Saint Léon Ier le Grand

Saint Léon le Grand arrête Attila. Pinacothèque Vaticane.

Pape et Docteur de l’Église (vers 395–461)
Le « Docteur de l’incarnation »

Fête le 11 avril.

Version courte

Saint Léon le Grand naquit à Rome, d’une des pre­mières familles de la Toscane, vers la fin du IVe siècle. Son rare mérite l’é­le­va promp­te­ment au titre d’ar­chi­diacre de l’Église romaine ; il n’a­vait guère plus de qua­rante ans, quand il fut appe­lé, par les vœux du cler­gé et du peuple, sur le siège de saint Pierre. Toutes les qua­li­tés d’un Pape remar­quable parurent dans sa per­sonne, et c’est à juste titre que la pos­té­ri­té, après ses contem­po­rains, lui a don­né le nom de Grand.

L’époque était dif­fi­cile : les mani­chéens, les dona­tistes, les ariens, les pris­cil­lia­nistes, les nes­to­riens et les euty­chiens infes­taient l’Église de leurs héré­sies. Le saint et docte Pontife, armé du glaive de la parole infaillible, com­bat­tit avec vigueur la doc­trine impie de tous les côtés à la fois ; par ses lettres, par ses légats, par des conciles, il sus­ci­ta un grand mou­ve­ment de résis­tance à l’er­reur et le retour d’une grande mul­ti­tude d’âmes à la jus­tice et à la véri­té. Sa magni­fique lettre au concile de Chalcédoine pro­dui­sit un tel effet que les six cents évêques, après en avoir enten­du la lec­ture, s’é­crièrent d’une voix una­nime : « C’est Pierre qui a par­lé par Léon ! »

L’un des faits les plus impo­sants de son beau et si fécond pon­ti­fi­cat, c’est sa pro­ces­sion solen­nelle au-​devant d’Attila, roi des Huns, sur­nom­mé le fléau de Dieu, qui avan­çait vers Rome pour la détruire. Attila l’ac­cueillit avec res­pect et lui pro­mit de lais­ser en paix la Ville éter­nelle, moyen­nant un faible tri­but annuel. Les bar­bares, mur­mu­rant de voir leur chef recu­ler, lui deman­dèrent rai­son de sa conduite : « Pendant que le Pontife me par­lait, leur dit-​il, je voyais à ses côtés un autre Pontife d’une majes­té toute divine ; il se tenait debout, ses yeux lan­çaient des éclairs, et il me mena­çait du glaive qu’il bran­dis­sait dans sa main ; j’ai com­pris que le Ciel se décla­rait pour la ville de Rome. » Ce per­son­nage n’é­tait autre que saint Pierre. Les Romains firent une récep­tion enthou­siaste au Pontife vic­to­rieux. Le génie de Raphaël a immor­ta­li­sé cette scène dans une pein­ture célèbre.

L’humanité, la dou­ceur et la cha­ri­té furent les prin­ci­pales ver­tus de saint Léon. Ses écrits, qui suf­fi­raient à l’illus­trer par la splen­deur du style comme par l’é­lé­va­tion des pen­sées, montent à une hau­teur plus grande encore quand il traite de l’Incarnation, et c’est pour­quoi on lui a don­né le titre de Docteur de l’Incarnation. Il sur­pas­sa tous les Pontifes qui l’ont pré­cé­dé, et il eut peu de suc­ces­seurs dont le mérite ait appro­ché du sien.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

La tra­di­tion fait naître saint Léon le Grand à Rome, de parents tos­cans, vrai­sem­bla­ble­ment dans les dix der­nières années du IVème siècle. Dès sa plus tendre enfance, il fit de brillants pro­grès dans l’é­tude des lettres sacrées. « Dieu, dit un Concile géné­ral, Dieu, qui l’avait des­ti­né à rem­por­ter des vic­toires sur l’erreur, à sou­mettre la sagesse du siècle à la vraie foi, avait mis dans ses mains les armes puis­santes de la science et de la vérité. »

Diacre en 430, puis archi­diacre de l’Eglise romaine, il appa­raît, de 418 à 439, comme le conseiller des Papes dans la lutte contre les héré­sies de Pélage et de Nestorius et se fait aus­si remar­quer par son talent d’administration.

Son élection.

