Sainte Mechtilde de Hackeborn

Sainte Mechtilde de Hackeborn

Vierge Cistercienne (1241–1298).

Fête le 19 novembre.

Mechtilde, Mathilde, Mahaut, Mande, sont les dif­fé­rentes formes d’un même nom, et ce nom a été illus­tré aux xiie et xiiie siècles par plu­sieurs saintes femmes que l’on a cou­ramment confon­dues, comme le furent sainte Gertrude la Grande et Gertrude de Hackeborn, abbesse du monas­tère d’Helfta, en Saxe. A côté de sainte Mechtilde de Hackeborn, qui fait l’objet de cette notice, nous trou­vons Sœur Mechtilde de Magdebourg, elle aus­si moniale d’Helfta, à qui on a don­né à tort le titre de Sainte, et dont les révé­la­tions ont été recueillies par sainte Gertrude et ses com­pagnes dans le livre Lumière de la divi­ni­té (Lux fluens divi­ni­ta­tis) ; il y a encore sainte Mathilde de Diessen, qui est peut-​être la même que sainte Mechtilde de Hackeborn, sainte Mechtilde de Spanheim et aus­si une Mechtilde de Wippra, toutes com­pa­triotes et contem­poraines de Mechtilde de Hackeborn.

Sainte Mechtilde de Hackeborn est hono­rée, en ver­tu d’une con­cession du Saint-​Siège, dans cer­taines familles de l’Ordre de Saint-​Benoît et l’on y célèbre sa fête le 26 février. Mais, à cette date, les Acta Sanctorum, des Bollandistes, n’inscrivent que sainte Mech­tilde de Spanheim ; de même, le Dictionnaire hagio­gra­phique de Dom Baudot. Dans ce der­nier ouvrage, le nom de sainte Mechtilde de Hackeborn est indi­qué au 19 novembre, date de sa mort, con­formément à l’esprit de l’édition vati­cane de 1922, qui a appor­té des chan­ge­ments de dates par­fois consi­dé­rables dans l’ancien Martyro­loge romain.

Les savants tra­vaux des Bénédictins de Solesmes ont, au cours du xixe siècle, cor­ri­gé les erreurs et dis­si­pé les confu­sions, ren­dant ain­si à chaque per­son­nage son rôle et sa phy­sio­no­mie propres. Sainte Mechtilde de Hackeborn est l’une des plus sédui­santes par­mi les grandes figures mys­tiques du moyen âge.

Le monastère d’Helfta.

Un homme de grande pié­té, le comte Burchard de Mansfeld, ayant obte­nu du monas­tère d’Halberstadt sept reli­gieuses et une abbesse du nom de Cunégonde, ins­tal­la, le 29 juin 1229, en la fête des saints Pierre et Paul, dans sa pro­prié­té, une com­mu­nau­té monas­tique qui fut pla­cée sous la règle cis­ter­cienne. Cinq ans plus tard, en 1234, cette ins­tal­la­tion étant deve­nue trop petite, il éta­blit la com­mu­nau­té sur son domaine de Rodarsdorf. C’est dans ce monas­tère que Mechtilde de Hackeborn entra en 1248 ; elle y rejoi­gnait sa sœur aînée Gertrude, qui devint abbesse en 1251, à 19 ans, après la mort de Cunégonde.

En 1258, nou­vel exode, la com­mu­nau­té va se fixer à Helfta, près d’Eisleben, dans un domaine appar­te­nant à Louis et Albert de Hacke­born, frères de Gertrude et de Mechtilde, et situé dans un lieu ravis­sant. Malgré sa jeu­nesse, Gertrude gou­ver­na sa com­mu­nau­té avec une sol­li­ci­tude et une maî­trise admi­rables ; elle mou­rut en 1291, après avoir don­né pen­dant qua­rante ans l’exemple des plus héroïques vertus.

