Lettre aux Amis et Bienfaiteurs de l'ADEC n° 32 d'avril 2018
Abbé Philippe Bourrat
Directeur de l'enseignement
D'une révolution à l'autre
La «révolution de mai 68 », comme on l'appelle depuis un demi-siècle, constitue davantage
le symbole d'une rupture sociale forte qui a ouvert la voie à une revendication individualiste durable, qu'une révolte historique marquante
comme l'ont été les révolutions de 1789, de
1830 ou de 1848.
Des restes d'un ordre social
bourgeois et encore national qui s'était lui-même
emparé du pouvoir en 1789, on est passé à une
transgression adolescente qui tient lieu d'audace, à la contestation de toute autorité et de
toute transcendance, qui donne l'illusion d'avoir
atteint l'autonomie de l'âge adulte, alors que l'on
a généralement affaire aux caprices d'enfants
gâtés. La «déconstruction des stéréotypes» imposés par la société, la «fin des tabous», la revendication des droits les plus singuliers qui caractérisent l'esprit soixante-huitard rappellent les
origines marxistes, freudiennes et existentialistes des inspirateurs du mouvement.
En ce fameux mois de mai surchauffé, on a
offert à la jeunesse plutôt chanceuse du baby
boom le luxe de jouer pour un temps dans un
monde sans adultes. L'Etat contesté pensait qu'il
fallait que jeunesse passe et finit par prendre
peur devant les activistes déterminés. L'Université discréditée dut adapter ses programmes à la montée d'une génération qui voulait des diplômes et du travail.., sans travailler. La
morale de papa fut jetée aux orties. La musique et le cinéma importés des USA faisaient rêver d'une révolution en jeans ou jupe
courte, sur fond de rock and roll.
Dans ce nouveau monde factice, il est désormais interdit
d'interdire. Le vent de la licence sexuelle balaiera la vieille morale
rigide issue d'un temps révolu. Les hommes d'Eglise avaient montré l'exemple en inventant une doctrine nouvelle lors du Concile
Vatican II, pour être
plus proche des attentes du peuple,
sans craindre de
s'éloigner de la doctrine multiséculaire
dont elle avait la
garde.
Rousseau et Marc
Sangnier avaient finalement raison.
L'homme est un
« tout parfait et solitaire(1)", il est son propre roi, libre et émancipé
de toute autorité qui ne vienne de lui. Pourtant saint Pie X, en condamnant le Sillon de Marc Sangnier en 1910, avait dénoncé l'utopie :
« Le Sillon réclame, au nom de la dignité humaine, la triple
émancipation politique, économique et intellectuelle, la cité future à
laquelle il travaille n 'aura plus de maîtres ni de serviteurs; les ci
toyens y seront tous libres, tous camarades, tous rois. Un ordre,
un précepte, serait un attentat à la liberté ; la subordination à une
supériorité quelconque serait une diminution de l'homme, l'obéissance une déchéance. (2)»
Cinquante ans après, les héritiers de mai 68 veulent réaliser
l'étape suivante, celle que leurs grands-parents n'avaient même
pas la prétention d'accomplir, dans l'agitation printanière de leurs
vingt ans. Il s'agit de réaliser une nouvelle humanité, créée de
toutes pièces par l'homme, sans autorité au-dessus d'elle, pas
même celle issue des contraintes de la nature humaine elle-même.
Le progrès des technologies permet cette « ultime transgression(3)».
Les transhumanistes, tel est leur nom, investissent des milliards
pour concevoir un homme hybride : de chair, d'os et de microprocesseurs. Le cerveau d'un ordinateur dans un corps augmenté des
puissances du numérique, choisies comme on achète des options
pour l'achat d'une voiture neuve. Avec l'idée de pouvoir être un
jour immortel.