Après la mort du Pape saint Sixte III, l’Eglise demeu­ra qua­rante et un jours sans pas­teur. Tous les suf­frages s’étaient por­tés sur Léon (août 440). Mais celui-​ci était absent. II avait été envoyé dans les Gaules pour réta­blir la paix entre le gou­ver­neur Aétius et le géné­ral Albinus. Le cler­gé et le peuple atten­dirent son retour dans une paix et une concorde admi­rables. Il sem­blait que l’éloignement de l’élu fît mieux res­sor­tir le mérite de l’absent et la sagesse des élec­teurs. Une ambas­sade solen­nelle lui fut envoyée, et il fut reçu dans les murs de sa patrie avec des trans­ports d’allégresse et sacré évêque de Rome et Chef de l’Eglise uni­ver­selle, le 29 sep­tembre 440.

Le jour de sa consé­cra­tion, Léon éle­vait, au milieu du peuple atten­dri, cette voix majes­tueuse et pater­nelle qui devait, pen­dant vingt ans, reten­tir jusqu’aux extré­mi­tés de la terre, fou­droyer l’hé­résie, adou­cir la féro­ci­té des Huns et des Vandales, sau­ver le monde romain de la bar­ba­rie et faire éclore une socié­té nou­velle sur les ruines d’un empire en décadence.

Grâces donc soient ren­dues, disait-​il à ses fidèles, dans le pré­sent et dans l’avenir, à notre grand Dieu, pour toutes les faveurs dont il m’a com­blé ! Grâces soient ren­dues à vous-​mêmes pour le juge­ment si favo­rable que votre bien­veillance a por­té sur moi, sans aucun mérite pré­cé­dent de ma part ! j’aime sur­tout à y voir le gage de l’attachement, du res­pect, de l’amour et de la fidé­li­té que vous por­tez à votre nou­veau pas­teur. Il n’a qu’une ambi­tion, qu’une pen­sée, qu’un désir : veiller avec une sol­li­ci­tude infa­ti­gable au salut de vos âmes. Je vous en conjure, par les entrailles de la misé­ri­corde de Jésus-​Christ, aidez de vos prières celui que vos vœux ont appe­lé de si loin, afin que l’esprit de grâce demeure en moi, et que vos juge­ments soient sans repen­tance. Que le Dieu qui a ins­pi­ré l’unanimité de vos suf­frages accorde à nos jours le bien­fait inap­pré­ciable de la paix. Père saint, conser­vez en votre nom ceux que vous m’avez donnés.

Mes biens-​aimés, quelle que soit mon insuf­fi­sance vis-​à-​vis du grand devoir de ser­vi­tude que Dieu m’impose, n’oublions pas que la pierre fon­da­men­tale sur laquelle repose l’Eglise reste inébran­lable au milieu des tem­pêtes et sur­vit à toutes les ruines. Le prince des apôtres demeure tou­jours avec la fer­me­té de la pierre dont il porte le nom et sur laquelle il a été éta­bli il n’a jamais aban­don­né les rênes du gou­ver­ne­ment de l’Eglise. Son ordi­nation se dis­tingue en effet de toutes les autres ; il est appe­lé pierre et fon­de­ment ; il est éta­bli por­tier du royaume des cieux ; il est le juge de ce qui doit être lié ou délié ; l’autorité de ses juge­ments est res­pec­tée même au ciel. Le mys­tère de ses dif­fé­rents titres prouve suf­fi­sam­ment l’étroite union qui sub­siste entre le Christ et lui. On peut dire que le bien­heu­reux apôtre, depuis qu’il a pris place dans le céleste royaume, pour­suit, avec une plé­ni­tude de puis­sance supé­rieure, la mis­sion ter­restre qu’il avait reçue ici-​bas ; il accom­plit main­te­nant tous les devoirs, toutes les fonc­tions de sa charge suprême en celui et avec celui par qui il a été glo­ri­fié, c’est-à-dire Jésus-​Christ, Notre-Seigneur.

