Saint Quentin

Reliquaire du chef de saint Quentin dans la basilique Saint-Quentin de la ville de Saint-Quentin

Martyr en Vermandois (+ vers 287).

Fête le 31 octobre.

Vie résumée

Saint Quentin fut un de ces jeunes Romains qui, comme saint Crépin et saint Crépinien, vinrent prê­cher l’Évangile dans les Gaules et y com­mu­ni­quer le tré­sor de la foi qu’ils avaient reçu. Amiens fut le centre de son apos­to­lat. Les miracles confir­maient son ensei­gne­ment ; il tra­çait le signe de la Croix sur les yeux des aveugles, et ils voyaient ; il fai­sait par­ler les muets, entendre les sourds, mar­cher les para­ly­tiques. Ces écla­tants pro­diges exci­taient l’ad­mi­ra­tion des uns et la haine des autres.

Quentin fut bien­tôt dénon­cé à ce monstre de cruau­té qui avait nom Rictiovarus, gou­ver­neur romain, et il com­pa­rut devant lui : « Comment t’appelles-​tu ? lui demande le tyran.

– Je m’ap­pelle chré­tien. Mon père est séna­teur de Rome ; j’ai reçu le nom de Quentin.

– Quoi ! un homme de pareille noblesse est des­cen­du à de si misé­rables superstitions !

– La vraie noblesse, c’est de ser­vir Dieu ; la reli­gion chré­tienne n’est pas une super­sti­tion, elle nous élève au bon­heur par­fait par la connais­sance de Dieu le Père tout-​puissant et de Son Fils, engen­dré avant tous les siècles.

– Quitte ces folies et sacri­fie aux dieux.

– Jamais. Tes dieux sont des démons ; la vraie folie, c’est de les adorer.

– Sacrifie, ou je te tour­men­te­rai jus­qu’à la mort.

– Je ne crains rien ; tu as tout pou­voir sur mon corps, mais le Christ sau­ve­ra mon âme. »

Une si géné­reuse confes­sion est sui­vie d’une fla­gel­la­tion cruelle ; mais Dieu sou­tient Son mar­tyr, et l’on entend une voix céleste, disant : « Quentin, per­sé­vère jus­qu’à la fin, Je serai tou­jours auprès de toi. » En même temps, ses bour­reaux tombent à la ren­verse. Jeté dans un sombre cachot, Quentin en est deux fois déli­vré par un Ange, va prê­cher au milieu de la ville, et bap­tise six cents personnes.

Tous ces pro­diges, au lieu de cal­mer le cruel Rictiovarus, ne servent qu’à allu­mer sa fureur. Il envoie reprendre le mar­tyr et le fait pas­ser suc­ces­si­ve­ment par les sup­plices des roues, des verges de fer, de l’huile bouillante, de la poix, des torches ardentes : « Juge inhu­main, fils du démon, dit Quentin, tes tour­ments me sont comme un rafraî­chis­se­ment. » Le tyran invente alors un sup­plice d’une féro­ci­té inouïe et fait tra­ver­ser le corps du mar­tyr, de haut en bas, par deux broches de fer ; on lui enfonce des clous entre la chair et les ongles. Enfin l’hé­roïque Quentin eut la tête tran­chée. Les assis­tants virent son âme s’en­vo­ler au Ciel sous la forme d’une blanche colombe.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue (La Bonne Presse)

Vers la fin du iiie siècle, sous les empe­reurs Dioclétien et Maximien, une troupe de jeunes Romains vinrent appor­ter l’Evangile dans le nord des Gaules. Pleins de jeu­nesse et d’amour de Dieu, ils quit­tèrent leur patrie, leurs biens, pour enri­chir cette région des bien­faits de la loi divine.

Saint Quentin dans les Gaules.

Parmi les mis­sion­naires que leur zèle pous­sa ain­si à quit­ter la capi­tale de l’empire se trou­vait Quentin, fils d’un séna­teur romain.

En com­pa­gnie de saint Lucien il se ren­dit jusqu’à la ville d’Amiens. Là, les deux apôtres se sépa­rèrent afin que la parole divine fût dis­tri­buée à un plus grand nombre d’âmes. Lucien se reti­ra à Beauvais tan­dis que Quentin demeu­rait à Amiens.

