Saint François Xavier

Saint François-Xavier débarquant en Chine, par Joseph-Marie Vien. via wikimedia

Jésuite, apôtre des Indes et du Japon (1506–1552).

Fête le 3 décembre.

Version courte

François Xavier naquit en Navarre. Après de brillantes études au col­lège Sainte-​Barbe, à Paris, il ensei­gna la phi­lo­so­phie avec un suc­cès qui, en lui atti­rant les applau­dis­se­ments, déve­lop­pa l’or­gueil dans son cœur. Ignace de Loyola, conver­ti, était venu à Paris pour per­fec­tion­ner ses études, et cher­chant à recru­ter des com­pa­gnons d’é­lite pour jeter les bases de la Compagnie de Jésus, s’é­prit d’a­mi­tié et d’ad­mi­ra­tion pour ce jeune homme, en lequel il n’eut pas de peine à recon­naître une âme capable de grandes choses : Que sert à l’homme de gagner l’u­ni­vers, s’il perd son âme ? disait-​il sou­vent à Xavier, après avoir gagné sa confiance. Ce lan­gage tout d’a­bord ne tou­cha pas le cœur du jeune ambi­tieux ; mais un jour enfin, la grâce ache­va son œuvre, et Xavier fut ter­ras­sé comme Ignace. Le 15 août 1534, sept jeunes gens, par­mi les­quels étaient Ignace et Xavier, pro­non­çaient leurs vœux dans une cha­pelle sou­ter­raine de l’é­glise de Montmartre. La Compagnie de Jésus était fondée.

Quelques années plus tard, Xavier, deve­nu prêtre, sanc­ti­fié par les jeûnes et l’o­rai­son, était prêt pour sa mis­sion pro­vi­den­tielle. Il avait sou­vent été aver­ti, par des songes mys­té­rieux qu’il devait être l’a­pôtre d’in­nom­brables ido­lâtres. Quelle fut sa joie quand Ignace le dési­gna pour la mis­sion des Indes ! En arri­vant à Goa, capi­tale des Indes, il salua avec des larmes de joie cette terre pro­mise après laquelle il sou­pi­rait depuis si long­temps. Xavier com­men­ça par la conver­sion de Goa, où les Portugais avaient désho­no­ré le chris­tia­nisme par tous les vices. Une mis­sion finie, une autre l’ap­pe­lait ; l’am­bi­tion du salut des âmes était insa­tiable dans son coeur.

Il ren­con­tra des dif­fi­cul­tés incroyables, l’i­gno­rance des langues, l’ab­sence de livres en langues indi­gènes, les per­sé­cu­tions, la défiance et la riva­li­té des ministres païens. Xavier, par son éner­gie et le secours de Dieu, triom­pha de tout ; Dieu lui don­na le don des langues, le pou­voir d’o­pé­rer des miracles sans nombre, par­mi les­quels plu­sieurs résur­rec­tions de morts. Il évan­gé­li­sa, en onze années, cinquante-​deux royaumes et bap­ti­sa une mul­ti­tude incal­cu­lable d’in­fi­dèles. Son plus beau et son plus dif­fi­cile triomphe fut la conquête du Japon. Il aspi­rait à conver­tir la Chine, pour ren­trer en Europe par les pays du Nord, quand Dieu appe­la au repos cet incom­pa­rable conqué­rant des âmes, qu’on a jus­te­ment sur­nom­mé l’a­pôtre des Indes et du Japon.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version Longue

Après la Vierge imma­cu­lée, Reine des Missions, avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, don­née pour patronne à toutes les Missions par le Pape Pie XI, saint François Xavier jouit à juste titre d’une véné­ra­tion spé­ciale de la part des mis­sion­naires, dont il est le patron et le modèle incom­pa­rable. Son zèle apos­to­lique de tous les ins­tants, son accep­ta­tion joyeuse d’un mar­tyre conti­nuel repré­sentent l’idéal le plus sublime pour le mis­sion­naire vieilli dans la car­rière et pour le jeune homme qui aspire à l’apostolat.

Enfance et jeunesse. – Vers Paris.