1789 avait marqué le renversement d'un ordre politique et social soumis à l'autorité de Dieu. S'en est suivie la destruction de la
société inférieure, la famille par le divorce, la contraception et
l'avortement, l'enfant n'est plus la fin du mariage. Celui-ci devient
un simple contrat entre deux êtres qui trouvent un intérêt provisoire
à vivre ensemble, et l'enfant, une marchandise que l'on achètera
selon des critères eugéniques stricts. Avec la révolution transhumaniste, c'est la nature même de l'homme qui est visée. L'homme
rêve de ne plus dépendre de Dieu pour naître et pour vivre, mais
de l'intelligence artificielle et des technologies humaines. Sa vie
sera une recherche perpétuelle de plaisir, qui ne sera plus interrompue par la mort et ce qui y conduit. Société renversée, famille
décomposée, individu régénéré et artificiel, voilà le triptyque de
cette vaste Révolution dont mai 68 demeure un marqueur social
important.
C'est dans ce contexte révolutionnaire que la jeunesse catholique d'aujourd'hui vivra et transmettra la ferveur de sa foi. Ou pas.
Comme l'écrivait au début du XXe siècle Paul Claudel à Jacques
Rivière, à la conversion duquel il contribua:
« Ne croyez point
ceux qui vous diront que la jeunesse est faite pour s'amuser: la
jeunesse n'est point faite pour le plaisir, elle est faite pour l'héroïsme. C'est vrai, il faut de l'héroïsme à un jeune homme pour résister aux tentations qui l'entourent, pour croire tout seul à une
doctrine méprisée, pour oser faire face sans reculer d'un pouce à
l'argument, au blasphème, à la raillerie qui remplissent les livres,
lesrues et les journaux, pour résister à sa famille et à ses amis,
pour être seul contre tous, pour être fidèle contre tous. Mais « prenez courage, j'ai vaincu le monde(4)». Ne croyez pas que vous serez diminué, vous serez au contraire merviellleusement augmenté.
C'est par la vertu que l'on est un homme. La chasteté vous rendra
vigoureux, prompt, alerte, pénétrant, clair comme un coup de trompette et tout splendide comme le soleil du matin. La vie vous paraî
tra pleine de saveur et de sérieux, le monde de sens et de beauté.(5)» [3 mars 1907]
Or, pour concrétiser cette belle exhortation claudélienne, il faut
une jeunesse audacieuse et magnanime, revêtue de la vertu de force. De l'audace qui
se nourrit de la foi surnaturelle en
la grâce de
Jésus-Christ pour soulever des montagnes et
vaincre le péché, d'abord en soi-même.
On pourrait emprunter à
séquence du Lauda
Sion, de la Fête-Dieu,
une devise qui invite le jeune à louer le Sauveur non seulement
par des chants mais par une vie sainte :
"Quantum potes, tantum
aude,/ Quia maior omni Iaude,/ Nec laudare sufficis. «Ose de tout
ton pouvoir, car Il est plus grand que toute louange et à le louer tu
ne suffis pas.»
Avec l'audace, la magnanimité qui fait désirer et accomplir les
oeuvres vertueuses les plus grandes. Le magnanime n'est pas orgueilleux, dès lors qu'il sait que ce qu'il entreprend et les talents
dont il use pour servir Dieu lui viennent de Dieu lui-même.
Le programme décrit par Claudel peut-il encore enthousiasmer les petits-fils
de mai 68 ? Le courage et la loyauté des adultes qui les éduqueront, l'Espérance invincible dans le mystère de la Croix, la vie
eucharistique et mariale sont les conditions pérennes d'un idéal de
vie chrétienne pour la jeunesse du XXI° siècle. A nos jeunes de
saisir la grâce et de se laisser transformer par le Christ ressuscité
qui les appelle.
Abbé Philippe Bourrat, Directeur de l'enseignement du District de France de la FSSPX
Notes
(1) -J-J. Rousseau, Du Contrat social, Livre II, ch. 7
(2) - St Pie X, Notre charge apostolique, 1910, § 22
(3) - Dr Jean-Pierre Dickès, L'Ultime transgression, Editions de chiré, 2016 et La Fin de l'espèce humaine, Editions de Chiré, 2016.
(4) - St Jean, XVI, 33
(5) - Jacques Rivière et Paul Claudel, Correspondance 1907-1914, Libraire Pion, 1926, Livre de vie, 1963, p.35-36
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