Grégoire con­quit l’amour de ses enne­mis eux-​mêmes ; on accou­rut en foule pour entendre ses ensei­gne­ments. Il expo­sa tout le dogme catho­lique dans une suite de ser­mons rem­plis autant de doc­trine que d’éloquence. Il méri­ta ain­si le sur­nom de Théologien, avec lequel il figure au Martyrologe.

Les ariens contribuent au succès de saint Grégoire.

Les héré­tiques, pour mieux consta­ter leur défaite, avaient recours à des scènes de vio­lence. Ils ache­vaient ain­si de se désho­no­rer dans l’opinion et mul­ti­pliaient, sans le vou­loir, les conver­sions. Les fidèles vou­laient aller deman­der ven­geance à l’empereur Théodose.

« La patience vaut mieux encore, répon­dit le Pontife ; si le châ­timent punit le mal, la patience ramène au bien. » Cette mansué­tude triom­pha des plus endur­cis. Aussi, Théodose put-​il chas­ser tous les prêtres ariens de Constantinople et remettre, le 27 novembre 380, toutes les églises sous l’autorité de Grégoire, en qui la foule enthou­sias­mée pou­vait enfin accla­mer son pas­teur et son père. Un der­nier atten­tat ache­va, du reste, de rui­ner l’influence des fau­teurs de l’hérésie.

Un jour que j’étais rete­nu par la mala­die, raconte le saint évêque, une troupe d’assez mau­vaise mine péné­tra jusqu’à mon lit, et m’éveilla en sur­saut. « Que voulez-​vous, mes amis ? » leur demandai-je.

« Vous voir et remer­cier Dieu et l’empereur de nous avoir don­né un tel évêque. »

Puis ils récla­mèrent ma béné­dic­tion et se reti­rèrent. Mais tous n’étaient point sor­tis. Un jeune homme res­tait dans un coin de la chambre, le visage pâle, les che­veux en désordre, le regard enflam­mé. Après quelques minutes d’anxiété ter­rible, je le vis se pré­ci­pi­ter à mes pieds, ver­sant un tor­rent de larmes. « Qui êtes-​vous, lui dis-​je, que puis-​je pour vous ? – Mon Père, s’écria-t-il, les ariens m’avaient payé pour vous assas­si­ner ! J’étais venu dans ce des­sein ! j’ai vou­lu com­mettre un tel for­fait ! mes pleurs pourront-​ils jamais expier mon crime ? – Mon fils, lui dis-​je, allez en paix, et que Dieu vous pro­tège comme il vient de me pro­té­ger moi-​même ! son­gez, dans l’avenir, à res­ter digne de Dieu et de moi ! »

Cette bon­té n’avait pas tou­jours eu des effets aus­si salu­taires. C’est ain­si qu’un homme sacri­lège, qui aspi­rait en secret à sup­plan­ter Grégoire, trom­pa la bonne foi de celui-​ci en lui mon­trant comme autant de cica­trices du mar­tyre les hon­teuses bles­sures méri­tées par ses débauches. Grégoire pro­non­ça en chaire l’éloge de ce malheu­reux ; mais quand il connut la véri­té, il aspi­ra de nou­veau, et plus que jamais, à la soli­tude. Quant au traître, il alla jusqu’à se faire sacrer clan­des­ti­ne­ment évêque de Constantinople.

Dernières luttes et dernières craintes. – La mort.

Cependant, la cri­mi­nelle entre­prise de l’usurpateur n’eut aucun résul­tat. En effet, un Concile œcu­mé­nique s’était réuni à Constan­tinople, en 381, pour condam­ner une der­nière fois l’arianisme. D’une com­mune voix, les Pères ana­thé­ma­ti­sèrent le faux évêque, mais, quand il fal­lut confir­mer Grégoire sur son nou­veau siège, ils se divisèrent.

