Archevêque de Constantinople et docteur de l’Église (328?-390).
Fête le 9 mai.
Version courte
La mère de saint Grégoire dut la naissance de ce fils à ses prières et à ses larmes. Elle se chargea elle-même de sa première éducation et lui apprit à lire, à comprendre et à aimer les Saintes Écritures. L’enfant devint digne de sa sainte mère, et demeura pur au milieu des séductions.
« Un jour, raconte-t-il lui-même, j’aperçus près de moi deux vierges d’une majesté surhumaine. On aurait dit deux soeurs. La simplicité et la modestie de leurs vêtements, plus blancs que la neige, faisaient toute leur parure. A leur vue, je tressaillis d’un transport céleste. « Nous sommes la Tempérance et la Chasteté, me dirent-elles ; nous siégeons auprès du Christ-Roi. Donne-toi tout à nous, cher fils, accepte notre joug, nous t’introduirons un jour dans les splendeurs de l’immortelle Trinité. » La voie de Grégoire était tracée : il la suivit sans faiblir toute sa vie.
Il s’embarqua pour Athènes, afin de compléter ses études. Dieu mit sur le chemin de Grégoire, dans la ville des arts antiques, une âme grande comme la sienne, saint Basile. Qui dira la beauté et la force de cette amitié, dont le but unique était la vertu ! « Nous ne connaissions que deux chemins, raconte Grégoire, celui de l’église et celui des écoles. » La vertu s’accorde bien avec la science ; partout où l’on voulait parler de deux jeunes gens accomplis, on nommait Basile et Grégoire.
Revenus dans leur patrie, ils se conservèrent toujours cette affection pure et dévouée qui avait sauvegardé leur jeunesse, et qui désormais fortifiera leur âge mûr et consolera leur vieillesse. Rien de plus suave, de plus édifiant que la correspondance de ces deux grands hommes, frères d’abord dans l’étude, puis dans la solitude de la vie monastique et enfin dans les luttes de l’épiscopat.
A la mort de son père, qui était devenu évêque de Nazianze, Grégoire lui succède ; mais, au bout de deux ans, son amour de la solitude l’emporte, et il va se réfugier dans un monastère. Bientôt on le réclame pour le siège patriarcal de Constantinople. Il résiste : « Jusqu’à quand, lui dit-on, préférerez-vous votre repos au bien de l’Église ? » Grégoire est ému ; il craint de résister à la Volonté divine et se dirige vers la capitale de l’empire, dont il devient le patriarche légitime. Là, sa mansuétude triomphe des plus endurcis, il fait l’admiration de ses ennemis, et il mérite, avec le nom de Père de son peuple, le nom glorieux de Théologien, que l’Église a consacré. Avant de mourir, Grégoire se retira à Nazianze, où sa vie s’acheva dans la pratique de l’oraison, du jeûne et du travail.
Source : Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue
Saint Grégoire de Nazianze fut le fruit des pleurs et des humbles prières de sainte Nonna, sa mère, qui habitait à Arianze ou près d’Arianze, en Cappadoce.
« Seigneur, donnez-moi un fils, redisait sans cesse la pieuse femme, afin que je puisse le consacrer au service de vos autels. » Une nuit, vers l’an 328 ou 329, elle s’endort tout en larmes, en répétant son oraison habituelle. Un enfant d’une céleste beauté lui apparaît alors. Tandis qu’elle le contemple avec amour, ces paroles retentissent : « Voici le fils que le ciel t’accorde ; nomme-le Grégoire, car telle est la volonté d’en haut. »
Dans sa joie d’être mère d’un ministre de Jésus-Christ, Nonna oublia les douleurs de l’enfantement. A peine avait-elle reçu dans ses bras le petit être que, joyeuse, elle l’offrit au Sauveur.
Sa piété lui valut de nouvelles grâces. Dans la suite, elle donna le jour à deux autres Saints : un fils, nommé Césaire, et, une fille, Gorgonia. A son époux, qui lui aussi portait le nom de Grégoire, et qui vivait dans le paganisme, elle mérita la grâce de la conversion. Après quatre ans de persévérance dans les vertus chrétiennes, Grégoire fut élevé, par ses concitoyens, de la dignité de premier magistrat de Nazianze à celle de pasteur et d’évêque. Nonna est honorée dans l’Eglise à la date du 5 août.
