Avant d’être un saint, Augustin a été un homme comme nous. Il a connu nos faiblesses et a tâtonné des années à la recherche du vrai Bien.
Ses Confessions racontent cette passionnante aventure spirituelle.
Auteur d’une nouvelle traduction des Confessions de saint Augustin, Joseph Trabucco ne cache pas son enthousiasme pour un des chefs d’œuvre du christianisme : « Les Confessions, on le sait, content la plus passionnante aventure spirituelle : la quête de Dieu. Une âme, à travers les biens créés, d’illusion en illusion, de peine en peine, y cherche anxieusement le seul Bien qui soit égal à son inquiétude, jusqu’à ce que, l’ayant enfin trouvé, elle s’y repose. […]
» Ce livre plein de Dieu est en même temps un livre très humain. Par là encore les Confessions sont assurées de trouver toujours des amis. Avant d’être un saint, Augustin a été un homme comme nous, l’un de nous. Il a connu nos faiblesses les plus communes. Les Confessions ne nous laissent rien ignorer de sa sensualité. Elle fut le dernier obstacle à la grâce. Jusqu’au bout, ses vieilles amies, les passions, le tirèrent, nous dit-il, par son vêtement de chair. Il n’a été étranger à aucun des sentiments de la terre. L’amitié lui fut douce. Il l’a aimée jusqu’à ressentir de la perte d’une ami une sorte de désespoir. Il a eu le goût des larmes. Il a été fou de savoir et de poésie[1]… »
Commençons par retracer la vie de saint Augustin avant de parcourir son maître-ouvrage.
Saint Augustin (354–430)
Augustin naît à Thagaste (aujourd’hui Souk-Ahras, en Algérie) le 13 novembre 354, d’un père païen, Patricius, et d’une mère chrétienne, Monique. On lui connaît un frère, Navigius, et au moins une sœur.
Celui qui devait briller par l’art de l’éloquence et de l’écriture se révéla être un élève doué mais peu docile, détestant l’école et craignant les punitions de ses maîtres. Il reçoit sa formation première à Thagaste et à Madaure. Grâce à un bienfaiteur, il s’en va étudier à Carthage jusqu’à la mort de son père (371). L’année suivante il fait la connaissance d’une femme avec laquelle il vivra une quinzaine d’années (sans jamais se marier) et dont il aura un fils, Adéodat. La lecture de l’Hortensius de Cicéron oriente sa vie vers la philosophie (ou amour de la sagesse).
Loin de chercher et de trouver cette sagesse dans le Christ (cf. 1 Cor 1, 30), il se tourne vers le manichéisme et ses vaines spéculations. Fort des connaissances acquises en grammaire et rhétorique, il enseigne successivement à Thagaste (375–381), à Carthage (382), à Rome (383) et à Milan (384). Pressé par sa mère, il renvoie sa concubine mais ne tarde pas à s’en choisir une autre. Attiré par les belles homélies de saint Ambroise, il finit par entendre l’appel divin. Il se retire alors avec quelques proches à Cassiciacum (septembre 386 à mars 387). Dans la nuit de Pâques 387, il est baptisé par saint Ambroise en compagnie de son fils Adéodat et de son ami Alypius.
Sainte Monique meurt à Ostie quelques mois plus tard. Augustin retourne en Afrique l’année suivante. Après la mort de son fils, il se rend à Hippone où il est ordonné prêtre. Il en sera l’évêque de 395 à sa mort. Pasteur de son diocèse, commentateur de l’Écriture, polémiste redoutable avec les manichéens, les donatistes et les pélagiens, saint Augustin est célèbre jusqu’à aujourd’hui pour ses trois grands ouvrages : Les Confessions, La Cité de Dieu et De la Trinité.
Il meurt le 28 août 430 à Hippone alors que la ville est assiégée par Genséric, roi des Vandales.
Il est canonisé et déclaré docteur par Boniface VIII en 1298. Sa fête se célèbre le 28 août.
Les Confessions
Dans la présentation qu’il fait de ses œuvres écrites à la fin de sa vie, saint Augustin écrit :
« Les treize livres de mes Confessions célèbrent dans mes bonnes et dans mes mauvaises actions la justice et la bonté de Dieu, et excitent l’âme humaine à le connaître et à l’aimer. C’est du moins l’effet qu’elles ont produit sur moi quand je les ai écrites, et qu’elles produisent encore quand je les lis.
