Saint Vincent de Paul

Apôtre de la Charité (1581–1660)

Fête le 19 juillet.

Quand Dieu fit le cœur de l’homme, il y mit la bon­té, dit Bossuet. En nul autre homme, peut-​être, cette grande véri­té n’a eu une aus­si res­plen­dis­sante mani­fes­ta­tion qu’en Vincent de Paul, dont le nom per­son­ni­fie le dévoue­ment et la cha­ri­té. Ce grand homme et ce grand Saint est l’honneur de son pays et l’une des gloires les plus incon­tes­tées de l’Eglise catholique.

C’est à Pouy, petit vil­lage des Landes, près de Dax, que naquit saint Vincent de Paul, le 24 avril 1581. Comme l’innocent Abel, comme David, il gar­da pen­dant son enfance les trou­peaux de son père. Il avait vrai­ment « reçu du ciel une âme bonne, et la misé­ricorde crois­sait en lui », ain­si que parlent nos Saints Livres. Tout jeune enfant, lorsqu’il reve­nait du mou­lin, rap­por­tant la farine à la mai­son pater­nelle, il en don­nait des poi­gnées aux pauvres qui lui en deman­daient. « De quoi, ajoute l’historien de sa vie, son père, qui était homme de bien, témoi­gna n’être pas fâché. » Voici un autre trait. A l’âge de douze ou treize ans, ayant amas­sé peu à peu jusqu’à trente sous de ce qu’il avait pu gagner, ce qu’il esti­mait beau­coup en cet âge et en ce pays où l’argent était rare, et ayant un jour trou­vé un pauvre qui lui parais­sait dans une grande indi­gence, tou­ché de com­pas­sion, il lui don­na tout son tré­sor. C’étaient en cet enfant de béné­dic­tion les pre­miers signes de la grande cha­ri­té qui devait se répandre sur le monde. De si heu­reuses dis­po­si­tions incli­nèrent son père à faire, sui­vant sa modique for­tune, quelques sacri­fices pour l’appliquer aux études en vue du sacer­doce. Le jeune enfant étu­dia d’abord au col­lège de Dax ; plus tard, une paire de bœufs fut ven­due pour l’aider à conti­nuer à l’Université de Toulouse, où il prit ses grades en théologie.

Esclave à Tunis.

Vincent de Paul avait été ordon­né prêtre à Château‑l’Evêque, près de Périgueux, le 13 sep­tembre 1600. Il n’avait que 19 ans, les décrets du Concile de Trente n’étant pas encore reçus en France. Or, il arri­va qu’en 1605, ayant à reve­nir par mer de Marseille, il tom­ba en capti­vité et fut emme­né par les pirates à Tunis. Lui-​même en a fait le récit.

Trois bri­gan­tins turcs, dit-​il, qui côtoyaient le golfe du Lion pour s’em­parer des barques qui venaient de Beaucaire, où il y avait une foire que l’on estime être des plus belles de la chré­tien­té, nous atta­quèrent si vive­ment, que deux ou trois des nôtres étant tués, et tout le reste bles­sé, et même moi ayant eu un coup de flèche qui me ser­vi­ra d’horloge tout le reste de ma vie, nous fûmes contraints de nous rendre à ces félons. Les pre­miers éclats de leur rage furent de hacher notre pilote en mille pièces ; cela fait, ils nous enchaî­nèrent, et, après nous avoir gros­siè­re­ment pan­sés, ils prirent la route de Barbarie, où, étant arri­vés, ils nous expo­sèrent en vente.

Vincent de Paul fut ven­du d’abord à un pêcheur, puis à un méde­cin, enfin à un rené­gat qui l’employa au tra­vail des champs. L’une des femmes de ce rené­gat était Turque.

Curieuse qu’elle était, raconte Vincent de Paul, de savoir notre façon de vivre, elle me venait voir aux champs et me posait des ques­tions. Un jour, elle me com­man­da de chan­ter les louanges de mon Dieu. Le res­sou­ve­nir du Quomado can­ta­bi­mus in ter­ra alie­na [1] des enfants d’Israël cap­tifs en Babylone me fit com­men­cer, les larmes aux yeux, le psaume Super flu­mi­na Babylonis [2], et puis le Salve Regina, et plu­sieurs autres choses, en quoi elle pre­nait tant de plai­sir que c’était mer­veille. Elle ne man­qua pas de dire à son mari, le soir, qu’il avait eu tort de quit­ter sa reli­gion, qu’elle esti­mait extrê­me­ment bonne, pour un récit que je lui avais fait de notre Dieu et quelques louanges que j’avais chan­tées en sa présence.

