Sainte Catherine d’Alexandrie

Vierge et mar­tyre, patronne des jeunes filles et des phi­lo­sophes (vers 289-​vers 307).

Fête le 25 novembre.

Version courte

Sainte Catherine naquit à Alexandrie, d’une famille de pre­mière noblesse. Comme elle ne se hâtait pas de rece­voir le Baptême, Dieu lui envoya une vision où la Sainte Vierge la pré­sen­tait au divin Enfant qui détour­nait les yeux avec tris­tesse, et disait : « Je ne veux point la voir, elle n’est pas encore régé­né­rée. » A son réveil, elle réso­lut de rece­voir promp­te­ment le Baptême. Quand elle l’eut reçut, Jésus lui appa­rut, lui don­na mille témoi­gnages d’a­mour, la prit pour épouse en pré­sence de Marie et de toute la cour céleste, et lui pas­sa au doigt l’an­neau de Son alliance.

Catherine, douée d’une haute intel­li­gence, sui­vit avec le plus grand suc­cès les leçons des plus grands maîtres chré­tiens de l’é­cole d’Alexandrie, et acquit la science des Docteurs. Dans une grande fête du paga­nisme, célé­brée en pré­sence de l’empereur Maximin, elle eut la sainte audace de se pré­sen­ter devant lui, de lui mon­trer la vani­té des idoles et la véri­té de la reli­gion chré­tienne. La fête ter­mi­née, Maximin, éton­né du cou­rage et de l’é­lo­quence de la jeune fille, réunit cin­quante des plus savants doc­teurs du paga­nisme et leur ordon­na de dis­cu­ter avec Catherine. Préparée par la prière et le jeûne, elle com­men­ça la dis­cus­sion et fit un dis­cours si pro­fond et si sublime sur la reli­gion de Jésus-​Christ com­pa­rée au culte des faux dieux, que les cin­quante phi­lo­sophes, éclai­rés par sa parole en même temps que tou­chés de la grâce, pro­cla­mèrent la véri­té de la croyance de Catherine et reçurent, par l’ordre du cruel empe­reur, le bap­tême du sang, gage pour eux de l’im­mor­telle couronne.

Cependant Maximin, mal­gré sa fureur, plein d’ad­mi­ra­tion pour la beau­té et les hautes qua­li­tés de Catherine, espé­ra la vaincre par l’am­bi­tion en lui pro­met­tant sa main. Il essuya un refus plein de mépris. Pendant deux heures l’in­no­cente vierge subit le sup­plice de la dis­lo­ca­tion de ses membres sur un che­va­let, et celui des fouets. Le len­de­main, Maximin, sur­pris de la trou­ver plus belle et plus saine que jamais, essaya de triom­pher de sa résis­tance. Il la fit sou­mettre au ter­rible sup­plice des roues, mais les roues volèrent en éclats et tuèrent plu­sieurs per­sonnes. Le tyran, confus de tous ces pro­diges, ordon­na de lui tran­cher la tête.

Avant de mou­rir, elle avait deman­dé et obte­nu deux choses de son divin Époux : que son corps fût res­pec­té après le sup­plice, et que l’ère des per­sé­cu­tions prit bien­tôt fin. Plus tard, son corps fut trans­por­té par les Anges sur le mont Sinaï.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Peu de Saintes ont été popu­laires à l’égal de sainte Catherine, et l’iconographie est là pour en témoi­gner : seule par­mi tous les habi­tants du para­dis, on la voit appa­raître dans les vieux vitraux avec la triple auréole : l’auréole blanche des vierges, la verte des doc­teurs et la rouge des mar­tyrs. Les Primitifs et les plus grands peintres de la Renaissance se sont ins­pi­rés de sa vie pour com­po­ser d’immortels chefs‑d’œuvre. Qui ne connaît, au moins de nom, ou popu­la­ri­sés par la gra­vure, les innom­brables Mariages mys­tiques de sainte Catherine, et signés des plus grands noms de la pein­ture : Hans Memling, Corrège, Rubens, Titien, Bernardo Luini, Filippo Lippi ?

Une Patronne très honorée.

Surtout du haut moyen âge à la Renaissance, Catherine vit plus de trente cor­po­ra­tions la choi­sir pour patronne, et cela pour un motif que nous expo­se­rons plus loin : meu­niers, char­rons, rémou­leurs, tour­neurs et potiers, cor­diers et fileuses, cor­royeurs, tan­neurs, bour­reliers et cor­don­niers, miroi­tiers, étai­miers et plom­biers, dra­piers aus­si. Les phi­lo­sophes à leur tour, et sous ce nom il faut com­prendre tous les intel­lec­tuels, et en par­ti­cu­lier les étu­diants, se sont cru de très anciens droits sur elle. N’avait-elle pas confon­du cin­quante phi­losophes par la sagesse de ses réponses !

