Saint Thomas d’Aquin

Saint Thomas d'Aquin présente ses œuvres devant une allégorie de l'Eglise, Musée du Vatican. « Tu as bien écris de moi, Thomas »

Dominicain, Docteur Commun l’Eglise, aus­si appe­lé le Docteur Angélique (1225–1274). Le plus grand théo­lo­gien de l’Eglise, auteur de la Somme Théologique.

Fête le 7 mars.

Saint Thomas d’Aquin est le plus grand théo­lo­gien de l’Eglise, la gloire incom­pa­rable de l’Ordre des Frères Prêcheurs et de son siècle ; on ne compte plus les docu­ments offi­ciels dans les­quels les Souverains Pontifes ont loué la doc­trine et recom­man­dé l’étude des œuvres de ce phi­lo­sophe et théo­lo­gien de génie.

Un enfant d’esprit vif et réfléchi.

Il naquit à Rocca-​Secca, dans le royaume de Naples, au début de 1225 ou à la fin de 1224 ; il était le cou­sin de l’empereur Frédéric II.

Le comte Landolphe, son père, vivait mili­tai­re­ment au châ­teau fort de Rocca-​Secca (roche aride), domi­nant à pic la petite ville d’Aquino, véri­table nid d’aigle, qui fait face à l’ab­baye du Mont-​Cassin. La com­tesse Théodora d’Aquin, femme d’une admi­rable pure­té de vie, remit Thomas, tout inno­cent aux mains des Bénédictins du célèbre monas­tère ; l’enfant avait alors cinq ans.

Dans un âge si tendre, il éton­nait déjà ses maîtres par sa réflexion et la viva­ci­té de son esprit. Souvent, il adres­sait aux moines cette inter­ro­ga­tion : « Qu’est-ce que Dieu ? » Une telle ques­tion sera la pas­sion de toute sa vie. A huit ans, elle dénote déjà son tour d’esprit. Remarquons-​le bien. Il ne dira pas : Qui est Dieu ? comme tout enfant de son âge aurait dit à sa place, mais bien : « Qu’est-ce que Dieu ? » Tout l’intellectualisme de saint Thomas d’Aquin est déjà là.

Il mon­tra donc une extra­or­di­naire ardeur à connaître Dieu. Il se reti­rait même sou­vent de la com­pa­gnie des jeunes nobles pour étu­dier le manus­crit où se trou­vaient les rudi­ments de la science. Dès lors, il était peu empres­sé aux conver­sa­tions mon­daines, mais plu­tôt médi­ta­tif et taci­turne, dis­trait même. Il gar­de­ra toute sa vie d’ailleurs cette atti­tude absor­bée et comme indif­fé­rente aux objets exté­rieurs. On le ver­ra, par exemple, silen­cieux et tout pré­oc­cu­pé à la table du roi saint Louis, qui l’aimait beau­coup. Entraîné par la force d’un rai­son­ne­ment théo­lo­gique qu’il pour­sui­vait inté­rieu­re­ment, il inter­rom­pit sou­dain la conver­sa­tion enga­gée autour de lui et il frap­pa sur la table, comme sur sa chaire de pro­fes­seur, en s’écriant : « Voilà qui est déci­sif contre l’hérésie des manichéens ! »

A l’âge de dix ans, il fut ins­crit à un cours de belles-​lettres et de dia­lec­tique à Naples ; il prit quelque connais­sance de la langue grecque et étu­dia la phy­sique, la méta­phy­sique et la morale. Les matières les plus ardues ne furent qu’un jeu pour cet enfant. Dans les exer­cices pra­tiques qui étaient impo­sés aux étu­diants, il se fai­sait remar­quer par la clar­té, la pro­fon­deur et ce don de la for­mule nette et adé­quate qui lui est si per­son­nelle. Il n’avançait pas moins en sainteté.

L’attrait de son âme pour une vie reli­gieuse de contem­pla­tion et d’action, telle que la menaient les Dominicains de Naples, le condui­sit dans leur mai­son. C’était vers le mois d’août 1243.

Rudes épreuves de sa vocation et glorieux triomphe.

Thomas avait dix-​huit ans quand il don­na aux élèves de l’Université napo­li­taine l’étrange spec­tacle d’un fils de famille, héri­tier d’un grand nom, allant ense­ve­lir sous le froc d’un Ordre men­diant un ave­nir qui s’annonçait brillant. Mais la conster­na­tion fut plus pro­fonde encore à Rocca-Secca.

