Cardinal et archevêque de Milan (1538–1584)
Fête le 4 novembre.
Vie résumée
Saint Charles Borromée, né au sein de l’opulence et des grandeurs, devait être l’un des plus illustres pontifes de l’Église dans tous les temps. Sa vocation se révéla d’une manière si remarquable, que son père le destina dès son enfance au service des autels. Neveu du Pape Pie VI, Charles était cardinal avant l’âge de vingt-trois ans, et recevait les plus hautes et les plus délicates missions.
Après son élévation au sacerdoce, il fut promu à l’archevêché de Milan, qu’il devait diriger avec la sagesse et la science des vieillards. Ce beau diocèse était alors dans une désorganisation complète : peuple, clergé, cloîtres, tout était à renouveler. Le pieux et vaillant pontife se mit à l’oeuvre, mais donna d’abord l’exemple. Il mena dans son palais la vie d’un anachorète ; il en vint à ne prendre que du pain et de l’eau, une seule fois le jour ; ses austérités atteignirent une telle proportion, que le Pape dut exiger de sa part plus de modération dans la pénitence.
Il vendit ses meubles précieux, se débarrassa de ses pompeux ornements, employa tout ce qu’il avait de revenus à l’entretien des séminaires, des hôpitaux, des écoles, et au soulagement des pauvres honteux et des mendiants. Son personnel était soumis à une règle sévère ; les heures de prières étaient marquées, et personne ne s’absentait alors sans permission. Les prêtres de son entourage, soumis à une discipline encore plus stricte, formaient une véritable communauté, qui fut digne de donner à l’Église un cardinal et plus de vingt évêques.
Le saint archevêque transforma le service du culte dans sa cathédrale et y mit à la fois la régularité et la magnificence. Aucune classe de son diocèse ne fut oubliée ; toutes les œuvres nécessaires furent fondées, et l’on vit apparaître partout une merveilleuse efflorescence de vie chrétienne. Ce ne fut pas sans de grandes épreuves. Saint Charles reçut un jour, d’un ennemi, un coup d’arquebuse, pendant qu’il présidait à la prière dans sa chapelle particulière ; par une protection providentielle, la balle ne fit que lui effleurer la peau, et le Saint continua la prière sans trouble. On sait le dévouement qu’il montra pendant la peste de Milan. Il visitait toutes les maisons et les hôpitaux, et sauva la vie, par ses charités, à soixante-dix mille malheureux. Les pieds nus et la corde au cou, le crucifix à la main, il s’offrit en holocauste, fit des cérémonies expiatoires et apaisa la colère divine. Il mourut sur la cendre, à quarante-six ans.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue
Le nom de Borromée dérive de bon romèo, mots vieillis de la langue italienne, qui signifiaient à l’origine bon pèlerin de Rome et, plus tard, simplement bon pèlerin. C’est sous cette forme de Bon Romèo que saint Charles aimait lui-même à écrire son nom patronymique dans ses lettres de jeunesse.
La famille Borromée.
Les Borromée étaient une antique famille milanaise qui, par ses vertus et les services rendus au pays, avait acquis une haute situation politique et sociale. Les rois d’Espagne lui avaient confié la garde de la place forte d’Arona, l’une des plus importantes du duché de Milan, située sur le Lac Majeur, à l’entrée des premières vallées alpestres.
Aujourd’hui, on voit à Arona, dominant au loin le lac et la vallée inférieure du Tessin, une statue colossale de notre Saint. Le monument n’est point trop grand pour le héros dont le nom a rempli le monde et dont le souvenir plane encore mystérieusement sur toute la plaine lombarde. C’est à Arona surtout qu’il faut rechercher les souvenirs de son enfance, plutôt que dans les fameuses îles Borromées avec leurs jardins et leur palais, dont Charles ne connut jamais les splendeurs.
Son père était le comte Giberto Borromée, un chrétien dans toute la force du mot.