Le 7 avril 1506, au châ­teau de Javier ou Xavier – en France c’est cette der­nière ortho­graphe qui a pré­va­lu, – à huit lieues de Pampelune, dona Marie de Azpilcueta, femme du doc­teur Jean de Jassu, don­nait le jour à un sixième enfant, qui reçut au bap­tême le nom de François. Le père était conseiller de Jean d’Albret, roi de la Navarre, pays qui devait bien­tôt, mais non sans com­bats, perdre son indé­pen­dance. François de Xavier, pri­vé de son père dès l’âge de six ans, gran­dit en pleine région enva­hie, dans la fièvre des batailles aux­quelles par­ti­ci­paient ses frères, et, tout jeune, il se lia d’une vive ami­tié avec un capi­taine basque, presque un ado­les­cent, lequel fut bles­sé au siège de Pampelune et qui se nom­mait Ignace de Loyola.

Lorsque la paix revint, François avait dix-​neuf ans (1525) ; il était en âge de choi­sir un état de vie. L’ambition com­men­çait à s’éveiller dans son âme. Ce qu’il convoi­tait c’était une situa­tion éle­vée comme celle de son père ou peut-​être les digni­tés ecclé­sias­tiques. Il par­tit donc en sep­tembre 1525 pour faire ses études à l’Uni­versité de Paris, alors d’une célé­bri­té universelle.

Pour rece­voir les 4 000 à 5 000 étu­diants étran­gers que comp­tait alors cette Université, il y avait des sortes d’externats, grou­pant cha­cun les natio­naux d’un pays ou d’une région. Don François de Xavier entra, pour y étu­dier la phi­lo­so­phie, au col­lège Sainte-​Barbe, où Espagnols et Portugais avaient fini par dominer.

L’âme en péril.

A cette époque, la jeu­nesse étu­diante était trou­blée par une lutte ardente entre l’ancien et le nou­vel esprit : le souffle natu­ra­liste de la Renaissance et celui du pro­tes­tan­tisme com­men­çaient à pas­ser sur l’Université. C’est dans ce milieu dan­ge­reux pour sa foi et ses mœurs que François se trou­va subi­te­ment plon­gé. Il com­men­ça par être simple bache­lier, puis gra­vit sans à‑coup les divers degrés de la hié­rar­chie universitaire.

Heureusement, sur les pas de François, la Providence mit un ami excellent, qui menait déjà une vie pieuse, un Savoyard bour­sier se des­ti­nant à la prê­trise et qui devint son « cama­rade », ou, si l’on pré­fère, son com­pa­gnon de chambre : c’était le bien­heu­reux Pierre Le Fèvre, celui-​là même que nous retrou­ve­rons un peu plus tard à Montmartre par­mi les fon­da­teurs de la Compagnie de Jésus. François ne put entiè­re­ment se défendre contre cette influence sur­na­tu­relle. Du moins, son inno­cence y trouva-​t-​elle sa sauvegarde.

Saint Ignace de Loyola et saint François Xavier.

C’est le 15 mars 1530 que Xavier reçut les hon­neurs de la maî­trise ès arts. Le voi­là pro­fes­seur, et pro­fes­seur applau­di, car il est savant et il parle bien. Parmi ses élèves du Collège de Beauvais, à Paris, un étu­diant étran­ger est venu s’asseoir, un com­pa­triote, d’une médiocre appa­rence. C’est Ignace de Loyola, l’ancien sol­dat du siège de Pampelune ; sor­ti récem­ment de la grotte de Manrèse, il y a pui­sé, mal­gré son âge, des rêves ambi­tieux. Il est venu à Paris pour se per­fec­tion­ner dans les lettres humaines qu’il a peut-​être trop négli­gées en sa jeu­nesse ; mais sur­tout il est pres­sé du désir de ras­sem­bler une com­pa­gnie d’hommes zélés et savants, avec laquelle il entre­pren­dra la conquête du monde. Dans cette popu­la­tion uni­versitaire, où la pié­té était rare, Ignace jeta les yeux sur le jeune pro­fes­seur navar­rais, son com­pa­triote et ancien ami, en qui il avait devi­né un mer­veilleux ins­tru­ment pos­sible d’apostolat. Ce François qui, par­fois, « lui jetait quelques moque­ries », il entre­prit de le gagner à Dieu par de patients efforts et il finit par y réussir.

