Saint Ignace de Constantinople

Saint Ignace

Patriarche de Constantinople (799-​vers 877).

Fête le 23 octobre.

La vie de saint Ignace, qui fut patriarche de Constantinople pen­dant trente ans, nous oblige à retra­cer l’une des plus tristes pages de l’histoire ecclé­sias­tique, les ori­gines du schisme grec, qui, aujourd’hui encore, désole l’Orient et retient tant d’âmes loin des voies du salut.

Un fils d’empereur qui se fait moine.

Né à Constantinople en 799, Ignace était petit-​fils et fils d’empe­reurs, et pou­vait croire, dans ses rêves d’enfance, qu’il mon­te­rait un jour, lui aus­si, sur le trône impé­rial : pour son plus grand bien, Dieu per­mit qu’il en fût autre­ment. Une révo­lu­tion de palais for­ça Michel Rhangabé, dit le curo­pa­late, son père, à abdi­quer : le géné­ral de ses armées, Léon l’Arménien, s’étant révol­té, Michel quit­ta de lui-​même, pour évi­ter une guerre civile, la pourpre dont il n’était revê­tu que depuis un an et neuf mois. La famille impé­riale se reti­ra dans les îles des Princes, voi­sines de la capi­tale, où le nou­vel empe­reur la fit étroi­te­ment surveiller.

Soustrait ain­si par la Providence aux périls de tout genre qui l’at­tendaient à la cour, Ignace, alors âgé de qua­torze ans, embras­sa de son plein gré la vie monas­tique dans le couvent de Saint-​Satyre, et gran­dit au milieu du calme, adon­né à la lec­ture des Livres Saints, à l’étude des Pères, aux exer­cices de la pié­té, igno­rant heu­reu­se­ment les troubles de l’empire et les vicis­si­tudes qui, sur le trône, fai­saient si rapi­de­ment se suc­cé­der Léon l’Arménien, Michel le Bègue, Théophile l’infortuné, l’impératrice Théodora et Michel III, dit l’ivrogne.

Le jeune moine eut pour­tant à souf­frir des pièges ten­dus à sa foi, par un abbé d’un carac­tère violent, et qui par­ta­geait les idées des ico­no­clastes ou « bri­seurs d’images ». Mais il triom­pha des solli­citations comme des rigueurs de son supé­rieur, et sa fer­me­té à demeu­rer ortho­doxe mal­gré tout lui conquit l’estime des autres moines. A la mort de l’abbé, ceux-​ci appe­lèrent d’une com­mune voix Ignace à lui succéder.

Sa bon­té, sa sagesse, son zèle appa­rurent alors dans tout leur éclat. Sa renom­mée fran­chit l’enceinte du monas­tère, et des dis­ciples nom­breux ambi­tion­nèrent le bon­heur de vivre sous sa conduite. Son spa­cieux couvent devint trop étroit, et il fal­lut lui don­ner, sur le conti­nent et dans les îles, à Platos, à Hyatros, à Térébinthe, trois ou quatre succursales.

Des évêques exi­lés pour la bonne cause, devi­nant en lui un futur et excellent défen­seur de l’orthodoxie, l’engagèrent à rece­voir les ordres sacrés ; Ignace se ren­dit à leurs ins­tances et fut ordon­né de la main de Basile, évêque de Paros, l’un de ceux qui avaient souf­fert sous les iconoclastes.

Patriarche de Constantinople. – Les scandales de la cour.

Cependant, l’impératrice Théodora, femme de zèle et d’une grande ver­tu, cher­chait, pour le siège patriar­cal de Constantinople, un digne suc­ces­seur de saint Méthodios qui venait de mourir.

Les com­pé­ti­teurs ne man­quaient certes pas : cette digni­té, la pre­mière de l’empire, la seconde après celle du Pontife romain, était ardem­ment bri­guée. Mais Théodora ne vou­lait la confier qu’au mérite. Un homme de Dieu, saint Joannice, ermite de Bithynie, qu’elle consul­ta à cet effet, lui dési­gna Ignace comme l’élu de Dieu : les évêques, le cler­gé, le Sénat, de leur côté, pous­sés par une même ins­pi­ra­tion, applau­dirent à ce choix. L’abbé Ignace dut, en consé­quence, renon­cer à sa soli­tude et quit­ter ses frères pour être solen­nellement intro­ni­sé, mal­gré ses résis­tances, sur le siège de Constan­tinople, le 4 juillet 846.