Si donc nous, ses indignes suc­ces­seurs, nous avons le bon­heur d’agir avec quelque sagesse, de dis­cer­ner avec quelque péné­tra­tion, si nous obte­nons par nos sup­pli­ca­tions quo­ti­diennes et inces­santes quelques faveurs de la misé­ri­corde divine, c’est le fruit des œuvres et des mérites du glo­rieux apôtre dont la puis­sance vit tou­jours, dont l’autorité sub­siste excel­lente et pré­émi­nente sur le siège qu’il a fon­dé. Dans toute l’Eglise, chaque jour, la voix de Pierre répète encore : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant. »

Toute langue qui confesse le Seigneur a été for­mée par l’enseignement de cette voix magis­trale. Telle est la foi qui triomphe du démon, brise les chaînes des cap­tifs de Satan. Telle est la foi qui sauve le monde et ouvre le ciel aux âmes. « Les portes de l’enfer ne pré­vau­dront point contre elle. » La foi de Pierre a été revê­tue par Dieu lui-​même d’une fer­me­té inébran­lable : ni la per­ver­si­té de l’hérésie ni la bar­ba­rie païenne ne réus­si­ront jamais à la renverser.

Ses luttes.

Quand le nou­veau Pontife tenait ce lan­gage, si plein de modes­tie per­son­nelle et de confiance triom­phante dans les pro­messes divines, mani­chéens, dona­tistes, ariens, pris­cil­lia­nistes, nes­to­riens et euty­chiens sur­tout, infes­taient l’Eglise.

Le Pontife, armé du glaive de la parole de jus­tice et de véri­té, et revê­tu de son auto­ri­té de Chef suprême de l’Eglise, com­bat­tit avec vigueur tous les enne­mis que Satan avait sus­ci­tés pour faire pré­va­loir le men­songe et l’erreur. Il ordon­na de châ­tier les mani­chéens qui se trou­vaient dans Rome, et de punir sévè­re­ment tous ceux que l’on pour­rait ren­con­trer soit en Italie, soit dans les autres pays.

Il favo­ri­sa gran­de­ment tous ceux qui, en Afrique, s’élevaient contre les dona­tistes, et écri­vit aux évêques d’Espagne des lettres pour leur recom­man­der de veiller atten­ti­ve­ment sur les pris­cil­lia­nistes, qui jetaient Je trouble par­mi les catholiques.

La fixation de la fête de Pâques.

L’importance que Léon atta­cha à cette ques­tion est attes­tée par le grand nombre de fois où il en parle dans ses lettres et par l’insis­tance extrême qu’il mit à vou­loir la résoudre d’une façon défi­ni­tive pour le pré­sent comme pour l’avenir. Il s’agissait de sur­mon­ter, à la satis­fac­tion com­mune des Orientaux et des Occidentaux, les dif­ficultés d’application de la règle for­mu­lée en 325 au Concile de Nicée, et aux termes de laquelle cette fête aurait lieu chaque année le pre­mier dimanche après la pleine lune qui suit le jour de l’équi­noxe du prin­temps (l’équinoxe étant sup­po­sé arri­ver le 20 mars).

Dominé par le sou­ci de l’unité de l’Eglise, le Pape tenait par­dessus toutes choses à ce que la solen­ni­té de la Résurrection fût célé­brée en tous lieux le même jour. Dans son désir de conci­lia­tion, il accep­ta même les sug­ges­tions de l’évêque d’Alexandrie, saint Protérius, au risque de mécon­ten­ter les Latins, chez qui pré­do­mi­nait la croyance que la fête ne devait tom­ber ni avant le 21 mars ni après le 21 avril.

Eutychès. – Concile de Chalcédoine.

Enfin, pour cou­ron­ner glo­rieu­se­ment son œuvre, le grand Pape ras­sem­bla dans la ville de Chalcédoine un Concile œcu­mé­nique com­po­sé de plus de six cents évêques, qui tint ses assises du 8 octobre au 1er novembre 451 et condam­na solen­nel­le­ment la funeste erreur d’Eutychès, abbé d’un monas­tère voi­sin de Constantinople, comp­tant 300 reli­gieux, et que cou­vrait Théodose II, empe­reur d’Orient.

Excommunié le 22 novembre 448 par Flavien, évêque de Cons­tantinople, puis réha­bi­li­té le 9 août 449 au simu­lacre de Concile que l’histoire a flé­tri sous le nom de bri­gan­dage d’Ephèse, Eutychès pré­ten­dait qu’il n’y a en Jésus-​Christ qu’une seule nature, comme il n’y a qu’une seule per­sonne ; la nature divine ayant comme absor­bé et fait dis­pa­raître la nature humaine. C’était nier le mys­tère même de l’Incarnation, car si la nature humaine ne sub­siste plus dis­tincte de la divi­ni­té dans l’unité de la per­sonne du Verbe, on ne peut plus dire que le Fils de Dieu s’est fait homme. C’était renier ain­si toute l’œuvre de la Rédemption. Car si Jésus-​Christ est seu­lement Dieu, il ne peut plus mou­rir pour nous, et s’il ne tient plus à nous par son huma­ni­té il ne peut plus ser­vir de média­teur entre Dieu et l’homme, auquel il est étran­ger. Il faut que Jésus-​Christ soit homme pour repré­sen­ter l’homme auprès de Dieu, et Dieu pour faire accep­ter de la jus­tice divine, qui ne doit rien à l’homme, ses mérites et son intercession.

