Histoire des Sacres Épiscopaux du 30 juin 1988

I. L’annonce des sacres

Lorsque Mgr Marcel Lefebvre fonde la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X en 1969, l’âge de la retraite a déjà son­né pour l’ancien mis­sion­naire deve­nu arche­vêque de Dakar puis évêque de Tulle, et qui avait gou­ver­né durant six années la Congrégation des Pères du Saint-​Esprit. Né le 20 novembre 1905, l’archevêque qui avait par­cou­ru le monde tom­bait malade régu­liè­re­ment, rat­tra­pé par les infir­mi­tés de la vieillesse et la fatigue d’une vie toute don­née à l’Eglise. Immanquablement devait se poser la ques­tion de l’avenir de son œuvre.

Après la sus­pense a divi­nis qui le frappe en 1976, « l’évêque de fer » est bien seul. Il ne se trouve qu’un évêque du Brésil, au dio­cèse de Campos, Mgr Antonio de Castro Mayer, pour prendre publi­que­ment posi­tion à ses côtés. En 1983, ils publient ensemble un Manifeste épis­co­pal pour dénon­cer les dérives tou­jours plus graves que les erreurs ecclé­sio­lo­giques du concile Vatican II ne finissent pas de pro­vo­quer dans l’Eglise, notam­ment à l’occasion de la pro­mul­ga­tion du nou­veau Code de droit cano­nique, le 25 jan­vier 1983.

Pourtant, Mgr Lefebvre garde espoir. Le 4 juillet 1984, en conclu­sion de sa Lettre ouverte aux catho­liques per­plexes, il rédige ces lignes : « On écrit aus­si qu’après moi mon œuvre dis­pa­raî­tra, parce qu’il n’y aura pas d’évêques pour me rem­pla­cer. Je suis cer­tain du contraire, je n’ai aucune inquié­tude. Je peux mou­rir demain, le Bon Dieu a toutes les solu­tions. Il se trou­ve­ra de par le monde, je le sais, suf­fi­sam­ment d’évêques pour ordon­ner nos sémi­na­ristes. Même s’il se tait aujourd’hui, l’un ou l’autre de ces évêques rece­vrait du Saint-​Esprit le cou­rage de se dres­ser à son tour. Si mon œuvre est de Dieu, il sau­ra la gar­der et la faire ser­vir au bien de l’Eglise. Notre-​Seigneur l’a pro­mis : les portes de l’enfer ne pré­vau­dront pas contre elle (cf. Mt 16, 18).

« C’est pour­quoi je m’entête, et si vous vou­lez connaître la rai­son pro­fonde de cet entê­te­ment, la voi­ci. Je veux qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre-​Seigneur me deman­de­ra : « Qu’as-tu fait de ton épis­co­pat, qu’as-tu fait de ta grâce épis­co­pale et sacer­do­tale ? » je n’entende pas de sa bouche ces mots ter­ribles : « Tu as contri­bué à détruire l’Eglise avec les autres » ».

Pourtant, quatre ans plus tard, il sacre quatre évêques pour lui suc­cé­der et assu­rer la soli­di­té et la péren­ni­té de son œuvre de res­tau­ra­tion du sacer­doce et de pré­ser­va­tion de la Tradition. Que s’est-il passé ?

1. L’état de grave nécessité

En fait, il faut se rendre à l’évidence : la crise de l’Eglise est beau­coup plus grave qu’il n’y paraît. Le Synode de 1985 confirme la volon­té des auto­ri­tés de faire de Vatican II, vingt ans après sa clô­ture, « une réa­li­té tou­jours plus vivante ». Le cri d’alarme qu’adressent Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer à Jean-​Paul II le 31 août ne pro­duit aucun effet. Dans leur lettre com­mune, les deux pré­lats dénoncent les fruits empoi­son­nés de la décla­ra­tion conci­liaire sur la liber­té reli­gieuse : « l’indifférentisme reli­gieux des Etats, même catho­liques » ; « l’œcuménisme condam­né par le Magistère de l’Eglise, et en par­ti­cu­lier par l’encyclique Mortalium ani­mos de Pie XI » ; « toutes les réformes accom­plies depuis 20 ans dans l’Eglise pour com­plaire aux héré­tiques, aux schis­ma­tiques, aux fausses reli­gions et aux enne­mis décla­rés de l’Eglise tels que les Juifs, les com­mu­nistes et les Francs-​maçons ».