Mais elle fut sur­tout, et elle reste tou­jours, la patronne des jeunes filles, d’abord parce qu’elle hono­ra leur âge par sa ver­tu – Catherine signi­fie pure, et aus­si parce qu’elle fut la fian­cée du Christ, qui lui mit au doigt l’anneau nup­tial. C’est aux jeunes filles qu’il fut tou­jours réser­vé de poser sur la tête de la vierge d’Alexandrie la cou­ronne sym­bo­lique, et ce pri­vi­lège dis­pa­rais­sait le jour où la jeune fille se mariait. De là l’expression com­mune de « coif­fer » ou de « ne plus coif­fer sainte Catherine », expres­sion dont le vrai sens s’est un peu défor­mé de nos jours.

Les Français ont un motif par­ti­cu­lier d’honorer sainte Catherine : lorsque tant de chefs‑d’œuvre qui parlent d’elle auront dis­pa­ru, sa filleule et sa confi­dente, Jeanne d’Arc, appren­dra la gloire de Cathe­rine aux fidèles des der­niers jours. Est-​il un enfant chré­tien de France qui ignore que sainte Catherine fut l’une des Saintes dont les « Voix » gui­daient la vierge de Domrémy ?

« Pourquoi, deman­daient les juges du pro­cès de Rouen à la Pucelle, pour­quoi regardez-​vous, en allant à la guerre, l’anneau qui por­tait les noms de Jésus et de Marie ? » Et Jeanne de répondre : « Par plai­sance, et parce qu’ayant cet anneau à la main et au doigt, j’ai tou­ché sainte Catherine qui m’apparaissait. »

Par ailleurs, on sait que ce fut au sanc­tuaire de « Madame sainte Catherine », à Fierbois, dio­cèse de Tours, que la libé­ra­trice de la France vint, en 1429, cher­cher l’épée mar­quée de cinq croix et mira­culeusement trou­vée, sur ses indi­ca­tions, dans ce sanc­tuaire, comme ses Voix le lui avaient promis.

Les trois chapitres de son histoire.

Et cepen­dant, si popu­laire que soit l’histoire de sainte Catherine, il faut recon­naître qu’il n’y en a guère de moins connue dans les pre­miers siècles qui ont sui­vi les per­sé­cu­tions. Les Bollandistes disent qu’on n’a le droit de rien affir­mer sur elle avec quelque vraisem­blance. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le culte de sainte Catherine eut pour foyer le mont Sinaï, où, dit le Jésuite Bollandus, son corps fut por­té, sans qu’on puisse dire ni en quel temps ni par qui. On donne pour père à Catherine, Costus, roi de Cilicie, et pour mère Sabinelle, fille d’un grand prince des Samaritains. Elle naquit vers l’année 289. C’est tout ce qu’il est per­mis de conjec­tu­rer sur sa vie. Mais de la mer­veilleuse légende qu’à par­tir du viiie siècle lui ont amou­reu­se­ment tres­sée des mains incon­nues, nous pou­vons faire trois cha­pitres, ou plu­tôt trois chants : l’anneau, le tour­noi phi­lo­so­phique, la roue du mar­tyre, telles sont les trois par­ties de ce poème histo­rique, si divin et si humain qu’il appa­raît plus vrai que l’histoire elle-même.

L’anneau.