L’erreur d’Eutychès for­ça saint Léon à expli­quer avec une clar­té nou­velle la doc­trine de la dis­tinc­tion des natures dans l’unité de per­sonne en Jésus-​Christ. A Flavien, patriarche de Constantinople, qui avait condam­né Eutychès en novembre 448, il écri­vit, pour l’approuver, son admi­rable lettre sur l’Incarnation : lettre qua­li­fiée de divine par Bossuet et qui n’est, en effet, com­pa­rable qu’aux Evangiles et a tou­jours été consi­dé­rée dans l’Eglise comme l’expression la plus exacte, la plus noble, la plus auguste de la croyance catho­lique sur le dogme de l’Incarnation du Sauveur.

Dans le Pré spi­ri­tuel de Jean Moschus, un abbé raconte avoir enten­du Euloge, patriarche d’Alexandrie de 58o à 607, faire ce récit ·

Grégoire, diacre dis­tin­gué de Rome, m’apprit que le pieux Pape Léon, après avoir écrit sa lettre à Flavien, la posa sur le tom­beau du Prince des apôtres, en le conju­rant par des veilles, des jeûnes et des prières de cor­ri­ger les fautes ou les erreurs qui s’y seraient glis­sées par suite de la fai­blesse humaine. Quatre jours s’étant écou­lés, l’apôtre lui appa­rut et lui dit : « J’ai lu et fait à ton tra­vail les cor­rec­tions néces­saires. » Le Pape, ayant repris la lettre sur le tom­beau, y remar­qua, en effet, les cor­rec­tions exécu­tées de la main de saint Pierre. »

Cette lettre pro­dui­sit un effet admi­rable au Concile de Chalcédoine. Les six cents évêques, après en avoir enten­du la lec­ture, s’écrièrent d’une voix una­nime : « C’est Pierre qui a par­lé par Léon. »

Saint Léon et Attila.

Le saint Pontife, après avoir cal­mé les esprits, ras­su­ré les catho­liques et triom­phé de tous ses impla­cables enne­mis, se croyait en sûre­té dans la Ville Eternelle, quand Attila, le ter­rible fléau de Dieu, tom­ba sur l’Italie avec une armée for­mi­dable de barbares.

Devenu maître d’Aquilée au prin­temps de l’année 452, il la rédui­sit en cendres et mit le pays à feu et à sang ; puis, conti­nuant ses ravages, il sac­ca­gea Milan et s’empara de Pavie. L’empereur Valentinien III et sa cour quit­tèrent pré­ci­pi­tam­ment Ravenne et vinrent s’enfermer dans Rome. L’empereur, le Sénat, le peuple, sai­sis d’effroi, ne virent qu’un sau­veur pos­sible : Léon.

Une dépu­ta­tion des plus nobles Romains vint le prier d’aller au-​devant d’Attila et de s’interposer pour eux. La mis­sion était diffi­cile et périlleuse : si Dieu lui-​même n’intervenait, le seul espoir de salut était de s’en remettre à la misé­ri­corde d’un roi sans entrailles, c’était comp­ter sur un miracle. Le miracle eut lieu.

Le 11 juin 452, accom­pa­gné du consu­laire Orienus et du séna­teur Trigetius, pré­cé­dé des prin­ci­paux membres du cler­gé romain, et sui­vi par les vœux, les prières, les larmes de toute la popu­la­tion, le Pontife quit­ta Rome pour aller à la ren­contre d’Attila. Le roi des Huns était en ce moment non loin de Mantoue, sur les bords du Mincio. Avant de péné­trer dans le camp des bar­bares, Léon se revê­tit des insignes pon­ti­fi­caux. Tout son cler­gé se mit en pro­ces­sion et il se pré­sen­ta devant le fléau de Dieu.