Dès lors, l’un et l’autre se mirent à publier le nom du Christ, à prê­cher sa parole, confir­mant leurs ensei­gne­ments et leurs prédi­cations par le témoi­gnage de leurs miracles. Ils tra­çaient le signe de la croix sur les yeux malades, et les aveugles voyaient ; au nom de Jésus, ils fai­saient par­ler les muets, entendre les sourds, mar­cher les para­ly­tiques. Mais ces mer­veilles, qui com­blaient de joie les fidèles du Christ, sus­ci­tèrent par contre l’irritation des idolâtres.

Rictiovare le bourreau.

A cette époque s’alluma, en effet, dans tout l’empire la persé­cution de Dioclétien. Le Gaules eurent par­ti­cu­liè­re­ment à en souf­frir en rai­son de la cruau­té du pré­fet Rictiovare. Comme ce fonc­tion­naire pas­sait à Bâle, en route pour son nou­veau poste, il y fît recher­cher les chré­tiens de la ville, puis, les trou­vant iné­branlables, il ordon­na de les noyer au lieu où la Birsa se jette dans le Rhin.

De là, il péné­tra plus avant dans le Nord-​Ouest et se ren­dit au fort appe­lé autre­fois Samarobriva, et depuis Amiens. Là, on lui apprit l’ascendant qu’exerçait Quentin sur les popu­la­tions par l’éclat de ses ver­tus et de ses miracles. Rictiovare, pro­fon­dé­ment indi­gné fit sai­sir aus­si­tôt le mis­sion­naire et don­na l’ordre de le jeter en prison.

Interrogatoire de saint Quentin.

Le len­de­main, Rictiovare le fit com­pa­raître devant son tri­bu­nal. – Quel est ton nom ? lui demanda-t-il.

Quentin répon­dit :

– Je m’appelle chré­tien, car je le suis en effet, et je crois de cœur au Christ et le confesse de bouche. Maintenant, j’ajouterai que je suis citoyen de Rome, fils du séna­teur Zénon, et que mes parents m’appellent Quentin.

Le pré­fet lui dit :

– Comment ! mal­gré tant de noblesse, d’où vient que tu te sois livré à de telles super­sti­tions, et que tu adores comme Dieu un homme cru­ci­fié par les Juifs ?

– La plus haute noblesse, répon­dit le mar­tyr, c’est de recon­naître Dieu et d’obéir géné­reu­se­ment à ses lois. La reli­gion chré­tienne n’est pas une super­sti­tion ; elle nous élève à la sou­ve­raine féli­ci­té, elle nous donne la connais­sance de Dieu le Père tout-​puissant, de son Fils Jésus-​Christ, engen­dré avant tous les siècles.

– Quentin, quitte ces folies, sacri­fie aux dieux.

– Je ne sacri­fie­rai point à tes dieux, car ce ne sont que des démons. Ma folie est la véri­table sagesse, celle que le Fils de Dieu nous a ensei­gnée. Et la véri­table folie serait de t’obéir en sacri­fiant aux dieux.

– Si tu ne sacri­fies, dit alors le pré­fet, je te tour­men­te­rai jusqu’à la mort.

– Je ne crains point tes menaces, et suis prêt à endu­rer tout ce que Dieu vou­dra. Tu as tout pou­voir sur mon corps, mais le Christ pren­dra mon âme en pitié.

Saint Quentin est battu de verges.

Ces paroles exci­tèrent la fureur du pré­fet : il ordon­na de fla­gel­ler Quentin. Pendant que les bour­reaux déchi­raient sa chair, le mar­tyr levait les yeux au ciel, remer­ciait Dieu qui lui accor­dait ain­si la faveur de souf­frir pour Jésus-​Christ ; il deman­dait la force de vaincre le tyran, afin qu’une plus grande gloire en jaillît sur le nom divin. Comme il ter­mi­nait sa prière au milieu des coups, une voix se fit entendre qui disait : « Quentin, per­sé­vé­rez jusqu’à la fin, car je serai tou­jours auprès de vous. » Au même ins­tant, les bour­reaux chan­ce­lèrent et tom­bèrent à la ren­verse, sans pou­voir se rele­ver ; se sen­tant comme brû­lés vifs par un feu inté­rieur, ils deman­daient, à grands cris, du secours au préfet.

Jeté en prison, saint Quentin en sort par miracle et prêche au peuple.

Rictiovare, à ce spec­tacle étrange, attri­bua la ven­geance divine au pou­voir magique du mar­tyr ; il ordon­na qu’on le jetât au plus pro­fond de la pri­son, et qu’on ne per­mît à per­sonne de le voir.

