Sainte Thérèse d’Avila

Sainte Thérèse d'Avila tenant la plume, par José de Ribera

Réformatrice du Carmel (1515–1582)

Fête le 15 octobre.

Thérèse naquit le 28 mars 1515, dans la cité d’Avila en Castille. Son père, don Alonzo Sanchez de Cepeda, a con­signé l’événement dans son livre de famille :

Le mer­cre­di, vingt-​huitième jour du mois de mars 1515, est née Thérèse, ma fille, à 5 heures du matin, peut-​être une demi-​heure plus tôt, peut-​être une demi-​heure plus tard, en tout cas ce mercredi-​là au lever du soleil. Son par­rain fut Vela Nunez, et sa mar­raine, dona Maria del Aguila, fille de Francisco de Pajarès.

Enfance.

Ses parents, de la haute noblesse cas­tillane, étaient fon­ciè­re­ment chrétiens.

Mon père, nous dit-​elle, avait une admi­rable cha­ri­té envers les pauvres et la com­pas­sion la plus vive pour les malades. Sa bon­té à l’égard des ser­viteurs allait si loin que jamais il ne put se résoudre à prendre des esclaves… Ayant eu quelque temps chez lui une esclave de son frère, il la trai­tait à l’égal de ses enfants.

Don Alonzo mou­rut comme un Saint, en expri­mant le regret de n’être pas moine.

De sa mère, Béatrix de Ahumada, Thérèse parle en ces termes :

Elle était d’une modes­tie par­faite. D’une beau­té rare, jamais elle ne parut en faire la moindre estime. A trente-​trois ans, quand elle mou­rut, elle s’habillait déjà comme une vieille per­sonne. Elle char­mait par la dou­ceur de son carac­tère et l’agrément de son esprit.… Sa mort fut des plus chrétiennes.

Béatrix eut neuf enfants. En l’épousant en secondes noces, son mari lui appor­tait une fille et deux fils de son pre­mier mariage…

Parmi ses neuf frères et ses deux sœurs, Thérèse dit qu’elle avait un pré­fé­ré ; c’était pro­ba­ble­ment Rodrigue. Il avait quelques années de plus que Thérèse, et par­ta­geait sa fer­veur. Ensemble, ils lisaient la vie des Saints ! Les sup­plices que les Saintes endu­raient pour l’amour de Dieu fai­saient envie à Thérèse. « Je trou­vais, dit-​elle, qu’elles ache­taient à bon compte le bon­heur d’aller au ciel. » Une chose sur­tout frap­pait la jeune ima­gi­na­tion des deux enfants : l’éternité des châ­ti­ments et des récom­penses ! « Nous aimions à redire sans nous las­ser : quoi ! pour tou­jours, tou­jours, tou­jours ! » Et voi­ci qu’un beau matin, ils se sauvent de la mai­son pater­nelle, fran­chissent le pont de l’Adaja, et marchent droit devant eux sur la route de Salamanque ; leur des­sein est d’aller en men­diant au pays des Maures dans l’espoir de se faire cou­per la tête ! Mais à un quart de lieue d’Avila un oncle bien fâcheux les ren­contre, et les ramène à leur mère qui les gronde comme il faut. Et Rodrigue de se défendre en reje­tant la faute sur sa sœur.

— C’est la nina (la petite) qui m’a emmené !

A sept ans, Thérèse avait déjà les qua­li­tés d’un chef ! et d’un chef opi­niâtre, car le pre­mier échec ne la décou­ra­gea pas.

Sainte Thérèse part avec Rodrigue pour être mar­ty­ri­sée en Afrique, image tirée d’un caté­chisme italien

Voyant qu’il nous était impos­sible d’aller nous faire tuer pour Dieu, nous réso­lûmes de mener la vie des ermites, et dans un jar­din qu’il y avait près de chez nous, nous nous mîmes à construire de notre mieux des ermi­tages, en posant l’une sur l’autre de petites pierres qui tom­baient presque aussitôt !

Petite âme alté­rée d’infini bon­heur, et mépri­sant pour lui les pauvres biens ter­restres, jeune volon­té capable de pas­ser vive­ment des dési­rs géné­reux aux actes héroïques et d’entraîner les autres dans sa fougue ! C’est déjà le carac­tère de la grande Sainte qui s’ébauche en ces traits enfantins !