Celui-​ci, tou­ché à son tour, s’embarqua sur un léger esquif pour fuir cette terre infi­dèle avec son esclave Vincent. Ils abor­dèrent à Aigues-​Mortes et le rené­gat fit son abju­ra­tion entre les mains du vice-​légat du Pape, à Avignon, à la grande joie de Vincent de Paul.

Saint Vincent de Paul curé.

La Providence pous­sa l’apôtre à Paris, centre de toutes les misères et de toutes les res­sources, à la fin de l’année 1608. Il avait le titre d’aumônier de la reine Marguerite de France et il visi­tait les hôpi­taux. Désormais sa vie ne sera plus qu’un acte sublime de cha­ri­té au ser­vice des pauvres.

Dieu don­na à Vincent de Paul de ser­vir les pauvres dans toutes les condi­tions où on peut les ren­con­trer. Ce fut d’abord comme curé d’humbles paroisses : à Clichy, dans la ban­lieue de Paris, et à Châtillon-​les-​Dombes, alors au dio­cèse de Lyon.

En peu d’années, tant la main de Dieu était visi­ble­ment avec lui, Vincent avait renou­ve­lé la popu­la­tion de Clichy dans la reli­gion, rebâ­ti l’église, ins­ti­tué des confré­ries, posé les bases d’une école ecclé­sias­tique : il avait sur­tout gagné tous les cœurs.

A Châtillon, dont il accep­ta d’être curé en 1617 par défé­rence pour les prières de M. de Bérulle, son direc­teur, il ne mit que cinq mois pour réa­li­ser les mer­veilles qu’il avait accom­plies à Clichy : il ame­na à une vie exem­plaire les prêtres qui vivaient en cette loca­li­té ; il conver­tit les héré­tiques ; et c’est là qu’il fon­da les pre­mières associa­tions de cha­ri­té, qui pro­duisent encore de si grands biens.

La Confrérie et les Dames de Charité.

Un dimanche du mois d’août, quelques jours après son arri­vée dans la paroisse, Vincent recom­man­da au prône une famille malade en une ferme voi­sine de Châtillon.

La parole de l’homme de Dieu eut sa béné­dic­tion ordi­naire, et le ser­mon ter­mi­né, presque tous les audi­teurs prirent le che­min de la ferme, les mains pleines de toute sorte de secours. Après Vêpres, il prit la même direc­tion et fut agréa­ble­ment sur­pris de voir les groupes qui reve­naient à Châtillon ou cher­chaient sous les arbres de la route un abri contre une exces­sive chaleur.

— Voilà, s’écria-t-il, une grande cha­ri­té, mais elle est mal réglée. Ces pauvres malades, pour­vus de trop de pro­vi­sions à la fois, en lais­se­ront une par­tie se gâter et se perdre, et ils retom­be­ront ensuite dans leur pre­mière nécessité.

Dès lors, avec l’esprit d’ordre et de méthode qu’il por­tait en tout, il fit un règle­ment pour les femmes pieuses et cha­ri­tables de Châ­tillon : les confré­ries de cha­ri­té et les asso­cia­tions des Dames de Charité étaient fon­dées. En d’autres loca­li­tés de diverses régions, telles que Folleville, Courboin, Joigny, Mâcon, Montreuil-​sous-​Bois, les hommes se réunirent sous sa direc­tion et il leur don­na un règle­ment ana­logue et un pro­gramme : ain­si feront plus tard les Conférences de Saint-​Vincent de Paul.

On a un règle­ment écrit de sa main pour l’organisation d’une manu­fac­ture chré­tienne, sur la manière de pour­voir aux néces­si­tés des pauvres et de leur faire gagner leur vie, avec les devoirs du maître ouvrier, de l’apprenti, et l’emploi chré­tien de la jour­née ; c’est l’assistance par le tra­vail et les patro­nages. Tant il est vrai qu’il n’y a pas une œuvre de cha­ri­té qui n’ait été devi­née par le cœur et orga­ni­sée par la main pré­voyante et bien­fai­sante de Vincent de Paul !