La nuit sui­vante, pen­dant que Quentin don­nait un peu de repos à ses membres cou­verts de plaies, un ange lui appa­rut et lui ordon­na de se rendre au milieu de la ville, de prê­cher au peuple, afin de conso­ler les fidèles et de bap­ti­ser ceux qui n’avaient pas encore reçu le sacre­ment qui régé­nère, et cela pour la plus grande confu­sion des enne­mis du nom chrétien.

Quentin se leva aus­si­tôt ; ses fers se déta­chèrent d’eux-mêmes ; et, comme autre­fois l’apôtre saint Pierre, sous la conduite de l’ange, il tra­ver­sa les divers corps de garde de la pri­son, sans ren­con­trer aucun obstacle.

A peine était-​il arri­vé au lieu indi­qué, que le peuple y accou­rut de tous les côtés en foule. L’apôtre par­la alors lon­gue­ment de la vani­té des idoles, de la néces­si­té de la péni­tence et du bap­tême. « Mes frères, disait-​il, écoutez-​moi ; le Seigneur m’a envoyé pour vous ensei­gner la vraie foi et vous gagner à Notre-​Seigneur Jésus-​Christ. Convertissez-​vous donc, faites péni­tence, et rece­vez le bap­tême, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »

Après plu­sieurs jours de cet apos­to­lat, il eut la joie de voir une grande par­tie de ses audi­teurs deman­der le bap­tême ; il le don­na à six cents personnes.

Conversion des gardes.

A leur réveil, les gardes ouvrirent le cachot du mar­tyr ; n’y voyant plus leur pri­son­nier, ils se mirent à sa recherche, et bien­tôt ils le trou­vèrent au milieu du peuple qu’il évan­gé­li­sait. Frappés au fond de l’âme d’un tel pro­dige, ils embras­sèrent eux-​mêmes la foi, et ne crai­gnirent point de pro­cla­mer hau­te­ment la gran­deur du Dieu que prê­chait Quentin.

De là, ils allèrent trou­ver le pré­fet, lui annon­cèrent ce qui s’était pas­sé, puis se mirent à mau­dire les dieux et le culte ido­lâtre et à pro­cla­mer leur foi au Dieu unique et véritable.

Le pré­fet, indi­gné, les trai­ta de magi­ciens, et ne pou­vant sup­porter plus long­temps leurs injures envers les dieux, il les fit chas­ser de sa présence.

Nouvelles tortures.

« Si je ne tue ce magi­cien, disait Rictiovare, il fini­ra par séduire tout le peuple et anéan­tir le culte de nos dieux. »

Pour ten­ter une seconde fois de vaincre son cou­rage, il fît appe­ler de nou­veau la vic­time. D’abord il essaya la voie de la ruse, lui pro­met­tant toutes sortes de faveurs et de richesses, des digni­tés, des vête­ments de pourpre, des col­liers d’or. « Que ferai-​je de tous ces riens, de toutes ces vani­tés ? répon­dit Quentin ; le Christ Jésus seul me suffit. »

Rictiovare, à court d’arguments, crut encore une fois que les tour­ments auraient plus de ver­tu per­sua­sive que les pro­messes, mais là encore, il subit la honte d’un nou­vel échec.

– Tu aimes donc mieux la mort que la vie ? dit-​il au mar­tyr. Quentin répondit :

– Je ne redoute point la mort, car si je meurs par tes mains, ce sera pour vivre avec le Christ.

Le pré­fet lui fît alors infli­ger le sup­plice des roues avec une telle vio­lence, que tous les membres du patient furent dis­lo­qués. Il ordon­na ensuite de le frap­per avec des verges de fer, de répandre de l’huile bouillante et de la poix sur ses plaies, pour rendre les dou­leurs plus aiguës ; et, pour assou­vir davan­tage sa rage, il fit appli­quer des torches ardentes sur les côtés du martyr.