Désormais, le cœur de Xavier était à lui. Ignace en pro­fite pour éclai­rer son âme ; fai­sant allu­sion aux gran­deurs humaines après les­quelles sou­pi­rait son ami, il ne cesse de répé­ter : « Que sert à l’homme – Quid pro­dest ? – de gagner l’univers, s’il perd son âme ? »

François lut­ta encore trois années contre la grâce, réflé­chis­sant chaque jour à ce Quid pro­dest ? obsé­dant. Sans doute aus­si l’exemple de gran­deur d’âme que lui offrait la vie mor­ti­fiée d’Ignace, les prières de sa sainte mère et celles que fai­sait, au fond d’un cloître de Clarisses, une sœur aimée eurent rai­son de ses résis­tances. Bientôt, le 15 août 1534, à Montmartre, dans une cha­pelle souter­raine dédiée à saint Denis et qui pas­sait pour être le lieu de son mar­tyre, devant la sainte Hostie que tenait entre ses mains le prêtre Pierre Le Fèvre, Ignace de Loyola, François Xavier, le maître du Collège de Beauvais, d’autres encore se liaient par le triple vœu de pau­vre­té, de chas­te­té et d’obéissance. Tous s’engageaient en outre à faire le pèle­ri­nage de Terre Sainte pour y assis­ter les chré­tiens vivant sous le joug musul­man, et, en cas d’empêchement, à se rendre à Rome pour y mettre leur volon­té et leur cœur au ser­vice de l’Eglise. La Compagnie de Jésus était fondée.

Quelque temps après, François fit une retraite ou, comme on dit, les « exer­cices spi­ri­tuels », sous la conduite de saint Ignace, avec une fer­veur si grande qu’il pas­sa quatre jours sans prendre aucune nourriture.

A la fin de 1536, tan­dis qu’Ignace réglait des affaires en Espagne, François Xavier et neuf de ses com­pa­gnons tra­ver­saient l’Allemagne, pour se rendre à Venise. C’est là que la Compagnie devait se réunir l’année sui­vante et s’embarquer pour la Terre Sainte. Durant ce long tra­jet, François se dis­tin­gua par son esprit de mortification.

A Venise, où ce groupe pieux et enthou­siaste arri­va le 8 jan­vier 1537, le futur mis­sion­naire ne vou­lut point d’autre loge­ment que l’hôpital des incu­rables. Il pas­sait la jour­née à soi­gner les infir­mi­tés les plus repous­santes. Un de ses malades était affli­gé d’un ulcère hor­rible ; per­sonne n’osait le ser­vir. Le P. Xavier lui-​même fré­mit en le voyant ; mais, domp­tant ce pre­mier mou­ve­ment, il s’approche du mal­heu­reux et baise ses plaies, pour ne pas dire plus…

Au mois de mars, Ignace l’arrache à ses exer­cices de cha­ri­té et l’envoie à Rome avec ses com­pa­gnons, implo­rer la béné­dic­tion du Souverain Pontife sur leur voyage de Terre Sainte. Le Pape Paul III les reçut avec une affec­tion toute pater­nelle et leur pro­di­gua ses encou­ra­ge­ments. François Xavier revint ensuite à Venise, où il fut ordon­né prêtre le jour de la Saint-​Jean-​Baptiste, en 1537.

Pour mieux se pré­pa­rer à la célé­bra­tion de sa pre­mière messe, il se retire dans une cabane en ruines, près de Padoue. Là il fait une retraite de qua­rante jours, dans une soli­tude conti­nuelle, châ­tiant rude­ment son corps. Ensuite, il évan­gé­lise pen­dant deux mois les vil­lages de la contrée. Enfin, il dit sa pre­mière messe à Vicence avec d’abondantes larmes.