Forts des docu­ments les plus solen­nels du Magistère de l’Eglise, tels que le Symbole de saint Athanase, les conciles de Latran, de Trente et de Vatican I, du Syllabus, etc., l’archevêque fran­çais et l’évêque bré­si­lien osent écrire au suc­ces­seur de Pierre : « Très Saint Père, votre res­pon­sa­bi­li­té est gra­ve­ment enga­gée dans cette nou­velle et fausse concep­tion de l’Eglise qui entraîne le cler­gé et les fidèles dans l’hérésie et le schisme. Si le Synode, sous votre auto­ri­té, per­sé­vère dans cette orien­ta­tion, vous ne serez plus le Bon Pasteur ». Pour leur part, les auteurs de la lettre affirment qu’ils ne pour­ront « que per­sé­vé­rer dans la sainte Tradition de l’Eglise et prendre toutes les déci­sions néces­saires pour que l’Eglise garde un cler­gé fidèle à la foi catholique… »

2. Un signe de la Providence : le scandale d’Assise

L’année sui­vante est celle de la pre­mière réunion inter­re­li­gieuse à Assise, que Jean-​Paul II a pris l’initiative de convo­quer pour le 27 octobre 1986 à l’occasion de l’année mon­diale de la paix décré­tée par l’O.N.U. Mgr Lefebvre la dénonce comme une imposture.

Deux mois avant sa tenue, il écrit à huit car­di­naux pour lan­cer un appel déses­pé­ré. Il leur fait part de son indi­gna­tion puisque « c’est le pre­mier article du Credo et le pre­mier com­man­de­ment du Décalogue qui sont bafoués publi­que­ment par celui qui est assis sur le Siège de Pierre ». En effet, « si la foi dans l’Eglise, unique arche du salut, dis­pa­raît, c’est l’Eglise elle-​même qui dis­pa­raît ». Mgr Lefebvre s’élève avec force contre ces péchés publics qui ruinent la foi catho­lique en met­tant les faux cultes et les fausses reli­gions sur un pied d’égalité avec l’unique Eglise fon­dée par Jésus-​Christ, et ce dans la ville d’Assise, sanc­ti­fiée par saint François.

Ce scan­dale s’ajoute aux nom­breuses ini­tia­tives que le pape Jean-​Paul II avait prises, notam­ment en se ren­dant dans la syna­gogue de Rome le 13 avril. Depuis Buenos Aires, Mgr Lefebvre et Mgr de Castro Mayer se retrouvent ensemble et publient une décla­ra­tion, le 2 décembre 1986, dans laquelle ils fus­tigent « cette reli­gion moder­niste et libé­rale de la Rome moderne et conci­liaire » qui rompt avec le Magistère anté­rieur de l’Eglise catholique.

3. Un autre signe de la Providence : la fausse liberté religieuse justifiée

Le 9 mars 1987, le car­di­nal Joseph Ratzinger, alors Préfet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi, accuse récep­tion de l’étude sur la liber­té reli­gieuse que Mgr Lefebvre lui avait fait par­ve­nir en octobre 1985. S’en suit un échange de cor­res­pon­dance qui confirme la rup­ture entre le magis­tère nou­veau et celui de toujours.

Le 29 juin 1987, lors des ordi­na­tions sacer­do­tales à Ecône, l’archevêque annonce qu’il « est vrai­sem­blable que je me don­ne­rai des suc­ces­seurs pour pou­voir conti­nuer cette œuvre, parce que Rome est dans les ténèbres. Rome ne peut plus actuel­le­ment écou­ter la voix de la véri­té ». Sans doute voit-​il la néces­si­té de ne pas lais­ser ses sémi­na­ristes orphe­lins alors que l’œuvre a atteint une taille mon­diale. Mais sur­tout il constate l’absence totale de réac­tion des évêques du monde catho­lique qui sont tous gagnés par le moder­nisme, l’esprit d’Assise et les fausses doc­trines. Il explique que l’année qui vient de s’écouler a été une année très grave pour l’Eglise catho­lique, et qu’il y dis­cerne les signes de la Providence qu’il atten­dait « pour accom­plir les actes qui me paraissent néces­saires pour la conti­nua­tion de l’Eglise catholique ».