Pour détour­ner le jeune homme de sa voca­tion, le démon se ser­vit d’un moyen qui l’a sou­vent ren­du vic­to­rieux : la ten­dresse enne­mie d’une mère. La com­tesse Théodora se mit en route pour Naples, vou­lant dire un tendre adieu à son cher trans­fuge, mais avec la pen­sée secrète de le faire chan­ger de réso­lu­tion ; car le dépit lui avait fait oublier ses pieuses dis­po­si­tions d’autrefois. De pareilles contra­dic­tions se voient tous les jours. Mais les Frères Prêcheurs, devan­çant ces des­seins, firent secrè­te­ment par­tir le jeune reli­gieux pour Rome, où Théodora le pour­sui­vit vai­ne­ment, car, avant d’avoir revu sa mère, Thomas avait pris la route de France.

La com­tesse ne se tint pas pour bat­tue ; où l’aveugle ten­dresse avait échoué, la vio­lence réus­si­rait peut-​être. Elle écri­vit à ses deux autres fils, Landulphe et Raynald, brillants capi­taines de l’armée de Frédéric II, les conju­rant de sai­sir leur frère au pas­sage des Alpes et de le lui rame­ner de force. On mit, en effet, la main sur lui, au moment où il se repo­sait au bord d’un ruis­seau, non loin d’Acquapendente.

A par­tir du mois de sep­tembre 1243, Thomas devint donc à Rocca-​Secca le cap­tif de Théodora, mais non le pri­son­nier de toutes les séduc­tions de ten­dresse qu’une mère peut inven­ter. Dans son étroite cel­lule, il devint tout à fait homme d’étude et d’oraison. Il avait pu se pro­cu­rer quelques manus­crits : la Bible et plu­sieurs livres de théo­lo­gie. Il lut et apprit entiè­re­ment les Saintes Ecritures, de telle façon qu’en sor­tant de pri­son, il en avait à peu près élu­ci­dé tous les pas­sages dif­fi­ciles et obs­curs. Il apprit aus­si de mémoire le texte du cours de théo­lo­gie de Pierre Lombard, mort évêque de Paris en 1160 et glo­rieu­se­ment sur­nom­mé « le Maître des Sentences ». Il étu­dia enfin le trai­té d’Aristote sur les Sophismes.

En vain Théodora fit livrer à Thomas un assaut plus tenace encore par ses deux sœurs. Il prit à son tour l’offensive, et réfu­ta si bien leurs objec­tions affec­tueuses qu’il les conver­tit. L’une d’entre elles, Marozia, à la suite de ce triomphe, devait prendre plus tard le voile des Bénédictines.

Il res­tait aux deux frères du jeune Saint d’user d’une arme plus per­fide. Ces deux fra­tri­cides, on peut les nom­mer ain­si, de leur propre ini­tia­tive ten­tèrent d’essayer d’une ruse infâme, celle dont usaient en der­nier res­sort les Domitien ou les Néron. Persuadés qu’ils auraient tout gagné s’ils venaient à faire suc­com­ber sa ver­tu, ils lui envoyèrent une créa­ture effron­tée, dont les paroles empoi­son­nées jet­te­raient le trouble dans son cœur. C’était alors l’hiver. Thomas, sans hési­ter, sai­sit dans l’âtre un tison enflam­mé, s’élance et met en fuite la vile cour­ti­sane. Puis, fier de sa vic­toire comme un che­va­lier avec son épée, il trace avec l’extrémité du tison, sur la muraille, un large et glo­rieux signe de croix.

La ten­ta­tion de saint Thomas d’Aquin, par Diego Velasquez

Puis il demande à Dieu le don d’une vir­gi­ni­té per­pé­tuelle supé­rieure à toutes les attaques. Un som­meil exta­tique s’empare de lui ; et cette même nuit il voit appa­raître deux anges qui ceignent ses reins d’un cor­don de chas­te­té. C’est en mémoire de ce fait que les Dominicains ont le pri­vi­lège de confé­rer le « cor­don de Saint-​Thomas », pré­cieuse sau­ve­garde de la chas­te­té, sur­tout chez les jeunes gens.

Finalement, après une année de cap­ti­vi­té, le comte et la com­tesse d’Aquin ayant fer­mé les yeux sur son éva­sion, Thomas des­cen­dit pen­dant la nuit par une fenêtre du don­jon. Des che­vaux tout sel­lés étaient prêts au pied de la tour, et le jeune homme, ren­du à sa famille spi­ri­tuelle, prit en toute hâte le che­min de Naples.