Mais celui-​ci, embra­sé du feu divin, remer­ciait Dieu et criait au pré­fet : « Juge inhu­main, fils du diable, tes tour­ments me sont comme des rafraîchissements. »

Rictiovare, outré de dépit, fit ver­ser dans la bouche de Quentin de la chaux détrem­pée dans du vinaigre et dans d’autres liquides amers. Enfin, il le mena­ça de l’envoyer à Rome pour lui faire souf­frir des tour­ments encore pires en pré­sence de ses plus illustres parents. Le mar­tyr lui répon­dit que Dieu étant par­tout, il sau­rait aus­si bien mou­rir à Rome qu’en Gaule. « J’ai cepen­dant la con­fiance, ajouta-​t-​il, qu’il n’en sera pas ain­si, parce que Dieu m’a révé­lé que je mour­rai en Gaule. »

Le pré­fet se ren­dit au lieu appe­lé alors Augusta Veromanduorum, dans la région qui, du nom de ses anciens habi­tants, s’est appe­lée le Vermandois, et qui porte main­te­nant le nom glo­rieux de Saint-​Quentin. Il y fit conduire le mar­tyr, char­gé de grosses chaînes et d’énormes liens. Puis il le for­ça à com­pa­raître de nou­veau en sa pré­sence ; mais ni les pro­messes ni les menaces n’ébranlèrent la constance de Quentin qui, loin d’être inti­mi­dé, se réjouis­sait dans le Seigneur.

Supplice des broches.

C’est alors que le tyran, au paroxysme de la fureur, ima­gi­na des tour­ments dont on peut à peine se faire l’idée. Sur son ordre un for­ge­ron confec­tion­na deux longues broches de fer, qui devaient trans­per­cer le mar­tyr de la tête aux jambes, tan­dis que dix clous lui per­ce­raient les doigts entre la chair et les ongles. Rictiovare se féli­ci­tait d’avance que des tour­ments aus­si aigus arra­che­raient enfin à sa vic­time ou la vie ou la foi. Il fut encore confon­du. Le mar­tyr triom­pha de si affreux sup­plices, par la grâce de Dieu. Il endu­ra tout avec patience, et se mon­tra aus­si géné­reux que dans tous les tour­ments antérieurs.

Pendant qu’il souf­frait ain­si, le pré­fet, dépi­té, l’accablait d’injures et d’outrages : « Que les chré­tiens, disait-​il, viennent con­templer leur maître au milieu de ses tour­ments et qu’ils prennent exemple sur lui ! » Rictiovare ne savait pas si bien dire, car la vue d’une constance si héroïque et si digne d’imitation était un grand exemple don­né aux fidèles pour les affer­mir dans la foi, et même aux infi­dèles pour les atti­rer à cette foi qui insuf­flait tant de cou­rage à ses champions.

Mort de saint Quentin.

Le pré­fet, à bout de sup­plices, se réso­lut enfin à frap­per le der­nier coup. Sur Je conseil d’un cer­tain Severus, il ordon­na de tran­cher la tête au mar­tyr. Conduit au lieu de l’immolation, Quentin deman­da aux bour­reaux quelques ins­tants pour prier. Les sol­dats les lui accor­dèrent, et le mar­tyr, s’adressant au Seigneur, lui deman­da de vou­loir bien le rece­voir en son glo­rieux para­dis, afin qu’il pût jouir de sa vue pen­dant toute l’éternité. Sa prière finie, il pré­sen­ta la tête aux bour­reaux : « Je suis prêt, leur dit-​il, faites votre office. » Et on lui tran­cha la tête.

Au même ins­tant, les assis­tants virent son âme, sous la forme d’une blanche colombe, prendre son essor vers le ciel. Une voix se fit entendre : « Venez, disait-​elle, Quentin mon ser­vi­teur, venez rece­voir la cou­ronne que je des­tine à vos mérites. » Ainsi mou­rut le bien­heu­reux mar­tyr Quentin, le 31 octobre 287, du moins c’est l’année géné­ra­le­ment admise pour cet évé­ne­ment qui se place entre 285 et 303.

Le pré­fet ordon­na de conser­ver et de gar­der avec soin le corps du mar­tyr. Son inten­tion n’était point de lui rendre des hon­neurs méri­tés, il vou­lait attendre le moment favo­rable de s’en défaire en secret. De fait, par son ordre, la nuit sui­vante les restes de Quentin furent jetés dans la Somme, le tyran espé­rant les déro­ber par ce moyen à la véné­ra­tion des chrétiens.

Mission d’Eusébie.

Dieu trom­pa encore l’attente des per­sé­cu­teurs en per­met­tant que le corps de saint Quentin fût retrou­vé, cinquante-​cinq ans après, d’une manière miraculeuse.