Selon un antique usage, l’empereur, ou plu­tôt la régente, en son nom, envoya à Rome une ambas­sade, pour remettre au Pape, qui était alors saint Léon IV, le décret d’élection et prier le Pontife de bien vou­loir le ratifier.

Ignace jus­ti­fia toutes les espé­rances que les vrais catho­liques pou­vaient conce­voir de sa pro­mo­tion. Mais, dès le début, il lui faut entrer en lice pour défendre les saines doctrines.

Ses pre­miers coups atteignent la cour. Celle-​ci abri­tait, à côté de la ver­tueuse Théodora, de bien tristes per­son­nages : son fils d’abord, l’empereur Michel III, qui sem­blait avoir dans les veines le sang cor­rom­pu de ses pré­dé­ces­seurs. Malgré l’éducation soi­gnée que l’impératrice lui fit don­ner, à peine sor­ti de l’enfance il s’adonna aux jeux du cirque, fra­ter­ni­sa avec les conduc­teurs des chars et adop­ta leurs mœurs gros­sières. Puis, des­cen­dant plus bas, il orga­ni­sa en leur com­pa­gnie des cor­tèges gro­tesques dans les­quels on tour­nait en déri­sion les céré­mo­nies de l’Eglise, les chants sacrés, les pro­ces­sions saintes ; un jour de grande fête, il ne rou­git pas de par­cou­rir, à la tête de ces bouf­fons mon­tés sur des ânes, les rues de la ville.

Devant ces plai­san­te­ries d’un si mau­vais goût, les esprits bienveil­lants pou­vaient dire que c’étaient là des jeux d’enfant, et espé­rer que l’empereur, crois­sant en âge, croî­trait en sérieux. Il n’en fut rien : toute sa vie, ce triste monarque ne fut jamais qu’un cocher de cirque et un débauché.

A ses côtés, dévo­ré d’ambition, vivait le patrice ou césar Bardas, son oncle, frère de Théodora. Ce n’était pas un homme ordi­naire, homme de guerre et homme d’Etat, let­tré, élo­quent même, il eût été capable de gou­ver­ner, si ses mœurs n’avaient été déplo­rables. Il quit­ta sa femme légi­time pour vivre publi­que­ment avec sa belle-fille.

Le saint patriarche ne pou­vait tolé­rer un pareil scan­dale, d’autant plus odieux qu’il venait de plus haut. Il eut d’abord recours aux exhor­ta­tions ; mais, comme ses paroles ne pro­dui­saient aucun fruit, un jour d’Epiphanie, il écar­ta de la Table sainte le césar Bardas, qui osait se pré­sen­ter, mal­gré ses désordres recon­nus, pour y rece­voir l’Eucharistie, et il le décla­ra excommunié.

Saint Ignace chassé de son siège. – Photius.

Bardas jura au patriarche une haine à mort. Pour assou­vir sa soif de ven­geance, il lui faut d’abord se débar­ras­ser de la prin­cesse Théo­dora dont la ver­tu le gêne. Qu’à cela ne tienne : il per­sua­de­ra à l’em­pereur de lui cou­per les che­veux, de l’enfermer dans un monas­tère ; et Michel III, en fils déna­tu­ré, n’hésitera pas à infli­ger à sa mère ce trai­te­ment indigne, consi­dé­ré comme un véri­table déshonneur.

Après cet exploit, Bardas, tout-​puissant sur la volon­té du faible et per­vers empe­reur, n’eut pas de peine à arra­cher Ignace à ce trône épis­co­pal, qu’il occu­pait avec gloire depuis onze ans, et, sur une impu­ta­tion calom­nieuse, à le relé­guer dans son monas­tère de Térébinthe (23 novembre 857).