Trente ans plus tôt, c’est-à-dire en 1261, une petite fille de 5 ans nom­mée Gertrude et que l’histoire nom­me­ra un jour sainte Ger­trude la Grande avait été admise à Helfta ; elle y fut l’humble dis­ciple de Mechtilde de Hackeborn avant de deve­nir son amie et sa confi­dente. Sœur Mechtilde de Magdebourg, sur­nom­mée la béguine parce qu’elle s’était consa­crée à Dieu depuis long­temps dans un bégui­nage de cette ville, vint aus­si à Helfta en 1269, alors qu’elle était déjà avan­cée en âge et en sain­te­té ; elle y vécut douze ans et mou­rut en 1281.

Les moniales d’Helfta comp­taient un cer­tain nombre de jeunes filles nobles des envi­rons, toutes ver­sées dans les études sacrées et pro­fanes, habiles à trans­crire et à enlu­mi­ner les saints livres et à confec­tion­ner les orne­ments du culte. Parmi elles, se trou­vaient Elisabeth de Mansfeld et sa sœur Sophie qui fut élue abbesse à la mort de Gertrude de Hackeborn.

Helfta nous appa­raît comme un para­dis ter­restre où Notre-​Sei­gneur et sa sainte Mère se plaisent à venir conver­ser avec ces pieuses femmes et à leur révé­ler avec une fami­lia­ri­té et une ten­dresse extraor­dinaires les tré­sors inef­fables du Cœur divin.

Les révé­la­tions de sainte Gertrude et celles des deux Mechtilde, qui se confirment et se com­plètent, sont au nombre des monu­ments les plus pré­cieux de la mys­tique chrétienne.

Enfance de sainte Mechtilde.

Mechtilde naquit en 1241, au châ­teau de ses parents, sei­gneurs de Hackeborn, non loin de la ville épis­co­pale de Halberstadt, en Saxe. Dieu mon­tra, par une cir­cons­tance spé­ciale, com­bien il vou­lait pré­ve­nir de ses béné­dic­tions l’âme de cette enfant, à qui il révé­la plus tard, d’ailleurs, que son âme devait lui être consa­crée comme un temple et qu’il avait vou­lu prendre pos­ses­sion de son cœur, en lui com­mu­ni­quant sa grâce dès le pre­mier ins­tant de sa vie. En effet, au moment de sa nais­sance, comme il sem­blait qu’elle allait expi­rer, on la por­ta immé­dia­te­ment à un prêtre qui se dis­po­sait à célé­brer la sainte messe, afin qu’il la bap­ti­sât. Ce prêtre, homme de grande ver­tu, fit cou­ler sur l’enfant l’eau régé­né­ra­trice et pro­non­ça ensuite ces paroles prophétiques :

– Ne crai­gnez rien, cette enfant ne mour­ra pas, mais elle de­viendra une sainte et reli­gieuse per­sonne, en qui Dieu opé­re­ra beau­coup de merveilles.

Mechtilde, nous l’avons vu, avait une sœur nom­mée Gertrude, son aînée de 9 ans, qui, dès l’âge de 7 ans, avait été reçue dans un monas­tère voi­sin du châ­teau, à Rodarsdorf. Quand elle eut atteint elle-​même sa sep­tième année, elle fut conduite un jour en ce monas­tère pour lui rendre visite. Or, au moment de s’en retour­ner, ins­pi­rée par la grâce, elle ne vou­lut plus quit­ter ni sa sœur ni les moniales et, par ses ins­tances, obtint la faveur de res­ter auprès d’elles.

Maîtresse des novices et dame chantre.

Dès ce moment, Mechtilde appar­tint entiè­re­ment au Seigneur et com­men­ça cette vie toute de péni­tence, d’austérité, de par­fait aban­don à la volon­té de Dieu et des supé­rieures et d’amour du divin Epoux qui devait l’élever à une si haute sain­te­té. Les Sœurs se plai­saient à admi­rer sa dou­ceur mer­veilleuse, son humi­li­té, sa patience, son esprit de pau­vre­té, sa cha­ri­té pleine de dévoue­ment et d’ama­bilité.

Déjà Dieu avait com­men­cé à se rendre très fami­lier envers elle et à lui révé­ler grand nombre de ses secrets mystères.