Thérèse avait envi­ron douze ans quand elle per­dit sa mère. La pauvre petite alla se jeter au pied d’une image de la Vierge, et la conju­ra de lui ser­vir désor­mais de mère. « Depuis ce moment, dit-​elle, jamais je ne me suis recom­man­dée à cette Vierge sou­ve­raine sans éprou­ver visi­ble­ment son secours. »

Adolescence.

Vint le moment où mes yeux s’ouvrirent sur les grâces de la nature ; et Dieu, disait-​on, en avait été pro­digue envers moi. J’aurais dû l’en bénir ; hélas ! je m’en ser­vis pour l’offenser, comme on va le voir par ce récit.

C’est en ces termes que la Sainte com­mence la confes­sion de ce qu’elle appelle en for­çant les mots « ses grands péchés ». Elle nous a pré­ve­nus du reste que, mal­gré ses dési­rs, on lui a com­man­dé de pas­ser sur bien des choses, car, autre­ment, elle se serait noir­cie beau­coup plus.

Elle s’accuse pre­miè­re­ment d’avoir aimé les romans de che­va­le­rie. Au XVIe siècle ils avaient grande vogue en Espagne ; et la biblio­thèque de Béatrix de Ahumada en était abon­dam­ment pour­vue. Le cœur aimant de la tendre et ardente jeune fille s’épanouit par­mi ces lec­tures. Elle dut lire avec fer­veur, comme elle fai­sait toutes choses, sous l’œil indul­gent d’une mère dont l’exemple la ras­su­rait. Mais elle se cachait de son père qui voyait avec déplai­sir ce goût exces­sif des aven­tures roma­nesques. « Je m’y livrais avec entraî­ne­ment, dit-​elle, et pour être contente, il me fal­lait un livre nou­veau I »

Deuxième « grand péché » : la coquet­te­rie. « Je com­men­çai à prendre goût à la parure, et à dési­rer plaire en parais­sant bien je n’épargnais ni les par­fums ni aucune de ces indus­tries de la vani­té pour les­quelles j’étais fort ingé­nieuse. » Toutefois le sou­ci de la véri­té l’oblige à faire cette réserve : « Je n’avais nulle mau­vaise inten­tion ; et je n’aurais vou­lu pour rien au monde faire naître en qui que ce fût la moindre pen­sée d’offenser Dieu. »

La jeune fille qui « dési­rait plaire » y réus­sit, en effet. Elle avait plu­sieurs cou­sins ger­mains de son âge ; et les jeunes cava­liers trou­vaient leur cou­sine agréable et jolie. Thérèse se reproche d’avoir pris plai­sir à cette aimable socié­té. Quelles consé­quences pou­vaient avoir de telles rela­tions pour cette ado­les­cente au cœur déli­cat et jaloux de gar­der intact son hon­neur ? Thérèse affirme sim­ple­ment qu’elle n’a jamais sen­ti le moindre attrait pour ce qui aurait pu flé­trir l’innocence et que sur divers points de sa conduite, elle avait pris les conseils de son confesseur.

Enfin, elle eut la fai­blesse de se lier inti­me­ment avec une parente fri­vole dont les pro­pos légers avaient sur elle une mau­vaise influence. « C’est la véri­té que la conver­sa­tion de cette jeune parente pro­dui­sit en moi le plus triste chan­ge­ment… Je vou­drais qu’ins­truits par mon exemple, les pères et les mères fussent d’une extrême cir­cons­pec­tion sur ce point. »

Tels sont les « grands péchés » de jeu­nesse que Thérèse pleu­ra toute sa vie… Souvent, au cours de l’histoire de sa vie, le mot de péché va reve­nir sur les lèvres de Thérèse. N’oublions pas en l’écoutant que ses humbles aveux ne sont pas à prendre à la lettre ; car plus une âme est sainte et plus elle fré­mit au moindre effleu­rement du mal.

Entrée au monastère de l’Incarnation d’Avila.