Il est en effet convain­cu que deux signes mani­festent clai­re­ment la volon­té de Dieu : Assise et la réponse aux objec­tions à pro­pos de la liber­té reli­gieuse. Pour Mgr Lefebvre, « cette réponse de Rome aux objec­tions que nous fai­sions sur les erreurs de Vatican II au sujet de la liber­té reli­gieuse, est plus grave qu’Assise ! Assise est un fait his­to­rique, une action. La réponse à nos objec­tions sur la liber­té reli­gieuse est une prise de posi­tion, une affir­ma­tion de prin­cipes, et c’est donc plus grave. Une chose est de faire sim­ple­ment une action grave et scan­da­leuse, autre chose est d’affirmer des prin­cipes faux, erro­nés, qui ont dans la pra­tique des conclu­sions désastreuses ».

Le 8 juillet 1987, le pré­lat adresse au car­di­nal Ratzinger une étude réfu­tant la réponse que les auto­ri­tés lui ont faite. Mgr Lefebvre fait part de son désar­roi devant cette obs­ti­na­tion à jus­ti­fier la décla­ra­tion Dignitatis huma­nae, pour­tant en fla­grante oppo­si­tion avec les docu­ments du magis­tère le plus solen­nel – le Syllabus, Quanta cura, Libertas præs­tan­tis­si­mum. Il insiste sur la res­pon­sa­bi­li­té « devant Dieu et devant l’histoire de l’Eglise » de la rup­ture opé­rée par le nou­veau magis­tère. Il conclut sa lettre en confir­mant ce qu’il a annon­cé le 29 juin à Ecône : « Une volon­té per­ti­nace d’anéantissement de la Tradition est une volon­té sui­ci­daire, qui auto­rise par le fait même les vrais et fidèles catho­liques à prendre toutes les ini­tia­tives néces­saires à la sur­vie de l’Eglise et au salut des âmes ».

Ainsi, en quelques années, Mgr Lefebvre a été conduit à revoir sa posi­tion ini­tiale. Devant l’absence de réac­tion face aux scan­dales et à l’apostasie gran­dis­sante, la pers­pec­tive de voir anéan­tir à sa mort l’œuvre de for­ma­tion et de res­tau­ra­tion du sacer­doce catho­lique qu’il a entre­prise paraît chaque jour plus pro­bable. Les signes de la Providence ont été nom­breux pour l’aider à prendre une sage déci­sion. Parmi ceux-​ci, les prin­ci­paux sont le scan­dale d’Assise en 1986, et la confir­ma­tion de la nou­velle doc­trine de la liber­té reli­gieuse en 1987.

Agé de bien­tôt 82 ans, Mgr Lefebvre a donc annon­cé au monde qu’il se dote­rait de suc­ces­seurs pour ne pas lais­ser ses sémi­na­ristes orphe­lins et afin d’assurer la péren­ni­té du sacer­doce catho­lique. De son côté, Mgr de Castro Mayer a déjà plus de 83 ans – il est né le 20 juin 1904 – et ne man­que­ra pas de s’associer à l’acte si impor­tant que s’apprête à poser l’archevêque. Mais un rebon­dis­se­ment se pro­duit lorsque le Saint-​Siège se décide à réagir.

II. Les propositions romaines

1. L’aube d’une solution

Le 28 juillet 1987, le car­di­nal Ratzinger remer­cie Mgr Lefebvre de sa lettre du 8 juillet. Il lui écrit :

« Votre grand désir de sau­ve­gar­der la Tradition en lui pro­cu­rant « les moyens de vivre et de se déve­lop­per » témoigne de votre atta­che­ment à la foi de tou­jours, mais il ne peut se réa­li­ser que dans la com­mu­nion au Vicaire du Christ à qui sont confiés le dépôt de cette foi et le gou­ver­ne­ment de l’Eglise. Le Saint-​Père com­prend votre sou­ci et le par­tage. C’est pour­quoi, en son nom, je vous trans­mets une nou­velle pro­po­si­tion, dési­rant vous don­ner ain­si une ultime pos­si­bi­li­té d’un accord sur les pro­blèmes qui vous tiennent à cœur : la situa­tion cano­nique de la Fraternité Saint-​Pie X et l’avenir de vos séminaires ».

