Saint Pierre Fourier

Saint Yves, Saint Jean-Marie Vianney et saint Pierre Fourier. Vitrail de l'église Saint Honoré d'Eylau, Paris 16e.

Curé Lorrain et fon­da­teur d’Ordres (1565–1640)
Fête le 9 décembre.

Pierre Fourier naquit à Mirecourt, le 30 novembre 1565, de parents simples et très chré­tiens, ano­blis plus tard par Charles III, duc de Lorraine. Dominique Fourier et Anne Nacquart nom­mèrent leurs trois fils Pierre, Jacques et Jean, « afin qu’autant de fois ils se sou­vien­draient d’eux-mêmes, ils fussent pous­sés à ne pas se conten­ter d’une ver­tu médiocre ».

Enfance et vie d’étudiant.

Pierre mit géné­reu­se­ment à pro­fit leurs leçons : fer­veur dans les prières, obéis­sance prompte et affec­tueuse, appli­ca­tion à l’étude, dou­ceur inal­té­rable, fuite des plus inno­centes fami­lia­ri­tés et des moindres mensonges.

Certains traits pré­sagent l’héroïsme de sa sain­te­té future. Il jouait un jour avec ses cama­rades ; à un cer­tain moment, il vient à heur­ter le bras de l’un de ses par­te­naires. Celui-​ci, per­sua­dé que Pierre lui a fait man­quer un bon coup, lui admi­nistre un vigou­reux souf­flet. A l’instant, les amis de Pierre s’élancent sur l’insulteur, mais voi­ci que le saint enfant s’interpose aus­si­tôt et pro­tège lui-​même celui qui l’a frap­pé, « épar­gnant, dit le P. Bédel, le dos de celui qui n’avait point épar­gné ses joues ». Les mères, émer­veillées de ses dis­po­si­tions, le pro­posent comme un modèle à leurs enfants. Bientôt il pré­lude aux fonc­tions du sacer­doce et de l’apostolat. Il dresse et orne des autels, y récite les prières de la messe et fait des pré­di­ca­tions d’une naïve éloquence.

Quand il a quinze ans, son père le conduit à l’Université de Pont-​à-​Mousson diri­gée par les Pères de la Compagnie de Jésus, et lui donne les plus admi­rables avis. Pierre les a devan­cés et s’est pro­mis à lui-​même de mou­rir plu­tôt que de pécher. Il se livre plus assi­dûment à l’exercice de la prière, fuit avec le plus grand soin les éco­liers per­vers, pra­tique déjà des mor­ti­fi­ca­tions très rudes, comme de ne man­ger qu’une fois le jour et de cou­cher sur le sol nu.

Il ter­mine avec suc­cès le cours de ses études. « Il pos­sé­dait la langue latine jusqu’au bien dire, rap­porte Bédel ; la langue grecque, les lettres et la poé­sie ne lui sem­blaient point de luxe ; il avait sur­tout un sou­ci véri­table de par­ler son fran­çais pure­ment, de l’écrire et de le pro­non­cer cor­rec­te­ment. » Son séjour à l’Université se résume dans cet éloge de ses maîtres dont il est l’orgueil, cl de ses condis­ciples dont il est le modèle : « Ou il prie, ou il étudie. »

Chanoine Régulier et curé de Mattaincourt.

A vingt ans, Pierre Fourier entre chez les Chanoines Réguliers de Saint-​Augustin, à l’abbaye de Chaumouzey, déchus de leur fer­veur pri­mi­tive. Cette démarche étonne, mais Dieu a ses des­seins. Il y fait pro­fes­sion en 1587. Ordonné prêtre le 25 février 1589, il ne veut célé­brer sa pre­mière messe qu’après une longue pré­pa­ra­tion, le jour de la Nativité de saint Jean-​Baptiste, qu’il semble avoir pris pour modèle. Il retourne à Pont-​à-​Mousson pour l’étude de la théo­lo­gie, fai­sant ses délices de l’Ecriture Sainte et des Pères, et arrive à pos­séder avec tant de soli­di­té saint Augustin, saint Jean Chrysostome, saint Basile, saint Grégoire et saint Bernard, que sou­vent il cite, en indi­quant le titre du livre, des pas­sages entiers de ses auteurs favo­ris. Ses études ter­mi­nées, il est admi­nis­tra­teur de Saint-​Martin de Pont-​à-​Mousson, puis revient à Chaumouzey.