Le cruel Rictiovare était mort misé­ra­ble­ment ; les empe­reurs impies, ses maîtres, l’avaient sui­vi dans la tombe. L’Eglise, long­temps agi­tée, jouis­sait alors de la paix sous le règne de Constance, fils de Constantin, et de ses frères Constantin et Constant. Alors, vivait à Rome une noble dame du nom d’Eusébie, qui signi­fie « pieuse ». Sa nais­sance et ses richesses auraient pu la rendre heu­reuse, mais depuis neuf ans elle était aveugle. Assidue à la prière, elle implo­rait sou­vent la clé­mence du Seigneur. Une nuit qu’elle deman­dait ain­si à Dieu la gué­ri­son de son infir­mi­té, un ange lui appa­rut et lui dit : « Eusébie, tes prières sont exau­cées, car le Seigneur les a trou­vées agréables. Lève-​toi, va dans les Gaules, informe-​toi du lieu appe­lé Augusia Veromanduorum et situé sur les rives de la Somme. Arrivée à l’endroit où la voie publique de Samarobriva (Amiens) à Laudunum (Laon) coupe la Samara (c’est-à-dire la Somme), cherche avec soin : tu trou­ve­ras le corps du bien­heu­reux Quentin, mar­tyr du Christ, ense­ve­li depuis long­temps sous les eaux. Lorsque, grâce à tes soins, il aura été enle­vé de là et mon­tré aux popu­la­tions, tu recou­vre­ras l’usage de tes yeux. »

Cette vision se répé­ta la nuit sui­vante et, cette fois Eusébie ne dou­ta plus de sa réa­li­té. Sans retard, elle se met en route ; mon­tée sur un char à cause de son infir­mi­té, elle se dirige vers les Gaules. Outre les pro­vi­sions du voyage, elle avait eu soin de prendre des linges pré­cieux des­ti­nés à enve­lop­per le tré­sor que Dieu lui avait fait connaître.

Parvenue, sous la direc­tion de l’ange, au lieu indi­qué, elle fit la ren­contre d’un vieillard nom­mé Héraclien. Elle lui deman­da où était le lieu nom­mé Augusta.

– C’est là tout près, répon­dit le vieillard.

Eusébie repar­tit :

– Dis-​moi, je te prie, si tu as connu autre­fois en ce lieu un homme du nom de Quentin, que les païens ont mis à mort.

– Oui, certes, dit le vieillard, j’en ai enten­du par­ler, mais il y a long­temps que cela est arrivé.

– Si du moins tu connais l’endroit où repose son corps, dis-​le moi, je t’en supplie.

– Je n’en sais rien.

Eusébie, que l’ange avait par­fai­te­ment ren­sei­gnée, deman­da alors :

– Je te conjure de m’indiquer seule­ment l’endroit où le grand che­min qui va d’Amiens à Laon tra­verse la Somme.

Ils che­mi­nèrent quelque temps, puis le vieillard lui dit :

– Voici le lieu que vous cherchez.

Alors Eusébie, voyant qu’une par­tie de la vision s’accomplis­sait, ne dou­ta plus de l’heureux suc­cès du reste.

Le corps de saint Quentin est retrouvé.

Elle des­cen­dit joyeuse de son char, et, se jetant à genoux pour prier, conju­ra plus fer­vem­ment que jamais le Seigneur de lui décou­vrir le corps du mar­tyr, comme il avait accor­dé à sa ser­vante Hélène de décou­vrir le bois sacré de la Croix.

Comme elle ache­vait sa prière, le lieu où le saint corps repo­sait sous les eaux se mit à trem­bler. Aussitôt, le corps du mar­tyr, par une mer­veilleuse inter­ven­tion divine, s’éleva au-​dessus des eaux, qui l’apportèrent elles-​mêmes jusqu’au bord, à por­tée de la main des hommes ; et, par une autre faveur du ciel encore, la tête, qu’on avait jetée plus loin, sor­tit éga­le­ment de l’eau, et vint se réunir heu­reu­se­ment au corps.

La matrone, toute rem­plie de joie, reti­ra de l’eau les pré­cieuses reliques, les enve­lop­pa dans les linges qu’elle avait appor­tés à cet effet, ne ces­sant de bénir le Seigneur et de le remer­cier de tant de faveurs.

Le corps du mar­tyr était sans tache ni cor­rup­tion, et dans toute son inté­gri­té. Il était écla­tant de blan­cheur, et répan­dait une suave odeur, en sorte que les assis­tants, émer­veillés, sem­blaient oublier les joies pro­fanes du monde.