Au milieu des honneurs dont le monde l’entourait, le noble seigneur menait la vie d’un religieux. Tous les jours, il récitait l’office et donnait plusieurs heures à la méditation ; souvent même, on le voyait, revêtu de l’habit de pénitent, se livrer aux pratiques les plus austères.
Giberto avait épousé, en 1528, Marguerite de Médicis, noble demoiselle issue d’une famille lombarde qui n’avait de commun que le nom avec les Médicis de Florence et sœur du futur Pie IV. La piété de Marguerite égalait celle de son époux, et elle s’appliqua de toute son âme à la communiquer à ses enfants.
Charles naquit au château d’Arona le 2 octobre 1538. Un frère et une sœur, Frédéric et Isabelle, l’avaient précédé en ce monde. Les actes du procès de canonisation relatent une tradition locale d’après laquelle, la nuit de sa naissance, une merveilleuse clarté, semblable à un arc-en-ciel, illuminait les alentours du château d’Arona. En vérité c’était bien le lever d’un astre resplendissant au firmament de l’Eglise.
Le premier appel de Dieu. – L’étudiant.
L’enfance de Charles se passa à Arona, à l’école de ses pieux parents. Les biographes nous le représentent comme un enfant sérieux et doux. Un de ses plus agréables passe-temps était de jouer à la chapelle.
Quand il fut un peu plus grandelet, écrit un vieil auteur, fuyant les légeretez et entretenements enfantins, n’avoit autre délectation et plaisir qu’à faire des petits autels, chanter les louanges de Dieu et faire autres semblables choses, qui donnaient un indice manifeste de sa vocation singulière.
L’appel de Dieu se manifesta d’ailleurs de très bonne heure, et, il faut le dire, à la grande satisfaction des siens. Selon les coutumes du temps, le droit d’aînesse établissait Frédéric, premier fils de Giberto, l’héritier de ses biens et de sa dignité. Il ne restait à Charles qu’à se créer une situation dans le monde ou à se consacrer à Dieu dans l’état ecclésiastique.
C’est à ce dernier parti qu’il s’arrêta de lui-même, et de très bonne heure. Il n’avait, en effet, que huit ans, le 13 octobre 1545, lorsqu’il reçut la tonsure à Milan, dans l’église de Saint-Jean-Quatre-Faces. Cette cérémonie faisait de lui un clerc et lui donnait le droit de percevoir les fruits des biens ecclésiastiques dont il pourrait être désormais investi. Il attendit encore cinq ans. Son oncle paternel, Jules-Charles Borromée, lui céda alors l’abbaye des Saints-Gratinien et Félin.
Un jour, l’Eglise interdira l’abus de la collation des bénéfices aux enfants ; mais pour le jeune Charles ce fut sans inconvénient. Comprenant les grandes responsabilités qui pesaient sur lui, il donna l’ordre de distribuer aux pauvres les revenus Je l’abbaye, et il ne permit jamais qu’on détournât des œuvres de charité les biens provenant de l’Eglise. « C’est le bien de Dieu et par conséquent des pauvres », disait-il, et il ne voulut jamais les faire servir à ses besoins personnels.
Charles fut envoyé à Milan pour y apprendre les lettres et particulièrement le latin. Son esprit lent et positif plutôt que souple et brillant ne le disposait guère aux études littéraires. Mais sa persévérante énergie triompha des difficultés, si bien qu’à l’âge de quatorze ans on le jugea capable de suivre les cours de droit à l’Université de Pavie où enseignait alors le célèbre Francesco Alciato.
Il avait à peine vingt et un ans (1559), lorsqu’il fut proclamé docteur in utroque iure. A cette occasion, son maître, Francesco Alciato, prononça un éloge chaleureux du récipiendaire.
– Charles, s’écria-t-il, entreprendra de grandes choses et brillera comme une étoile dans l’Eglise.
Les parents du Saint n’étaient plus là pour se réjouir de ses succès. Marguerite avait quitté ce monde dix ans auparavant, en 1548, et le comte Giberto était mort depuis quelques mois. Bien que le plus jeune, c’est Charles qui était de fait, le tuteur de ses frère et sœur. Il montra un talent remarquable à mettre ordre à la succession de ses parents et à conserver à son frère Frédéric le commandement de la place d’Arona.
