Quitte à travailler de l’intérieur, ne peut-on pas garder un silence respectueux sur les erreurs modernes répandues par les autorités tout en prêchant la bonne doctrine ?
A vrai dire, le silence respectueux n’est moralement possible que pour éviter un mal pire. L’histoire de saint Pie X nous en fournit un exemple avec l’Action Française, quand il estimait qu’une condamnation était inopportune et aurait entraîné bien plus d’inconvénients que d’avantages. Or, dans le cas présent, les circonstances sont telles que l’inconvénient qui résulte du silence (la négligence pour le bien commun de la foi et le scandale pour les fidèles) est pire que l’inconvénient qui résulte de la dénonciation de l’erreur (la mise apparente au ban de la société visible de l’Eglise conciliaire).
La réponse tient donc en un mot : le bien de la foi. Le bien de la foi suppose aujourd’hui la condamnation de l’erreur pour deux raisons :
- la garder soi-même. L’expérience prouve, hélas, qu’il ne suffit pas de prêcher la vérité mais qu’il faut aussi condamner les erreurs ;
– prévenir la chute de ceux qui pourraient être tentés d’y succomber.
Ajoutons les arguments suivants qui pèsent dans la balance et montrent qu’un véritable amour de la foi ne peut se conjuguer aujourd’hui avec un respectueux silence :
1. La vérité réclame la condamnation de l’erreur : « les prédicateurs de la vérité doivent faire deux choses, à savoir exhorter selon une sainte doctrine, et vaincre la contradiction »[1] .
2. Le bien de la foi postule cette condamnation publique de l’erreur quand bien même l’autorité y tomberait : « En cas de nécessité, là où la foi est en péril, n’importe qui est tenu de faire connaître sa foi, soit pour instruire ou affermir les autres fidèles, soit pour repousser les attaques des infidèles » [2], « S’il y avait danger pour la foi, les supérieurs devraient être repris par les inférieurs, même en public. Aussi Paul, qui était soumis à Pierre, l’a-t-il repris pour cette raison »[3] .
3. La vérité est bien mieux mise en évidence par la distinction d’avec l’erreur et la condamnation de celle-ci[4] .
4. La vérité ne doit pas se cacher par peur des critiques qui existeront toujours quoi qu’il arrive : « Il vaut mieux causer du scandale que d’abandonner la vérité »[5] .
5. La politique qui consiste à rechercher seulement les passages traditionnels dans le Magistère (sorte de scanner intellectuel qui ne détecte que les passages traditionnels) est à la base la même qui soutient l’œcuménisme : ne voir que les bons aspects des religions (pour ne pas risquer de nuire à une entente qui favoriserait le rapprochement).
6. Les fondements rationnels de notre position reposent sur la trahison de Rome et l’abandon par celle-ci de la Tradition (cf. article précédent). Ne mentionner que les bons côtés de Rome conduirait petit à petit à oublier les raisons de notre combat et à retomber insensiblement dans les erreurs combattues.
7. Le meilleur service que nous puissions rendre à Rome est de ne pas nous taire sur les erreurs conciliaires et de rester ferme. Que dirait-on d’une épouse ou d’enfants qui ne préviendraient pas leur époux et père, lorsque ce dernier s’engagerait dans une voie mortelle ? Ne serait-ce pas là non de l’amour mais une lâcheté servile et cruelle ?
8. Cette clarté d’exposition et donc cette condamnation des erreurs est rendue plus nécessaire en raison de l’augmentation de la confusion dans l’Eglise et en particulier dans les milieux traditionnels. Cette confusion s’explique par :
– la pomme de discorde Ecclesia Dei qui plus de 20 ans après, ne cesse pas de réaliser son but : énerver les convictions et diviser les forces. De là.
– une palette de plus en plus variée de nuances doctrinales et donc une confusion des esprits plus grande, esprits qui ont du mal à se faire une idée, ce qui n’était pas le cas lorsque les deux « camps » étaient bien tranchés ;
– une jeunesse qui n’a pas connu les combats des vétérans, n’a pas eu à se positionner et a donc davantage besoin de précision ;
– une perte chez certains de l’habitude du combat et avec elle de réfléchir sur les raisons de celui-ci puisque la dernière crise qui remonte à 1988 avait permis de renouveler des convictions.
9. Ne mentionner que les bons côtés de Rome conduirait d’abord à croire que la crise touche à sa fin, puis dans un délai proche, à ne pas comprendre le refus des autorités de la Fraternité de conclure un accord avec Rome, et donc d’atténuer cette force de résistance.
Cela étant dit sur ce devoir critique, il reste à voir si les ralliés ont au moins conservé leurs positions de départ.
Source : Le Chardonnet n° 239 de juin 2008
- Saint Thomas d’Aquin, Comm. in 2.Cor. 2, leçon 3, n°72. [↩]
- Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, II.II.q.3, a.2, ad 2. [↩]
- Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, II.II.q.33, a.4, ad 2. [↩]
- C’est le procédé de saint Thomas qui pose les objections, l’affirmation de la vérité et la réponse aux objections. [↩]
- Saint Grégoire, Hom. 7 sur Ezéchiel.[↩]