Vierge et martyre, patronne des jeunes filles et des philosophes (vers 289-vers 307).
Fête le 25 novembre.
Version courte
Sainte Catherine naquit à Alexandrie, d’une famille de première noblesse. Comme elle ne se hâtait pas de recevoir le Baptême, Dieu lui envoya une vision où la Sainte Vierge la présentait au divin Enfant qui détournait les yeux avec tristesse, et disait : « Je ne veux point la voir, elle n’est pas encore régénérée. » A son réveil, elle résolut de recevoir promptement le Baptême. Quand elle l’eut reçut, Jésus lui apparut, lui donna mille témoignages d’amour, la prit pour épouse en présence de Marie et de toute la cour céleste, et lui passa au doigt l’anneau de Son alliance.
Catherine, douée d’une haute intelligence, suivit avec le plus grand succès les leçons des plus grands maîtres chrétiens de l’école d’Alexandrie, et acquit la science des Docteurs. Dans une grande fête du paganisme, célébrée en présence de l’empereur Maximin, elle eut la sainte audace de se présenter devant lui, de lui montrer la vanité des idoles et la vérité de la religion chrétienne. La fête terminée, Maximin, étonné du courage et de l’éloquence de la jeune fille, réunit cinquante des plus savants docteurs du paganisme et leur ordonna de discuter avec Catherine. Préparée par la prière et le jeûne, elle commença la discussion et fit un discours si profond et si sublime sur la religion de Jésus-Christ comparée au culte des faux dieux, que les cinquante philosophes, éclairés par sa parole en même temps que touchés de la grâce, proclamèrent la vérité de la croyance de Catherine et reçurent, par l’ordre du cruel empereur, le baptême du sang, gage pour eux de l’immortelle couronne.
Cependant Maximin, malgré sa fureur, plein d’admiration pour la beauté et les hautes qualités de Catherine, espéra la vaincre par l’ambition en lui promettant sa main. Il essuya un refus plein de mépris. Pendant deux heures l’innocente vierge subit le supplice de la dislocation de ses membres sur un chevalet, et celui des fouets. Le lendemain, Maximin, surpris de la trouver plus belle et plus saine que jamais, essaya de triompher de sa résistance. Il la fit soumettre au terrible supplice des roues, mais les roues volèrent en éclats et tuèrent plusieurs personnes. Le tyran, confus de tous ces prodiges, ordonna de lui trancher la tête.
Avant de mourir, elle avait demandé et obtenu deux choses de son divin Époux : que son corps fût respecté après le supplice, et que l’ère des persécutions prit bientôt fin. Plus tard, son corps fut transporté par les Anges sur le mont Sinaï.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue
Peu de Saintes ont été populaires à l’égal de sainte Catherine, et l’iconographie est là pour en témoigner : seule parmi tous les habitants du paradis, on la voit apparaître dans les vieux vitraux avec la triple auréole : l’auréole blanche des vierges, la verte des docteurs et la rouge des martyrs. Les Primitifs et les plus grands peintres de la Renaissance se sont inspirés de sa vie pour composer d’immortels chefs‑d’œuvre. Qui ne connaît, au moins de nom, ou popularisés par la gravure, les innombrables Mariages mystiques de sainte Catherine, et signés des plus grands noms de la peinture : Hans Memling, Corrège, Rubens, Titien, Bernardo Luini, Filippo Lippi ?
Une Patronne très honorée.
Surtout du haut moyen âge à la Renaissance, Catherine vit plus de trente corporations la choisir pour patronne, et cela pour un motif que nous exposerons plus loin : meuniers, charrons, rémouleurs, tourneurs et potiers, cordiers et fileuses, corroyeurs, tanneurs, bourreliers et cordonniers, miroitiers, étaimiers et plombiers, drapiers aussi. Les philosophes à leur tour, et sous ce nom il faut comprendre tous les intellectuels, et en particulier les étudiants, se sont cru de très anciens droits sur elle. N’avait-elle pas confondu cinquante philosophes par la sagesse de ses réponses !
Mais elle fut surtout, et elle reste toujours, la patronne des jeunes filles, d’abord parce qu’elle honora leur âge par sa vertu – Catherine signifie pure, et aussi parce qu’elle fut la fiancée du Christ, qui lui mit au doigt l’anneau nuptial. C’est aux jeunes filles qu’il fut toujours réservé de poser sur la tête de la vierge d’Alexandrie la couronne symbolique, et ce privilège disparaissait le jour où la jeune fille se mariait. De là l’expression commune de « coiffer » ou de « ne plus coiffer sainte Catherine », expression dont le vrai sens s’est un peu déformé de nos jours.