Il avait alors un peu plus de dix-​neuf ans.

Saint Thomas et saint Albert le Grand.

Après ce rude novi­ciat, Thomas fut envoyé à Cologne pour suivre des cours qu’il devait fré­quen­ter en 1244 et 1245. Saint Albert le Grand, le futur évêque de Ratisbonne, y fut son professeur.

Les éco­liers rhé­nans furent vive­ment frap­pés de la haute taille du nou­veau venu et de son obs­ti­na­tion à se tenir recueilli et silen­cieux. Ils crurent y voir la marque d’un esprit lourd et tar­dif, et ils l’appelaient en riant : le bœuf muet de Sicile. Maître Albert « lisait », c’est-à-dire com­men­tait alors le livre dif­fi­cile de saint Denis sur les Noms divins. Un des étu­diants eut com­pas­sion de la peine que le « bœuf muet » devait sans doute trou­ver à com­prendre une leçon si rele­vée, et il lui offrit des répé­ti­tions. Mais le com­plai­sant répé­ti­teur s’étant tout à fait éga­ré dans sa matière, Thomas dut venir à son secours et il répé­ta la leçon du maître avec une sur­pre­nante clar­té, voire avec des addi­tions nom­breuses, de sorte que son com­pa­gnon, frap­pé d’une admi­ra­tion sou­daine, le conju­ra d’intervertir les rôles. Thomas y consen­tit, en fai­sant pro­mettre le secret. La condi­tion, on le pense bien, ne fut pas obser­vée. Une autre fois, le dis­trait Thomas per­dit, devant la porte de sa cel­lule, la rédac­tion d’un pro­blème très dif­fi­cile qui lui avait été impo­sée. Elle fut por­tée à maître Albert, qui, convain­cu d’avoir par­mi ses audi­teurs un homme de génie, le dési­gna le len­de­main pour sou­te­nir une thèse des plus ardues. Il lui pro­po­sa quatre dif­fi­cul­tés très embar­ras­santes. Mais l’admirable sou­te­nant les réso­lut d’une manière extrê­me­ment brillante, avec la plus par­faite modes­tie, et Albert ne put s’empêcher de conclure : « Nous l’appelons un bœuf muet, mais son ensei­gne­ment devien­dra un tel mugis­se­ment qu’il reten­ti­ra dans le monde entier. »

Saint Thomas docteur.

Les cours de théo­lo­gie ter­mi­nés, on l’envoya à Paris, au couvent de Saint-​Jacques, où Albert res­tait encore son maître. Puis il revint à Cologne en 1248, non plus comme étu­diant, mais comme pro­fes­seur ; il y ensei­gna, au titre de « lec­teur biblique », pen­dant quatre années. C’est là qu’il com­po­sa ses trai­tés de l’Etre et de l’Essence, des Principes de la nature, et quelques autres opus­cules qui feraient, même de nos jours, le plus grand hon­neur à des méta­phy­si­ciens vieillis dans l’étude de la phi­lo­so­phie. Et il avait vingt-​cinq ans ! Rappelé de nou­veau à Paris, pour y prendre ses grades supé­rieurs de licence (1251), il revint au couvent de Saint-​Jacques ensei­gner publi­que­ment le texte du Maître des Sentences. Ce fut le temps où il rédi­gea ses doctes Commentaires sur Pierre Lombard. Il y ensei­gna long­temps, pas­sa ensuite à Rome (1261), puis dere­chef à Paris (1269) et enfin à Naples (1272).

On peut par­ta­ger ses nom­breux écrits en plu­sieurs catégories.

Dans ses écrits polé­miques, il répond aux attaques de Guillaume de Saint-​Amour contre la vie reli­gieuse, les moines et les Ordres men­diants. Il com­bat­tit l’erreur des Fraticelles avec non moins d’énergie pour éta­blir contre eux que l’Evangile de Jésus-​Christ est défi­ni­tif et que l’état pré­sent de l’Eglise est une pré­pa­ra­tion immé­diate et com­plète à la gloire du ciel. Aux dan­ge­reuses théo­ries à la mode, de l’averrhoïsme, d’après les­quelles tous les hommes n’ont qu’une seule et même intel­li­gence, tout entière en cha­cun et à tra­vers tous les siècles, il répon­dait par son opus­cule : De l’unité de l’intellect contre les averrhoïstes.