Cependant, vers l’âge de 17 ans, elle sui­vit sa sœur Gertrude pour la fon­da­tion du monas­tère d’Helfta.

Toute sa vie devait s’écouler dans cette abbaye. Elle y secon­da de son mieux sa sœur pour ins­truire les moniales dans les sciences divines et pour leur faci­li­ter la pra­tique de toutes les ver­tus. Sa voix mer­veilleuse, qui lui per­met­tait de don­ner à la prière solen­nelle de l’Eglise un carac­tère de noble sim­pli­ci­té et de sublime expres­sion, la dési­gnèrent pour les fonc­tions de dom­na can­trix (dame chantre) du monas­tère. Sainte Gertrude prê­tait à sa com­pagne un utile concours. Elle chan­tait volon­tiers à sa place, lorsqu’une circon­stance empê­chait Mechtilde de prendre part à l’office ; c’est ce qui arri­va par exemple lors des obsèques de l’abbesse Gertrude, en 1291. Mechtilde, rete­nue par la mala­die et ne pou­vant assis­ter au chœur, fut sup­pléée par sa sainte amie.

Les applau­dis­se­ments et les féli­ci­ta­tions des hommes lais­saient indif­fé­rente Mechtilde de Hackeborn, tan­dis que les témoi­gnages de ten­dresse et de recon­nais­sance que lui pro­di­guait sou­vent le divin Maître la rem­plis­saient d’ineffables consolations.

La soli­tude du cloître ne put empê­cher le par­fum de ses ver­tus de se répandre au loin. Il atti­ra une foule d’âmes qui dési­raient rece­voir les conseils de Mechtilde, et sans doute aus­si par­ti­ci­per aux lumières que Dieu accor­dait à cette com­mu­nau­té privilégiée.

Les révélations de sainte Mechtilde.

La pra­tique des ver­tus reli­gieuses dis­po­sa cette admi­rable épouse de Notre-​Seigneur aux grâces les plus éle­vées de la vie mys­tique. Impossible de dire à quelle époque le divin Maître com­men­ça à lui révé­ler les secrets de son cœur, car elle res­ta long­temps sans confier à qui que ce fût les faveurs extra­or­di­naires dont elle était l’objet.

Ce n’est qu’à l’âge de 50 ans, et lorsqu’elle se sent déjà atteinte du mal qui la condui­ra au tom­beau, quelle les fait connaître pour la pre­mière fois. Une amie intime lui deman­dant ce qui se pas­sait en elle quand on la voyait immo­bile, les yeux fermés :

– Mon âme se délecte, répondit-​elle, dans la jouis­sance de son Dieu, nageant dans la divi­ni­té comme le pois­son dans l’eau. Entre l’union que les Saints ont avec Dieu et celle de mon âme, il n’y a pas de dif­fé­rence, si ce n’est qu’ils jouissent dans la joie et moi dans la souffrance.

De fait, Dieu n’épargnait pas sa ser­vante. Les mala­dies les plus dou­lou­reuses tor­tu­raient ses membres, et son cœur éprou­va des angoisses plus pénibles encore. Mais quelques mani­fes­ta­tions de Notre-​Seigneur lui fai­saient vite oublier toutes ces douleurs.

Un grand nombre de ses révé­la­tions ont pour objet les rela­tions de l’âme avec Dieu, l’action de la grâce, les bien­fai­teurs du monas­tère, les Ordres reli­gieux, quelques-​unes de ses amies. Les plus im­portantes et celles qui carac­té­risent le mieux sa per­son­na­li­té sont celles qui se rap­portent aux solen­ni­tés de la litur­gie. On peut en sa com­pa­gnie suivre Notre-​Seigneur dans ses fêtes prin­ci­pales et recueillir, à pro­pos de cha­cune d’elles, des conseils et des lumières bien propres à gui­der l’âme dans les voies de l’oraison. Il y a dans ces mani­fes­ta­tions de la grâce des choses extra­or­di­naires. Il serait insen­sé d’y aspi­rer, mais pour qui sait lire et déga­ger la pen­sée de Dieu, ce qui se passe dans l’âme de Mechtilde n’est que l’épanouis­sement magni­fique de ce que tout chré­tien peut éprou­ver, en quelque mesure, s’il marche fidè­le­ment sur ses traces, en vivant .de la vie de l’Eglise, par la célé­bra­tion intel­li­gente des fêtes liturgiques.