Attila l’accueillit avec res­pect, pro­mit de vivre en paix avec l’em­pire, moyen­nant un faible tri­but annuel. Il fît aus­si­tôt ces­ser les actes d’hostilité, et, quelque temps après il repas­sait les Alpes.

Les bar­bares deman­dèrent à leur chef pour­quoi il avait mon­tré tant de res­pect au Pape. « Ce n’est pas, répondit-​il, le per­son­nage avec lequel j’ai confé­ré qui m’a subi­te­ment fait chan­ger de résolu­tion. Pendant qu’il me par­lait, je voyais, debout à ses côtés, un Pontife d’une majes­té sur­hu­maine. Des éclairs jaillis­saient de ses yeux ; il por­tait à la main un glaive nu ; ses regards ter­ribles, son geste mena­çant m’ordonnaient de consen­tir à tout ce que deman­dait l’envoyé des Romains. » Ce per­son­nage était saint Pierre.

Saint Léon Ier arrête Attila, roi des Huns.

Ingratitude des Romains.

Le Chef de l’Eglise pres­cri­vit aus­si­tôt des prières publiques pour remer­cier Dieu ; mais les Romains, peuple léger, ingrat et cor­rom­pu, après quelques jours consa­crés à ces témoi­gnages de recon­nais­sance, se pré­ci­pi­tèrent avec plus de fureur aux jeux du cirque, aux théâtres, à la débauche. L’empereur Valentinien don­na l’exemple de cette dégra­da­tion par les actes de l’immoralité la plus révol­tante. Les beaux esprits du temps, pour se dis­pen­ser de rendre grâces à Dieu et à ses saints de la retraite d’Attila, attri­buèrent le suc­cès de Léon à l’influence salu­taire des astres.

Le cœur du Pontife fut pro­fon­dé­ment affli­gé à la vue de ces désordres et de cette cou­pable ingra­ti­tude. Le jour de la fête des Apôtres saint Pierre et saint Paul étant venu, Léon pro­non­ça devant le peuple cette homé­lie, avec les accents de la dou­leur la plus expres­sive et d’une sévé­ri­té adou­cie par une ten­dresse toute paternelle :

Mes bien-​aimés, la solen­ni­té reli­gieuse, éta­blie à l’occasion du jour de notre déli­vrance où toute la mul­ti­tude des fidèles affluait à l’envi pour rendre grâces à Dieu, a été, en der­nier lieu, presque uni­ver­sel­le­ment négli­gée : c’est un fait qu’a mis en évi­dence le petit nombre même de ceux qui ont assis­té à cette sainte céré­mo­nie ; un aban­don si géné­ral a jeté dans mon cœur une pro­fonde tris­tesse et l’a péné­tré des plus vives appré­hen­sions. Car il y a beau­coup de dan­ger pour les hommes à se mon­trer ingrats envers Dieu et à mettre ses bien­faits en oubli, sans être tou­ché de repen­tir, mal­gré les puni­tions qu’il inflige, et sans éprou­ver aucune joie pour le par­don qu’il accorde. Je crains donc, mes bien-​aimés, qu’on puisse appli­quer à des esprits aus­si indif­fé­rents cette parole du pro­phète : « Vous les avez frap­pés, et ils ne l’ont point sen­ti ; vous les avez bri­sés de coups, et ils n’ont point vou­lu se sou­mettre au châtiment.

Je rou­gis de le dire, mais je suis obli­gé de le décla­rer : on dépense plus pour les démons que pour les apôtres ; des spec­tacles insen­sés attirent une foule plus pres­sée que la basi­lique des bien­heu­reux mar­tyrs. Qui donc a sau­vé cette ville ? qui l’a arra­chée à la cap­ti­vi­té ? qui, enfin, l’a sous­traite aux hor­reurs du car­nage ? Est-​ce aux diver­tis­se­ments du cirque qu’on en est rede­vable, ou à la sol­li­ci­tude des saints ? N’en dou­tons pas, c’est par leurs prières que la jus­tice divine s’est lais­sé flé­chir ; c’est grâce à leur puis­sante inter­ces­sion que nous avons été réser­vés à une indul­gence misé­ricordieuse, lorsque nous ne méri­tions qu’une colère implacable.