L’éducation au foyer domestique. – Chastes fiançailles.
L’innocence de ses enfants était pour sainte Nonna le trésor le plus cher. Aussi, ne voulut-elle confier à personne le soin de leur première éducation. Elle-même leur apprit à lire dans la Bible ; leur faisant comprendre et aimer les enseignements de ce livre divin.
Dans une terre bien préparée, le grain de froment rend le centuple. Les exemples de Nonna avaient tout spécialement disposé Grégoire à la vertu. Aussi, les dons divins fructifièrent-ils heureusement dans son âme. Malgré sa jeunesse, il fuyait les jeux, les festins et la société des femmes, afin de pouvoir se livrer plus longtemps à la méditation et à l’étude. Toujours, il redoutait de tomber dans le péché. Il marchait devant le Seigneur avec crainte et tremblement. Son innocence lui valut cependant les faveurs d’en haut.
Un jour, raconte-t-il lui-même, j’aperçus près de moi deux vierges d’une majesté surhumaine. On aurait dit deux sœurs. La simplicité et la modestie de leurs vêtements, plus blancs que la neige, faisaient toute leur parure. A leur vue, je tressaillis d’un transport céleste. Mais comment rendre ce qui se passa en moi, quand elles vinrent me couvrir de baisers ! « Nous sommes la tempérance et la chasteté, me dirent-elles. Nous siégeons auprès du Christ-Roi. Donne-toi tout à nous, cher fils ; accepte notre joug ! Nous t’introduirons un jour dans les splendeurs de l’immortelle Trinité ! »
La tempête apaisée.
Grégoire fut fidèle aux deux austères compagnes que le ciel lui donnait. Aussi put-il se livrer tout entier à l’étude. Sa science se développa à l’égale de sa piété. Après quelques années, les maîtres de Nazianze, de Césarée de Cappadoce, puis de Césarée de Palestine, et enfin d’Alexandrie, n’eurent plus rien à lui apprendre. Il s’embarqua donc pour Athènes, la métropole des lettres et des arts.
Le démon, cependant, ne voyait pas sans terreur Grégoire avancer dans les connaissances divines et humaines. Il devinait en lui un adversaire terrible pour l’avenir. Pour se mettre à l’abri de toute défaite, Satan voulut se débarrasser de son ennemi pendant la traversée : tout à coup, il obscurcit le ciel, excite les vents, soulève les flots. Le navire qui porte le jeune homme est assailli par une furieuse tempête. « La neuvième plaie d’Egypte ne fut pas plus terrible », dit un contemporain. Passagers et matelots, tous pleuraient la vie et les biens d’ici-bas, que le naufrage allait leur enlever. Seul, Grégoire déplorait le malheur de son âme : selon un usage du temps, il n’avait pas encore reçu le baptême ; il allait donc trouver la mort dans les eaux, avant que d’y puiser le salut comme tous les chrétiens. « Seigneur, répétait-il en sanglotant, si vous nous sauvez, si je puis être baptisé, je ne vivrai plus que pour vous. »
Cependant, dans un songe mystérieux, sainte Nonna a vu le danger de son fils. Elle aussi se jette à genoux ; elle rappelle au Seigneur les promesses qu’elle en a reçues en faveur de Grégoire. Comment l’offrira-t-elle au service des autels si la mer l’engloutit avant même qu’il soit devenu membre vivant de l’Eglise ?
De sa demeure de Nazianze, la pieuse femme faisait plus que les matelots qui luttaient contre l’ouragan. En effet, un des serviteurs qui accompagnaient Grégoire s’écria : « Je vois Nonna, ma maîtresse, marcher sur les eaux et guider le vaisseau vers le port. » Pour confirmer ces paroles, la tempête s’apaisa sur-le-champ ; tous les païens présents embrassèrent la foi du Christ.
Un ami sincère et un faux ami.