Au groupe des ouvrages apo­lo­gé­tiques, des­ti­né à réfu­ter les païens, les maho­mé­tans et les schis­ma­tiques, appar­tiennent sur­tout les quatre livres de la Somme contre les Gentils, incom­pa­rable pré­face de la Somme de théo­lo­gie ; il y démontre aux incré­dules que ceux-​ci n’ont pas un seul motif sérieux de se refu­ser à entrer dans le temple de la foi.

Le manus­crit de la Somme contre les gen­tils, lors de l’ex­po­si­tion saint Louis à Paris, en 2014–2015. © LPL

Parmi ses ouvrages exé­gé­tiques, il faut rap­pe­ler la fameuse Chaîne d’or, vrai joyau de science biblique et de pié­té, dont les innom­brables chaî­nons, for­més avec les plus beaux textes des saints Pères et des écri­vains ecclé­sias­tiques, illus­trent les quatre Evangiles et les Epîtres de saint Paul. Aux écrits poé­tiques appar­tient l’Office du Saint Sacrement, chef‑d’œuvre de la poé­sie didac­tique, litur­gique et mys­tique dont il faut dire un mot.

Urbain IV avait réso­lu d’étendre à l’univers entier la belle fête du Saint Sacrement, célé­brée depuis quelques années dans le seul dio­cèse de Liège. Pour ce grand mys­tère, il vou­lait un office tout à fait excellent. Dans ce des­sein il s’adressa à Thomas d’Aquin, et celui-​ci, alliant au plus haut degré le génie artis­tique et le génie théo­lo­gique, com­po­sa cet office incom­pa­rable où les figures de l’Ancienne Loi et les réa­li­tés de la Nouvelle sont enchâs­sées dans une forme très simple et en même temps très solen­nelle, pleine de pié­té, de force et de lumière. Car, même quand il prie, dit un contem­po­rain, saint Thomas éclaire.

Au sujet de la com­po­si­tion de cet office on cite volon­tiers une anec­dote édi­fiante, dont on ne peut pour­tant attes­ter la véra­ci­té abso­lue : le Pape aurait confié la même tâche à la fois à saint Thomas d’Aquin et à un autre doc­teur non moins illustre, un Franciscain, saint Bonaventure. Les deux reli­gieux se seraient pré­sen­tés à la fois devant Urbain IV, appor­tant leurs manus­crits, et tan­dis que Fr. Thomas, le pre­mier, lisait sa com­po­si­tion, Fr. Bonaventure, plein d’admiration et d’humilité, déchi­rait la sienne.

Saint Thomas lit l’Office du Saint Sacrement au Pape Urbain IV. Saint Bonaventure déchire sa copie.

Mais l’œuvre capi­tale de saint Thomas d’Aquin, c’est l’immortelle Somme théo­lo­gique, expo­si­tion scien­ti­fique du chris­tia­nisme ; vaste ensemble (sum­ma) de toute la théo­lo­gie divi­sé en trois par­ties : la pre­mière, appe­lée par l’auteur « natu­relle », la deuxième « morale » et la troi­sième « sacra­men­telle ». La pre­mière est consa­crée à Dieu et à ses œuvres. La deuxième a pour objet la rela­tion essen­tielle de l’homme avec Dieu, sa fin der­nière. La troi­sième expose les mys­tères de l’Incarnation et de la Rédemption, et la doc­trine sur la Grâce ; vient ensuite un trai­té des Sacrements, inachevé.

La Somme théo­lo­gique marque le point culmi­nant, le plus haut som­met où aient jamais atteint la pen­sée humaine et la pen­sée chré­tienne. La doc­trine s’y trouve expli­quée avec une clar­té, une force et une méthode inéga­lables. Telle était l’estime des Pères du Concile de Trente (XVIème siècle) pour cette œuvre admi­rable qu’un exem­plaire en fut dépo­sé sur leur table à côté de la Bible.