Sa dévotion pour la Sainte Vierge.

Rien n’est tou­chant comme les rela­tions de la moniale d’Helfta avec la Reine des anges. Un jour, pen­dant la messe Salve Sancta Parens, il lui sem­bla que Notre-​Dame était debout devant le Sei­gneur ; Mechtilde tom­ba à ses pieds. Elle prit l’extrémité de sa robe, qui se dérou­lait jusqu’à terre, pour s’en essuyer le visage. Puis, se rele­vant, elle aper­çut plu­sieurs vierges à ses côtés. Ces vierges repré­sentaient les ver­tus qu’avait plus spé­cia­le­ment pra­ti­quées Marie durant sa vie.

Un same­di, pen­dant la messe, elle salua la Vierge Marie, en la priant de lui obte­nir une vraie sain­te­té. La glo­rieuse Reine lui répondit :

– Si tu désires une vraie sain­te­té, tiens-​toi près de mon Fils qui est la sain­te­té même, sanc­ti­fiant toutes choses.

Elle vit un autre jour la bien­heu­reuse Vierge Marie ayant sur la tête une cou­ronne dont les fleurs étaient incli­nées vers la terre ; son man­teau, de cou­leur rouge, était tout par­se­mé de cou­ronnes d’or. Chacune d’elles por­tait un nom, qui était l’une des gran­deurs de la Mère de Dieu.

Enfin, la Vierge lui pro­mit un jour de l’assister à l’heure de la mort si elle réci­tait quo­ti­dien­ne­ment trois Ave Maria pour méri­ter cette faveur.

La louange divine.

Après ce que nous avons dit de la dévo­tion de Mechtilde pour l’office divin, on ne pour­ra être sur­pris de ce que Notre-​Seigneur lui ait mani­fes­té à diverses reprises com­ment il vou­lait être loué et com­bien cette louange lui était agréable.

Elle vit un jour le Seigneur entou­ré d’une grande clar­té, por­tant sur sa poi­trine une feuille d’argent autour de laquelle étaient gra­vées les souf­frances que les Saints ont endu­rées pour lui ; elle contem­plait là tous leurs mérites et l’éternelle récom­pense qu’ils reçoivent pour tout ce qu’ils ont fait. Elle dit alors à Jésus :

– Ô très doux et très aimant, en quoi voulez-​vous de pré­fé­rence que je m’exerce ?

– Dans la louange.

– Alors, reprit-​elle, enseignez-​moi à digne­ment vous louer.

Le Seigneur lui recom­man­da de le louer pour toutes les magni­ficences de sa divi­ni­té, pour toutes les grâces qu’il avait répan­dues en sa très vir­gi­nale Mère et dans les âmes des Saints, pour tout le bien qu’il fait aux hommes, bons ou méchants.

Dans une autre cir­cons­tance, le céleste Epoux lui dit :

– Je t’enseignerai trois choses que tu médi­te­ras chaque jour, et il t’en revien­dra beau­coup d’avantages. Premièrement, rappelle-​toi avec recon­nais­sance quel bien je t’ai fait dans la créa­tion et la rédemp­tion. En deuxième lieu, rappelle-​toi avec gra­ti­tude quels bien­faits je t’ai accor­dés depuis que tu es au monde. Troisièmement, rappelle-​toi ce que je te réserve pour l’éternité.

Comme on chan­tait au chœur le can­tique Benedicite, omnia ope­ra Domini Domino, elle dési­ra savoir quelle gloire en reve­nait à Dieu. Le Seigneur lui dit :

– Lorsqu’une per­sonne chante cette hymne, ou quelque autre sem­blable, où l’on convoque toutes les créa­tures à la louange divine, toutes ces créa­tures viennent spi­ri­tuel­le­ment en ma pré­sence comme des per­sonnes, et elles me louent pour cette per­sonne, ou pour tous les hommes en géné­ral, de tous les biens que je leur ai donnés.