Mais s’il s’oubliait lui-même, Dieu ne l’oubliait pas, et lui préparait mystérieusement les voies. Un fait providentiel, qui devait imprimer à sa vie une direction définitive, se produisit peu après. Le 26 décembre 1559, son oncle maternel, Jean-Ange de Médicis, était élu Pape. Il fut couronné sous le nom de Pie IV le 6 janvier 1560. Son avènement causa une grande joie à Rome, car on comptait qu’il mettrait fin aux intrigues qui avaient attristé les dernières années de son prédécesseur Paul IV.
Le nouveau pontife, qui connaissait les admirables qualités de son neveu Charles, résolut aussitôt de se l’attacher et d’en faire son bras droit dans le gouvernement de l’Eglise.
Les ascensions d’une âme.
Arrivé à Rome en janvier 1560, Charles fut nommé immédiatement protonotaire apostolique, puis référendaire de la signature pontificale. C’étaient là déjà des titres considérables pour un jeune homme de vingt-deux ans. Les choses n’en restèrent point-là. Mû par une visible inspiration du ciel, Pie IV fit entrer son neveu, dès le 31 janvier, dans le Sacré-Collège et lui assigna pour titre cardinalice la diaconie des Saints-Vite et Modeste. Peu après, le 8 février, Charles était nommé administrateur de l’Eglise de Milan, faute de pouvoir porter déjà le titre d’archevêque, n’étant pas encore prêtre. Il devait encore, accumulant titres sur titres, recevoir les trois légations de Bologne, de Romagne et des Marches, ainsi que plusieurs abbayes.
Plus tard, Pie IV devait encore lui conférer les charges d’archiprêtre de Sainte-Marie Majeure, de grand-pénitencier et de protecteur de diverses nations et Ordres religieux.
On s’étonnerait aujourd’hui de voir confier des missions et des charges si importantes à un jeune homme. Les contemporains, eux, n’en étaient point choqués. C’était dans les mœurs du temps. En ce qui touche saint Charles, il faut bien reconnaître que le népotisme de Pie IV ne pouvait être plus heureux.
Charles n’était point encore tellement détaché des honneurs et de la famille, qu’il fût insensible au bon renom et à la fortune des siens. Il contribua de tout son pouvoir au brillant établissement de ses aînés. Avant la fin de sa première année de Rome, sa sœur Camille était fiancée au prince César de Gonzague, des ducs de Mantoue, et son frère Frédéric épousait Virginie della Rovere, fille du duc d’Urbino. Ce frère portait en lui tous les espoirs de sa famille. Son mariage princier et la charge de général de la Sainte Eglise, que Charles lui obtint, semblaient marquer le début d’une brillante carrière. La mort, inattendue de tous, faucha toutes ces belles espérances. La douleur du jeune cardinal fut sans mesure ; mais ce fut aussi pour lui une lumière de la grâce.
Cet événement, plus qu’aucun autre, m’a fait toucher au vif notre misère et la vraie félicité de la gloire éternelle.
Dès lors, il retrancha énergiquement tout ce qu’il pouvait y avoir encore de mondain dans sa vie. S’étant mis sous la direction du P. Ribera, de la Compagnie de Jésus, il s’adonna avec une ardeur nouvelle aux pratiques de la vie intérieure, acheva ses études de théologie et se prépara à son ordination sacerdotale, qui eut lieu en l’église des Saint-Apôtres au commencement d’août 1563.
Saint Charles et le Concile de Trente.
Le jeune cardinal Borromée fut mêlé, du vivant de son oncle, Pie IV, à un grand nombre d’affaires religieuses et politiques. On ne saurait les mentionner toutes. Il faut toutefois signaler la part qu’il prit au Concile de Trente (1545–1563), dont il fit rédiger les Actes et le célèbre Catéchisme. Il collabora aussi à la réforme du Bréviaire.