Alexandrie, où fut éle­vée sainte Catherine, était alors une des villes les plus savantes du monde. Elle est res­tée fameuse par son école de phi­lo­sophes, dite Ecole d’Alexandrie, et par sa célèbre biblio­thèque, fon­dée par les Plolémée. La noble vierge y fut ins­truite dans toutes les sciences pro­fanes. Costus étant mort, la reine Sabinelle alla rési­der en Arménie où vivait un pieux et vieil ermite nom­mé Ananias. Bien que sym­pa­thique à la foi chré­tienne, Catherine, douée d’un esprit curieux, mais fière et rai­son­neuse, ne dédai­gnait pas de défendre la cause païenne, usant de syl­lo­gismes sub­tils et cap­tieux où la bonne Sabinelle, plus pieuse que savante, se trou­vait vite embar­ras­sée. Entre temps, la mer­veilleuse beau­té de Catherine et la renom­mée de sa science sus­ci­taient autour d’elle des par­tis superbes et prin­ciers. A leurs pro­po­si­tions, elle répon­dait avec hau­teur : « L’époux que vous me pro­po­sez est-​il aus­si savant et aus­si beau que moi ? » On la condui­sit à l’ermite Ananias et celui-​ci décla­ra qu’à son tour il avait un brillant par­ti à pro­po­ser à la jeune fille. Catherine lui répon­dit : « Avant de m’engager à l’époux que vous me des­ti­nez, je veux le voir ! – Mon enfant, répli­qua le saint homme, la plus belle créa­ture est vile devant lui. – Qu’importe, je veux le voir. – Soit, lui dit Ananias ; cette nuit donc, tu res­te­ras seule et sans ta cham­brière, tu te met­tras à genoux, tu invo­que­ras la Vierge et tu lui diras : Madame, Mère de Dieu, que votre grâce me per­mette de voir votre fils. »

Catherine, fort intri­guée, rentre chez elle, allume vingt flam­beaux, pour accueillir digne­ment l’hôte quelle attend. Puis elle se met à genoux et cette païenne prie avec ardeur, en usant des mots que lui avait indi­qués l’ermite. Alors parut, toute lumi­neuse, la Vierge Marie : « Ma fille, dit-​elle, que me veux-​tu ? – Laissez-​moi voir votre fils. – Je le veux bien », répond la Mère de Dieu, et aus­si­tôt, sou­le­vant sa chape, elle découvre son fils. – « Le voi­ci, le veux-​tu ? » Et Catherine, dans l’extase : « Oh ! Mère, s’écria-t-elle, je ne suis digne que d’être son esclave ! » Alors, la Vierge, s’adres­sant à Jésus : « Et vous, mon Fils, la voulez-​vous aus­si ? – Non, elle est trop laide ! »

Sur quoi, la vision dis­pa­rut, et Catherine res­ta seule, navrée de cette rude parole. Elle se croyait si bien la plus belle créa­ture du monde ! A peine le soleil levé, elle se ren­dit chez l’ermite et racon­ta ce qui s’était pas­sé. Le vieillard sou­rit « Eh ! sans doute, ma pauvre enfant, ton corps est le plus beau du monde ; mais ton âme est laide parce qu’elle est pleine d’orgueil. » Puis il l’instruisit et la bap­ti­sa. Il lui recom­man­da de s’humilier et de renou­ve­ler sa tenta­tive. De nou­veau donc, la Vierge se montre avec son Fils. « La voulez-​vous, main­te­nant ? lui dit Marie. – Oui, car la voi­là deve­nue toute pure et toute belle. » Alors la Vierge offre un anneau à Cathe­rine et fiance la jeune prin­cesse au Roi du ciel. Telle est la tra­di­tion du « mariage mys­tique de sainte Catherine », de ce thème magni­fique si sou­vent déve­lop­pé pour mon­trer les gloires de la virginité.

Sainte Catherine et les philosophes.

Elle avait dix-​huit ans, lorsque l’empereur Maximin convo­qua par édit tous ses sujets, pour qu’ils offrissent aux dieux un sacri­fice en recon­nais­sance de ses vic­toires. Il mena­çait en même temps de mort les chré­tiens qui refu­saient de sacri­fier. Du fond de son palais, Catherine enten­dait les applau­dis­se­ments et les chants de la foule. Se munis­sant du signe de la croix, elle se ren­dit avec quelques ser­vi­teurs au lieu du sacri­fice. Elle aper­çut alors un grand nombre de chré­tiens qui obéis­saient à l’édit par crainte des tour­ments. Elle en fut acca­blée. Alors elle alla droit à l’empereur : « Je ren­drais hom­mage à ton rang, dit-​elle, si tu n’étais abu­sé des faux dieux. » Et sur ce ton, elle se mit à dis­cu­ter avec lui, lui pro­po­sant des con­clusions qu’elle appuyait de syl­lo­gismes, et d’une foule de considé­rations allé­go­riques et mys­tiques. L’empereur était sur­pris et frap­pé de tant de science et de beauté.