Dans les cours que le maître pro­fes­sa étant régent à Paris de 1261 à 1258, la doc­trine se déroule d’un mou­ve­ment égal, en divi­sions infi­nies et métho­di­que­ment cou­pées où s’affirme la tran­quille pos­ses­sion de soi. Jamais un mot plus haut, une divi­sion inache­vée qui lais­se­rait devi­ner que ce jour-​là, peut-​être, il fut insul­té à la porte de son couvent par un anta­go­niste appar­te­nant à l’Université ; il reste calme, de cette séré­ni­té inté­rieure qui n’est pas de la terre, car on a pu dire : « Rien n’approche autant de la vision claire et béa­ti­fique du ciel que la Somme théo­lo­gique. » Saint Thomas n’aborde jamais une ques­tion sans lui don­ner toute la lumière dont elle est sus­cep­tible, il n’attaque pas une erreur sans la détruire dans ses racines. Chose admi­rable, depuis le XIIIème siècle pas une erreur n’a sur­gi qu’il ne l’ait pré­vue, comme par une sorte d’esprit pro­phé­tique, et réfu­tée sans réplique. Le pro­tes­tan­tisme était réfu­té dans la Somme long­temps avant son appa­ri­tion. C’est pour­quoi Léon XIII, vou­lant mettre une digue aux erreurs de la pen­sée moderne, n’a pas trou­vé d’autre moyen que la res­tau­ra­tion de la doc­trine de saint Thomas, et en a affir­mé la nécessité.

Maître des études, il l’est, en effet, au degré le plus émi­nent. Tous ceux qui ont par­lé depuis saint Thomas lui doivent ce qu’ils ont de bon, et qui­conque a vou­lu s’écarter de lui s’est tou­jours égaré.

L’homme et le saint.

Au phy­sique, Thomas d’Aquin était d’une sta­ture très éle­vée, assez cor­pu­lent. Son teint bis­tré rap­pe­lait, dit naï­ve­ment un contem­po­rain, la cou­leur du fro­ment. Il avait la tête large, bien des­si­née, le front très accen­tué et pro­lon­gé encore par une légère calvitie.

L’ensemble de sa per­sonne, la noblesse de sa démarche d’où toute trace d’orgueil était absente, déno­tait un équi­libre par­fait entre le phy­sique et le moral. En réa­li­té son corps était tout à fait sou­mis à l’esprit. N’est-ce pas, en effet, un miracle éton­nant que cette vie constam­ment rem­plie par la prière, l’oraison, la pré­di­ca­tion, les exer­cices mul­tiples de l’état reli­gieux, et néan­moins si féconde en tra­vaux d’une pro­fon­deur et d’une éru­di­tion sans égales ? Pour intel­li­gent que soit un homme, il ne par­vien­dra qu’avec peine à lire et sur­tout à com­prendre les ouvrages de saint Thomas, en aus­si peu d’années que le grand Docteur en a mis à les pré­pa­rer, à les com­po­ser, à les dicter.

Un tel génie n’est pas uni­que­ment le don d’une heu­reuse nature. Le prin­cipe en est bien supé­rieur, il appar­tient à l’ordre sur­na­tu­rel : Thomas est en toute véri­té le Docteur Angélique.

Angélique, il l’était par sa pure­té et nous connais­sons les com­bats qu’il eut à sou­te­nir. L’opinion com­mune est qu’il mou­rut dans toute la gloire de sa vir­gi­ni­té, et il résulte des pièces dépo­sées au pro­cès de cano­ni­sa­tion, que sa confes­sion géné­rale au moment de la mort avait été comme la confes­sion d’en enfant de cinq ans, parce qu’il n’avait jamais com­mis un seul péché mor­tel. Son inno­cence vir­gi­nale se com­mu­ni­quait, dit un témoin, même à ceux qui le consi­dé­raient, et un autre témoin dépo­sa qu’il lui avait suf­fi de se recom­man­der au Saint pour être déli­vré de graves tentations.

Angélique, saint Thomas mérite aus­si ce titre décer­né par la pos­té­ri­té, parce qu’il reçut direc­te­ment de Dieu même une immé­diate com­mu­ni­ca­tion de la science des anges. En effet, il entend plus qu’il n’argumente et a plus d’intuition que de rai­son­ne­ment. Il est plus ange qu’homme. Rencontrait-​il des points dou­teux, il allait prier devant l’autel avec beau­coup de larmes ; puis, ren­tré dans sa chambre, il conti­nuait faci­le­ment ses sublimes écrits.

Est-​il besoin de le dire ? La science de saint Thomas n’altérait jamais sa dou­ceur et son affa­bi­li­té. Quand il des­cen­dait des hau­teurs de la contem­pla­tion, il était d’un com­merce sou­riant et joyeux.