A la suite de ces fatigues, la mala­die le ter­ras­sa. Il demeu­ra long­temps à l’hôpital, dans une chambre mal­saine, avec des remèdes et des ali­ments tels qu’il ne pou­vait gué­rir. Une nuit, tan­dis que François repo­sait sur son lit de dou­leur, saint Jérôme lui appa­rut pour le récon­forter et lui révé­ler la mis­sion à laquelle Dieu l’appelait ; peu de temps après, François, com­plè­te­ment réta­bli, com­men­çait un minis­tère très effi­cace à Bologne. Pendant le Carême de 1538, nous le retrou­vons à Rome, où il prêche, notam­ment à Saint-​Louis des Français.

Départ pour les Indes orientales.

La guerre entre Venise et les Turcs ren­dait impos­sible le pèle­ri­nage de Terre Sainte ; or, sur ces entre­faites, Jean III, roi de Portugal, fit sol­li­ci­ter, le 4 août 1539, auprès du Souverain Pontife, des reli­gieux de la nou­velle Compagnie pour por­ter l’Evangile dans les Indes orien­tales. Les PP. Simon Rodriguez et Nicolas Bobadilla furent choi­sis. Mais ce der­nier étant tom­bé malade, saint Ignace, le 14 mars 1540, dési­gna pour le rem­pla­cer François Xavier. On ne sau­rait expri­mer la joie cau­sée à celui-​ci par une telle déci­sion. Il remer­cia Dieu avec effu­sion, et, après avoir reçu la béné­dic­tion du Souverain Pontife et celle de saint Ignace, son supé­rieur, il par­tit de Rome avec l’ambassadeur de Portugal près le Saint-​Siège, Pierre de Mascarenhas.

Comme il tra­ver­sait la Navarre, l’ambassadeur lui pro­po­sa de pas­ser au châ­teau de Xavier, qui se trou­vait peu éloi­gné de la route. François sen­tit son cœur ému à la pen­sée de revoir sa mère, qu’il aimait avec ten­dresse, de saluer ses frères et ses amis. Mais son­geant qu’un pareil sacri­fice atti­re­rait les béné­dic­tions de Dieu sur son apos­to­lat, il s’éloigna rapi­de­ment, com­pri­mant héroï­que­ment le désir de son âme aimante.

Lors de son arri­vée à Lisbonne, qui eut lieu en juin, Xavier trou­va le P. Simon Rodriguez, venu par mer. Les deux reli­gieux se logèrent à l’hôpital, et, en atten­dant le jour du départ, ils se mirent à prê­cher dans toute la ville. Leurs exer­cices pro­dui­sirent des résul­tats si mer­veilleux que le roi, ne pou­vant se sépa­rer de deux hommes qui trans­for­maient ses Etats, deman­da à Paul III la faveur de les conser­ver auprès de lui. Il fut déci­dé que le P. Rodri­guez res­te­rait à Lisbonne et que le P. Xavier par­ti­rait seul pour les Indes. Dans l’intervalle, le Pape avait fait envoyer au mis­sion­naire un Bref le nom­mant nonce apos­to­lique pour tout l’Orient.

La flotte mit à la voile le 7 avril 1541 sous le com­man­de­ment du vice-​roi des Indes, Alphonse de Souza. François Xavier, en sa qua­li­té de nonce, dut mon­ter sur le vaisseau-​amiral mal­gré ses protestations.

Son voyage fut un conti­nuel apos­to­lat. Il prê­chait sans cesse les mate­lots, leur fai­sait le caté­chisme, et dans leurs mala­dies leur ren­dait les ser­vices les plus humbles. A Mozambique, où il arri­va en sep­tembre ; à Malindi, sur la côte du Zanguebar, où la flotte fit relâche, il conti­nua ses pré­di­ca­tions avec suc­cès. Enfin, il arri­va en vue de Goa, capi­tale des Indes por­tu­gaises. C’était le 6 mai 1542.

L’apostolat des colons et des Hindous.