Elle dit encore beau­coup de choses sur l’Incarnation et la Rédemp­tion, et ren­dit rai­son de sa foi avec une telle viva­ci­té et une telle grâce et tant de pro­fon­deur que l’empereur, tout hébé­té, ne fai­sait que la regar­der, sans pou­voir lui dire un mot. Le voyant trou­blé et irri­té, la vierge lui dit : « Je vous conjure, César, de ne point vous lais­ser empor­ter par la colère. » Et, citant un poète, elle ajou­ta avec une cer­taine coquet­te­rie d’érudition et non sans iro­nie : « Le trouble ne convient pas au sage. Si c’est l’esprit qui gou­verne en toi, tu es roi ; si c’est l’impression, tu n’es qu’un esclave ! – Je vois bien, reprit l’empereur, que tu veux me prendre par la ruse, en produi­sant ain­si l’autorité des philosophes. »

Il man­da donc sur-​le-​champ cin­quante grands ora­teurs et philo­sophes, à la cour d’Alexandrie, leur pro­met­tant de riches pré­sents, s’ils arri­vaient à convaincre cette jeune fille. Ils obéirent en mau­gréant, peu flat­tés de cette mis­sion qui les oppo­se­rait à une femme pédante, pensaient-​ils, et qui, au bout de sa courte science, avait tou­jours un esprit fémi­nin. D’après eux, la réfu­ter ne serait qu’un jeu pour le der­nier des écoliers.

Forts de leur supé­rio­ri­té intel­lec­tuelle et numé­rique, les cin­quante maîtres s’assemblèrent donc ; tout Alexandrie accou­rut assis­ter à cette joute d’un nou­veau genre qui allait mettre aux prises l’élite des savants et une jeune fille de dix-​huit ans ! Celle-​ci se recom­man­da au Seigneur, et un ange se tint près d’elle pour la ras­su­rer et la confor­ter. C’était saint Michel, pré­ci­sé­ment, l’archange redou­table à Lucifer et qui, plus tard, appa­raî­trait à Jeanne d’Arc en la com­pa­gnie de sainte Catherine.

Le débat s’engagea sur l’Incarnation. Les phi­lo­sophes lui objec­tèrent qu’il est impos­sible qu’un Dieu se fasse homme et qu’il souffre. Catherine répon­dit en citant la fameuse page du phi­lo­sophe grec, Platon, attri­buant à Dieu la forme d’un corps humain, et elle rap­pela cette parole de la Sibylle : « Heureux le Dieu sus­pen­du à un bois éle­vé ! » Et elle dit tout cela si clai­re­ment, avec tant de grâce, que les superbes phi­lo­sophes acquies­çaient à tout ce que disait la vierge. Une quin­zaine d’entre eux vou­lurent néan­moins des­cendre tour à tour dans la lice, armés jusqu’aux dents d’arguments qu’ils croyaient solides. Les rai­son­ne­ments s’entre-croisent comme des éclairs, retors et cau­te­leux d’une part, tran­quilles et convain­cants de l’autre. L’empereur et l’auditoire jugent les coups ; mais les savants finissent par s’avouer vain­cus par l’enfant de dix-​huit ans.

Cependant, Maximin, fou de rage, fit dres­ser un bûcher et ordon­na de brû­ler vifs au milieu de la ville les cin­quante savants. Catherine les exhor­ta à mou­rir avec constance et les ins­trui­sit dans la foi.

Une seule chose les attris­tait, c’était de mou­rir sans rece­voir le bap­tême. Elle les conso­la d’un visage radieux, leur assu­rant que l’effusion de leur sang leur ser­vi­rait de bap­tême. Ayant fait le signe de la croix, ils furent jetés dans les flammes et ren­dirent leur âme au Seigneur.

Maximin, tout ensemble opi­niâtre et décon­te­nan­cé de sa défaite, essaya d’autres moyens et essaya de gagner Catherine par la feinte dou­ceur et les flat­te­ries. Ce fut peine per­due. Il lui pro­mit d’abord le second rang à sa cour aus­si­tôt après l’impératrice, une sta­tue au milieu de la cité, et les hom­mages réser­vés aux déesses. Vains efforts ! Alors le tyran la fit pré­ci­pi­ter dans une cave pro­fonde et obs­cure, frap­per de verges et pri­ver de toute nour­ri­ture. Mais des anges venaient la visi­ter et une colombe lui appor­tait chaque jour des aliments.