Chez les Gondi et sur les galères.

Sa cha­ri­té était uni­ver­selle. M. de Bérulle fit encore appel à son dévoue­ment pour ser­vir Dieu auprès des grands, et il l’introduisit dans la famille de Gondi qui don­nait alors des ser­vi­teurs à l’Etat et des chefs à l’Eglise de Paris. Vincent fut bien­tôt comme l’âme de la mai­son. Mme de Gondi ne pou­vait plus se pas­ser de lui pour la direc­tion de sa conscience et l’accomplissement de ses bonnes œuvres. La ver­tu du saint prêtre lui don­nait aus­si un grand empire sur M. de Gondi.

Celui-​ci était l’administrateur géné­ral des galères de France. Vincent en pro­fi­ta pour obte­nir de visi­ter ses pri­son­niers. Il se mit à évan­gé­li­ser les bagnes : il pro­cu­ra l’amélioration de la condi­tion maté­rielle des for­çats dans leurs pri­sons et sur les galères ; il allait essuyer leurs larmes, leur por­ter les conso­la­tions de la reli­gion et adou­cir leur dou­leur. Louis XIII lui don­na le titre qui lui était très cher, parce qu’il lui per­met­tait de faire beau­coup de bien : celui d’aumônier géné­ral des galères de France.

Les missions dans les campagnes.

« Les pauvres sont évan­gé­li­sés », avait dit Notre-​Seigneur. Ce fut peut-​être la parole de l’Evangile la plus chère au cœur de Vincent de Paul. Pour évan­gé­li­ser les pauvres, il fon­da une com­mu­nau­té de mis­sion­naires. Voici à quelle occa­sion. Vers le com­men­ce­ment de l’année 1617, il se trou­vait avec M. de Gondi au châ­teau de Folleville, dans le dio­cèse d’Amiens, lorsqu’on l’appela à un vil­lage voi­sin, Gannes, pour confes­ser un pay­san qui se mou­rait. Celui-​ci pas­sait pour un homme de bien, mais une fausse honte lui fai­sait cacher depuis long­temps quelques fautes en confes­sion. Vincent fît faire au mou­rant une confes­sion géné­rale qui lui ren­dit une telle paix qu’il ne ces­sait d’en bénir Dieu publi­que­ment pen­dant les quelques jours qu’il vécut encore : « Ah ! Madame, dit-​il à Mme de Gondi devant tous les gens du vil­lage, j’étais dam­né, si je n’eusse fait une confes­sion géné­rale à cause de plu­sieurs gros péchés dont je n’avais pas osé me confes­ser. » La pieuse com­tesse, tou­chée et effrayée par cet exemple, pres­sa alors Vincent d’évangéliser les cam­pagnes environ­nantes. L’homme de Dieu n’avait pas de plus ardent désir. Autour de lui se grou­pèrent d’autres prêtres zélés qui se dévouèrent à cette œuvre et s’engagèrent par vœu, sous la conduite de Vincent, à tra­vailler toute leur vie au salut des pauvres gens des champs : ce fut le début de la Congrégation de la Mission. L’une des œuvres aposto­liques les plus impor­tantes de Vincent était ain­si fon­dée ; elle donne encore aujourd’hui des fruits abon­dants. Vincent tra­vailla toute sa vie à évan­gé­li­ser les cam­pagnes ; à soixante-​quinze ans il allait encore dans les mis­sions. « Lorsque je rentre à Paris, disait-​il, en pen­sant aux pauvres qui res­tent à évan­gé­li­ser, il me semble que les murailles de la ville vont tom­ber sur moi pour m’écraser. »

Pour main­te­nir le fruit des mis­sions, il fal­lait évi­dem­ment éta­blir dans les vil­lages de bons curés. La réforme ecclé­sias­tique s’imposait donc. Les retraites des ordi­nands, les Séminaires, les réunions hebdo­madaires, dont nous repar­le­rons, furent les moyens qu’il employa pour régé­né­rer le clergé.

Saint-​Lazare et les œuvres de charité dans Paris.