Les Français ont un motif particulier d’honorer sainte Catherine : lorsque tant de chefs‑d’œuvre qui parlent d’elle auront disparu, sa filleule et sa confidente, Jeanne d’Arc, apprendra la gloire de Catherine aux fidèles des derniers jours. Est-il un enfant chrétien de France qui ignore que sainte Catherine fut l’une des Saintes dont les « Voix » guidaient la vierge de Domrémy ?
« Pourquoi, demandaient les juges du procès de Rouen à la Pucelle, pourquoi regardez-vous, en allant à la guerre, l’anneau qui portait les noms de Jésus et de Marie ? » Et Jeanne de répondre : « Par plaisance, et parce qu’ayant cet anneau à la main et au doigt, j’ai touché sainte Catherine qui m’apparaissait. »
Par ailleurs, on sait que ce fut au sanctuaire de « Madame sainte Catherine », à Fierbois, diocèse de Tours, que la libératrice de la France vint, en 1429, chercher l’épée marquée de cinq croix et miraculeusement trouvée, sur ses indications, dans ce sanctuaire, comme ses Voix le lui avaient promis.
Les trois chapitres de son histoire.
Et cependant, si populaire que soit l’histoire de sainte Catherine, il faut reconnaître qu’il n’y en a guère de moins connue dans les premiers siècles qui ont suivi les persécutions. Les Bollandistes disent qu’on n’a le droit de rien affirmer sur elle avec quelque vraisemblance. Tout ce qu’on peut dire, c’est que le culte de sainte Catherine eut pour foyer le mont Sinaï, où, dit le Jésuite Bollandus, son corps fut porté, sans qu’on puisse dire ni en quel temps ni par qui. On donne pour père à Catherine, Costus, roi de Cilicie, et pour mère Sabinelle, fille d’un grand prince des Samaritains. Elle naquit vers l’année 289. C’est tout ce qu’il est permis de conjecturer sur sa vie. Mais de la merveilleuse légende qu’à partir du viiie siècle lui ont amoureusement tressée des mains inconnues, nous pouvons faire trois chapitres, ou plutôt trois chants : l’anneau, le tournoi philosophique, la roue du martyre, telles sont les trois parties de ce poème historique, si divin et si humain qu’il apparaît plus vrai que l’histoire elle-même.
L’anneau.
Alexandrie, où fut élevée sainte Catherine, était alors une des villes les plus savantes du monde. Elle est restée fameuse par son école de philosophes, dite Ecole d’Alexandrie, et par sa célèbre bibliothèque, fondée par les Plolémée. La noble vierge y fut instruite dans toutes les sciences profanes. Costus étant mort, la reine Sabinelle alla résider en Arménie où vivait un pieux et vieil ermite nommé Ananias. Bien que sympathique à la foi chrétienne, Catherine, douée d’un esprit curieux, mais fière et raisonneuse, ne dédaignait pas de défendre la cause païenne, usant de syllogismes subtils et captieux où la bonne Sabinelle, plus pieuse que savante, se trouvait vite embarrassée. Entre temps, la merveilleuse beauté de Catherine et la renommée de sa science suscitaient autour d’elle des partis superbes et princiers. A leurs propositions, elle répondait avec hauteur : « L’époux que vous me proposez est-il aussi savant et aussi beau que moi ? » On la conduisit à l’ermite Ananias et celui-ci déclara qu’à son tour il avait un brillant parti à proposer à la jeune fille. Catherine lui répondit : « Avant de m’engager à l’époux que vous me destinez, je veux le voir ! – Mon enfant, répliqua le saint homme, la plus belle créature est vile devant lui. – Qu’importe, je veux le voir. – Soit, lui dit Ananias ; cette nuit donc, tu resteras seule et sans ta chambrière, tu te mettras à genoux, tu invoqueras la Vierge et tu lui diras : Madame, Mère de Dieu, que votre grâce me permette de voir votre fils. »
Catherine, fort intriguée, rentre chez elle, allume vingt flambeaux, pour accueillir dignement l’hôte quelle attend. Puis elle se met à genoux et cette païenne prie avec ardeur, en usant des mots que lui avait indiqués l’ermite. Alors parut, toute lumineuse, la Vierge Marie : « Ma fille, dit-elle, que me veux-tu ? – Laissez-moi voir votre fils. – Je le veux bien », répond la Mère de Dieu, et aussitôt, soulevant sa chape, elle découvre son fils. – « Le voici, le veux-tu ? » Et Catherine, dans l’extase : « Oh ! Mère, s’écria-t-elle, je ne suis digne que d’être son esclave ! » Alors, la Vierge, s’adressant à Jésus : « Et vous, mon Fils, la voulez-vous aussi ? – Non, elle est trop laide ! »
Sur quoi, la vision disparut, et Catherine resta seule, navrée de cette rude parole. Elle se croyait si bien la plus belle créature du monde ! A peine le soleil levé, elle se rendit chez l’ermite et raconta ce qui s’était passé. Le vieillard sourit « Eh ! sans doute, ma pauvre enfant, ton corps est le plus beau du monde ; mais ton âme est laide parce qu’elle est pleine d’orgueil. » Puis il l’instruisit et la baptisa. Il lui recommanda de s’humilier et de renouveler sa tentative. De nouveau donc, la Vierge se montre avec son Fils. « La voulez-vous, maintenant ? lui dit Marie. – Oui, car la voilà devenue toute pure et toute belle. » Alors la Vierge offre un anneau à Catherine et fiance la jeune princesse au Roi du ciel. Telle est la tradition du « mariage mystique de sainte Catherine », de ce thème magnifique si souvent développé pour montrer les gloires de la virginité.