Entre trois béné­fices qui lui sont offerts, il choi­sit le plus pauvre. Mattaincourt, paroisse alors livrée au vice, à l’hérésie et à l’athéisme et que l’on nom­mait la petite Genève. Il inau­gure son minis­tère au jour de la Fête-​Dieu, 5 juin 1597 ; il a trente-​trois ans.

Mes enfants, dit-​il à ses parois­siens, Dieu se donne aux hommes sous les espèces sacra­men­telles sans cher­cher d’autre inté­rêt que le bien et le salut de ceux qui le reçoivent : ain­si, je me donne à vous en ce jour, non pour l’honneur, non pour les richesses, mais pour le bien de vos âmes que je veux sau­ver, quand je devrais perdre cl mon sang et ma vie.

Son ser­mon fut si pathé­tique qu’après qua­rante ans on s’en sou­venait comme d’hier. Mais per­sonne ne s’en sou­vint comme Pierre Fourier pour le réa­li­ser dans sa conduite.

Zèle et charité de saint Pierre Fourier.

Brûlant d’amour pour Dieu et pour le pro­chain, il se met à l’œuvre avec un cou­rage et une per­sé­vé­rance qui ne se démentent jamais. Que de pieuses indus­tries sa cha­ri­té n’invente-t-elle pas pour por­ter la lumière dans ces esprits si peu éclai­rés, pour tou­cher ces cœurs endurcis !

Quelle sol­li­ci­tude de tous les ins­tants ! Il ménage le temps comme un baume pré­cieux, dont il ne faut pas, dit-​il, perdre une seule gout­te­lette à escient, c’est-à-dire volon­tai­re­ment. Attentif au bien des âmes, Fourier l’est aus­si à celui des corps ; il secourt ses chers parois­siens dans leurs néces­si­tés, les conseille dans leurs embar­ras, apaise leurs dis­cordes, défend leurs droits avec plus d’énergie que s’ils étaient les siens, fonde des ins­ti­tu­tions pour sau­ve­gar­der leurs inté­rêts, comme la Bourse de Saint-​Epvre, et une asso­cia­tion pour la dimi­nu­tion des procès.

La Bourse de Saint-​Epvre était une sorte d’assurance mutuelle. Elle s’alimentait de dons volon­taires, de legs pieux, d’amendes et d’autres épaves. Quand un parois­sien se trou­vait en défi­cit dans ses affaires, on lui prê­tait une cer­taine somme, à la seule condi­tion de rendre l’équivalent quand elle aurait fruc­ti­fié entre ses mains. Saint Pierre Fourier visi­tait avec une bon­té pater­nelle les pauvres hon­teux, déployait une sou­ve­raine déli­ca­tesse à venir géné­reu­se­ment à leur aide, sans bles­ser leur amour-​propre. Sa cha­ri­té pour les malades était infa­ti­gable ; il veillait à faire ache­ter pour eux la meil­leure viande de bou­che­rie ; il vou­lait qu’ils eussent non seule­ment le néces­saire, mais encore l’agréable. Parfois, il pas­sait des nuits entières auprès d’eux, réunis­sant les fonc­tions du prêtre et de l’infir­mier avec un dévoue­ment sans bornes. Un jour, il prê­ta à un pauvre malade ses cou­ver­tures, à un autre les draps réser­vés pour lui-​même, à un autre la paillasse, et le bois du lit à un qua­trième. Il dut cou­cher sur une planche ; c’était d’ailleurs le lieu ordi­naire de son repos.

Il tenait à ce que tous ses parois­siens pussent prendre part aux saintes joies de l’Eglise dans les grandes solen­ni­tés. Un mal­heu­reux sol­dat qui arri­vait de l’armée, la bourse aus­si vide que l’estomac, en fit l’heureuse expé­rience. Comme il s’était pré­sen­té par­mi les pauvres, le bon curé l’aborda et lui deman­da quelle aumône lui serait agréable.

– C’est Pâques, mon Père, dit le sol­dat ; pour bien faire, il me fau­drait quelques œufs.