Je vous en conjure, mes biens aimés, laissez-​vous tou­cher par cette réflexion du Sauveur, qui, après avoir gué­ri les dix lépreux, fit obser­ver qu’il n’y en avait qu’un seul par­mi eux qui fût reve­nu pour le remer­cier : mar­quant par là que les neuf autres, qui avaient aus­si recou­vré la san­té du corps, sans en témoi­gner la même recon­nais­sance, n’avaient pu man­quer à ce devoir de pié­té sans une impié­té mani­feste. Ainsi, mes bien-​aimés, pour qu’on ne puisse vous appli­quer le même reproche d’ingratitude, reve­nez au Seigneur ; com­pre­nez bien les mer­veilles qu’il a dai­gné opé­rer par­mi nous ; gardez-​vous d’attribuer votre déli­vrance à l’influence des astres, comme l’imaginent les impies, mais rapportez-​la tout entière à la miséri­corde inef­fable d’un Dieu tout-​puissant qui a bien vou­lu adou­cir les cœurs furieux des bar­bares. Recueillez toute l’énergie de votre foi pour gra­ver dans votre sou­ve­nir un si grand bien­fait. Une négli­gence rare doit être répa­rée par une satis­fac­tion plus écla­tante encore. Profitons de la dou­ceur du Maître qui nous épargne pour tra­vailler à nous cor­ri­ger, afin que saint Pierre et tous les autre saints, qui nous ont secou­rus dans une infi­ni­té d’afflictions et d’angoisses, daignent secon­der les tendres sup­plications que nous adres­sons pour vous au Dieu de miséricorde.

En action de grâces de la déli­vrance de Rome, le pieux Pontife aurait fait jeter à la fonte le bronze ido­lâ­trique, long­temps ado­ré sous le nom de Jupiter Capitolin, pour en for­mer une sta­tue de saint Pierre, dans la basi­lique Vaticane. Encore aujourd’hui, les fidèles viennent de tous les points du monde en bai­ser le pied, visi­blement usé par la dévo­tion de tant de siècles.

Châtiment des Romains.

Cependant, Rome, si ingrate envers Dieu qui l’avait sau­vée de la fureur d’Attila, devait être châ­tiée. D’ailleurs, les der­niers ves­tiges de l’empire romain, deve­nus un obs­tacle à la civi­li­sa­tion chré­tienne, devaient dis­pa­raître. En juin 455, Genséric, roi des Van­dales et déjà maître de l’Afrique, de la Corse, de la Sicile, mar­chait sur Rome avec une armée for­mi­dable. L’empereur d’Occident, Valentinien III, et le Sénat cherchent leur salut dans la fuite, per­sonne ne songe à se défendre.

Léon, avec le même cou­rage qu’aux jours d’Attila, va au-​devant du roi bar­bare, et obtient de lui qu’il se conten­te­ra de piller la ville sans y ver­ser le sang, sans y mettre le feu. Les Vandales se reti­rèrent au bout de quinze jours, emme­nant un immense butin et un grand nombre de pri­son­niers, au pre­mier rang des­quels l’impératrice Eudoxie et ses deux filles. Léon pour­vut aux besoins spi­ri­tuels et cor­po­rels des cap­tifs, en envoyant en Afriquè des prêtres zélés et des aumônes consi­dé­rables ; il ren­dit au culte les églises dévas­tées, les pour­vut de vases et d’ornements sacrés ; car on n’avait pu sau­ver du pillage que ceux des églises des bien­heu­reux apôtres Pierre et Paul.

L’humanité, la dou­ceur et la cha­ri­té étaient les ver­tus prin­ci­pales de saint Léon. Ecoutons ce qu’il nous dit à ce sujet :

C’est une maxime fon­da­men­tale du chris­tia­nisme, que les seules et vraies richesses consistent dans cette bien­heu­reuse pau­vre­té d’esprit si for­te­ment recom­man­dée par le Sauveur, c’est-à-dire dans l’humilité et le par­fait déta­chement de toute affec­tion ter­restre. Plus on est humble, plus on est grand ; plus on est pauvre d’esprit, plus on est riche. Notre pro­grès dans cette pau­vre­té d’esprit sera la mesure de la part que nous aurons à la dis­tri­bu­tion de la grâce et des dons célestes.

Dernières années de saint Léon.