Sainte Catherine et les philosophes.
Elle avait dix-huit ans, lorsque l’empereur Maximin convoqua par édit tous ses sujets, pour qu’ils offrissent aux dieux un sacrifice en reconnaissance de ses victoires. Il menaçait en même temps de mort les chrétiens qui refusaient de sacrifier. Du fond de son palais, Catherine entendait les applaudissements et les chants de la foule. Se munissant du signe de la croix, elle se rendit avec quelques serviteurs au lieu du sacrifice. Elle aperçut alors un grand nombre de chrétiens qui obéissaient à l’édit par crainte des tourments. Elle en fut accablée. Alors elle alla droit à l’empereur : « Je rendrais hommage à ton rang, dit-elle, si tu n’étais abusé des faux dieux. » Et sur ce ton, elle se mit à discuter avec lui, lui proposant des conclusions qu’elle appuyait de syllogismes, et d’une foule de considérations allégoriques et mystiques. L’empereur était surpris et frappé de tant de science et de beauté.
Elle dit encore beaucoup de choses sur l’Incarnation et la Rédemption, et rendit raison de sa foi avec une telle vivacité et une telle grâce et tant de profondeur que l’empereur, tout hébété, ne faisait que la regarder, sans pouvoir lui dire un mot. Le voyant troublé et irrité, la vierge lui dit : « Je vous conjure, César, de ne point vous laisser emporter par la colère. » Et, citant un poète, elle ajouta avec une certaine coquetterie d’érudition et non sans ironie : « Le trouble ne convient pas au sage. Si c’est l’esprit qui gouverne en toi, tu es roi ; si c’est l’impression, tu n’es qu’un esclave ! – Je vois bien, reprit l’empereur, que tu veux me prendre par la ruse, en produisant ainsi l’autorité des philosophes. »
Il manda donc sur-le-champ cinquante grands orateurs et philosophes, à la cour d’Alexandrie, leur promettant de riches présents, s’ils arrivaient à convaincre cette jeune fille. Ils obéirent en maugréant, peu flattés de cette mission qui les opposerait à une femme pédante, pensaient-ils, et qui, au bout de sa courte science, avait toujours un esprit féminin. D’après eux, la réfuter ne serait qu’un jeu pour le dernier des écoliers.
Forts de leur supériorité intellectuelle et numérique, les cinquante maîtres s’assemblèrent donc ; tout Alexandrie accourut assister à cette joute d’un nouveau genre qui allait mettre aux prises l’élite des savants et une jeune fille de dix-huit ans ! Celle-ci se recommanda au Seigneur, et un ange se tint près d’elle pour la rassurer et la conforter. C’était saint Michel, précisément, l’archange redoutable à Lucifer et qui, plus tard, apparaîtrait à Jeanne d’Arc en la compagnie de sainte Catherine.
Le débat s’engagea sur l’Incarnation. Les philosophes lui objectèrent qu’il est impossible qu’un Dieu se fasse homme et qu’il souffre. Catherine répondit en citant la fameuse page du philosophe grec, Platon, attribuant à Dieu la forme d’un corps humain, et elle rappela cette parole de la Sibylle : « Heureux le Dieu suspendu à un bois élevé ! » Et elle dit tout cela si clairement, avec tant de grâce, que les superbes philosophes acquiesçaient à tout ce que disait la vierge. Une quinzaine d’entre eux voulurent néanmoins descendre tour à tour dans la lice, armés jusqu’aux dents d’arguments qu’ils croyaient solides. Les raisonnements s’entre-croisent comme des éclairs, retors et cauteleux d’une part, tranquilles et convaincants de l’autre. L’empereur et l’auditoire jugent les coups ; mais les savants finissent par s’avouer vaincus par l’enfant de dix-huit ans.