Cette effer­ves­cence de jeu­nesse ne fut pas de longue durée. Don Alonzo de Cepeda pro­fi­ta du mariage de sa fille Marie pour pla­cer Thérèse comme pen­sion­naire chez les Augustines de Notre-​Dame de Grâce. Elle avait alors seize ans. Après huit jours de nos­tal­gie pro­fonde, la jeune fille goû­ta la paix : « Je me trou­vais beau­coup plus heu­reuse dans cet asile que dans la mai­son de mon père. » Cela ne l’empêchait pas de sen­tir un « éloi­gne­ment mor­tel » pour la vie du cloître. Toutefois l’entretien d’une sainte reli­gieuse, Marie Briceno, dimi­nuait insen­si­ble­ment sa répul­sion, et fai­sait renaître en elle la pen­sée et le désir des choses éter­nelles. Peu à peu elle deve­nait sou­mise à la volon­té divine, mais elle aurait bien vou­lu que « le bon plai­sir de Dieu ne l’appelât pas à la vie religieuse ».

Sur ces entre­faites, elle tom­ba malade et pas­sa quelques jours de conva­les­cence chez son oncle Sanchez de Cepeda, qui était un grand ser­vi­teur de Dieu. A la faveur des entre­tiens qu’elle eut avec le saint homme, le néant de tous les biens qui passent lui appa­rut aus­si vive­ment que pen­dant son enfance, mais sa volon­té moins souple qu’à sept ans résis­tait à l’appel. « Alors, dit-​elle, je me déci­dai à me faire vio­lence ! » Usant de ruse contre elle-​même, elle com­men­ça par décla­rer à son père sa déter­mi­na­tion de prendre le voile, car en vraie fille cas­tillane, elle savait que rien au monde ne lui ferait reprendre sa parole don­née. Don Alonzo refu­sa son consen­te­ment. Thérèse sen­tit qu’en cédant à son père, elle se per­dait à jamais. Alors elle s’enfuit avec son frère Antoine. Antoine entra chez les Dominicains de Santo-​Tomàs, Thérèse frap­pa à la porte des Carmélites de l’Incarnation d’Avila.

On hési­ta à la rece­voir, d’abord parce qu’on ne vou­lait pas se brouiller avec don Alonzo, ensuite parce que le couvent était pauvre et que Thérèse n’apportait pas sa dot.

Après deux mois et demi de résis­tance, le père se ren­dit enfin et signa par-​devant notaire l’acte de dota­tion. Alors Thérèse put revê­tir la bure de pos­tu­lante (2 novembre 1536).

Les étapes de la sainteté.

Lorsque je reçus l’habit, le Seigneur me fit com­prendre com­bien il favo­rise ceux qui s’imposent vio­lence pour le ser­vir. A l’instant même, il ver­sa dans mon âme une si grande satis­fac­tion de mon état, que rien n’a pu l’altérer jusqu’à ce jour.

Réaction bien­fai­sante après la froide immer­sion dans la vie claus­trale que son âme appré­hen­dait si fort, dou­ceur de la paix inté­rieure à la suite d’une lutte dou­lou­reuse, assu­rance intime d’occuper enfin sa place pro­vi­den­tielle, crainte de l’enfer à tout jamais ban­nie, et par-​dessus tout l’ineffable don de la grâce de Dieu ! C’est de tous ces élé­ments de joie qu’est faite la « grande satis­fac­tion » de la petite pos­tu­lante au moment où elle pose sa san­dale sur le pre­mier degré de la voie mon­tante qui doit la con­duire aux cimes de la vie par­faite. Mais qu’elle ne s’y trompe pas ; la souf­france va la res­sai­sir, et elle sera tor­tu­rée jusqu’en haut.

Son âme était d’une essence telle qu’elle ne pou­vait pas échap­per au mar­tyre inté­rieur. Elle unis­sait à une sen­si­bi­li­té avide et fré­missante un esprit lucide et pro­fond. Quand ils ont la foi et quand sur­tout la grâce les favo­rise d’illuminations spé­ciales, des êtres aus­si riche­ment doués ne sont jamais en paix avant de jouir de Dieu. Très vite, dès sa tendre enfance, la petite Thérèse a décou­vert le men­songe des biens ter­restres. C’est fini ! elle n’en goû­te­ra jamais pai­si­ble­ment la saveur ! Que faire en ce monde ? Où pui­ser le vrai bon­heur dont son cœur est alté­ré ? A l’ombre du cloître ; c’est là qu’il jaillit du sein même de Dieu. Mais pen­dant vingt ans Dieu va lui paraître bien loin­tain et bien froid !