Un autre jour, pour la conso­ler au milieu de ses fai­blesses, Notre-​Seigneur lui dit :

– Qu’on offre à Dieu le Père tous ses dési­rs, inten­tions et prières, en union de mes dési­rs et de mes prières ; alors le tout mon­te­ra devant Dieu et ne fera plus qu’une chose, comme divers aro­mates, brû­lés ensemble, ne font qu’une fumée qui s’élève droit au ciel. Celui qui accom­plit son tra­vail en union avec mes tra­vaux et mes œuvres enno­blit beau­coup ce tra­vail ; de même le cuivre, fon­du avec de l’or, perd ce qu’il a de vil et reçoit la noblesse de l’or.

Mechtilde conclut cette révé­la­tion par ces paroles :

Donc, très chers, rece­vant avec une intime recon­nais­sance cette faveur si haute de la noblesse divine, emparons-​nous de la vie très sainte du Christ en sup­plé­ment de tout ce qui nous manque dans nos mérites.

Mort de sainte Mechtilde.

Cependant, l’abbesse Gertrude, sa sœur, avait quit­té ce monde en 1291. Mechtilde priait pour elle le Seigneur et elle connut par révé­la­tion la gloire dont la défunte avait été cou­ron­née. A par­tir de ce jour, la mala­die qui l’accablait elle-​même s’aggrava, sur­tout pen­dant les deux années qui pré­cé­dèrent sa mort. Notre-​Seigneur sem­bla redou­bler ses conso­la­tions et ses divines paroles en ces heures dernières.

Plusieurs reli­gieuses furent témoins de ces faveurs. L’une d’elles, tout appli­quée aux choses de Dieu, vit Notre-​Seigneur Jésus-​Christ debout devant la malade et lui disant avec beau­coup de tendresse :

– Honneur et joie de ma divi­ni­té, cou­ronne et récom­pense de mon huma­ni­té, délices et repos de mon esprit, veux-​tu venir main­tenant et demeu­rer désor­mais avec moi, pour conten­ter mon désir et le tien ?

A quoi la malade répondit :

– Mon Seigneur Dieu, plus que mon salut je désire votre gloire. C’est pour­quoi je vous prie de per­mettre que j’acquitte encore dans les souf­frances tout ce que la créa­ture a jamais négli­gé dans votre louange.

Le Seigneur lui com­man­da ensuite de rece­voir l’Extrême-Onction, bien que les supé­rieurs et elle-​même ne le crussent pas encore urgent. Elle apprit aus­si par révé­la­tion, pen­dant la réci­ta­tion des Litanies des Saints, que tous lui fai­saient don de leurs mérites, car lorsqu’ils étaient ain­si nom­més après les anges, cha­cun à son tour, avec joie et révé­rence, se levait, et, à genoux devant le Seigneur, dépo­sait en son sein ses mérites comme de riches présents.

L’onction des malades ter­mi­née, Notre-​Seigneur la prit dans ses bras et, durant deux heures, la sou­tint de telle sorte que la plaie de son très doux Cœur était appli­quée contre la bouche de la malade, laquelle sem­blait en tirer toute sa res­pi­ra­tion et ren­voyer ensuite son souffle dans le Cœur divin. Elle entra ensuite en agonie.

Les Sœurs se ras­sem­blèrent aus­si­tôt, comme elles le fai­saient d’ailleurs sou­vent, à cause des crises fré­quentes qui, à chaque ins­tant, sem­blaient devoir empor­ter la malade. Mechtilde recom­manda alors la famille cis­ter­cienne à la bien­heu­reuse Vierge Marie, pen­dant la réci­ta­tion du Salve Regina, et reçut l’assurance que sa prière était exaucée.