Le monde est plus à craindre encore que l’Océan en courroux. Ce fut dans le baptême, reçu vers l’an 360, et les sacrements que Grégoire alla chercher la force d’échapper aux périls qui l’attendaient à Athènes ; pour l’aider encore dans la lutte, Dieu lui fit rencontrer un jeune homme destiné aussi à de grandes choses : c’était saint Basile, d’un ou deux ans plus jeune que lui.
Ces deux âmes, si dignes l’une de l’autre, s’unirent bientôt par les liens d’une affection immortelle. Les nouveaux amis se communiquaient leurs pensées les plus intimes, le désir qu’ils avaient également de la perfection chrétienne. Ils demeuraient ensemble dans une studieuse retraite, partageant leur temps entre des prières et des travaux communs.
Marchant en tête dans la voie de la perfection, les deux amis tenaient aussi la première place dans la carrière des sciences et des lettres à tel point que, partout où l’on parlait d’Athènes et de ses maîtres habiles, on citait Basile et Grégoire. Il y avait alors un autre étudiant, appelé à devenir tristement célèbre sous le nom de Julien l’Apostat ; sa compagnie était évitée avec soin par les deux amis.
Cependant, ceux-ci avaient parcouru tout le cycle des études. Ils allaient quitter Athènes et se séparer l’un de l’autre. Toute la ville s’en émut. Professeurs et élèves les entouraient, en les conjurant de rester encore. Basile, inexorable, s’arracha à tant de regrets. Grégoire, toujours doux et humble, ne sut pas résister. Il accepta une chaire d’éloquence. Cependant, tous les deux se retirèrent quelque temps aux bords de l’Iris, où ils s’essayèrent à la vie monastique. En 361, Grégoire se déroba sans bruit à ses disciples, pour aller rejoindre sa famille à Nazianze.
Saint Grégoire à Nazianze, puis de nouveau dans la solitude
C’était l’amour filial qui lui avait dicté cette résolution. Son père, accablé de vieillesse, ne pouvait plus suffire au gouvernement de son Eglise. Il avait réclamé le secours et l’appui de Grégoire.
Celui-ci, tout en vaquant à ses nouveaux devoirs, engagea contre sa chair une lutte ardente et persévérante. La terre nue lui servait de lit. Le jeûne était sa nourriture habituelle.
Grégoire puisait l’énergie d’une telle mortification dans la prière et la méditation. Aussi, tout en remplissant auprès du vieil évêque de Nazianze les fonctions de secrétaire et de majordome, il gémissait d’avoir à laisser l’oraison pour gouverner, disait-il, les serviteurs de son père tentés d’abuser de la facilité des bons maîtres, pour déjouer les fraudes des agents du fisc, ou soutenir en justice la cause des plaideurs.
D’Athènes, saint Basile était passé dans les solitudes de la région du Pont, et y vivait en anachorète. Connaissant l’attrait de Grégoire pour le silence, le calme et la méditation, il essayait de l’attirer en lui dépeignant en termes heureux sa vie toute de prière et de travail.
Il n’en fallait pas tant pour décider Grégoire qui bientôt vint rejoindre Basile au désert. Plus tard, lancé au milieu des agitations du monde, il évoquait en soupirant cette période bénie de son existence.
Saint Grégoire et Julien l’Apostat.
Cependant, Julien était monté en 361 sur le trône impérial. Il se souvint alors de ceux dont il avait voulu autrefois partager l’amitié à Athènes ; il osa, dans une lettre, demander à Basile de venir aider de son expérience et de ses conseils celui qui avait été autrefois « son compagnon d’étude ». Le Saint refusa, sans égard pour l’orgueil du César renégat. Grégoire alla plus loin : son frère, Césaire, médecin du prince, résidait au palais ; il lui écrivit :
En restant à la cour, ou tu resteras chrétien de cœur, et l’opinion publique te rangera parmi ces caractères lâches et timides, qui vivent dans le déshonneur et la honte ; ou bien, tu ne garderas plus de mesure, tu rechercheras les dignités à tout prix, et tu oublieras alors la seule affaire importante : celle du salut. Dans ce cas, si tu échappes aux flammes de l’enfer, tu en sentiras au moins la fumée.