Je n’avais pas alors, il me semble, l’amour de Dieu… Mais une lumière me fai­sait voir le peu de valeur de ce qui doit finir et au contraire le très grand prix des biens qui s’acquièrent par cet amour, car ils sont éternels.

Les grâces d’illumination lui sont don­nées, c’est le cœur qui n’est pas rem­pli. Alors ce pauvre cœur, sevré de joies sur­na­tu­relles, s’accroche en dépit d’elle-même aux biens déli­cats mais humains dont la vie de com­mu­nau­té n’est pas avare pour une nature d’élite comme la sienne. Du reste, il faut recon­naître que le cloître d’Avila s’ouvre lar­ge­ment sur le monde. Au par­loir et dans sa petite chambre ornée joli­ment d’objets pieux, Thérèse reçoit sa famille et ses amis. On converse bien agréa­ble­ment en bro­dant les nappes d’autel, les aubes de lin et les cha­subles soyeuses. Oh ! sans doute, la langue aus­si bien que l’aiguille tra­vaille à la gloire de Dieu et des Saints. Mais quel pré­di­ca­teur est assez sur­na­tu­rel pour ne pas prê­ter l’oreille au son de sa voix quand il la sait élo­quente ? Et quelle sainte reli­gieuse peut, en les déployant dans un but d’édi­fication, res­ter elle-​même insen­sible aux charmes de son esprit et aux grâces de sa personne ?

Surtout, sur­tout, c’est le cœur de Thérèse, son cœur aimant, qui s’attache avec fer­veur à ceux qui l’admirent et qui lui témoignent de l’affection. Evidemment, son amour res­semble à son âme. Il est tou­jours très idéal et très pur. Mais elle se com­plaît exces­si­ve­ment dans cette dou­ceur d’aimer. Elle par­tage l’encens de son cœur entre Dieu et les créa­tures ; elle essaye de boire aux deux coupes.

Ainsi le sacri­fice qu’elle avait eu l’impression de consom­mer une fois pour toutes en pre­nant le voile était à recom­men­cer chaque jour. Le monde qu’elle avait cru lais­ser à la porte du cloître, le monde habi­tait en elle et par­ta­geait son cœur avec Dieu ; et elle ne se sen­tait pas la force de lui reti­rer sa part !

Torture mys­tique que seule la grâce pou­vait apaiser !

Ajoutez qu’une âme si vibrante ébran­lait à tout moment une san­té tou­jours défaillante, car Thérèse souf­frit toute sa vie de maux extra­or­di­naires ; l’enveloppe maté­rielle était comme impuis­sante à conte­nir les mou­ve­ments impé­tueux de l’esprit !

Arrive enfin l’heure de Dieu : Thérèse est âgée de qua­rante ans. Voici bien­tôt vingt ans qu’elle est au cloître, ména­geant les exi­gences du monde et celles de Dieu, remet­tant tou­jours au len­de­main le don total d’elle-même. Un jour, un Ecce Homo dépo­sé dans son ora­toire s’anime, pal­pite et saigne en sa pré­sence. Thérèse se jette aux pieds du Christ et le sup­plie de lui « accor­der une bonne fois la force de ne plus l’offenser ». La lec­ture des Confessions de saint Augustin dont elle fait son modèle achève de la déter­mi­ner à s’amender sans retard et sans retour. Elle pro­longe ses orai­sons et ses inti­mi­tés avec Notre-Seigneur.

Enfin le der­nier lien du cœur qui l’attachait ten­dre­ment à ce qu’elle appelle « les mau­vaises occa­sions », disons à ses ami­tiés exces­sives, se bri­sa à tout jamais. Dans cette cir­cons­tance très solen­nelle de sa vie écoutons-​la par­ler elle-même :

Un jour, comme j’étais res­tée long­temps en orai­son, sup­pliant le Seigneur de m’aider à le conten­ter en tout, je com­men­çai l’hymne, et pen­dant que je le disais, il me vint un ravis­se­ment si subit qu’il me tira pour ain­si dire hors de moi-​même : fait dont je ne peux abso­lu­ment pas dou­ter, car il fut très connu. C’est la pre­mière fois que le Seigneur me fit cette grâce des ravis­se­ments. J’entendis ces paroles : « Je ne veux plus que tu converses avec les hommes, mais avec les anges. »

Thérèse com­prit les exi­gences du Christ. Elle bri­sa aus­si­tôt les der­niers liens qui la rete­naient à des affec­tions trop chères. Elle eut encore des amis ; mais elle ne leur témoi­gna plus cette ten­dresse pas­sion­née, dont le Seigneur se réser­vait à lui-​même les élans impé­tueux. Alors Thérèse entra dans la pos­ses­sion de Dieu ! Le Christ la choi­sit pour épouse !