Le Saint donna le premier l’exemple dans l’application des décrets du Concile. Il restreignit le train de sa maison et s’employa de tout son pouvoir à la destruction des abus dans la ville même de Rome. Dieu lui donna le plus précieux auxiliaire en saint Philippe Néri qui seconda efficacement son zèle auprès du clergé romain. L’un et l’autre rivalisaient de zèle pour ravir les âmes au démon. C’est ce qu’exprimait Philippe lorsqu’il criait à Charles : Au voleur !
La réforme de la musique religieuse, édictée par le Concile, donna lieu à un épisode touchant qui mérite d’être rappelé ici.
Il y avait alors à Rome un musicien de génie, Giovanni Pierluigi da Palestrina, maître de chapelle à Sainte-Marie Majeure depuis 1561. A prendre au pied de la lettre les décrets du Concile, toute polyphonie semblait devoir être exclue de la musique sacrée. Or, Pie IV, très musicien, n’était guère disposé à cette suppression radicale. On chercha une solution. Palestrina la donna victorieusement. Il composa trois messes qui furent exécutées devant une Commission cardinalice et qui suscitèrent un vif enthousiasme. La troisième, dite messe du pape Marcel, fut jugée un chef‑d’œuvre. Ses accents simples et profondément religieux nous émeuvent encore, comme ils émurent Pie IV et les cardinaux romains en l’an de grâce 1564.
Ce fut en cette même année que Charles commença à prendre des mesures importantes dans l’administration de son archevêché de Milan. Ne pouvant encore se rendre en personne, à son siège, il se fit précéder par un vicaire général aussi savant que pieux, Nicolas Ormanetto. Il l’appela à Rome, lui donna ses instructions et l’envoya à Milan, muni de pleins pouvoirs, au mois de juin.
Ce fut seulement au cours de l’été suivant que Pie IV permit à son neveu d’aller passer quelque temps à Milan, pour prendre possession de son siège archiépiscopal et tenir le Concile provincial prescrit par les décrets du Concile de Trente. Voulant que ce voyage servît à Charles pour se rendre compte des progrès de la réforme catholique dans les régions qu’il aurait à traverser, le Pape lui conféra les pouvoirs de légat a latere pour toute l’Italie.
Le jeune archevêque n’eut rien de plus à cœur que de hâter la réunion du Concile projeté. Onze évêques y prirent part. Non content de promulguer les décrets du Concile de Trente, le cardinal fit décider plusieurs mesures destinées à en faciliter l’application.
La mort de Pie IV, en décembre 1565, le ramena soudain à Rome et il prit part au Conclave qui devait donner à l’Eglise un très grand Pape, l’illustre saint Pie V.
L’archevêque de Milan.
Le nouveau pontife ayant rendu à Charles sa liberté, celui-ci en usa sans retard pour regagner sa ville archiépiscopale, où il rentra, sans éclat, le 5 avril 1566. Dégagé désormais de toutes les préoccupations qui l’avaient jusque-là absorbé, tandis qu’il prêtait son concours au gouvernement du monde chrétien, il se consacra d’une façon absolue aux devoirs de sa charge pastorale. Notons tout de suite que son action continua à rayonner par toute l’Italie. C’est ainsi qu’on le vit accomplir diverses missions auprès des grands de la péninsule. C’est à l’occasion d’un de ces voyages qu’il connut saint Louis de Gonzague et lui fit faire sa première Communion.
D’importantes réformes s’imposaient. Le désordre s’était introduit dans les rangs du clergé, et les laïques, rompant impunément la clôture, pénétraient dans les couvents, où les vierges n’étaient plus défendues contre les séductions du monde.
L’archevêque résolut de prêcher d’exemple et de se sacrifier pour son peuple. Dans son palais épiscopal, il menait la vie d’un véritable anachorète ; à la fin de sa vie, le pain et l’eau formèrent sa seule nourriture, et encore ne prenait-il ce modeste repas qu’une fois par jour ; ses austérités devinrent telles que sa santé fut compromise, et que le Pape, l’ayant appris, lui ordonna d’apporter quelque tempérament à tant de mortifications. Il vendit ses meubles précieux, se débarrassa de ses riches habits et résigna tous les bénéfices que son oncle lui avait donnés. Après avoir ainsi réduit ses revenus, il employa ce qui restait à l’entretien des Séminaires, des hôpitaux, des écoles et au soulagement des pauvres honteux et des mendiants.