Cependant, Maximin, fou de rage, fit dresser un bûcher et ordonna de brûler vifs au milieu de la ville les cinquante savants. Catherine les exhorta à mourir avec constance et les instruisit dans la foi.
Une seule chose les attristait, c’était de mourir sans recevoir le baptême. Elle les consola d’un visage radieux, leur assurant que l’effusion de leur sang leur servirait de baptême. Ayant fait le signe de la croix, ils furent jetés dans les flammes et rendirent leur âme au Seigneur.
Maximin, tout ensemble opiniâtre et décontenancé de sa défaite, essaya d’autres moyens et essaya de gagner Catherine par la feinte douceur et les flatteries. Ce fut peine perdue. Il lui promit d’abord le second rang à sa cour aussitôt après l’impératrice, une statue au milieu de la cité, et les hommages réservés aux déesses. Vains efforts ! Alors le tyran la fit précipiter dans une cave profonde et obscure, frapper de verges et priver de toute nourriture. Mais des anges venaient la visiter et une colombe lui apportait chaque jour des aliments.
Ici apparaissent deux nouveaux personnages, l’impératrice Constance et Porphyre, aide de camp de l’empereur et son conseiller intime. Une nuit, la souveraine, accompagnée de l’officier, vint visiter Catherine, qu’elle aimait. A peine arrivés au cachot, ces deux personnages y virent resplendir une indicible clarté. La vierge se mit alors à leur parler des joies éternelles avec une chaleur si entraînante, qu’à leur tour ils proclamèrent leur foi en face de Maximin et reçurent la couronne du martyre. Deux cents soldats suivirent leur exemple. Avant de mourir, ils avaient vu les cinquante philosophes martyrisés assis autour de Catherine. Des mains de l’un d’eux, celle-ci reçut une couronne qu’elle posa sur la tête de l’impératrice. Et les sages murmuraient : « Perle précieuse, gemme du Christ, bientôt va venir ton tour ; l’Epoux divin va lui-même te recevoir aux portes de l’Eglise d’en haut, où les harpes célestes chanteront à tes oreilles les douces chansons de liesse. Tu vas entrer dans ce paradis, où la très noble compagnie des vierges, parmi les fleurs de lis, mêlées de roses vermeilles, suit l’Agneau partout où il va ! »
Sainte Catherine est condamnée au supplice de la roue.
L’empereur, dès lors, ne chercha plus que les moyens d’assouvir sa fureur. Un homme, vraiment animé d’un esprit diabolique, nommé Chursates, prévôt de la ville d’Alexandrie, vint lui faire ses offres de services. Il avait imaginé un instrument de torture inédit, épouvantable, auquel, disait-il, ne résisterait pas longtemps l’entêtement de cette femmelette. Voici en quoi consistait l’appareil. Il était fait de quatre roues, dont les jantes étaient armées tout autour de clous aigus et de scies très effilées. Elles étaient disposées de telle sorte, que deux tournant dans un sens, les deux autres tournaient en sens inverse. Appliquées sur le corps de la martyre, elles devaient le déchiqueter membre à membre. Mais quand on voulut faire manœuvrer les roues, un ange vint toucher cet appareil de torture et aussitôt les roues volèrent en éclats avec une telle impétuosité qu’elles tuèrent un grand nombre de païens qui étaient à l’entour.
Evidemment, ici, la Légende dorée a embelli l’histoire. Qu’était-ce que cette roue ? Les imagiers byzantins avaient représenté sainte Catherine sur une sphère, sans doute pour honorer la savante. Comment l’imagination populaire a‑t-elle transformé cette sphère en une quadruple roue à scies ? Il est très difficile de faire le départ entre la légende et le fond de vérité historique. Quoi qu’il en soit, parmi tous les incidents dramatiques de cette histoire merveilleuse, aucun n’a fait plus d’impression, au moyen âge sur l’imagination populaire. On s’explique ainsi que sainte Catherine ait été prise pour patronne par tous les corps de métier où la roue a un rôle, comme celui des tourneurs. Les lames effilées dont la roue était armée ont été le prétexte invoqué par les travailleurs du cuir pour obtenir les faveurs surnaturelles et la protection de la vierge d’Alexandrie. Certaines adaptations nous paraissent peut-être plus ou moins approximatives. Mais pour la foi si profonde et si agissante du moyen âge qu’importait la justesse du symbole, quand la piété y trouvait son compte ? N’est-il pas d’ailleurs touchant de penser que la patronne des Sociétés savantes ait pu être en même temps celle des métiers les plus humbles, des plus modestes artisans !