Ici appa­raissent deux nou­veaux per­son­nages, l’im­pé­ra­trice Cons­tance et Porphyre, aide de camp de l’empereur et son conseiller intime. Une nuit, la sou­ve­raine, accom­pa­gnée de l’officier, vint visi­ter Catherine, qu’elle aimait. A peine arri­vés au cachot, ces deux per­son­nages y virent res­plen­dir une indi­cible clar­té. La vierge se mit alors à leur par­ler des joies éter­nelles avec une cha­leur si entraî­nante, qu’à leur tour ils pro­cla­mèrent leur foi en face de Maximin et reçurent la cou­ronne du mar­tyre. Deux cents sol­dats sui­virent leur exemple. Avant de mou­rir, ils avaient vu les cin­quante philo­sophes mar­ty­ri­sés assis autour de Catherine. Des mains de l’un d’eux, celle-​ci reçut une cou­ronne qu’elle posa sur la tête de l’impératrice. Et les sages mur­mu­raient : « Perle pré­cieuse, gemme du Christ, bien­tôt va venir ton tour ; l’Epoux divin va lui-​même te rece­voir aux portes de l’Eglise d’en haut, où les harpes célestes chan­te­ront à tes oreilles les douces chan­sons de liesse. Tu vas entrer dans ce para­dis, où la très noble com­pa­gnie des vierges, par­mi les fleurs de lis, mêlées de roses ver­meilles, suit l’Agneau par­tout où il va ! »

L’impératrice accom­pa­gnée du com­man­dant de la milice impé­riale visite sainte Catherine dans sa prison.

Sainte Catherine est condamnée au supplice de la roue.

L’empereur, dès lors, ne cher­cha plus que les moyens d’assouvir sa fureur. Un homme, vrai­ment ani­mé d’un esprit dia­bo­lique, nom­mé Chursates, pré­vôt de la ville d’Alexandrie, vint lui faire ses offres de ser­vices. Il avait ima­gi­né un ins­tru­ment de tor­ture inédit, épou­van­table, auquel, disait-​il, ne résis­te­rait pas long­temps l’entê­tement de cette fem­me­lette. Voici en quoi consis­tait l’appareil. Il était fait de quatre roues, dont les jantes étaient armées tout autour de clous aigus et de scies très effi­lées. Elles étaient dis­po­sées de telle sorte, que deux tour­nant dans un sens, les deux autres tour­naient en sens inverse. Appliquées sur le corps de la mar­tyre, elles devaient le déchi­que­ter membre à membre. Mais quand on vou­lut faire manœu­vrer les roues, un ange vint tou­cher cet appa­reil de tor­ture et aus­si­tôt les roues volèrent en éclats avec une telle impé­tuosité qu’elles tuèrent un grand nombre de païens qui étaient à l’entour.

Evidemment, ici, la Légende dorée a embel­li l’histoire. Qu’était-ce que cette roue ? Les ima­giers byzan­tins avaient repré­sen­té sainte Catherine sur une sphère, sans doute pour hono­rer la savante. Com­ment l’imagination popu­laire a‑t-​elle trans­for­mé cette sphère en une qua­druple roue à scies ? Il est très dif­fi­cile de faire le départ entre la légende et le fond de véri­té his­to­rique. Quoi qu’il en soit, par­mi tous les inci­dents dra­ma­tiques de cette his­toire mer­veilleuse, aucun n’a fait plus d’impression, au moyen âge sur l’imagination popu­laire. On s’explique ain­si que sainte Catherine ait été prise pour patronne par tous les corps de métier où la roue a un rôle, comme celui des tour­neurs. Les lames effi­lées dont la roue était armée ont été le pré­texte invo­qué par les tra­vailleurs du cuir pour obte­nir les faveurs sur­na­tu­relles et la pro­tec­tion de la vierge d’Alexandrie. Certaines adap­ta­tions nous paraissent peut-​être plus ou moins approxi­ma­tives. Mais pour la foi si pro­fonde et si agis­sante du moyen âge qu’importait la jus­tesse du sym­bole, quand la pié­té y trou­vait son compte ? N’est-il pas d’ailleurs tou­chant de pen­ser que la patronne des Sociétés savantes ait pu être en même temps celle des métiers les plus humbles, des plus modestes artisans !

Dernière prière et mort de sainte Catherine.

