Ainsi en a décidé le Président de la République Emmanuel Macron, par l’intermédiaire de son ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer : l’obligation de l’instruction est abaissée de six à trois ans pour s’achever à seize ans.
Annoncée comme une mesure symbolique, puisque plus de 98 % des enfants sont déjà scolarisés entre 3 et 5 ans, la loi, votée massivement avec le soutien de la droite, inscrite au Journal officiel le 28 juillet 2019, oblige donc environ 25 000 enfants supplémentaires à suivre le Socle commun de connaissances et de compétences, qui n’était obligatoire jusque-là qu’à partir du cours préparatoire.
Pourquoi une loi pour si peu d’enfants, en sachant qu’une classe d’âge représente aujourd’hui un peu moins de 700 000 individus ? La quantité négligeable d’enfants jusque-là non scolarisés pour des raisons diverses ne doit pas masquer la volonté de contrôler toujours plus les esprits qui caractérise depuis la Révolution française les pouvoirs politiques modernes.
Tout se passe comme s’il y avait un danger pour la République à ce que quelques milliers d’enfants n’entrent pas le plus tôt possible dans un système scolaire dont l’efficacité est pourtant ridiculisée par les évaluations internationales, et comme si le fait de les y intégrer de force par la loi allait améliorer les statistiques de la réussite scolaire.
Car plus on entre tôt à l’école, plus on a de chances de réussir sa scolarité : tel fut le postulat martelé par nos dirigeants pour justifier la loi. Comment expliquer alors que les 98 % d’enfants scolarisés dès trois ans produisent depuis des décennies entre 25 et 30 % d’illettrés à l’entrée en Sixième ? Qu’on se le dise, les parents qui préféraient jusque-là instruire et éduquer leurs enfants chez eux pour des motifs d’ordres divers se verront fournir par l’État le programme et les méthodes garantissant à leurs enfants une plus grande égalité des chances pour atteindre… l’échec scolaire qui touche un enfant sur quatre. C’est le droit à l’égalité des chances de rater sa scolarité.
Même pendant la Révolution française, le plan d’éducation le plus audacieux et le plus jacobin laissait au moins le temps aux mères de sevrer leur progéniture. Ainsi, le projet de loi présenté le 13 juillet 1793 par Robespierre mais rédigé par Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau (assassiné en janvier 17931), envisageait une éducation républicaine et patriotique dans des sortes d’internats destinés aux garçons et aux filles. « Je demande que vous décrétiez que, depuis l’âge de cinq ans jusqu’à douze pour les garçons, et jusqu’à onze pour les filles, tous les enfants sans distinction et sans exception seront élevés en commun, aux dépens de la République ; et que tous, sous la sainte loi de l’égalité, recevront mêmes vêtements, même nourriture, même instruction, mêmes soins. » Cependant, les premières années de l’enfant revenaient de droit aux parents, et spécialement à la mère. Le député le reconnaissait avec bon sens : « Jusqu’à cinq ans on ne peut qu’abandonner l’enfance aux soins des mères ; c’est le vœu, c’est le besoin de la nature : trop de détails, des attentions trop minutieuses sont nécessaires à cet âge ; tout cela appartient à la maternité. »
Pour obliger les familles à faire éduquer leurs enfants par les soins des écoles républicaines, le projet de loi de 1793 prévoyait néanmoins des contraintes financières et civiques : « Je demande que quiconque refusera les enfants à l’institution commune, soit privé de l’exercice des droits de citoyen pendant tout le temps qu’il se sera soustrait à remplir ce devoir civique, et qu’il paie, en outre, double contribution dans la taxe des enfants, dont je vous parlerai dans la suite. » Pour le coup, les gouvernements successifs ont gardé cette habitude et ont prévu depuis longtemps dans le Code de l’Education des sanctions financières pour les parents qui ne se soumettraient pas à l’obligation de l’instruction pour leurs enfants. Dans la nouvelle loi de juillet 2019, il est surtout prévu de durcir les contrôles de l’instruction assurée par les parents à la maison, avec, à la clé, l’obligation d’inscrire leur enfant dans une école, si, deux fois de suite, les résultats du contrôle sont jugés insuffisants par les inspecteurs.
Aujourd’hui donc, entre l’illusoire prétention de juguler l’islamisme radical devenu hors de contrôle en instruisant ses enfants dès le plus jeune âge aux valeurs d’une laïcité qu’ils ne reconnaissent pas, et l’irrépressible envie de toujours uniformiser la pensée en resserrant le contrôle des mentalités qui caractérise le socialisme et l’école d’État, on ne sait ce qui a le plus fortement motivé cette loi qui accentuera concrètement le contrôle des familles qui instruisaient leurs enfants à la maison.
Comme si, décidément, les enfants appartenaient d’abord à l’État et non à leurs parents. Une fois de plus, lorsque les Fraternelles annoncent qu’elles vont contribuer à plus d’égalité sociale, c’est toujours la véritable liberté qui régresse.
Abbé Philippe Bourrat, Directeur de l’enseignement du District de France de la FSSPX
1. Conventionnel opposé à la peine de mort, Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau vota pourtant, au procès de Louis XVI, pour la mort du roi. Cherchant à se venger sur l’un des juges de son maître, un ancien garde du corps du Roi, Pâris, poignarda Le Peletier, dans un restaurant du Palais-Royal, la veille même de l’exécution, le 20 janvier 1793. La Convention fit de la victime, au Panthéon, le premier « martyr pour la Liberté ».