Dernière prière et mort de sainte Catherine.
L’impératrice Constance, ayant été mise à mort en même temps que Porphyre, l’officier du palais, la place restait vacante sur le trône pour une nouvelle souveraine. Ainsi pensait Maximin : « Bien que tu aies séduit l’impératrice par la magie, dit-il à Catherine, si tu veux changer de sentiments, tu seras la première dans mon palais. Choisis donc, ou de sacrifier, ou d’avoir la tête tranchée. » La réponse de la vierge n’était pas douteuse. Arrivée au lieu du supplice, elle demanda aux bourreaux quelques instants de délai pour faire à Jésus une dernière prière qui nous est rapportée en ces termes :
Ô Jésus, dit-elle, je vous remercie d’avoir dirigé mes pas sur terre. Etendez maintenant ces mains qui ont été pour moi clouées à la croix, et recevez ma vie que je vous sacrifie. Souvenez-vous, Seigneur, que nous ne sommes que chair et sang, et ne permettez pas que les fautes que j’ai commises par ignorance me soient reprochées devant votre tribunal redoutable. Faites aussi que le corps de votre fiancée, qui a été déchiré pour vous, ô Jésus, ne reste pas au pouvoir de ces méchants. Regardez aussi avec clémence ce peuple qui m’entoure. Conduisez-le, Seigneur, vers la lumière de votre connaissance. Je vous conjure enfin, ô Jésus, que tous ceux qui feront mémoire de ma mort et m’invoqueront à l’heure de leur trépas ou dans toute autre nécessité ressentent les effets de votre miséricorde.
Une voix du ciel lui promit que tous ceux qui se réclameront d’elle auprès de Dieu auront le secours d’en haut. Et quand elle eut la tête tranchée, il coula de son corps du lait au lieu de sang. De là vient, dit un auteur, qu’elle est devenue aussi la patronne des femmes qui vont être mères et de celles qu’on appelait jadis « recommanderesses » et qui tiennent les bureaux de placement pour les nourrices. Puis Dieu exauça le dernier vœu de sa petite Sainte. Les anges enlevèrent son corps et, le transportant dans les airs, le déposèrent sur le mont Sinaï, à plus de vingt journées de marche d’Alexandrie.
L’Eglise n’a pas dédaigné de s’emparer de ce fait pour composer l’oraison liturgique de la fête. Elle s’exprime en ces termes :
Ô Dieu, qui avez donné la loi à Moïse sur le sommet du mont Sinaï, et qui avez fait porter au même lieu par vos saints anges le corps de la bienheureuse Catherine, vierge et martyre, faites, nous vous en supplions, que par vos mérites et son intercession, nous puissions parvenir à la montagne qui est le Christ.
Le martyre de sainte Catherine arriva le 25 novembre, probablement en l’an 307.
Conclusion.
Sauf la partie qui a trait au « mariage mystique », élément que nous voyons apparaître dans l’hagiographie seulement en la première moitié du xve siècle, le récit qui précède s’inspire en grande partie de la Légende dorée, recueil célèbre composé au xiiie siècle par Jacques de Voragine, archevêque de Gênes. Un siècle et demi plus tard, le grand orateur populaire que fut saint Vincent Ferrier, Dominicain comme Jacques de Voragine, la proposa souvent aux foules qu’il enthousiasmait.
Sa fête avait été mise au calendrier par Jean XXII, vers 1335 ; saint Pie V l’éleva au rite double en 1568. Nous n’ignorons pas que dans cette biographie l’apport de la légende est immense ; plusieurs y ont trouvé un grand sujet de scandale. Réservons à la légende ce qui lui appartient ; sans négliger de recueillir les leçons morales que nous offre ce récit, on peut retenir deux faits qui obligeront les critiques à reconnaître que sainte Catherine a tenu sa place.
Le premier, c’est le secours merveilleux qu’à l’époque des Croisades les croisés obtinrent par son intercession. Le second fait, strictement historique, ce sont les apparitions de sainte Catherine à sainte Jeanne d’Arc. Avec quel accent d’émotion celle-ci n’a‑t-elle point parlé de ses chères « Saintes » ! « C’est leur conseil que je suivais », dit-elle Or, ce sont ces « conseils » qui ont sauvé, en 1429, la France moribonde.
A. Poirson.
Sources consultées. – Jean Mielot, Vie de sainte Catherine d’Alexandrie (Collection L’Art et les Saints, Paris). – (V. S. B. P., n° 146.)