« Ce que les autres en pensent, c’est leur affaire ; je sais toutefois que cet ouvrage a beaucoup plu et plaît encore à beaucoup de mes frères. Du premier au dixième livre, il traite de moi ; dans les trois autres, des saintes Écritures, depuis la parole : “Dans le principe, Dieu fit le ciel et la terre” jusqu’au repos du sabbat[2]. »
Mettons en lumière quelques aspects de cet itinéraire spirituel.
Saint Augustin met la puissance de l’amour à la base de son itinéraire comme de toute vie humaine :
« Qu’est-ce qui faisait mes délices sinon d’aimer et d’être aimé[3]? »
« Mon poids c’est mon amour ».
Si l’amour peut être défini comme l’inclination de l’être vers le bien, encore faut-il s’interroger sur la nature du bien aimé. En vaut-il la peine ?
Au temps où saint Augustin étudiait la grammaire et la rhétorique, il était séduit par la magie des mots, des belles phrases et des périodes bien construites. Plus tard, il mesurera la vanité de ces biens :
« On me proposait pour modèles des hommes qu’une critique couvrait de honte, pour un barbarisme ou un solécisme dans le récit d’une bonne action, mais qui étaient fiers d’être loués pour avoir raconté abondamment, élégamment, en un langage pur et fort correct, leurs débauches. »
« Voyez, Seigneur mon Dieu, voyez avec votre habituelle patience, comme les fils des hommes observent exactement les conventions des lettres et des syllabes qu’ils ont reçus de vous ! »
Face à la fragilité des choses créées, une constatation s’impose :
« Les choses d’ici-bas sont douces, mais non point si douces que mon Dieu, qui a créé le monde, car “c’est en lui que le juste se complaît, et il fait les délices des cœurs droits”. »
Il s’ensuit que Dieu est le seul objet digne de notre amour :
« Vous nous avez créés pour vous, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il repose en vous »,
Mais pour aimer Dieu, il faut d’abord le connaître :
« Qui vous invoque sans vous connaître ? Car si l’on vous ignore, on peut en invoquer un autre que vous. Ou plutôt ne vous invoque-t-on pas pour vous connaître ? »
Au fil des pages, saint Augustin découvre de Dieu :
- la bonté : « Qui donc possède un bien qui ne vous appartienne ? »,
- la toute-puissance : « Votre toute-puissance n’est pas loin de nous, même quand nous sommes loin de vous. »,
- l’éternité : « [L’intelligence] verrait que la longueur du temps n’est faite que de la succession d’une multitude d’instants, qui ne peuvent se dérouler simultanément ; qu’au contraire, dans l’éternité, rien n’est successif, tout est présent, alors que le temps ne saurait être présent tout à la fois. »
- la puissance créatrice : « Quelqu’un peut-il se créer soi-même, et y a‑t-il une autre source d’où la vie puisse se répandre en nous que votre toute-puissance, Seigneur, en qui l’être et la vie ne font qu’un, parce que c’est la même chose d’être et de vivre souverainement ? » (I, 6), « Nous voyons donc les choses que vous avez faites, parce qu’elles sont ; mais pour vous, elles ne sont que parce que vous les voyez. »
Dieu une fois connu, reste à trouver la voie pour s’unir à lui :
« J’ai toujours cru en votre existence et en votre providence, sans savoir ce qu’il faut penser de votre nature, ou quelle est la voie qui conduit et ramène à vous. »
De longues années, le futur saint à tâtonné à la recherche du bien. De nombreuses fautes ont émaillé cette errance :
- la désobéissance : « Je péchais en agissant contre les commandements de mes parents et de mes maîtres. »
- la paresse dans l’étude : « Je n’aimais pas l’étude et j’avais horreur d’y être contraint. On m’y contraignait pourtant, et je m’en trouvais bien, sans agir bien, car je n’aurais rien appris, si on ne m’y avait forcé. Ce n’est pas bien agir qu’agir de mauvais gré, même quand ce qu’on fait est bon. »
- le vol : « Moi, j’ai voulu voler, et j’ai volé sans que la misère m’y poussât, rien que par insuffisance et mépris du sentiment de justice, par excès d’iniquité. Car j’ai volé ce que je possédais en abondance et de meilleure sorte. Ce n’est pas de l’objet convoité par mon vol que je voulais jouir, mais du vol même et du péché. »
- les fautes charnelles : « Je veux me souvenir de mes hontes passées et des impuretés charnelles de mon âme. Non que je les aime, mais afin de vous aimer, mon Dieu. »