Le Père lui en fit don­ner deux. Ne pou­vant dis­si­mu­ler sa déception :

– Je croyais, dit le trou­pier, qu’un homme comme vous ne m’en don­ne­rait pas moins d’une demi-douzaine.

Le Père avoue qu’il a eu tort, en fait ajou­ter quatre, et demande s’il est content.

– Il me fau­drait encore un mor­ceau de pain pour les man­ger. – Oui, oui, vous avez raison.

Et il lui en donne du plus blanc et du meilleur.

– Ne vous faut-​il plus rien ?

Notre homme, redou­blant de har­diesse en voyant l’extrême bon­té de l’hôte chez qui il est tom­bé, ajoute sans la moindre gêne :

– Pour une si bonne fête, un verre de vin ne ferait pas de mal.

Tout cela est si bien com­pris que le Père, tout joyeux, va lui-​même cher­cher du vin, verse à boire au sol­dat et ne le quitte qu’après avoir enten­du de sa bouche ces paroles :

– Je suis content, je prie Dieu de bon cœur, pour l’honneur de son Eglise, que tous les curés vous ressemblent !

Le bon Père et sa bande perdue.

Unanimement, on donne à Fourier le titre de bon Père de Mattaincourt, sublime appel­la­tion décer­née par la recon­nais­sance popu­laire et reli­gieu­se­ment main­te­nue par la pos­té­ri­té. La « petite Genève » est main­te­nant un véri­table monas­tère où les étran­gers accourent pour s’édifier au spec­tacle de tant de vertus.

Quelques âmes cepen­dant s’obstinent à résis­ter à son cœur. Fourier les appelle sa bande per­due et les traite tou­jours avec la plus grande dou­ceur, mais en même temps avec le zèle Je plus dévoué. Quel­quefois, sous l’é­treinte de sa res­pon­sa­bi­li­té de pas­teur ou de son amour pas­sion­né des âmes, il court à ces pécheurs, se jette à leurs pieds, qu’il arrose de ses larmes, les conjure de reve­nir à Dieu, et, par de vivantes pein­tures de l’enfer ou du ciel, les presse de se rendre à ses dési­rs. Est-​il impuis­sant ? Il vole à l’église, court jusqu’au taber­nacle, raconte sa peine au divin Pasteur, et s’écrie : « Grand Dieu ! ou effacez-​moi du livre des vivants, ou remé­diez à ce désastre ; je veux être ana­thème pour mon enfant ; c’est à vous de manier les cœurs ; vous êtes son pre­mier curé, je ne suis que votre der­nier vicaire, faites ce qui m’est impos­sible. » On l’a même vu quel­que­fois faire un geste auda­cieux qui montre son esprit de foi, mais que la litur­gie ne sau­rait approu­ver : ouvrir le taber­nacle d’une main fébrile, sai­sir le Saint Sacrement, le por­ter à la mai­son de l’obstiné, et ter­ras­ser celui-​ci devant son Dieu d’une voix que l’amour fai­sait écla­ter comme un tonnerre.

Amour pour les pauvres et les enfants.

Il est des âmes qui, à d’autres titres, ont une place spé­ciale dans son cœur : les pauvres et les enfants. Les pauvres, il les appelle les cour­ti­sans du bon Dieu, la noblesse de son royaume, les privi­légiés du ciel. II les sup­plie de lui deman­der tout ce dont ils ont besoin.

– Mes biens, leur dit-​il, ne sont-​ils pas les vôtres ?

Lui-​même prend soin de les aug­men­ter par la fru­ga­li­té, qu’il appelle une banque de bon rap­port ; il y puise lar­ge­ment, donne à ceux qui demandent, pré­vient les timides, ne sépare jamais la déli­ca­tesse de la géné­ro­si­té, donne tout, et quand il n’y a plus rien, dit le P. Lacordaire, il y a encore Fourier, c’est-à-dire son grand cœur, ser­vant à adou­cir les souf­frances, ingé­nieux à mul­ti­plier les res­sources et puis­sant pour les faire mul­ti­plier par Dieu.

Une pauvre femme lui deman­dait un jour un bois­seau de blé ; le bon curé donne l’ordre de le lui livrer.