Les œuvres de cha­ri­té se mul­ti­pliaient sous la main de Vincent et sa répu­ta­tion s’étendait. Le roi Louis XIII mou­rant, en 1643, fit appe­ler l’homme de Dieu pour se pré­pa­rer à paraître devant son sou­ve­rain Juge. Vincent habi­ta tout d’abord avec sa com­mu­nau­té au col­lège des Bons-​Enfants. Près de l’église Saint-​Laurent était une vaste mai­son où rési­daient des cha­noines dont la com­mu­nau­té s’éteignait ; leur prieur, ayant été témoin du bien entre­pris par Vincent, de la modes­tie et du zèle de ses dis­ciples, leur offrit sa mai­son ; de là, la nou­velle Congrégation reçut la déno­mi­na­tion popu­laire de Lazaristes, et Saint-​Lazare, par la pré­sence de Vincent de Paul, devint le foyer de la cha­ri­té maté­rielle et spi­ri­tuelle dans Paris.

C’est de Saint-​Lazare que l’homme de Dieu orga­ni­sa l’œuvre des Enfants-​Trouvés. Les nouveau-​nés, dont les mères ne vou­laient pas, étaient aban­don­nés dans les rues, dépo­sés dans les églises ou pla­cés sur des « tours ». On les por­tait de là, par ordre de la police, dans une mai­son qui s’appelait la Couche, où, faute de nour­ri­ture et de soins, presque tous mou­raient. Avec l’aide des Dames de la Charité, Vin­cent prit ces petites créa­tures à sa charge et réus­sit à les arra­cher presque toutes à la mort ; il s’en occu­pait jusqu’au jour où elles étaient en âge de gagner leur vie par le tra­vail. Cette œuvre ren­dit son nom légen­daire dans les annales de la cha­ri­té. C’est de Saint-​Lazare encore qu’il créa au fau­bourg Saint-​Martin l’hôpital du Nom de Jésus, qu’on a regar­dé comme l’idéal de l’hospice chré­tien ; c’est de là qu’il orga­ni­sa l’Hôpital géné­ral de Paris, des­ti­né à recueillir l’innombrable armée de men­diants qui était une des plaies de la grande capi­tale. Et à la porte de Saint-​Lazare, pen­dant ce temps, Vincent mul­ti­pliait aus­si les aumônes. L’homme de Dieu pro­di­guait en même temps autour de lui les secours spi­ri­tuels. Des foules véri­tables de laïques, de prêtres, de sol­dats, venaient à Saint- Lazare faire les exer­cices de la retraite spi­ri­tuelle. Le cler­gé de Paris s’y réunis­sait pour les confé­rences dites du mar­di pré­si­dées par Vincent et dans les­quelles on s’entretenait sur des sujets de science et de ver­tu. Bossuet, qui en avait fait par­tie, écri­vait à ce sujet au Souverain Pontife : « En y enten­dant les paroles de ce saint prêtre, il nous sem­blait entendre comme des paroles de Dieu » ; c’est de là aus­si que Vincent, tou­jours inti­me­ment uni à la chaire de Pierre, orga­ni­sait la lutte contre le jansénisme.

Une nuit de saint Vincent de Paul
Une nuit de saint Vincent de Paul

Saint Vincent de Paul nourrit des provinces entières.

Dès 1639, pen­dant la der­nière période de la guerre de Trente Ans, Vincent avait fait des pro­diges pour secou­rir la Lorraine rava­gée par la guerre. Il n’y avait plus ni récoltes ni semailles dans ces cam­pagnes tou­jours fou­lées par les sol­dats ; on vit les hor­reurs de la famine et jusqu’à des repas abo­mi­nables de chair humaine. Epuisée par cinq armées qu’elle entre­te­nait alors, la France n’avait plus rien à consa­crer aux mal­heu­reux. Un homme se leva, et son cœur misé­ricordieux osa rêver de sou­la­ger des pro­vinces tout entières : c’était encore Vincent de Paul.

Il quê­ta à la Cour, il orga­ni­sa la cha­ri­té et envoya les prêtres et les frères de sa com­mu­nau­té por­ter à ces mal­heu­reuses pro­vinces le pain maté­riel et les secours reli­gieux. La peste se mêlant à la famine, il fai­sait ense­ve­lir les morts, puis dis­tri­buer aux pay­sans du pain et des semences. Il sou­la­geait les sei­gneurs et les nobles aus­si bien que les pay­sans ; il pro­cu­rait aux prêtres des orne­ments pour leurs églises rui­nées ; il recueillait les reli­gieuses chas­sées de leurs cou­vents par la guerre et la misère.