L’impératrice Constance, ayant été mise à mort en même temps que Porphyre, l’officier du palais, la place res­tait vacante sur le trône pour une nou­velle sou­ve­raine. Ainsi pen­sait Maximin : « Bien que tu aies séduit l’impératrice par la magie, dit-​il à Catherine, si tu veux chan­ger de sen­ti­ments, tu seras la pre­mière dans mon palais. Choisis donc, ou de sacri­fier, ou d’avoir la tête tran­chée. » La réponse de la vierge n’était pas dou­teuse. Arrivée au lieu du sup­plice, elle deman­da aux bour­reaux quelques ins­tants de délai pour faire à Jésus une der­nière prière qui nous est rap­por­tée en ces termes :

Ô Jésus, dit-​elle, je vous remer­cie d’avoir diri­gé mes pas sur terre. Etendez main­te­nant ces mains qui ont été pour moi clouées à la croix, et rece­vez ma vie que je vous sacri­fie. Souvenez-​vous, Seigneur, que nous ne sommes que chair et sang, et ne per­met­tez pas que les fautes que j’ai com­mises par igno­rance me soient repro­chées devant votre tri­bu­nal redou­table. Faites aus­si que le corps de votre fian­cée, qui a été déchi­ré pour vous, ô Jésus, ne reste pas au pou­voir de ces méchants. Regardez aus­si avec clé­mence ce peuple qui m’entoure. Conduisez-​le, Seigneur, vers la lumière de votre connais­sance. Je vous conjure enfin, ô Jésus, que tous ceux qui feront mémoire de ma mort et m’invoqueront à l’heure de leur tré­pas ou dans toute autre néces­sité res­sentent les effets de votre miséricorde.

Une voix du ciel lui pro­mit que tous ceux qui se récla­me­ront d’elle auprès de Dieu auront le secours d’en haut. Et quand elle eut la tête tran­chée, il cou­la de son corps du lait au lieu de sang. De là vient, dit un auteur, qu’elle est deve­nue aus­si la patronne des femmes qui vont être mères et de celles qu’on appe­lait jadis « recom­man­de­resses » et qui tiennent les bureaux de pla­ce­ment pour les nour­rices. Puis Dieu exau­ça le der­nier vœu de sa petite Sainte. Les anges enle­vèrent son corps et, le trans­por­tant dans les airs, le dépo­sèrent sur le mont Sinaï, à plus de vingt jour­nées de marche d’Alexandrie.

L’Eglise n’a pas dédai­gné de s’emparer de ce fait pour com­po­ser l’oraison litur­gique de la fête. Elle s’exprime en ces termes :

Ô Dieu, qui avez don­né la loi à Moïse sur le som­met du mont Sinaï, et qui avez fait por­ter au même lieu par vos saints anges le corps de la bien­heu­reuse Catherine, vierge et mar­tyre, faites, nous vous en sup­plions, que par vos mérites et son inter­ces­sion, nous puis­sions par­ve­nir à la mon­tagne qui est le Christ.

Le mar­tyre de sainte Catherine arri­va le 25 novembre, proba­blement en l’an 307.

Conclusion.

Sauf la par­tie qui a trait au « mariage mys­tique », élé­ment que nous voyons appa­raître dans l’hagiographie seule­ment en la pre­mière moi­tié du xve siècle, le récit qui pré­cède s’inspire en grande par­tie de la Légende dorée, recueil célèbre com­po­sé au xiiie siècle par Jacques de Voragine, arche­vêque de Gênes. Un siècle et demi plus tard, le grand ora­teur popu­laire que fut saint Vincent Ferrier, Domi­nicain comme Jacques de Voragine, la pro­po­sa sou­vent aux foules qu’il enthousiasmait.

Sa fête avait été mise au calen­drier par Jean XXII, vers 1335 ; saint Pie V l’éleva au rite double en 1568. Nous n’ignorons pas que dans cette bio­gra­phie l’apport de la légende est immense ; plu­sieurs y ont trou­vé un grand sujet de scan­dale. Réservons à la légende ce qui lui appar­tient ; sans négli­ger de recueillir les leçons morales que nous offre ce récit, on peut rete­nir deux faits qui obli­ge­ront les cri­tiques à recon­naître que sainte Catherine a tenu sa place.

Le pre­mier, c’est le secours mer­veilleux qu’à l’époque des Croisades les croi­sés obtinrent par son inter­ces­sion. Le second fait, stric­te­ment his­to­rique, ce sont les appa­ri­tions de sainte Catherine à sainte Jeanne d’Arc. Avec quel accent d’émotion celle-​ci n’a‑t-elle point par­lé de ses chères « Saintes » ! « C’est leur conseil que je sui­vais », dit-​elle Or, ce sont ces « conseils » qui ont sau­vé, en 1429, la France moribonde.

A. Poirson.

Sources consul­tées. – Jean Mielot, Vie de sainte Catherine d’Alexandrie (Collec­tion L’Art et les Saints, Paris). – (V. S. B. P., n° 146.)