– Mais, mon Père, il n’y a plus rien.

– Allez‑y voir, reprend le curé.

On y va et on trouve du blé autant qu’il en faut pour la femme.

Mais c’est sur­tout pour les enfants qu’il déploie sa sol­li­ci­tude la plus active et la plus affec­tueuse. Aussi lui rendent-​ils amour pour amour. Ils accourent à lui, l’entourent, le suivent par­tout, jusqu’au chœur de l’église, et, grou­pés les uns à sa droite, les autres à sa gauche, pen­dant qu’il récite son office, ils bégayent les louanges de Dieu.

On veut les éloi­gner du bon Père ; mais il répète la parole du divin Maître : « Laissez venir à moi les petits enfants et ne les empê­chez pas… »

Il aimait à recou­rir à leurs prières. Quand il avait une grâce impor­tante à deman­der et qu’il était pres­sé par le temps, il réunis­sait les enfants qu’il trou­vait dans les rues, les condui­sait à l’église, et là, il mêlait ses prières aux leurs. Si sa demande était exau­cée, son humi­lité lui en fai­sait rap­por­ter tout le mérite à ces petits intercesseurs.

Saint Pierre Fourier fait prier les enfants pour obte­nir une grâce.

Fondation de la Congrégation de Notre-Dame.

A la vue de ces inno­centes créa­tures qui per­dront bien­tôt peut-​être Je pré­cieux tré­sor de la pure­té, son cœur s’émeut de com­pas­sion. Il veut leur assu­rer le bien­fait d’une édu­ca­tion chré­tienne. C’est alors qu’il songe à la fon­da­tion de la Congrégation de Notre-​Dame, œuvre capi­tale de sa vie, qui ne ces­se­ra de l’occuper pen­dant qua­rante ans, jus­qu’à son der­nier sou­pir. Quelques jeunes filles, dont la pre­mière fut la Vénérable Alix Le Clerc, se pré­sen­tant à lui, ce sont les envoyées de la Providence ; dans leurs âmes, il fait pas­ser sa grande âme. A son ber­ceau, comme toutes les œuvres de Dieu, la petite Congré­gation reçoit le bap­tême de la souf­france, c’est l’infaillible moyen de mul­ti­pli­ca­tion. Satan sus­cite contre elle des dif­fi­cul­tés, le monde la tra­casse et la calom­nie, l’évêque la bénit, le Souverain Pontife l’approuve, la béné­dic­tion du ciel la féconde, la Lorraine, la France, l’Allemagne en réclament les béné­fices. Que de voyages entre­pris pour sa chère Congrégation, que de lettres écrites, que de souf­frances endu­rées, que de beaux petits trai­tés com­po­sés pour ses religieuses !

A la fin du XVIIIe siècle, la Congrégation de Notre-​Dame compte envi­ron 90 mai­sons. Aucune n’échappe aux désastres de la grande Révolution ; mais après la tour­mente, un bon nombre se relèvent ; et en 1904, l’Ordre pos­sède 30 mai­sons tant en France qu’à l’étranger ; il y en a trois à Paris : la mai­son dite des Oiseaux, l’Abbaye-au-Bois, le Roule.

Toutes sont en pleine pros­pé­ri­té lorsque les lois de pros­crip­tion qui ouvrent le XXe siècle viennent les atteindre. Mais l’« Eglise est une éter­nelle recom­men­ceuse », et la ter­rible bour­rasque pro­jette le bon grain de tous côtés : Hollande, Angleterre, Belgique, etc.

Aux trois vœux ordi­naires, les Religieuses de Notre-​Dame en ajoutent un qua­trième rela­tif à l’instruction.

Quant à la véné­rable Mère Alix, cofon­da­trice de leur Congré­gation, sa cause de béa­ti­fi­ca­tion est acti­ve­ment pour­sui­vie à Rome.

Saint Pierre Fourier ressuscite une enfant.

Cette époque de sa vie fut mar­quée par un miracle éclatant.

Une petite fille était tom­bée dans un puits, entraî­née par le poids du seau. On accou­rut pour lui por­ter secours, mais trop tard ; on la reti­ra morte. Son père va se jeter aux pieds du saint curé :

– Que ferai-​je, mon Père, que ferai-je ?