Le corps de saint Quentin est retrou­vé par une pieuse aveugle.

Après avoir enve­lop­pé le corps, Eusébie se dis­po­sa à le con­duire avec res­pect pour l’y ense­ve­lir jusqu’à la cita­delle de l’Augusta, qui se trou­vait à cinq milles de là. Mais le mar­tyr ne devait pas aban­don­ner le lieu qu’il avait arro­sé de son sang : dès que le corps eut été dépo­sé sur le som­met de la col­line voi­sine, il devint si pesant, qu’on recon­nut bien vite, à ce nou­veau pro­dige, les volon­tés du ciel. Eusébie le fit donc ense­ve­lir au même endroit, et elle com­manda de bâtir un ora­toire en ce lieu.

A peine avait-​on ache­vé la sépul­ture, que la véné­rable matrone sen­tit comme d’épaisses ténèbres tom­ber de ses yeux ; et sou­dain elle recou­vra la lumière. Au même ins­tant, plu­sieurs infirmes qui se trou­vaient là eurent aus­si le bon­heur de retrou­ver la santé.

Eusébie fit reti­rer les broches de fer qui étaient res­tées enfon­cées dans le corps du mar­tyr, et elle les empor­ta avec elle à Rome, où elle retour­na bien­tôt, publiant par­tout les mer­veilles que Dieu avait faites en elle, par les mérites de son glo­rieux ser­vi­teur. La solen­ni­té de cette inven­tion se célèbre le 25 juin.

Autres translations. – Le culte de saint Quentin.

De nom­breux miracles atti­rèrent bien­tôt les foules au tom­beau de saint Quentin. La cha­pelle bâtie par Eusébie devint insuf­fi­sante ; il fal­lut une église pour la remplacer.

Cette église, bien­tôt célèbre, devint le siège d’un évê­ché, dont saint Médard fut le qua­tor­zième pon­tife. Pour échap­per aux inva­sions des bar­bares, qui rava­geaient sou­vent cette par­tie de la France, le pré­lat se reti­ra en 531 à Noyon, où il éta­blit son siège. Les années qui sui­virent mar­quèrent une telle période de troubles, que, pour sous­traire à la pro­fa­na­tion le corps de saint Quentin, on le confia à la terre.

Il devait faire l’objet d’une deuxième trans­la­tion le 3 jan­vier 641, sous l’épiscopat de saint Eloi, le popu­laire évêque de Noyon ; nous en avons un récit détaillé dans la Vie de saint Eloi écrite par saint Ouen. Une troi­sième trans­la­tion eut lieu au ixe siècle, que les Bollandistes fixent à l’année 835, en désac­cord sur ce point avec la plu­part des his­to­riens qui pro­posent l’année 825. De même les archéo­logues dis­putent sur la ques­tion de savoir s’il faut attri­buer à Eusébie ou bien à un moine du ixe siècle, l’Abbé Hugues, le sar­co­phage de marbre blanc où furent ren­fer­mées pen­dant des siècles les reliques de saint Quentin.

Longtemps la pié­té envers l’apôtre du Vermandois s’est mani­festée par de grands et fré­quents pèle­ri­nages à son tom­beau. Dès l’année 497 une basi­lique des­ser­vie par un col­lège de clercs s’éle­vait sur le lieu même de son sup­plice. Cette com­mu­nau­té était deve­nue une abbaye avant l’an 65o. Connue sous le nom de Saint-​Quentin-​en-​Vermandois, elle a sub­sis­té jusqu’à la Révolution française.

Saint Quentin, dont le Martyrologe romain fait men­tion au 31 octobre, a sa fête ins­crite dans les Propres d’Amiens, d’Arras, de Reims, de Meaux, de Soissons. En ce qui concerne ce der­nier dio­cèse, la S. Congrégation de la Consistoriale, fai­sant droit à une requête du cler­gé local, a déci­dé par décret du 21 juin 1901 que l’évêque de Soissons, qui depuis 1828 por­tait aus­si le titre d’évêque de Laon, join­drait désor­mais à ce double titre celui de Saint-Quentin.

A. H. L.

Sources consul­tées. – Acta Sanctorum, t. I de jan­vier (Paris, 1863). – Dom Paul Piolin : Supplément aux Petits Bollandistes (Paris, 1892). – (V. S. B. P., n° 246.)