Ce n’était point assez. Pour l’exclure et le faire oublier à tout jamais, il fal­lait obte­nir sa démis­sion volon­taire. On mit tout en œuvre pour cela, mais ce fut en vain. Sans attendre davan­tage un consen­te­ment qui tar­dait trop à venir, le ministre don­na, de son auto­ri­té pri­vée et toute laïque, un suc­ces­seur au patriarche Ignace, en la per­sonne de Photios ou Photius, secré­taire d’Etat et pre­mier écuyer de l’empereur. Cet intrus sacri­lège gra­vit en six jours tous les degrés du sacer­doce : le pre­mier jour, il fut moine ; le second lec­teur ; le troi­sième, sous-​diacre ; le qua­trième, diacre ; le cin­quième, prêtre, le sixième, évêque.

Tracasseries et martyre.

Dans ce patriarche impro­vi­sé on trou­vait à la fois les plus bril­lantes qua­li­tés jointes aux ten­dances les plus per­verses ; la viva­ci­té d’esprit, des connais­sances éten­dues dans toutes les branches des sciences pro­fanes, une telle ardeur pour l’étude, qu’il y consa­crait ses nuits et qu’il se mit en peu de temps au cou­rant des sciences ecclé­sias­tiques ; une éton­nante sou­plesse, l’art de séduire par l’ai­sance de ses manières et les habi­le­tés de sa plume, une éner­gie indomp­table ; et, à côté de cela, une ambi­tion sans limites et un orgueil que rien ne put jamais bri­ser. Tel était Photius, le père du schisme grec.

A son tour, il essaya de déci­der Ignace à se démettre, sen­tant trop bien que sa propre posi­tion serait fausse, tant que le pon­tife légi­time n’aurait pas renon­cé spon­ta­né­ment à la digni­té patriar­cale. Des évêques, déjà gagnés par ses fal­la­cieuses paroles, furent envoyés en ambas­sade auprès du noble exi­lé, pour le per­sua­der de céder à l’orage par une abdi­ca­tion for­melle. Ignace savait que, s’il faiblis­sait, c’en était fait non seule­ment de son hon­neur per­son­nel, mais du bien de son Eglise. Rien ne put ébran­ler sa constance.

Photius, pour­tant, ne se tint pas pour bat­tu. Sûr de l’appui du césar Bardas, dont il était la créa­ture, il ten­ta de repré­sen­ter, auprès de l’empereur, le véné­rable évêque comme un fac­tieux et un cons­pirateur. Tout lui réus­sis­sant, il enta­ma une infor­ma­tion juri­dique, envoya à Térébinthe des sbires qui mirent inuti­le­ment à la tor­ture les gens du patriarche, pour leur extor­quer une dépo­si­tion contre celui-​ci. Ignace lui-​même com­men­ça dès lors à subir des trai­te­ments inhumains.

On le trans­por­ta à l’île d’Hière, où il fut enfer­mé quelque temps dans une étable à chèvres, puis au fau­bourg de Promète, près de Constantinople, où on le com­mit à la sur­veillance d’un fonction­naire bru­tal, qui, un jour, d’un seul coup de poing, lui bri­sa deux dents. De là, char­gé de chaînes, il fut conduit à Numère, puis à Mitylène, dans l’île de Lesbos, où il demeu­ra six mois (859). Enfin, il fut ame­né à Térébinthe ; mais ces étapes diverses ne furent pour lui que des chan­ge­ments de pri­son et les phases suc­ces­sives d’un long et dou­lou­reux martyre.

Saint Ignace de Constantinople pri­son­nier dans une étable à chèvres

Ses amis et ses par­ti­sans n’étaient guère mieux trai­tés que lui. Les évêques qui avaient refu­sé de se sépa­rer de leur métro­po­li­tain et de recon­naître l’intrus et les prêtres qui fai­saient l’éloge d’Ignace étaient empri­son­nés pêle-​mêle avec des cri­mi­nels, sou­mis à la ques­tion, char­gés de chaînes et de car­cans de fer. Un prêtre, nom­mé Biaise, qui, ne pou­vant répri­mer l’élan de sa res­pec­tueuse affec­tion pour le patriarche, s’était lais­sé aller à en dire publi­que­ment du bien, eut la langue coupée.

Toutes ces per­sé­cu­tions, renou­ve­lées de l’époque païenne, n’étaient pas sans indi­gner les habi­tants de Constantinople. Le cler­gé, les évêques, même ceux qui avaient pris le par­ti de Photius, n’étaient pas sans mani­fes­ter de la défiance. L’usurpateur le com­prit, et, comme il ne recu­lait devant aucune audace, il ima­gi­na de cher­cher à gagner à sa cause le Pontife de Rome, qui était alors saint Nicolas Ier le Grand et de lui faire rati­fier, chose inouïe ! sa propre élec­tion, contraire à toutes les lois cano­niques, et la dépo­si­tion du patriarche Ignace, pro­non­cée par lui au mépris de toute justice.