Césaire comprit le danger. Bientôt, il vint, à côté de Grégoire et de Basile, chercher un refuge dans la solitude cénobitique du Pont.
Ordination de saint Grégoire.
De nouveau, l’évêque de Nazianze avait réclamé ses fils avec plus d’instances que jamais. Ceux-ci durent se rendre à son appel. Le vieillard, pour fixer Grégoire auprès de lui, voulut l’ordonner prêtre. L’humble anachorète fut donc saisi et conduit de force aux pieds de son père qui lui imposa les mains, vers 362. Comme la victime qui se dérobe au sacrificateur, le nouvel ordonné s’échappa immédiatement après la cérémonie, et regagna sa retraite. Les fidèles de Nazianze vinrent bientôt l’y chercher pour le ramener dans leur église, et Grégoire dut paraître dans la chaire sacrée pour expliquer ses refus et ses scrupules qu’inspirait une humilité excessive.
Les écoles au IVe siècle.
Ces préoccupations d’un esprit naturellement timide et inquiet n’entravaient nullement les forces de Grégoire ; son énergie grandissait en proportion de l’audace des méchants. Pour anéantir le christianisme, Julien l’Apostat voulut réduire tous les enfants des chrétiens à l’ignorance. Plus radical que ses successeurs, il publia un décret écartant de l’enseignement tous les disciples du Christ, refusant aux adultes le droit d’instruire la jeunesse, et, chose encore plus odieuse, privant leurs enfants de la fréquentation des écoles.
Grégoire se mil alors à composer, sur des thèmes de théologie et de morale, ou sur des sujets tirés de la Bible et des hymnes, des idylles, des élégies, des odes et des tragédies. H écrivit plus de trente mille vers. Ses poésies, admirables par l’élévation de la pensée et la beauté de l’expression, remplacèrent avantageusement, pour les enfants chrétiens, les livres païens qu’un tyran leur fermait.
Divers travaux de saint Grégoire.
La persécution, du reste, ne fut pas très longue. Bientôt, Grégoire put annoncer aux fidèles terrifiés la mort du prince renégat.
Il perdit sainte Gorgonia, sa sœur, à qui il avait écrit, le jour de son mariage : « Demandez à Jésus-Christ une nombreuse famille, pour augmenter le nombre de ses adorateurs. » Césaire, son frère, et sa pieuse mère Nonna moururent successivement. Au milieu de ces peines, il reçut la visite de son ami saint Basile, qui désirait diviser le vaste diocèse de Césarée et le répartir entre plusieurs suffragants ; Basile décida Grégoire à devenir évêque de Sasima, en Cappadoce, et lui-même lui imposa les mains, à Nazianze, en 371 ou 372. Les responsabilités de la charge épiscopale, et les services de collecteur de dîmes, que lui demandait saint Basile, furent bientôt trop pénibles pour ses épaules. Il avertit Basile, et retourna dans la solitude. Les appels de son père mourant l’en arrachèrent. Le vieillard lui confia son Eglise de Nazianze, et rejoignit au tombeau, en 374, tous les siens qui l’y avaient précédé.
Grégoire se retira de nouveau dans la solitude, à Isauris, où il apprit, au début de l’année 379, la mort de son ami saint Basile.
Saint Grégoire archevêque de Constantinople.
A cette époque, Constantinople était une véritable sentine d’hérésies. Démophile, évêque arien, leur donnait à toutes l’hospitalité. Le petit nombre de catholiques qui avaient survécu étaient sans pasteur et sans église. Dans cette triste situation, Dieu leur inspira d’appeler à leur secours l’illustre évêque de Nazianze. Ils vinrent le trouver dans son cloître, en 379.
« Verbe divin, s’écria l’humble Grégoire, c’est pour toi que je demeurais ici, pour toi, encore, je m’en éloignerai : envoie-moi un de tes anges pour me conduire », et il se dirigea vers Constantinople.