Cette pro­po­si­tion pré­voit de doter la Fraternité d’une struc­ture juri­dique adé­quate qui per­met­tra au Saint-​Siège d’accorder des auxi­liaires. Un car­di­nal visi­teur sera nom­mé sans délai pour trou­ver une forme juri­dique satis­fai­sante. La seule condi­tion est que les supé­rieurs et membres de la Fraternité témoignent de leur révé­rence et obéis­sance au suc­ces­seur de Pierre selon les normes de la consti­tu­tion dog­ma­tique du concile Vatican II sur l’Eglise, Lumen gen­tium, au n°25. Rome se déclare prêt « à concé­der à la Fraternité sa juste auto­no­mie et à lui garan­tir la conti­nui­té de la litur­gie selon les livres litur­giques en vigueur dans l’Eglise en 1962, le droit de for­mer des sémi­na­ristes dans ses sémi­naires propres, selon le cha­risme par­ti­cu­lier de la Fraternité et l’ordination sacer­do­tale des candidats ».

Ce n’est pas rien. Bien sûr, la pro­po­si­tion a aus­si pour but d’empêcher Mgr Lefebvre de se don­ner un ou plu­sieurs auxi­liaires sans l’accord du pape et de se rendre ain­si cou­pable d’une « rup­ture défi­ni­tive », conti­nue la lettre. Le car­di­nal Ratzinger pré­vient son cor­res­pon­dant des dom­mages incal­cu­lables qu’il cau­se­rait à l’unité de l’Eglise par sa grave déso­béis­sance, et qui aurait pour consé­quence iné­luc­table la ruine de son œuvre…

Fidèle à sa conduite qui n’entend jamais pré­cé­der la Providence, de concert avec le Conseil que dirige le Supérieur géné­ral, l’abbé Franz Schmidberger, Mgr Lefebvre décide de sai­sir la main ten­due, sans illu­sion mais pas sans espérance.

2. Un petit espoir

Le 1er octobre 1987, le fon­da­teur de la Fraternité Saint-​Pie X remer­cie le car­di­nal. Il relève plu­sieurs indices qui per­mettent d’espérer « l’aube d’une solu­tion ». Mgr Lefebvre est par­ti­cu­liè­re­ment sen­sible au fait que Rome n’exige aucune décla­ra­tion préa­lable : « l’absence d’une décla­ra­tion nous fait pen­ser que nous sommes enfin recon­nus comme par­fai­te­ment catho­liques ». Il se réjouit de la visite d’un car­di­nal pour consta­ter de visu les œuvres et la vita­li­té de la Tradition. Il salue le fait que soit garan­tie la conti­nui­té de la litur­gie de 1962 et recon­nu « le droit de pour­suivre la for­ma­tion des sémi­na­ristes comme nous le fai­sons actuel­le­ment ». Il sug­gère vive­ment que le car­di­nal visi­teur soit le car­di­nal Edouard Gagnon. Le Saint-​Siège répond favo­ra­ble­ment à ce sou­hait et le car­di­nal Gagnon, Préfet de la Commission pour la famille, est nom­mé Visiteur apos­to­lique. À l’automne, entre le 11 novembre et le 9 décembre, il se rend dans plu­sieurs sémi­naires, visite les prieu­rés et les mai­sons prin­ci­pales, les écoles, ren­contre prêtres, familles et sémi­na­ristes, moines et reli­gieuses. Partout il peut appré­cier l’atmosphère pro­fon­dé­ment catho­lique qui y règne.

Le 3 octobre, lors d’un ser­mon pro­non­cé à Ecône à l’occasion du qua­ran­tième anni­ver­saire de son épis­co­pat, Mgr Lefebvre fait part de la pers­pec­tive nou­velle qui semble devoir s’ouvrir. Sans tom­ber dans « un opti­misme exa­gé­ré », « il y a un petit espoir (…) si Rome veut bien nous don­ner une véri­table auto­no­mie, celle que nous avons main­te­nant, mais avec la sou­mis­sion au Saint-​Père. Nous le vou­drions, nous avons tou­jours sou­hai­té être sou­mis au Saint-​Père. Il n’est pas ques­tion de mépri­ser l’autorité du Saint-​Père, au contraire, mais on nous a comme jetés dehors parce que nous étions tra­di­tio­na­listes. Eh bien, si, comme je l’ai sou­vent deman­dé, Rome accepte de nous lais­ser faire l’expérience de la Tradition, il n’y aura plus de pro­blème, nous serons libres de conti­nuer le tra­vail que nous accom­plis­sons – comme nous le fai­sons main­te­nant – sous l’autorité du sou­ve­rain pon­tife ». Tel est son grand désir, pour lequel il invite prêtres et fidèles à prier : « que le Bon Dieu fasse que nous puis­sions contri­buer d’une manière offi­cielle, libre et publique, à la construc­tion de l’Eglise, au salut des âmes… »