C’était le 18 novembre 1572. Thérèse allait com­mu­nier. Notre-​Seigneur lui adres­sa ces paroles : « Ne crains pas, ma fille, per­sonne ne peut te sépa­rer de moi. »

Ensuite, dit Thérèse, se mon­trant à moi, dans le plus intime de mon âme, il nie don­na sa main droite et me dit : « Regarde ce clou, c’est la marque et le gage que dès ce jour tu seras mon épouse ; jusqu’à pré­sent tu ne l’avais point méri­té : à l’avenir non seule­ment tu ver­ras en moi ton Créateur, ton Roi et ton Dieu, mais tu amas soin de mon hon­neur comme ma véri­table épouse : mon hon­neur est le tien ; ton hon­neur est le mien… » Cette grâce fut si puis­sante que j’étais comme ravie hors de moi, et dans ce trans­port, je dis au Seigneur : « Transformez ma bas­sesse ou épargnez-​moi une telle faveur ! » Il me sem­blait, en effet, qu’elle était exces­sive pour ma faible nature. Je demeu­rai ain­si tout le jour pro­fon­dé­ment ravie. Depuis lors, j’ai éprou­vé les effets mer­veilleux de cette grâce ; et, d’un autre côté, je suis plus confuse et plus affli­gée que jamais, quand je vois com­bien je suis loin d’y répondre ! »

C’en est fait : le rêve ingé­nu de la petite Thérèse, les aspi­ra­tions dou­lou­reuses de la Carmélite alté­rée d’amour infi­ni se réa­lisent dès ici-​bas. Elle jouit du bon­heur qui doit durer « tou­jours, tou­jours ». Visions, ravis­se­ments, extases deviennent ses états presque habi­tuels, faveurs mys­tiques qui loin d’énerver ses facul­tés d’action leur com­mu­niquent, au contraire, une éner­gie surhumaine.

Mariage mys­tique de sainte Thérèse

Œuvres extérieures : réforme du Carmel et fondations.

Notre-​Seigneur avait ordon­né à Thérèse de s’employer à la réforme de son Ordre selon la règle pri­mi­tive. Il lui avait pro­mis qu’il serait fidè­le­ment ser­vi dans ces nou­veaux monas­tères, et qu’il se plai­rait avec les âmes qui les habi­te­raient. La Sainte Vierge et saint Joseph étaient venus eux-​mêmes encou­ra­ger la Carmélite dans une appa­ri­tion. Malgré toutes les dif­fi­cul­tés de l’entreprise, et bien qu’il fût inouï qu’une simple femme se mêlât de réfor­mer un grand Ordre reli­gieux, Thérèse, sans rai­son­ner, sans cal­cu­ler, s’était mise à la dis­po­si­tion du divin Maître. Autorisée par ses supé­rieurs et par un bref de Pie IV, elle avait pu fon­der à Avila, au prix de tri­bu­la­tions sans nombre, le pre­mier couvent des Carmélites Déchaussées, qu’elle pla­ça sous le vocable de « son glo­rieux père saint Joseph » (27 août 1562). Ce fut en Europe la pre­mière église dédiée au saint Patriarche.

Depuis, tous les che­mins de l’Espagne l’avaient vue pas­ser, pour­sui­vant son œuvre sans relâche, cou­rant d’une ville à l’autre, sup­por­tant toutes les fatigues, sur­mon­tant tous les obs­tacles, lut­tant sans se las­ser contre les dégoûts, les dédains, la pau­vre­té, la per­sécution. Avec le concours d’un admi­rable Saint, saint Jean de la Croix, elle avait éten­du aux Carmes le bien­fait de la réforme. Jusqu’à son der­nier souffle, elle ne devait ces­ser de tra­vailler à sa pro­pa­ga­tion ; et lorsqu’enfin elle mour­ra à la tâche, faible femme sans res­sources, elle aura fon­dé trente-​deux monas­tères : dix-​sept de Carmélites et quinze de Carmes Déchaussés.