Le parti qui l’avait appelé était sans crédit, sans richesses, sans influence, n’ayant pas même de logement à offrir à son nouvel évêque. Le Pontife reçut l’hospitalité dans une famille alliée de la sienne ; en guise de cathédrale, il avait la petite chapelle de l’Anastasis (Résurrection), où il réunissait les fidèles.
Il s’y tint plusieurs jours enfermé, étudiant les hommes et les choses, jeûnant, priant et pleurant ; un morceau de pain, une poignée d’herbes faisaient toute sa nourriture.
Cependant, dira-t-il plus tard, si j’eusse amené avec moi la peste dans la cité, je n’aurais pas été plus haï. On m’accusait d’idolâtrie parce que je prêchais le mystère de l’auguste Trinité, un seul Dieu en trois Personnes. Ma maison était assaillie par une grêle de pierres. L’orage recommençait surtout à l’heure de mes repas, comme si j’avais été affamé de cette nourriture indigeste. Les évêques ariens s’étaient promis de me séduire. « Nous savons flatter, et vous non, venaient-ils me dire ; nous fréquentons les cours, et vous les églises ; nous aimons les festins somptueux, vous vivez en moine ; nous savons nous conformer au temps et à l’opinion publique, vous êtes une véritable enclume, d’autant plus dure qu’on la frappe davantage. Homme de bien ! voyez ce que vous faites avec votre genre de vie et vos belles théories. Le peuple se divise de plus en plus à votre sujet. Pour les uns, vous êtes un aimant attractif ; pour les autres, une fronde à laquelle on riposte. »
A force de douceur, de patience et de modération, Grégoire conquit l’amour de ses ennemis eux-mêmes ; on accourut en foule pour entendre ses enseignements. Il exposa tout le dogme catholique dans une suite de sermons remplis autant de doctrine que d’éloquence. Il mérita ainsi le surnom de Théologien, avec lequel il figure au Martyrologe.
Les ariens contribuent au succès de saint Grégoire.
Les hérétiques, pour mieux constater leur défaite, avaient recours à des scènes de violence. Ils achevaient ainsi de se déshonorer dans l’opinion et multipliaient, sans le vouloir, les conversions. Les fidèles voulaient aller demander vengeance à l’empereur Théodose.
« La patience vaut mieux encore, répondit le Pontife ; si le châtiment punit le mal, la patience ramène au bien. » Cette mansuétude triompha des plus endurcis. Aussi, Théodose put-il chasser tous les prêtres ariens de Constantinople et remettre, le 27 novembre 380, toutes les églises sous l’autorité de Grégoire, en qui la foule enthousiasmée pouvait enfin acclamer son pasteur et son père. Un dernier attentat acheva, du reste, de ruiner l’influence des fauteurs de l’hérésie.
Un jour que j’étais retenu par la maladie, raconte le saint évêque, une troupe d’assez mauvaise mine pénétra jusqu’à mon lit, et m’éveilla en sursaut. « Que voulez-vous, mes amis ? » leur demandai-je.
« Vous voir et remercier Dieu et l’empereur de nous avoir donné un tel évêque. »
Puis ils réclamèrent ma bénédiction et se retirèrent. Mais tous n’étaient point sortis. Un jeune homme restait dans un coin de la chambre, le visage pâle, les cheveux en désordre, le regard enflammé. Après quelques minutes d’anxiété terrible, je le vis se précipiter à mes pieds, versant un torrent de larmes. « Qui êtes-vous, lui dis-je, que puis-je pour vous ? – Mon Père, s’écria-t-il, les ariens m’avaient payé pour vous assassiner ! J’étais venu dans ce dessein ! j’ai voulu commettre un tel forfait ! mes pleurs pourront-ils jamais expier mon crime ? – Mon fils, lui dis-je, allez en paix, et que Dieu vous protège comme il vient de me protéger moi-même ! songez, dans l’avenir, à rester digne de Dieu et de moi ! »
Cette bonté n’avait pas toujours eu des effets aussi salutaires. C’est ainsi qu’un homme sacrilège, qui aspirait en secret à supplanter Grégoire, trompa la bonne foi de celui-ci en lui montrant comme autant de cicatrices du martyre les honteuses blessures méritées par ses débauches. Grégoire prononça en chaire l’éloge de ce malheureux ; mais quand il connut la vérité, il aspira de nouveau, et plus que jamais, à la solitude. Quant au traître, il alla jusqu’à se faire sacrer clandestinement évêque de Constantinople.