Nouveaux agissements criminels de Photius.

Dans cette entre­prise, Photius recou­rut à des pro­diges de diplo­matie frau­du­leuse, à de per­fides intrigues, aus­si odieuses que ses men­songes. Mais le Pape ne se lais­sa jamais sur­prendre ni ne consen­tit à ce que l’intrus vou­lait de lui. Il envoya à Constantinople deux légats, ayant le carac­tère épis­co­pal, avec la mis­sion d’instruire en son nom cette téné­breuse affaire : c’étaient Zacharie, d’Anagni, et Rodoalde, de Porto.

Ceux-​ci, loin d’être reçus avec les égards dus à leur rang, furent d’abord séques­trés durant trois mois et cir­con­ve­nus de telle sorte, qu’ils ne purent rien connaître de la véri­té ; et ils finirent même par se lais­ser cor­rompre ! Quinze mois plus tard, oublieux de tous leurs devoirs, ils pré­si­daient un pré­ten­du Concile de près de 320 évêques où, par suite des calom­nies de 72 faux témoins, Ignace était condam­né et dépo­sé, et son élec­tion consi­dé­rée, après onze ans, comme nulle et non avenue.

Non content de ce pre­mier suc­cès, Photius osa assi­gner à sa vic­time, pour pri­son, le tom­beau de l’infâme empe­reur Constantin Copronyme ! Dans cette salle funé­raire, trop étroite pour qu’un homme pût s’y cou­cher, le véné­rable évêque fut lais­sé quinze jours, dans une posi­tion gênante, sans som­meil et presque sans nourri­ture : alors, quand on le jugea suf­fi­sam­ment affai­bli, l’un de ses gardes lui prit la main et lui fit tra­cer de force une croix au bas d’un par­che­min encore vierge. C’était comme sa signa­ture appo­sée d’avance à une for­mule d’abdication que Photius se char­gea de fabri­quer, et qu’il envoya au trop cré­dule empereur.

Sur cet acte, qu’il crut sin­cère et authen­tique, Michel III relâ­cha le pri­son­nier, qui se reti­ra quelque temps dans une mai­son de sa mère, à Pose, pro­fi­tant de ce répit pour envoyer au Pape une rela­tion véri­dique des injus­tices dont il souf­frait et l’informer de la défec­tion de ses légats.

Cette mise en liber­té de l’ancien patriarche inquié­tait Photius qui osa pro­po­ser contre son rival les mesures sui­vantes : se sai­sir d’Ignace, exi­ger qu’il lût lui-​même, publi­que­ment, dans l’église des Apôtres, l’acte de sa renon­cia­tion ; et ensuite, lui cou­per la main et lui cre­ver les yeux, pour lui ôter tout moyen de rede­ve­nir jamais patriarche.

Fuite de saint Ignace. – Son retour à Constantinople.

Le jour de la Pentecôte, la mai­son où se cachait Ignace fut tout à coup cer­née par une troupe de sol­dats envoyés par l’intrus. Jugeant qu’il avait tout à craindre, le per­sé­cu­té revê­tit un habit d’esclave, mit sur son épaule, comme un por­te­faix, un bâton gar­ni à chaque extré­mi­té d’un panier, et, à l’aide de ce dégui­se­ment, il tra­ver­sa, la nuit, sans être recon­nu, les rangs des sol­dats, et mon­ta sur un vais­seau qui le débar­qua, de l’autre côté de la Propontide, dans une île peu fré­quen­tée, où il vécut en mendiant.

Photius le fit recher­cher acti­ve­ment dans tous les monas­tères des envi­rons de Constantinople ; plu­sieurs fois, des émis­saires vinrent jusque dans l’île où il s’était réfu­gié, pas­sèrent et repas­sèrent près de lui, sans s’en dou­ter ; à dire vrai, les mau­vais trai­te­ments qu’il avait subis l’a­vaient ren­du mécon­nais­sable ; mais aus­si la divine Provi­dence le gar­dait contre les per­qui­si­tions de ses ennemis.