En Lorraine, en Champagne, en Picardie et dans d’autres pro­vinces, pen­dant vingt-​cinq années, on s’habitua à regar­der Vincent de Paul comme la Providence incar­née. Il renou­ve­la les mêmes pro­diges dans la capi­tale, pen­dant les troubles de la Fronde. Après avoir épui­sé la bourse de Saint-​Lazare, il quê­tait et fai­sait quê­ter. Ce fils d’un pauvre labou­reur a pu dis­tri­buer, dans le cours de sa vie, des aumônes dont le total a dû dépas­ser 1 200 000 louis d’or, plus de 12 mil­lions de livres ! Voilà com­ment il méri­ta le nom que lui don­nèrent plu­sieurs villes recon­nais­santes, de « sau­veur de la patrie » !

Les missions lointaines.

« Dieu, disait Salomon, m’a don­né un cœur dont l’amour est vaste comme les plages de la mer. » Vincent de Paul, dont le zèle ne connut aucune bar­rière, pour­rait en dire autant, et il envoya ses mis­sion­naires aux Hébrides, en Pologne et même en Barbarie, soi­gner les chré­tiens que les Turcs tenaient cap­tifs dans les bagnes d’Alger et de Tunis.

Il rêvait déjà la conquête de l’Algérie par la France chré­tienne, et il pres­sait Richelieu, puis Louis XIV, de l’entreprendre. En atten­dant, il accep­ta pour ses mis­sion­naires les titres de consuls et de pré­fets apos­to­liques à Tunis et à Alger, qui lui don­naient le moyen de secou­rir les pauvres esclaves. Les bagnes furent d’abord évan­gé­li­sés en secret, puis on y dit la messe et on y célé­bra les solen­ni­tés. A la Fête-​Dieu, l’Hostie sainte y était por­tée en pro­ces­sion, escor­tée par ces cap­tifs qui, à leur manière, fai­saient à Jésus-​Christ, de leurs liens et de leurs haillons, un splen­dide triomphe. Les mis­sion­naires envoyés par Vincent étaient par­fois jetés eux-​mêmes dans les fers ou mou­raient de la peste, en évan­gé­li­sant les bagnes : il ne se las­sait pas de rem­pla­cer par de nou­veaux prêtres ceux qui succombaient.

Vincent ne fut pas moins empres­sé à pour­voir d’ouvriers évan­géliques la grande île de Madagascar, où la France venait de plan­ter son dra­peau. Autant il envoyait d’apôtres, autant il en mou­rait, empor­tés par le tra­vail et l’intempérie du cli­mat. Il pleu­rait ses enfants, mais « bien­heu­reux, disait-​il, sont ceux qui consomment leur vie pour le ser­vice de Jésus-​Christ ; la mort qui nous sur­prend les armes à la main est la plus enviable et la plus dési­rable ». Il rem­plaçait ceux qui mou­raient en disant : « Les mar­chands laissent-​ils d’aller sur mer et les sol­dats à la guerre, à cause des plaies et de la mort à laquelle ils s’exposent ? » Au terme de son exis­tence, il rêvait d’envoyer des mis­sion­naires en Chine, à Babylone, au Maroc.

Les Filles de la Charité.