Dans cet esprit, Mgr Lefebvre adresse au car­di­nal Gagnon un impor­tant cour­rier dans lequel il lui fait des pro­po­si­tions de règle­ment canonique.

3. Oui à la reconnaissance canonique de la Fraternité, mais sans compromis avec les réformes conciliaires

Dans sa lettre accom­pa­gna­trice, datée du 21 novembre 1987, l’archevêque insiste pour que la grande famille de la Tradition puisse se déve­lop­per dans une ambiance vrai­ment catho­lique, en res­tant « atta­chée à l’Eglise romaine, atta­chée à Pierre et à ses suc­ces­seurs, mais abso­lu­ment et radi­ca­le­ment aller­gique à l’esprit conci­liaire de la liber­té reli­gieuse, de l’œcuménisme, de la col­lé­gia­li­té, à l’esprit d’Assise, fruits du moder­nisme, du libé­ra­lisme tant de fois condam­nés par le Saint-Siège ».

Dans ce contexte, Mgr Lefebvre déclare :

« Nous accep­tons volon­tiers d’être recon­nus par le pape tels que nous sommes et d’avoir un siège dans la Ville éter­nelle, d’apporter notre col­la­bo­ra­tion au renou­veau de l’Eglise ; nous n’avons jamais vou­lu rompre avec le Successeur de Pierre, ni consi­dé­rer que le Saint-​Siège est vacant, mal­gré les épreuves que cela nous a values. Nous vous sou­met­tons un pro­jet de réin­té­gra­tion et de nor­ma­li­sa­tion de nos rap­ports avec Rome ».

La pro­po­si­tion de Règlement évoque le texte conci­liaire Presbyterorum ordi­nis (n°10) puis exprime une condi­tion sine qua non :

« Si le Saint-​Siège désire sin­cè­re­ment que nous deve­nions offi­ciel­le­ment des col­la­bo­ra­teurs effi­caces pour le renou­veau de l’Eglise, sous son auto­ri­té, il est de toute néces­si­té que nous soyons reçus comme nous sommes, qu’on ne nous demande pas de modi­fier notre ensei­gne­ment, ni nos moyens de sanc­ti­fi­ca­tion, qui sont ceux de l’Eglise de toujours ».

Aussi Mgr Lefebvre demande-​t-​il que soit éri­gé un Secrétariat romain afin de favo­ri­ser les ini­tia­tives qui main­tiennent la Tradition. Ses pou­voirs auraient pour but de nor­ma­li­ser les œuvres de la Tradition en octroyant l’épiscopat à plu­sieurs de ses membres tout en favo­ri­sant une har­mo­nieuse col­la­bo­ra­tion avec les évêques diocésains.

Quant au sta­tut cano­nique de la Fraternité et des dif­fé­rentes socié­tés reli­gieuses asso­ciées, le fon­da­teur d’Ecône pro­pose de les regrou­per sous un Ordinariat, à l’image de ce qui se fait pour les mili­taires. Il réclame la levée des sanc­tions, la recon­nais­sance des Statuts de la Fraternité et de pour­voir à sa suc­ces­sion épis­co­pale. Non seule­ment Mgr Lefebvre cite un docu­ment du Concile, mais il invoque éga­le­ment les normes de la Constitution apos­to­lique Spirituali mili­tum curæ de Jean-​Paul II (21 avril 1986) pour trou­ver un cadre juri­dique qu’il juge cor­res­pondre au déve­lop­pe­ment des dif­fé­rentes congré­ga­tions et socié­tés qui fleu­rissent dans la Tradition. Enfin, il demande à ce que la juri­dic­tion des prêtres de la Fraternité sur les fidèles soit reçue de Rome par le Supérieur géné­ral, et qu’il en soit de même des autres supé­rieurs de socié­tés tra­di­tion­nelles. En conclu­sion, Mgr Lefebvre sou­haite que les consé­cra­tions épis­co­pales aient lieu avant le dimanche du Bon Pasteur, soit le 17 avril 1988.