A son arri­vée, il trou­va la ville dans un état déplo­rable. De nom­breux colons por­tu­gais, livrés aux pas­sions les plus hon­teuses, don­naient aux ido­lâtres un mau­vais exemple qui empê­chait toute conver­sion. Le saint reli­gieux en ver­sa des larmes devant Dieu, mais il ne se décou­ra­gea point et réus­sit à faire de nom­breux bap­têmes et beau­coup de conver­sions ; bien­tôt l’aspect de Goa se trou­va tout changé.

Aux Indes, l’existence des castes, c’est-à-dire de classes sociales abso­lument fer­mées les unes aux autres, est un obs­tacle sérieux, presque insur­mon­table. Lorsque François Xavier entre­pren­dra de gagner à Jésus-​Christ les âmes des Hindous, il se heur­te­ra à cette dif­fi­cul­té. Il accom­pli­ra des mer­veilles dans cer­taines castes, prin­ci­pa­le­ment chez les humbles, alors que d’autres castes, par exemple celles des brahmes orgueilleux, demeu­re­ront comme une muraille inattaquable.

Partout où il a réus­si à fon­der d’importantes chré­tien­tés, le P. François s’efforcera de pla­cer des mis­sion­naires conti­nua­teurs de son œuvre, et c’est pour ce motif que par­fois il repren­dra la route de Goa ou de Cochin. Si son action laisse voir un prêtre insa­tiable des âmes, dans sa cor­res­pon­dance, jusqu’à la fin de sa vie, appa­raît un homme aux idées claires, éner­giques, un chef qui sait prendre ses res­pon­sa­bi­li­tés et don­ner des ordres quand il le faut : rien d’un rêveur aux idées nua­geuses, vivant dans l’irréel.

Il est impos­sible, si l’on n’a pas une carte sous les yeux ou dans la mémoire, de se rendre compte, même de très loin, des dis­tances que par­cour­ra François Xavier, tan­tôt seul, tan­tôt accom­pa­gné d’un confrère, ou d’un guide, ou d’un ser­vi­teur. C’est là un miracle à peine croyable, et cepen­dant les preuves existent. De Goa, sur la côte Ouest de l’Inde, le mis­sion­naire des­cend, après la sai­son des pluies, vers le Sud, dans la région du cap Comorin, pour conver­tir les pauvres pêcheurs de perles, et pen­dant une année (1542–1543) il s’occupe de la tri­bu des Palavers ; en décembre, il ren­trait momen­tanément à Goa, puis il reprit son minis­tère sur la pointe extrême de l’Inde, sur le ter­ri­toire de Travancore. Un jour, les Badages, peuple sau­vage et vivant de rapines, y firent une incur­sion. La popu­la­tion effrayée s’enfuit. François Xavier, n’ayant pour arme que son cru­ci­fix, s’avança vers eux : les bar­bares, sai­sis de ter­reur, rebrous­sèrent che­min, comme mus par une force invisible.

Saint François Xavier et les Badages à Travancore.

A Ceylan et aux Moluques.

La grande île de Ceylan, sépa­rée du conti­nent par le Pont d’Adam, ne pou­vait man­quer d’attirer son besoin de se dépen­ser. Un peu plus tard le voi­ci à 3 000 kilo­mètres, à vol d’oiseau, de Goa, dans la presqu’île de Malacca, au delà du golfe du Bengale.

De Malacca, il passe en Océanie, dans les Moluques, d’abord dans l’île d’Amboine, ensuite à Céram où le trans­porte une simple barque. Pendant la tra­ver­sée, une vio­lente tem­pête ayant écla­té, François Xavier des­cen­dit dans la mer son Crucifix ; le fil se rom­pit et la croix dis­pa­rut ; or, quel ne fut pas l’étonnement d’un guide, qui le len­de­main accom­pa­gnait le mis­sion­naire le long de la plage, de voir briller le Crucifix entre les pattes d’un crabe, sur le sable !

Un peu plus tard, il est chez les can­ni­bales de l’île de Noussalaout, où il ne réus­sit à faire qu’une seule conver­sion ; puis de nou­veau à Amboine, de là à l’île de Ternate, for­te­resse por­tu­gaise ; enfin, tout seul, sans aucun secours humain, par­mi les sau­vages des îles du More.