Sur ces entre­faites, un hor­rible trem­ble­ment de terre secoua, pen­dant qua­rante jours, les édi­fices de Constantinople. Le peuple, effrayé, s’écria que c’était le juste châ­ti­ment de la per­sé­cu­tion infli­gée à son saint patriarche. L’empereur, le césar Bardas, Photius lui-​même prirent peur, et un décret public per­mit à Ignace de retour­ner dans son monas­tère. Il le fit, et, coïn­ci­dence mer­veilleuse, le fléau ces­sa tout aussitôt.

Le Pape rétablit saint Ignace et dépose Photius.

Saint Nicolas Ier connut enfin la véri­té. Profondément affli­gé, ce Pape ne négli­gea rien pour répa­rer le scan­dale et y mettre un terme, s’il se pou­vait. Dans un Concile, réuni à Rome en 861, la cause des légats pré­va­ri­ca­teurs, celle de Photius et celle d’Ignace, furent jugées selon l’équité. Les per­sé­cu­teurs du saint patriarche furent frap­pés d’anathème, l’intrus dépo­sé, exclu de tout hon­neur ecclé­sias­tique, pri­vé de toute fonc­tion clé­ri­cale ; sa vic­time, au contraire, vit son inno­cence pro­cla­mée et fut réta­blie dans ses droits.

Photius entra dès lors en révolte ouverte contre le Saint-​Siège. Ses vio­lences, ses impié­tés n’eurent plus de bornes ; il fal­si­fia des lettres qui venaient de Rome, il en fabri­qua lui-​même au nom du patriarche Ignace pour ache­ver de le perdre dans l’esprit de l’empe­reur ; en même temps, par une basse com­plai­sance, il applau­dis­sait à toutes les folies sacri­lèges de ce der­nier. Michel, en effet, sui­vant sa manie déjà ancienne de paro­dier les choses litur­giques, avait ima­gi­né d’imposer les mains à des gens per­dus de vices, et de les faire prêtres et évêques. Il mit à leur tête un pré­ten­du patriarche, nom­mé Théophile, et il disait à qui vou­lait l’entendre : « Théophile est mon patriarche, Photius est le patriarche de Bardas, Ignace est le patriarche des chrétiens. »

L’heure appro­chait, néan­moins, où la Providence allait inter­ver­tir les rôles et pro­cu­rer dès ici-​bas le triomphe du « juste ».

Triomphe final de saint Ignace.

Le césar Bardas, le pro­tec­teur de Photius, périt tra­gi­que­ment, mas­sa­cré par ordre de son neveu l’empereur Michel, en 866, dans une expé­di­tion contre les Sarrasins de l’île de Crète. Michel lui-​même ne tar­da pas à être, à son tour, assas­si­né, tan­dis qu’il était ivre, par son rival, Basile le Macédonien, sol­dat de for­tune qu’il avait depuis un an asso­cié au pouvoir.

Avec Basile le Macédonien, l’Eglise de Constantinople se prit de nou­veau à res­pi­rer. Celui-​ci avait vu de près les bas­sesses de Pho­tius, et n’était pas d’humeur à les sup­por­ter. Son pre­mier soin fut de relé­guer l’intrus dans le monas­tère de Scépé et de réin­té­grer avec hon­neur, sur son siège, le patriarche légi­time qui en était indi­gnement exi­lé depuis neuf ans.

Ce coup de théâtre plut au peuple, fati­gué de tant d’injustices. La sain­te­té de la vic­time avait d’ailleurs acquis, dans ses maux con­tinus, un nou­vel éclat : la sagesse de ses paroles et de ses pre­miers actes, à son retour, contras­tant si vive­ment avec les vio­lences de Photius, lui gagna sans peine l’estime et l’admiration de tous. Ce fut au milieu d’universelles accla­ma­tions qu’il ren­tra dans son église un dimanche, escor­té processionnellement.

Ces évé­ne­ments se pas­saient en octobre 867, c’est-à-dire un mois envi­ron avant la mort du saint Pape Nicolas, arri­vée le 13 novembre. Mais, étant don­nés l’éloignement et la dif­fi­cul­té des rela­tions entre Constantinople et Rome, le véné­ré Pontife ne connut qu’au ciel ce triomphe qu il avait appe­lé de ses vœux.