Le chef‑d’œuvre de Vincent de Paul fut peut-​être la créa­tion de la Compagnie des Filles de la Charité. De concert avec une femme d’une rare intel­li­gence et d’une foi émi­nente, Louise de Marillac, veuve Le Gras, que l’Eglise devait béa­ti­fier le 9 mai 1920, il créa cette œuvre avec une audace que le génie de la cha­ri­té lui ins­pi­ra. Jus­qu’alors, en effet, les per­sonnes consa­crées à Dieu vivaient pro­té­geant leur ver­tu dans les cloîtres. Vincent osa lan­cer ses filles au milieu du monde, comp­tant sur leur dévoue­ment pour assu­rer la sauve­garde de leur angé­lique chas­te­té. Il écri­vit dans leurs Règles ces paroles admi­rables : « Elles n’auront point d’autres monas­tères que les mai­sons des pauvres ; point d’autres cloîtres que les rues des villes et les salles des hôpi­taux ; point d’autre clô­ture que l’obéissance, ni d’autre voile que la sainte modes­tie. » Aussitôt à l’œuvre, les Filles de saint Vincent, pen­chées sur le ber­ceau des enfants trou­vés ou sur le lit des mou­rants, envoyées par leur bien­heu­reux Père lui-​même sur les champs de bataille, au siège de Calais et par­mi les pes­ti­fé­rés, pro­vo­quèrent un cri d’admiration, qui n’a ces­sé de reten­tir dans l’Eglise catho­lique. Ces humbles filles pro­cla­maient de leur côté leur bon­heur de ser­vir les pauvres que Vincent leur avait appris à regar­der comme leurs sei­gneurs et leurs maîtres. Une d’elles mou­rait et Vincent l’assistait. « N’y a‑t-​il rien qui vous fasse de la peine ? dit-​il. — Rien, mon Père, répondit-​elle, sinon, peut-​être, que j’ai eu trop de plai­sir au ser­vice des pauvres quand on m’appelait près d’eux ; je ne mar­chais pas, je volais, tant j’étais heu­reuse de les ser­vir ! — Mourez en paix, ma fille », répli­qua l’homme de Dieu, ému et con­solé de tant de sim­pli­ci­té et de tant de cha­ri­té. Les Filles de saint Vincent de Paul sont aujourd’hui sous tous les cli­mats du monde, au milieu des nations catho­liques et chez les peu­plades infidèles.

La journée de saint Vincent de Paul. — Sa mort.

Le secret de tant de mer­veilles que nous n’avons pas même énu­mé­rées était dans l’amour de Dieu, amour pra­tique qui brû­lait au cœur de saint Vincent de Paul. « Aimons Dieu, Messieurs et mes Frères, disait-​il aux membres de sa com­mu­nau­té, et aimons-​le aux dépens de nos bras et à la sueur de notre front. » De fait, l’homme de Dieu, jusqu’à sa mort — et il mou­rut âgé de quatre-​vingts ans — se levait chaque matin à 4 heures. Souvent, au lever, une dis­ci­pline san­glante meur­tris­sait ses épaules. Les pre­mières heures du jour étaient pour la prière et la médi­ta­tion, qu’il fai­sait à genoux, avec les siens, dans la cha­pelle de la mai­son de Saint-​Lazare. Il célé­brait alors la messe avec une foi qui ravis­sait les assis­tants : « Oh ! que ce prêtre dit bien la messe ! » s’écriait un jour un des témoins de tant de fer­veur. Il eut là des visions du ciel : un jour qu’il célé­brait, il vit l’âme de sainte Chantal mou­rante (1641) ; cette âme mon­tait au ciel et celle de saint François de Sales venait l’accueillir (1622) ; et ces deux âmes allaient se perdre en Dieu. Après la messe, com­men­çait le tra­vail de jour­nées qui étaient sans repos ni trêve. Traitant avec les rois et les princes comme avec les men­diants, Vincent res­ta l’homme de sa ver­tu favo­rite, l’humilité ! Il disait aus­si dans son zèle « qu’un prêtre doit tou­jours avoir plus de tra­vail qu’il n’en peut faire ». Il joi­gnait au tra­vail une péni­tence inces­sante ; et on enten­dit cet infa­ti­gable ouvrier de l’Evangile se dire, dans son humi­li­té, en entrant au réfec­toire : « Malheureux, as-​tu gagné le pain que tu vas man­ger ? » Sa jour­née se pro­lon­geait bien avant dans la nuit, et, chaque soir, il se met­tait devant Dieu et se pré­pa­rait à mourir.

Dieu l’appela enfin le 27 sep­tembre 1660 à rece­voir la récompense.

Benoît XIII le béa­ti­fia le 13 août 1729 et la céré­mo­nie eut lieu le 21 ; Clément XII le cano­ni­sa le 16 juin 1737. Ses reliques reposent en l’église des Lazaristes, 95, rue de Sèvres, à Paris ; Léon XIII l’a pro­clamé en 1885 le Patron des œuvres de charité.

A. P. C.

Sources consul­tées. — Pierre Coste, Saint Vincent de Paul, Correspondance, Entretiens, Documents, 1919–1925. — Emmanuel de Broglie, Saint Vincent de Paul, 1903 (Collection Les Saints). — (V. S. B. P., nos 24, 27, 792, 906, 1220, 1272, 1324.)

Notes de bas de page
  1. « Comment pourrions-​nous chan­ter dans une terre étran­gère ? »[]
  2. Ps 136 (vulg).[]