Le Pontife, après avoir sau­vé Rome des fureurs d’Attila et de Genséric, employa le reste de sa vie à répa­rer les abus qui s’étaient glis­sés dans la dis­ci­pline ecclé­sias­tique, à la suite des troubles cau­sés par les bar­bares. Il eut à défendre l’œuvre de Chalcédoine contre la révolte des moines de Palestine. Il écri­vit de nom­breuses lettres aux évêques d’Afrique, de Sicile, d’Italie, d’Espagne et des Gaules. A Rome même il avait tenu 5 Conciles ou Synodes, de juillet 445 à sep­tembre 458.

Enfin, il s’endormit dans la paix du Seigneur le 10 novembre 461, après avoir sié­gé vingt et un ans, un mois et treize jours. Son corps, dépo­sé d’abord à gauche du por­tique d’entrée de Saint-​Pierre, fut trans­fé­ré, le 28 juin 688, à l’intérieur de la basi­lique. Le 20 mai 1607, sous Paul V, il fut trans­fé­ré dans l’actuelle basi­lique de Saint-​Pierre et pla­cé sous un autel. Enfin, Innocent X fit consa­crer dans l’église une cha­pelle à saint Léon, afin d’y mettre le corps du Pontife, ce qui eut lieu seule­ment le 11 avril 1716, sous Clément XI.

Dès le ve ou le vie siècle, le nom de saint Léon fut ajou­té au Mar­tyrologe hié­ro­ny­mien. L’Eglise romaine célèbre sa fête le 11 avril et les Grecs l’honorent le 18 février.

Docteur de l’Eglise.

Enfin, par une Bulle du 15 octobre 1754, Benoît XIV a pro­cla­mé saint Léon Docteur de l’Eglise. C’est qu’en effet ce grand Pape doit à ses écrits (lettres et ser­mons) la meilleure par­tie de sa gloire.

Ils sont, a‑t-​on écrit, les monu­ments les plus authen­tiques de sa pié­té, de sa science et de son génie. Ses pen­sées sont vraies, pleines d’éclat et de force. Ses expres­sions ont une beau­té et une magni­fi­cence qui charment, étonnent, trans­portent. Il est par­tout sem­blable à lui-​même ; par­tout, il se sou­tient, sans jamais lais­ser paraître d’inégalités. Sa dic­tion est pure et élé­gante ; son style est concis, clair et agréable. Ce qui pas­se­rait pour enflure chez un écri­vain ordi­naire n’est que gran­deur chez saint Léon. On remarque, dans les endroits mêmes où il est le plus éle­vé, une faci­li­té qui écarte toute appa­rence d’affectation, et qui montre qu’il ne fai­sait que suivre l’impression d’un génie natu­rel­le­ment grand, noble et por­té au sublime.

La manière dont saint Léon rend ses idées mérite moins encore l’atten­tion que l’importance des sujets qu’il a trai­tés. On trouve, dans ses ser­mons et dans ses lettres, une pié­té consom­mée et une connais­sance par­faite de la théo­lo­gie, ce qui fait que le lec­teur est tout à la fois ins­truit et édi­fié. En un mot, on peut les com­pa­rer à une sorte d’arsenal où l’Eglise trou­ve­ra dans tous les siècles des armes propres à confondre les héré­tiques. Mais jamais sa parole n’est plus grande ni plus ins­pi­rée que quand il parle de l’auguste mys­tère de l’Incarnation du Fils de Dieu, qu’il sut défendre si éner­gi­que­ment contre tant d’hérésies ; c’est pour­quoi on lui a don­né le titre glo­rieux de Docteur de l’Incarnation.

A consi­dé­rer d’autre part quelle concep­tion saint Léon avait et de l’unité et de la dis­ci­pline de l’Eglise uni­ver­selle, et du rôle de l’évêque de Rome dans cette uni­té, avec quel suc­cès il a fait accep­ter ses idées dans le temps même où l’Empire romain se dis­lo­quait, où l’Orient catho­lique s’acheminait vers le schisme, où l’Occident allait être la proie des bar­bares, on sous­crit sans peine à ce juge­ment de Mgr Batiffol concluant ain­si un article sur saint Léon, que, par­mi les Papes des pre­miers siècles, « l’Eglise n’en a pas connu de plus com­plet ni de plus grand ».

A. L.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. Il d’avril (Paris et Rome, 1866). – Adolphe Régnier, Saint Léon le Grand (col­lec­tion Les Saints). – Mgr P. Batiffol, Léon Ier, dans Dictionnaire de théo­lo­gie catho­lique. – (V. S. B. P., n°165.)