Le patriarche Ignace reprit ses fonc­tions et, sans perdre de temps, se pré­oc­cu­pa de remé­dier aux maux pas­sés. Usant de son plein droit, il inter­dit le minis­tère sacré non seule­ment à l’usurpateur, mais aux clercs qui avaient reçu de ses mains l’onction sacer­do­tale ou épisco­pale, et à ceux qui per­sis­taient dans sa com­mu­nion. En revanche, il par­don­na à tous les prêtres et évêques qui, séduits par les paroles arti­fi­cieuses de Photius, ou contraints par ses menaces, avaient été trom­pés et qui sol­li­ci­taient avec humi­li­té et repen­tir les péni­tences fixées par les saints canons.

Mais pour don­ner plus de poids à ces déci­sions, Ignace dési­rait un Concile solen­nel. Il l’obtint de l’empereur Basile et du Pape Adrien II, suc­ces­seur de saint Nicolas. Ce fut le hui­tième Concile œcu­mé­nique, le qua­trième tenu à Constantinople ; il s’ouvrit dès le 5 octobre 869, sous la pré­si­dence de deux légats apostoliques.

L’intrus fut cité plu­sieurs fois devant cette auguste assem­blée et invi­té à par­ler pour sa défense. Il se posa en vic­time, ne crai­gnit pas de se com­pa­rer « à Notre-​Seigneur traî­né injus­te­ment devant Hérode et Pilate », et gar­da le plus sou­vent un dédai­gneux silence. Ses ini­qui­tés n’en furent pas moins mises à nu et frap­pées d’anathème. On dit que les évêques pré­sents, pour signer l’arrêt de sa condam­nation, trem­pèrent leur plume dans le sang même de Jésus-Christ.

Comment Photius, par son extra­or­di­naire sou­plesse, se releva-​t-​il d’une sem­blable déchéance, et, en dépit des ana­thèmes dont il était acca­blé, osa-​t-​il reprendre publi­que­ment, aux yeux mêmes du patriarche saint Ignace, qui n’eut d’autre recours que d’en gémir, ses fonc­tions d’évêque, ren­trer en faveur à la cour, séduire tout l’Orient ? C’est le secret de son génie aidé par l’enfer.

Ignace, par­ve­nu à un âge avan­cé et acca­blé d’infirmités, deman­dait à Dieu d’être bien­tôt « déli­vré de ce corps de mort ». Il fut exau­cé le 23 octobre de l’année 877 ou peut-​être 878, jour où les Grecs célé­braient la fête de saint Jacques le Mineur. On pla­ça sur la dépouille mor­telle du patriarche défunt la tunique de ce saint Apôtre, envers qui il avait une grande dévo­tion, et cette tunique, venue de Jéru­salem quelques années aupa­ra­vant, fut, comme il l’avait dési­ré, enfer­mée avec lui dans son tombeau.

La véné­ra­tion du peuple était telle, que les ais sur les­quels son corps avait repo­sé furent mis en mor­ceaux, le drap qui avait recou­vert son cer­cueil déchi­ré en mille pièces, que cha­cun se dis­pu­tait, comme autant de reliques. Sa der­nière demeure fut l’église du monas­tère Saint-​Michel, qu’il avait lui-​même fon­dé sur les rives du Bosphore. Il y accom­plit des miracles.

Puisse-​t-​il être, aujourd’hui encore, du haut du ciel, l’un de ces puis­sants inter­ces­seurs qui ramè­ne­ront au ber­cail de Pierre et à l’unité de la foi les des­cen­dants de ceux qu’ont si mal­heu­reu­se­ment éga­rés l’ambition et les sophismes de Photius !

A. D.

Sources consul­tées. – Adrien Baillet, Vie des Saints (au 23 octobre). – Alban Butler, Vie des Pères, Martyrs et autres prin­ci­paux Saints (tra­duit par Godescard). – Abbé Jager, Histoire de Photius. – Rohrbacher, Darras, etc., Histoire ecclésias­tique. – R. Janin, Saint Ignace de Constantinople (dans le Dictionnaire de Théologie catho­lique). – (V. S. B. P., n° 1234.)