A une cour­toi­sie par­faite, rap­pe­lant le des­cen­dant d’une des plus nobles races d’Italie, il joi­gnait une habi­tude admi­rable de réserve et de digni­té, ne cher­chant point à se créer des rela­tions exté­rieures, évi­tant toutes les paroles inutiles, ne se mêlant point des affaires tem­po­relles à moins d’une extrême nécessité.

A table, la déli­ca­tesse des mets ne lui impor­tait nul­le­ment. Il ne man­geait qu’une fois par jour et très peu, en sorte que son jeûne était per­pé­tuel. Pendant les repas, il était sou­vent en contem­pla­tion et l’on pou­vait lui chan­ger sa nour­ri­ture sans qu’il s’en aperçut.

Il dor­mait très peu. Au lieu de repo­ser comme les autres après Complies, il fai­sait de longues prières dans l’église, et dès que la cloche allait son­ner Matines, il rega­gnait à la hâte et adroi­te­ment sa cel­lule pour en redes­cendre avec la com­mu­nau­té. Quand il célé­brait la sainte messe, fré­quem­ment on pou­vait le voir pleu­rer d’amour au moment de la Communion.

Saint Thomas cesse d’écrire. — Sa mort.

A l’âge de quarante-​neuf ans, le Docteur Angélique avait ter­mi­né la tâche immense que Dieu avait confiée à son génie et à son amour. Un jour, priant avec ardeur devant un Crucifix, au couvent de Naples, il enten­dit ces paroles sor­tir de la bouche du Sauveur : « Tu as bien écrit de moi, Thomas, quelle récom­pense désires-​tu rece­voir ? » Et le Saint, péné­tré d’amour, s’écria : « Point d’autre que vous-​même, Seigneur · »

« Tu as bien écrit de moi, Thomas »

Il fut appe­lé comme théo­lo­gien par le Pape Grégoire X, au Concile de Lyon (1274). C’est en s’y ren­dant qu’il tom­ba malade au couvent des Cisterciens de Fossanuova, dio­cèse de Terracine, dans la pro­vince romaine. En y entrant, il annon­ça sa mort, redi­sant avec le Psalmiste : « C’est ici le lieu de mon repos pour toujours… »

Les reli­gieux l’entourèrent de soins ; Thomas paya la dette de la recon­nais­sance en leur expli­quant, sur son lit de mort, le Cantique des can­tiques. Il reçut avec une grande dévo­tion les der­niers sacre­ments. Le 7 mars 1274 s’éteignait cette lumière éclatante.

La mort de saint Thomas d’Aquin, bas-​relief du monas­tère de Fossa-​nova © LPL

La cano­ni­sa­tion de saint Thomas ne devait pas tar­der. Dès l’an 1318, des appa­ri­tions, des miracles dus à son inter­ces­sion avaient déci­dé le Siège apos­to­lique, alors fixé à Avignon, à com­men­cer le pro­cès cano­nique. La sen­tence défi­ni­tive fut ren­due par le Pape Jean XXII, le 18 juillet 1323, dans la cathé­drale d’Avignon.

A la demande du maître géné­ral des Dominicains Elie de Raymond, le Pape Urbain V contrai­gnit en 1368 les Cisterciens de Fossanuova de rendre le corps et la tête de saint Thomas d’Aquin à sa famille reli­gieuse ; ces reliques furent trans­fé­rées à Toulouse. Son bras droit, offert à Paris, pas­sa ensuite au couvent des Saints-​Dominique et Sixte, à Rome.

On le repré­sente ordi­nai­re­ment avec un soleil sur la poi­trine, sym­bole de la véri­té qui est en lui, peut-​être aus­si à cause d’étoiles mer­veilleuses qui appa­raissent plu­sieurs fois dans son his­toire, soit de son vivant, soit après sa mort.

Saint Pie V a mis saint Thomas au rang des Docteurs de l’Eglise, avec le titre spé­cial de « Docteur Angélique », en 1567 ; Léon XIII, le 4 août 1880, l’a don­né pour patron aux écoles catho­liques, tan­dis que les Pontifes sui­vants n’ont ces­sé de pres­crire l’étude de ce Maître des maîtres.

A. Poirson.

Sources consul­tées. — Chanoine Didiot, Le Docteur Angélique saint Thomas d’Aquin (Lille, 1894). — Th. Pègues, O. P., Saint Thomas d’Aquin. Sa vie par Guillaume de Tocco et les Témoins au pro­cès de cano­ni­sa­tion (Toulouse, 1926). — (V. S. B. P., nos 167, 158, 160 et 162.)