– Priez Dieu, mon fils.

L’homme de Dieu ren­tra dans sa chambre, se jeta à genoux, pleu­ra et pria. Au bout de quelques heures, la petite fille était reve­nue à la vie ; mise au lit, elle dor­mit, et le len­de­main alla à l’école.

Vers le même temps, il gué­rit aus­si mira­cu­leu­se­ment plu­sieurs malades, entre autres le jeune duc de Lorraine, en 1623.

Réforme des Chanoines Réguliers.

Le Saint a tres­sé une cou­ronne à Marie par la fon­da­tion de la Congrégation de Notre-​Dame ; il en tres­se­ra une à Jésus par la réforme de sa Congrégation.

Jadis, saint Augustin, s’inspirant de l’exemple des apôtres, pro­posa au cler­gé d’Hippone de se réunir avec lui dans sa mai­son pour y vivre en com­mu­nau­té, en toute pau­vre­té et cha­ri­té, ain­si que cela se pra­ti­quait en d’autres diocèses.

Le grand évêque don­na à ses prêtres des Constitutions, qui furent adop­tées par d’autres groupes déjà exis­tants ou qui devaient être fon­dés par la suite. Telle fut l’origine de l’Ordre des Chanoines Régu­liers de Saint-​Augustin, qui s’est plus tard mul­ti­plié en un grand nombre de Congrégations. Enfant de cet Ordre, Pierre Fourier aurait vou­lu rendre aux mai­sons situées en Lorraine leur ancienne fer­veur, qui s’était refroi­die. Mais que de dif­fi­cul­tés dans celle œuvre entre­prise sur les ins­tances de l’évêque de Toul ! Fourier presse ces reli­gieux attié­dis, dont le cou­rage hésite ou recule ; il en gagne un cer­tain nombre et, au bout de trois mois, le réfor­ma­teur ayant réus­si à fon­der un nou­veau novi­ciat, source d’une Congrégation nou­velle, pleine d’union et de fer­veur, à laquelle Rome donne le nom de « Chanoines Réguliers de Notre-​Sauveur », il en fut élu, mal­gré lui, supé­rieur géné­ral, le 20 août 1632.

Prédication de missions.

Les soins don­nés à ses deux familles spi­ri­tuelles n’empêchent pas Fourier d’accourir par­tout où l’appelle la voix de son évêque. Une fois entre autres, il est char­gé de don­ner une mis­sion dans une contrée souillée par l’hérésie. On y a déjà tra­vaillé pen­dant trente ans, sans rien obte­nir. L’homme de Dieu paraît, et, au bout de six mois, tout est trans­for­mé, au point que l’an­cien temple pro­tes­tant est consa­cré à Marie.

Qu’a donc fait le bon Père ? Aux catho­liques il a don­né sa parole ; aux savants, sa science ; aux pro­tes­tants, son exemple, ses prières et ses larmes ; aux insul­teurs, sa patience ; à tous, sa grande âme. Un jour, voyant les héré­tiques sor­tir du prêche en grand nombre, il s’arrête brus­que­ment et éclate en san­glots. On s’approche, on lui demande s’il n’est pas malade ou s’il lui manque quelque chose.

– Je pleure, dit le bon Père, je pleure en voyant ces pauvres étran­gers si mal­heu­reu­se­ment trom­pés et des bour­geois de notre ville qui cherchent l’enfer avec tant de soin.

Ce zèle et ces suc­cès feront com­prendre la belle parole de son évêque de Toul : « Je sou­hai­te­rais seule­ment d’avoir cinq prêtres sem­blables à celui-​là, un à chaque coin de mon dio­cèse et l’autre au milieu. »

Il est persécuté à cause de son patriotisme.

Une gloire man­quait à Fourier, la gloire de la per­sé­cu­tion : elle lui fut dis­pen­sée avec usure. Il était l’ami et le conseiller des ducs de Lorraine. Lors de la guerre de Trente Ans (1618–1648), il don­na un conseil qui sau­va pour un siècle la natio­na­li­té de son pays. Richelieu ne put le lui pardonner.