François demeu­ra trois ans et demi aux Moluques, puis il revint à Cochin en jan­vier 1548 et pro­cé­da à la visite des centres chré­tiens. Il consta­ta que les mis­sion­naires qu’il avait lais­sés pour conti­nuer et déve­lop­per son œuvre avaient trop sou­vent à lut­ter contre l’hostilité des fonc­tion­naires européens.

Voyages de saint François-Xavier

L’évangélisation du Japon.

Alors, sai­si de tris­tesse, il se tour­na vers le Japon. La Providence lui ména­gea d’ailleurs un concours qui ache­va peut-​être de le décider.

Il avait, en effet, ren­con­tré à Malacca un Japonais nom­mé Yagiro, qui, après une jeu­nesse fort trou­blée, avait cher­ché par­mi les bonzes ou moines païens de son pays une paix que ceux-​ci furent impuis­sants à lui pro­cu­rer. Yagiro enten­dit par­ler du P. Xavier et, conduit à Malacca par une suite de cir­cons­tances pro­vi­den­tielles, il cou­rut se jeter à ses pieds. François l’accueillit avec bon­té, et lui par­la avec une si douce per­sua­sion que le Japonais réso­lut de s’attacher à lui. Il sui­vit, en effet, le Père à Goa, et reçut le bap­tême sous le nom de Paul de Sainte-Foi.

François quit­ta Cochin au mois d’avril 1549 et se diri­gea vers Malacca, d’où il repar­tit pour le Japon le jour de la Saint-​Jean, accom­pa­gné d’un Frère coad­ju­teur. Après un voyage de plus de mille lieues, il abor­dait le 15 août sui­vant à Kagoshima, ville impor­tante de l’empire nip­pon, dans l’île Kyushu.

Après avoir mis­sion­né en deux îles et fait des conquêtes dans la ville de Yamagouchi, le Père arri­va en jan­vier 1551 à Myiako, capi­tale de l’empire, espé­rant faire appel à la bien­veillance du sou­ve­rain. Il n’y trou­va que décep­tion ; de nou­veaux suc­cès, notam­ment à Yamagouchi, le conso­lèrent de cet échec sérieux. Si sa parole ne por­tait pas tou­jours et par­tout des fruits immé­diats, ses efforts ne furent point sté­riles. En effet, on a peine à s’expliquer humai­ne­ment que, grâce à saint François Xavier, le chris­tia­nisme ait connu au Japon une exten­sion si rapide qu’il devait comp­ter à un moment don­né 600 000 catho­liques, et que, deux siècles après, cette pri­mi­tive Eglise avait lais­sé des des­cen­dants mal­gré l’absence de tout missionnaire.

Il meurt en face de la Chine.

A la mi-​novembre 1551, François quit­ta le Japon et reprit le che­min des Indes avec le des­sein bien arrê­té d’aller conqué­rir la Chine à Jésus-​Christ. Pour cela, il pro­po­sa au vice-​roi une expé­dition apos­to­lique qui, sous le cou­vert d’une ambas­sade, per­met­trait de péné­trer en Chine et d’y répandre la bonne nouvelle.

Le départ eut lieu en avril 1552 ; l’indocilité du com­man­dant de la flotte, qui fut pour ce motif excom­mu­nié, contra­ria la marche de cette entre­prise. Au mois d’août, le navire qui por­tait le P. Xavier se trou­vait près des trois îles dites Sanchoan, en face de la ville de Canton. C’est là que le mis­sion­naire va des­cendre, les vais­seaux por­tu­gais n’ayant pas le droit d’entrer dans les ports chi­nois. Il y atten­dra, dans une cabane expo­sée à tous les vents, un mar­chand qui doit le mener à Canton ; en cas d’échec il est réso­lu à péné­trer dans le Siam. Un fidèle Chinois, Antoine, et un domes­tique mala­bare, nom­mé Christophe, com­posent alors toute la « mai­son » du nonce apostolique.

Atteint d’une pleu­ré­sie, il demeu­ra quinze jours dans sa cabane, aux prises avec les dou­leurs phy­siques les plus vives, mais sou­te­nu en même temps par la grâce de Dieu. Enfin, le ven­dre­di 2 décembre, il sen­tit appro­cher ses der­niers moments.