La nuit sui­vante, la com­mu­nau­té dut inter­rompre les Matines pour cou­rir près de Mechtilde dont l’état s’était aggra­vé. Alors le Seigneur lui appa­rut, dans toute la splen­deur de sa ver­tu divine, se pré­sen­tant comme un jeune époux cou­ron­né de gloire et d’hon­neur ; puis, adres­sant la parole à sa ser­vante pri­vi­lé­giée avec la ten­dresse la plus exquise, il lui dit :

– A cette heure, ma bien-​aimée, je vais t’exalter entre tes proches, c’est-à-dire en pré­sence de tes sœurs bien-aimées.

L’heure si dési­rée arri­va dans le cours de cette jour­née et, devant la com­mu­nau­té réunie près d’elle, l’âme de Mechtilde quit­ta la terre pour être asso­ciée à la gloire du céleste Epoux au moment où il appli­quait son Cœur divin sur son cœur. C’était le mer­cre­di 19 no­vembre 1298.

Sa dépouille mor­telle repose dans le monas­tère d’Helfta, dévas­té qua­rante ans plus tard par l’évêque intrus d’Halberstadt, Albert de Brunswick, puis aban­don­né pour le monas­tère de Neu-​Helfta, construit en 1348 par Burchard IV de Mansfeld.

Le « Livre de la grâce spéciale ».

Tel est le litre de l’ouvrage qui contient les révé­la­tions de sainte Mechtilde. Lorsqu’en 1291 elle reçut d’en haut l’ordre de mani­fester ce que le Seigneur opé­rait en elle, deux moniales, sainte Ger­trude et peut-​être Sophie de Mansfeld, reçurent ses confi­dences et les mirent par écrit, d’abord à l’insu de la Sainte, dont elles crai­gnaient de bles­ser l’humilité.

En effet, lorsque Mechtilde eut connais­sance du tra­vail déjà presque ache­vé, elle fut trou­blée ; puis, sur l’assurance que Dieu lui don­na d’avoir ins­pi­ré les deux nar­ra­trices, elle consen­tit à lais­ser ter­mi­ner l’ouvrage, pour la gloire de Dieu et l’édification du prochain.

La doc­trine et la mis­sion de sainte Mechtilde, comme celles de sainte Gertrude, ont sur­tout pour objet le mys­tère du Verbe incar­né. L’Homme-Dieu y appa­raît, non seule­ment comme Sauveur, mais comme média­teur entre Dieu et l’homme. C’est l’amour qui l’a atti­ré sur la terre, et c’est le Cœur divin qui appa­raît ici comme l’organe prin­ci­pal de l’amour et de ses opérations.

Mechtilde en four­nit peut-​être encore plus d’images que Gertrude, dont les visions se pré­sentent géné­ra­le­ment sous une forme moins sensible.

A peine Mechtilde avait-​elle ren­du le der­nier sou­pir que son livre se répan­dit rapi­de­ment sous le titre de Louange de la Dame Mech­tilde. La ville de Florence fut une des pre­mières à le rece­voir et Dante s’en est ins­pi­ré. Il est aujourd’hui admis que le per­son­nage intro­duit dans la Divine Comédie sous le nom de Matelda, et qui repré­sente la théo­lo­gie mys­tique révé­lant au poète les secrets de l’amour et de la misé­ri­corde divine, n’est autre que sainte Mechtilde de Hackeborn.

E. V. et E. A.

Sources consul­tées. – Le Héraut de l’a­mour divin. Révélations de sainte Ger­trude (Paris, 1907). – J.-V. Bainvel, S. J., La dévo­tion au Sacré-​Cœur de Jésus (Paris, 1917). – Dom Ursmer Berlière, O. S. B., La dévo­tion au Sacré Cœur dans l’Ordre de. Saint-​Benoît (Paris, 1923). – Dom Besse, O. S. B., Les Mystiques Bénédictins, des ori­gines au xiiie siècle (Paris, 1922). – Dom A. Castel, O. S. B., Les belles prières de sainte. Mechtilde et de sainte Gertrude (Paris, 1925). – Lucie Félix-​Faure-​Goyau, Christianisme et culture fémi­nine (Paris, 1914). – R. P. Granger, Les archives de la dévo­tion au Sacré Cœur de Jésus et au Saint Cœur de Marie, t. I (Ligugé, 1892). – (V. S. B. P., n° 955.)