Ses miracles et ses livres.

Le Seigneur ne ces­sa de confir­mer par d’éclatants miracles la mis­sion qu’il avait don­née à sa ser­vante. Lorsqu’on bâtis­sait le pre­mier couvent de la Réforme, Saint-​Joseph d’Avila, une muraille en s’effondrant avait ense­ve­li sous ses pierres un jeune enfant, Gonzalve de Ovalle, neveu de la Sainte. Thérèse se mit aus­si­tôt en prières, prit l’enfant entre ses bras et le ren­dit vivant à sa mère.

Mais le plus grand miracle de sainte Thérèse, ce sont ses divins ouvrages. L’Eglise en a qua­li­fié sa doc­trine de céleste dans l’oraison de sa fête et elle sou­haite que tous les fidèles s’en nourrissent.

Outre tous les pré­sents de la divine muni­fi­cence dont le Tout-​Puissant vou­lut orner son épouse bien-​aimée, dit Grégoire XV, il la rem­plit encore de l’esprit d’intelligence, afin que non seule­ment elle lais­sât dans l’Eglise de Dieu les exemples de ses ver­tus, mais qu’elle l’arrosât en même temps, par autant de sources fécondes qu’elle nous a légué d’écrits sur la théo­lo­gie mys­tique et autres sujets, écrits dont les fidèles retirent les fruits les plus abon­dants, et qu’ils me sau­raient lire sans sen­tir s’allumer dans leurs âmes un désir ardent de la céleste patrie.

Elle meurt, à Albe, consumée par le divin amour.

L’obéissance l’avait conduite à Albe, mal­gré l’entier épui­se­ment de ses forces (20 sep­tembre 1582). Le jour de la fête de saint Michel, elle fit venir le P. Antoine de Jésus, et deman­da les der­niers sacre­ments. Comme il s’apprêtait à lui por­ter le Viatique, elle dit aux reli­gieuses qui l’entouraient :

— Mes filles, je vous demande pour l’amour de Dieu de gar­der fidè­le­ment les règles et consti­tu­tions de notre Ordre.

Lorsqu’elle vit entrer le Saint Sacrement dans sa cel­lule, elle vou­lut des­cendre de son lit, mais on l’en empêcha.

— Mon Seigneur est mon Epoux, dit-​elle ; le moment après lequel je sou­pi­rais avec tant d’ardeur est enfin arrivé.

Elle remer­cia Dieu de l’avoir fait naître catho­lique. On l’entendit répé­ter sou­vent : « Vous ne rejet­te­rez point, Seigneur, un cœur contrit et humi­lié. » Puis elle entra en extase, et y demeu­ra qua­torze heures, jusqu’à sa mort. Enfin, l’effort de l’amour bri­sant les der­niers liens du corps, ain­si qu’elle le révé­la à la Mère Catherine de Jésus, elle expi­ra dou­ce­ment sur les 9 heures du soir. C’était le jeu­di 4 octobre de l’an 1582. Elle était âgée de soixante-​sept ans.

L’année même où mou­rut sainte Thérèse, Grégoire XIII opé­ra la réforme du calen­drier, alors en retard de dix jours ; cette réforme était appli­cable pré­ci­sé­ment dans la nuit du 4 au 5 octobre, c’est-à-dire le jour même de la mort de la Sainte, ce qui fait que le len­demain se trou­va être le 15. Et c’est cette date qui a été choi­sie pour sa fête.

Elle fut cano­ni­sée par Grégoire XV le 12 mars 1622 ; sa fête a été éle­vée au rite double par Clément IX le 11 sep­tembre 1668.

Le cœur de sainte Thérèse, ain­si que son corps, se vénère au Carmel d’Albe de Tormes.

A. B. Sources consul­tées. — Henri Joly, Sainte Thérèse (Collection Les Saints). — Marcel Bouix, S. J., La vie de sainte Thérèse (tra­duc­tion de l’ouvrage du P. Fran­çois de Ribéra ; Paris, 1864). — Louis Bertrand, Sainte Thérèse (Paris, 1927). — (F. S. B. P., nos 123, 124, 142, 609 et 1180.)