Le démon ne pouvait voir ces heureuses améliorations s’accomplir sans faire éclater sa rage. Il communiqua son esprit de vengeance à quelques misérables qui n’avaient pris l’habit religieux que pour mieux séduire le peuple. Exaspérés par le courage et la fermeté que déployait le saint évêque, les imposteurs résolurent de se défaire de lui, et, un soir, pendant qu’il disait la prière, dans sa chapelle particulière, avec ses familiers, un assassin entra furtivement et déchargea son arquebuse sur le prélat. La balle traversa les habits jusqu’à la chair ; mais, comme si elle eût été arrêtée par une main invisible, elle tomba aux pieds du Saint. Au bruit de la détonation, les familiers s’étaient levés pour se jeter sur l’assassin ; mais, d’un geste plein d’autorité, le cardinal les retint à leur place, et il continua la prière, comme s’il n’était arrivé aucun incident. Malgré les supplications de l’archevêque, la justice séculière fut inexorable, et l’assassin subit, avec ses complices, la peine du parricide.
Charles comprit que ses prédications demeuraient stériles s’il ne donnait à son Eglise un clergé capable de seconder ses efforts. Il fonda, dans ce but, trois séminaires et plusieurs écoles ecclésiastiques.
L’archevêque fit appel au dévouement des religieux, pour l’aider à évangéliser son peuple. Sur sa demande, les Jésuites vinrent s’établir à Milan, et il leur confia l’église paroissiale de Saint-Fidèle. S’occupant avec un soin tout particulier de l’éducation de la jeunesse, il fonda des collèges à Lucerne et à Fribourg et il en donna la direction aux Jésuites, qu’il avait pu apprécier à Milan.
Il établit aussi les Théatins dans sa ville métropolitaine, et leur donna l’église et l’abbaye de Saint-Antoine ; enfin, il appela les Capucins et leur confia l’évangélisation des montagnes de la Suisse, où leur influence salutaire se manifesta bientôt.
Ce n’était pas encore assez, et le Saint, pour refréner les audaces du libertinage et de l’hérésie, convoqua jusqu’à six Conciles provinciaux et onze synodes diocésains. Grâce aux dispositions prises dans toutes ces assemblées, la discipline ecclésiastique retrouva toute sa vigueur, et l’on vit peu à peu disparaître du diocèse les nombreux abus antérieurs.
La peste de Milan en 1576.
Malgré ses efforts, le cardinal n’arrivait pas à triompher des dernières résistances. Voyant qu’on méprisait ses conseils, il annonça l’approche du châtiment divin. Des fêtes licencieuses, contre lesquelles il avait vainement protesté, venaient de se donner à l’occasion du passage du prince don Juan d’Autriche, le héros de Lépante. Elles n’étaient pas terminées que la peste se déclara dans la ville, à deux endroits à la fois.
Aux premiers indices de la contagion, le prince, le gouverneur, les magistrats municipaux s’enfuirent précipitamment, et l’archevêque demeura seul avec son clergé dans la ville désertée par les agents de l’autorité civile. En vain des conseillers timides le pressèrent-ils de partir, sous prétexte de se conserver à son peuple et de ne pas priver de ses soins tout le reste du troupeau ; le Saint n’était pas un « pasteur mercenaire », et au milieu de la tourmente, il voulut partager toutes les tribulations des brebis. Six mois durant, il fut la providence des pauvres, des mourants, des affamés. Après avoir vendu son argenterie pour subvenir aux besoins des malheureux dont le nombre augmentait tous les jours, il donna aux pestiférés les meubles de sa maison, ses habits, et jusqu’à son propre lit. On le voyait passer à travers des monceaux de cadavres, pour porter aux mourants les derniers sacrements. Il voulut visiter lui-même toutes les maisons et tous les hôpitaux, et aucune misère n’échappa à son inépuisable charité ; on évalue à 70 000 le nombre de ceux que ses libéralités arrachèrent à la mort !