Traqué de mai­son en mai­son, Fourier n’échappe qu’à la faveur de la fuite et du dégui­se­ment ; bien­tôt il se voit réduit à choi­sir entre l’exil et la cap­ti­vi­té. Les prières, les larmes, les ordres de ses enfants le déter­minent à prendre le che­min de l’exil. Il passe en Franche-​Comté, et Gray lui ouvre ses portes. Celait en 1636. Là, les nou­velles les plus lamen­tables lui arrivent, et sur son cher Mattaincourt qui « est tout pillé et repillé, tour­men­té, défi­gu­ré pour les per­sonnes, les biens, les bâti­ments », et où l’hérésie s’est empa­rée de l’église, et sur ses enfants spi­ri­tuels chas­sés de leur couvent, sans abri ni res­sources. La peste sévit cruel­le­ment à Gray ; Fourier encou­rage, console, assiste les malades. « Ne vaut-​il pas mieux, dit-​il aux dames, mou­rir en fai­sant son devoir que vivre en lâches en le tra­his­sant ? » Il fait prendre les pré­cau­tions ordi­naires, recom­mande ins­tam­ment la prière et la péni­tence, porte en pro­ces­sion le Saint Sacrement dans les rues, et bien­tôt le fléau dimi­nue et disparaît.

Derniers moments à Gray.

Et main­te­nant Pierre Fourier est devant un autre enne­mi, si l’on peut ain­si appe­ler la mort, sur­tout en pré­sence des Saints.

A la pen­sée des juge­ments de Dieu, il tremble, lui qui, pen­dant soixante-​quinze ans, n’a ces­sé de mettre en pra­tique sa chère devise : « Omnibus pro­desse, obesse nemi­ni : Etre utile à tous, nui­sible à per­sonne » ; qui a aimé son Maître de tout son cœur et souf­fert avec une patience angé­lique ; mais il recourt avec confiance à Jésus et à Marie, reçoit le saint Viatique, entre dans une extase au sor­tir de laquelle il s’écrie : « Que vous rendre, ô mon Dieu, pour tant de faveurs ? Ne faut-​il, pour vous plaire, que prendre en main le calice de ma mort ? De bon cœur, mon Dieu, de bon cœur, pour­vu que ce soit avec votre grâce. » Il se fait relire le récit de la mort de saint Augustin et veut mou­rir comme son Père spi­ri­tuel. Il exhale son âme avec ces paroles qu’il a tant de fois répé­tées pen­dant sa vie mor­telle : « Habemus bonum Dominum et bonam Dominant : Nous avons un bon Maître et une bonne Souveraine. » C’était le 9 décembre 1640. Comme héri­tage, il laisse à ses filles les Constitu­tions qu’il vient d’achever, et à ses fils d’admirables avis spirituels.

Au moment de sa mort, on vit s’élever au-​dessus de la mai­son qui l’abritait un globe de feu qui pla­na quelque temps dans les airs et se diri­gea vers la Lorraine. Avant de mon­ter au ciel, Fourier vou­lait dire adieu à sa patrie, pour laquelle il mou­rait en exil. Les habi­tants de Gray avaient com­pris cette grande âme : on sait leur dou­leur, leur empres­se­ment, leurs démarches pour gar­der la pré­cieuse dépouille du Saint. Enfin, le corps vint repo­ser à Mattaincourt, dans sa paroisse tant aimée, auprès de la pre­mière mai­son de Notre-​Dame, et le cœur demeu­ra à Gray comme leur récompense.

Sous Benoît XIII, Pierre Fourier a été béa­ti­fié à Saint-​Pierre de Rome le 29 jan­vier 1730. En la fête de l’Ascension, le 27 mai 1897, Léon XIII le pla­ça solen­nel­le­ment au nombre des Saints : la Lorraine et toute la France témoi­gnèrent en cette occa­sion par des fêtes splen­dides leur pié­té constante envers le « Bon Père » de Mattaincourt.

Sa fête, fixée par le Martyrologe Romain au 9 décembre, se célèbre aus­si en Lorraine le 7 juillet.

A. L. P.

Sources consul­tées. – L. Pingaud, Saint Pierre Fourier (Collection Les Saints). – Annuaire pon­ti­fi­cal catho­lique de 1921 (p. 474–480). – (V. S. B. P., nos 75 et 900.)