Dernières luttes et dernières craintes. – La mort.
Cependant, la criminelle entreprise de l’usurpateur n’eut aucun résultat. En effet, un Concile œcuménique s’était réuni à Constantinople, en 381, pour condamner une dernière fois l’arianisme. D’une commune voix, les Pères anathématisèrent le faux évêque, mais, quand il fallut confirmer Grégoire sur son nouveau siège, ils se divisèrent.
Quelques prélats égyptiens s’autorisant du fait qu’il avait quitté sans autorisation son premier évêché, prétendirent que son élection n’avait pas été régulière.
L’accusation était facile à réfuter ; Grégoire n’y songea même pas. Il avait ramené la vérité et la paix dans Constantinople, que lui restait-il à y faire ?
« Hommes de Dieu, s’écria Grégoire, vous êtes assembles pour rétablir la concorde, ce n’est pas moi qui entraverai cette grande œuvre. Mon pouvoir est discuté, j’y renonce. Puissé-je, comme Jonas, bien que je n’aie pas causé la tempête, sauver le navire en me jetant à la mer ! Je fais des vœux pour que mon successeur se montre un défenseur héroïque de la foi. Adieu ! daignez conserver quelque souvenir de moi. »
Le lendemain, il fît ses adieux solennels à son peuple. Il le laissa dans la douleur et les larmes, pour aller se préparer à mourir dans sa demeure de Nazianze.
Pendant deux années, pourtant, il dut encore administrer ce diocèse, toujours sans pasteur, jusqu’à ce que, en 383, il lui fît donner pour chef son cousin Eulalius, qui fut un saint prélat. Pour lui, il se retira, non loin de la ville épiscopale, probablement dans le domaine d’Arianze, patrimoine de sa famille, là où il était né. Là, malgré son grand âge, il reprit sa vie d’oraison, de travail et de jeûne. Il marchait nu-pieds. Jamais il n’allumait de feu. Quand, le soir, la fatigue et l’épuisement le forçaient d’interrompre sa prière, c’était sur la terre nue qu’il prenait son repos. Néanmoins, il sentit se réveiller en lui les ardeurs de la tentation. La crainte de tomber dans le péché l’agita de nouveau.
Une riche famille étant venue se bâtir une maison de campagne auprès de sa retraite, Grégoire s’enfuit aussitôt. Il ne voulait à aucun prix vivre dans le voisinage des femmes. « Mon corps est vierge, mais suis-je sûr que mon esprit et mon cœur le soient également ? disait-il en soupirant… Où fuir, malheureux, où fuir ma propre perversité ? ajoutait-il. Que n’est-il quelque part, pour m’y réfugier, un lieu impénétrable au vice, comme il en est, dit-on, à l’abri des bêtes féroces ! »
C’est dans ces sentiments, d’une humilité timide et craintive, que Grégoire, âme délicate, impressionnable, sensible à l’excès, mais soucieuse de sa propre perfection et du bien du prochain, alla trouver, dans le sein de Dieu, la récompense promise au bon serviteur, en 389 ou 390.
Les écrits dogmatiques de saint Grégoire de Nazianze, qui sont d’une doctrine sûre et profonde, lui ont valu le titre de docteur. Ses poésies, pleines d’un charme austère et de l’empreinte d’une foi encore nouvelle et candide, l’ont fait appeler, de nos jours, le poète du christianisme oriental.
Les restes du saint évêque, transportés de Nazianze à Constantinople en 950, furent amenés à Rome à l’époque des Croisades ; ils sont vénérés dans la basilique vaticane. Sa fête a été déclarée de précepte par Clément XI, le 2 avril 1707.
Th. Quincieux.
Sources consultées. – Les Petits Bollandistes. – J. Tixeront, Précis de Patrologie (Paris, 1918). – (V. S. B. P., n° 220.)