Quelques pré­lats égyp­tiens s’autorisant du fait qu’il avait quit­té sans auto­ri­sa­tion son pre­mier évê­ché, pré­ten­dirent que son élec­tion n’avait pas été régulière.

L’accusation était facile à réfu­ter ; Grégoire n’y son­gea même pas. Il avait rame­né la véri­té et la paix dans Constantinople, que lui restait-​il à y faire ?

« Hommes de Dieu, s’écria Grégoire, vous êtes assembles pour réta­blir la concorde, ce n’est pas moi qui entra­ve­rai cette grande œuvre. Mon pou­voir est dis­cu­té, j’y renonce. Puissé-​je, comme Jonas, bien que je n’aie pas cau­sé la tem­pête, sau­ver le navire en me jetant à la mer ! Je fais des vœux pour que mon suc­ces­seur se montre un défen­seur héroïque de la foi. Adieu ! dai­gnez conser­ver quelque sou­venir de moi. »

Le len­de­main, il fît ses adieux solen­nels à son peuple. Il le lais­sa dans la dou­leur et les larmes, pour aller se pré­pa­rer à mou­rir dans sa demeure de Nazianze.

Pendant deux années, pour­tant, il dut encore admi­nis­trer ce dio­cèse, tou­jours sans pas­teur, jusqu’à ce que, en 383, il lui fît don­ner pour chef son cou­sin Eulalius, qui fut un saint pré­lat. Pour lui, il se reti­ra, non loin de la ville épis­co­pale, pro­ba­ble­ment dans le domaine d’Arianze, patri­moine de sa famille, là où il était né. Là, mal­gré son grand âge, il reprit sa vie d’oraison, de tra­vail et de jeûne. Il mar­chait nu-​pieds. Jamais il n’allumait de feu. Quand, le soir, la fatigue et l’épuisement le for­çaient d’interrompre sa prière, c’était sur la terre nue qu’il pre­nait son repos. Néanmoins, il sen­tit se réveiller en lui les ardeurs de la ten­ta­tion. La crainte de tom­ber dans le péché l’agita de nouveau.

Une riche famille étant venue se bâtir une mai­son de cam­pagne auprès de sa retraite, Grégoire s’en­fuit aus­si­tôt. Il ne vou­lait à aucun prix vivre dans le voi­si­nage des femmes. « Mon corps est vierge, mais suis-​je sûr que mon esprit et mon cœur le soient éga­le­ment ? disait-​il en sou­pi­rant… Où fuir, mal­heu­reux, où fuir ma propre per­ver­si­té ? ajoutait-​il. Que n’est-il quelque part, pour m’y réfu­gier, un lieu impé­né­trable au vice, comme il en est, dit-​on, à l’abri des bêtes féroces ! »

C’est dans ces sen­ti­ments, d’une humi­li­té timide et crain­tive, que Grégoire, âme déli­cate, impres­sion­nable, sen­sible à l’excès, mais sou­cieuse de sa propre per­fec­tion et du bien du pro­chain, alla trou­ver, dans le sein de Dieu, la récom­pense pro­mise au bon ser­vi­teur, en 389 ou 390.

Les écrits dog­ma­tiques de saint Grégoire de Nazianze, qui sont d’une doc­trine sûre et pro­fonde, lui ont valu le titre de doc­teur. Ses poé­sies, pleines d’un charme aus­tère et de l’empreinte d’une foi encore nou­velle et can­dide, l’ont fait appe­ler, de nos jours, le poète du chris­tia­nisme oriental.

Les restes du saint évêque, trans­por­tés de Nazianze à Constan­tinople en 950, furent ame­nés à Rome à l’époque des Croisades ; ils sont véné­rés dans la basi­lique vati­cane. Sa fête a été décla­rée de pré­cepte par Clément XI, le 2 avril 1707.

Th. Quincieux.

Sources consul­tées. – Les Petits Bollandistes. – J. Tixeront, Précis de Patrologie (Paris, 1918). – (V. S. B. P., n° 220.)