Le bien auquel l’homme aspire dès sa naissance ne se trouve qu’en Dieu :
« Le bien que vous aimez vient de lui ; mais ce n’est que dans son rapport avec lui qu’il est bon et suave. Il deviendra justement amer, car il n’est pas juste d’aimer ce qui vient de Dieu après l’avoir abandonné, lui. »
Et souvent nous y sommes amenés par ceux qui nous critiquent :
« Les flatteries des amis nous gâtent ; mais souvent aussi les querelles que nous cherchent les ennemis nous corrigent. »
Que celui qui n’est pas tombé en rende grâce au Seigneur :
« Que l’homme docile à votre appel, qui a évité ces fautes, ne me raille pas d’avoir été guéri par le médecin à qui il doit de n’avoir pas été malade ou de l’avoir été moins gravement ; qu’il vous en aime autant et même davantage, car c’est grâce à celui par qui il me voit délivré des funestes langueurs de mes péchés que lui-même est resté sauf. »
En effet, comme le rappelle saint Paul, « l’élection ne dépend ni de la volonté, ni des efforts, mais de Dieu qui fait miséricorde » (Ro 9,16). Saint Augustin est convaincu que Dieu est la source du salut de tout homme :
« Qui nous sauvera si ce n’est la main qui refait ce qu’elle a fait ? »
« Quiconque énumère devant vous ses propres mérites, que fait-il sinon énumérer vos bienfaits. »
« De telles chutes ma vie est pleine ; et ma seule espérance est dans votre extrême miséricorde. »
Pour son dessein de miséricorde, le Bon Dieu recourt aux services de médiateurs. L’évêque d’Hip- pone ne manque pas de souligner le rôle qu’ont dans sa vie :
- sainte Monique, sa mère : « Je ne voyais là que conseils de femme que j’eusse rougi de suivre. Mais c’était vous qui me les donniez, et je ne le savais pas. Je croyais que vous vous taisiez, qu’elle seule me parlait, alors que vous me parliez par sa bouche. »
- saint Ambroise, l’évêque de Milan : « Avec les mots que j’aimais, les choses qui m’étaient indifférentes trouvaient accès dans mon esprit. Je ne pouvais guère les séparer et tandis que j’ouvrais mon cœur à son éloquence, la vérité y entrait aussi, quoique par degré. »
Saint Augustin raconte sa conversion
« Voici que j’entends une voix, venant d’une maison voisine ; on disait en chantant et l’on répétait fréquemment avec une voix comme celle d’un garçon ou d’une fille, je ne sais : “Prends, lis ! Prends, lis !” A l’instant, j’ai changé de visage et, l’esprit tendu, je me suis mis à rechercher si les enfants utilisaient d’habitude dans tel ou tel genre de jeu une ritournelle semblable ; non, aucun souvenir ne me revenait d’avoir entendu cela quelque part. J’ai refoulé l’assaut de mes larmes et me suis levé, ne voyant plus là qu’un ordre divin qui m’enjoignait d’ouvrir le livre, et de lire ce que je trouverais au premier chapitre venu. J’avais entendu dire en effet à propos d’Antoine qu’il avait tiré de la lecture de l’Évangile, pendant laquelle il était survenu par hasard, un avertissement personnel, comme si on disait pour lui ce qu’on lisait : “Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les Cieux ; et viens, suis-moi”. Un tel oracle l’avait aussitôt amené vers toi, converti.
« Aussi, en toute hâte, je revins à l’endroit où Alypius était assis ; oui, c’était là que j’avais posé le livre de l’Apôtre tout à l’heure, en me levant. Je le saisis, l’ouvris et lus en silence le premier chapitre où se jetèrent mes yeux : “Non, pas de ripailles et de soûleries, non, pas de coucheries et d’impudicités ; non, pas de disputes et de jalousies ; mais revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair dans les convoitises”. Je ne voulus pas en lire plus, ce n’était pas nécessaire. A l’instant même, en effet, avec les derniers mots de cette pensée, ce fût comme une lumière de sécurité déversée dans mon cœur, et toutes les ténèbres de l’hésitation se dissipèrent. »
Source : La Couronne de Marie n° 126
- Joseph Trabucco, « Introduction » dans Saint Augustin, Les Confessions, Flammarion, Paris, 1964, p. 6.[↩]
- Saint Augustin, Les Rétractations, lib. 2, c. 6.[↩]
- Toutes les citations sans références sont tirées des Confessions que le lecteur est fortement invité à se procurer, à lire et à méditer dans son intégralité.[↩]