Ce n’était pas assez ; il lui restait à conjurer le fléau. En présence de ce malheur public, il eut recours à la prière publique, et il donna l’ordre de faire des processions dans toute la ville. Lui-même, les pieds nus, le Crucifix dans les mains, la corde autour du cou, dans ces cérémonies expiatoires, il s’offrait en holocauste, et il ne cessait de crier dans les rues et sur les places publiques : « Miséricorde, Seigneur, miséricorde ! » La prière de l’archevêque fut enfin entendue, le fléau disparut.
Sa sainte mort.
Le cardinal faisait, chaque année, une retraite spirituelle suivie d’une confession générale. A l’automne de 1584, il se rendit dans ce but au Sacro Monte de Varallo. Il y avait là un sanctuaire élevé par un pieux Franciscain, un siècle auparavant, en l’honneur de Jésus souffrant. Ce lieu était devenu un centre important de prière, et de nombreuses chapelles y avaient été élevées pour rappeler les diverses scènes de la Passion. L’ensemble de ces édifices forme un pèlerinage particulièrement fréquenté de nos jours encore.
L’archevêque sortit de sa retraite, transporté par la contemplation des choses éternelles et avec le pressentiment de sa mort prochaine. Vers la fin d’octobre, il eut plusieurs accès de fièvre, mais il voulut, avant de rentrer à Milan, procéder à une fondation qu’il avait à coeur. Il se rendit en barque, étendu sur un matelas, jusqu’à la petite ville d’Ascona, près de Locarno, et présida à l’inauguration d’un Séminaire qu’il avait fait construire pour les clercs de cette région.
Ce fut son dernier effort. Le mal augmentant tous les jours, il donna l’ordre qu’on le transportât à Milan, où il espérait célébrer, le jour de la Toussaint, sa dernière messe pontificale. Obligé de s’arrêter en chemin, il ne put arriver que le 3 novembre, à 2 heures du matin, dans sa ville métropolitaine, et comme la maladie l’empêchait de se lever, il ordonna qu’on dressât un autel dans sa chambre, et il fit placer sur son lit un tableau de l’agonie de Notre-Seigneur au jardin des Olives. Le 4 novembre au matin, il reçut le Viatique et l’Extrême-Onction, puis, faisant couvrir de cendres bénites une de ses haires, il la prit sur son corps afin d’être muni de l’armure de la pénitence contre les derniers assauts de l’ennemi.
Cependant, la nouvelle de la maladie s’était répandue à travers la ville ; le peuple se pressait dans les églises pour demander la guérison du pontife, et une foule compacte attendait avec anxiété devant la porte du palais archiépiscopal. Son attente ne devait pas être longue. A 3 heures du soir, les cloches de la cathédrale annonçaient au peuple de Milan que son père était mort.
La cause de béatification et canonisation fut rapide entre toutes. Béatifié en 1604, ce fut à la Toussaint de 1610, donc vingt-six ans seulement après sa mort, que le grand Cardinal fut solennellement proclamé Saint par Paul V.
Son corps repose dans la crypte de la cathédrale de Milan, où les pèlerins peuvent le voir et le vénérer.
R. B.
Note de LPL : Saint Pie X publia l’encyclique Editæ sæpe sur saint Charles Borromée le 26 mai 1910.
Sources consultées. – Agostino Valerio, Vita Caroli Borromaei (Rome, 1586). – Bascape, De vita et rebus gestis Caroli Borromaei (Ingolstadt, 1592). – Mgr Ch. Sylvain, Histoire de saint Charles Borromée (Lille, 1885). – San Carlo Borromeo, nel terzo centenario della canonizazione (Milan, 1910). – Léonce Celier, Saint Charles Borromée (Collection Les Saints, 1912). – (V. S. B. P., n° 37.)