Les yeux bai­gnés de larmes et ten­dre­ment atta­chés sur son Crucifix, il pro­non­ça d’une voix claire ces paroles : J’ai espé­ré en vous, ô mon Dieu ! et je suis assu­ré de n’être jamais confon­du ! Et tan­dis que son visage s’illuminait d’une joie toute sur­na­tu­relle, son âme s’envola vers les deux, le 3 décembre. Il était âgé de quarante-​six ans.

La gloire. – La neuvaine de la grâce.

Les Portugais entou­rèrent son corps de chaux vive, afin que, les chairs se consu­mant, il leur fût pos­sible d’emporter bien­tôt ses osse­ments. Mais quand, deux mois après, son cer­cueil fut rou­vert, on put consta­ter que sa dépouille était demeu­rée intacte et on la trans­por­ta à Goa. Elle y est encore conser­vée aujourd’hui, en l’église du Bon-​Jésus, dans un coffre d’argent.

Déclaré Bienheureux par Paul V le 25 octobre 1619, François Xavier fut cano­ni­sé par Grégoire XV le 12 mars 1622, en même temps que trois de ses com­pa­triotes : Isidore le Laboureur, Ignace de Loyola et Thérèse d’Avila, et que saint Philippe Néri.

Le titre de Patron de la Propagation de la foi, confé­ré depuis long­temps à saint François Xavier, a été offi­ciel­le­ment confir­mé par Pie X, le 2 mars 1904, en même temps que sa fête, du rite semi-​double depuis Alexandre VII (1663), du rite double depuis Clément X (1670), était éle­vée pour l’Eglise uni­ver­selle au rite double majeur.

Son bras droit, qui a bap­ti­sé tant d’infidèles qu’il s’en trou­vait lit­téralement fati­gué, fut déta­ché de son corps en 1614 et envoyé à Rome ; il y est véné­ré dans l’église du Gesù. En 1923, après les fêtes du troi­sième cen­te­naire de la cano­ni­sa­tion, il a été ame­né en France, puis repor­té à Rome : voyage vrai­ment triom­phal accom­pa­gné de plu­sieurs gué­ri­sons merveilleuses.

Le miracle qui a le plus contri­bué à déve­lop­per le culte du saint apôtre des Indes et du Japon se pro­dui­sit en 1634, dans un col­lège de Naples. Un jeune Jésuite, le P. Marcel Mastrilli, ago­ni­sait, la tête pro­fon­dé­ment meur­trie par un mar­teau qui était tom­bé de dix mètres de haut ; ani­mé d’un ardent désir de se consa­crer aux mis­sions, le mou­rant se recom­man­da à saint François Xavier et obtint de ses supé­rieurs la per­mis­sion de faire le vœu d’aller aux Indes en cas de gué­ri­son ; il sol­li­ci­tait en outre la grâce du mar­tyre. Or, dès le len­de­main, le mori­bond, debout, pou­vait offrir le Saint Sacrifice. Il devait mou­rir pour la foi, le 17 octobre 1637, à Nagasaki.

Le bruit de cette gué­ri­son don­na nais­sance à la cou­tume de faire des neu­vaines en l’honneur de saint François Xavier, soit avant sa fête (25 novembre‑3 décembre), soit, plus com­mu­né­ment encore, avant l’anniversaire de sa cano­ni­sa­tion (4–12 mars). Cette pieuse pra­tique est connue sous le nom de « neu­vaine de la grâce », titre bien jus­ti­fié par les faveurs qui l’ont récom­pen­sée maintes fois. Pie X l’a enri­chie d’indulgences en 1904. 

A. P.-I.

Sources consul­tées. – A. Brou, S. J., Saint François Xavier (Paris, 1922). – P. Lhande, S. J., Huit fresques de Saints (Paris). – P. Eugène Thibault, S. J., Lettres de saint François Xavier, nou­velle tra­duc­tion (4 vol., Bruges, 1922). – (V. S. B. P., nos 79, 80, 668 et 1187.)