Le car­di­nal Gagnon achève sa visite apos­to­lique au sémi­naire d’Ecône le 8 décembre, où il assiste offi­ciel­le­ment à la messe pon­ti­fi­cale que célèbre Mgr Lefebvre, pour­tant tou­jours sus­pens. Il laisse dans le livre d’or du sémi­naire une appré­cia­tion louan­geuse sur le tra­vail qui s’y accom­plit et qui devrait, selon lui, être éten­du à toute l’Eglise. Quelques mois plus tard, le 15 février 1988, le car­di­nal écrit à Mgr Lefebvre que le pape Jean-​Paul II a lu atten­ti­ve­ment son long rap­port et les pro­po­si­tions qui lui ont été remises. Il lui annonce que des cano­nistes sont en train de tra­vailler à la struc­ture cano­nique et qu’un pro­jet juri­dique et doc­tri­nal lui sera pré­sen­té « d’ici la fin d’avril ». Il invite donc son cor­res­pon­dant à la patience et, éga­le­ment, à la dis­cré­tion pour ne pas sus­ci­ter les oppo­si­tions de ceux « qui ne dési­rent pas une réconciliation ».

4. Les attentes de Mgr Lefebvre

Le 20 février, Mgr Lefebvre lui répond en lui fai­sant part de sa crainte « que la pro­cé­dure employée pour une solu­tion se pro­longe indé­fi­ni­ment et ne me mette ain­si dans l’obligation morale de pro­cé­der à des consé­cra­tions épis­co­pales sans l’autorisation du Saint-​Siège, ce qui devrait pou­voir être évi­té ». Il sug­gère que le Souverain Pontife prenne « une déci­sion même pro­vi­soire qui n’engage pas l’avenir et qui per­met­trait de faire l’expérience de l’exercice de la Tradition offi­ciel­le­ment agréé par l’Eglise. Les pro­blèmes doc­tri­naux pour­raient faire l’objet d’échanges pos­té­rieurs à la solu­tion cano­nique, sinon nous nous retrou­ve­rons au point de départ ». Enfin, il espère pou­voir prendre connais­sance du rap­port du car­di­nal Gagnon, et qu’il n’en sera pas frus­tré comme lors de la visite du sémi­naire d’Ecône par trois car­di­naux en 1974.

A sa lettre au car­di­nal Gagnon, l’archevêque joint un cour­rier adres­sé au Saint Père. Il y exprime la pro­fonde satis­fac­tion que la visite car­di­na­lice a cau­sée. Il pro­pose à Jean-​Paul II une solu­tion pro­vi­soire pour ne pas déce­voir l’espoir qui est né. Pour cela, « il appa­raît exclu de reprendre les pro­blèmes doc­tri­naux immé­dia­te­ment ; c’est reve­nir au point de départ et reprendre les dif­fi­cul­tés qui durent depuis 15 ans. L’idée d’une com­mis­sion inter­ve­nant après le règle­ment juri­dique est la plus conve­nable si l’on veut trou­ver réel­le­ment une solu­tion pratique ».

Concrètement, il demande que la Fraternité Saint-​Pie X soit recon­nue « de droit pon­ti­fi­cal » et que soit éta­blie à Rome une com­mis­sion pré­si­dée par un car­di­nal pro­tec­teur. Cet orga­nisme régle­rait « tous les pro­blèmes cano­niques de la Tradition et entre­tien­drait les rela­tions avec le Saint Siège, les dicas­tères et les évêques ». Mgr Lefebvre demande un accord de prin­cipe pour pré­sen­ter au car­di­nal Gagnon les noms des futurs évêques dont la consé­cra­tion « appa­raît indis­pen­sable et urgente ». Il insiste : « étant don­né mon âge et ma fatigue. Voilà deux ans que je n’ai pas fait les ordi­na­tions au sémi­naire des Etats-​Unis (…), je n’ai plus la san­té pour tra­ver­ser les océans. C’est pour­quoi je sup­plie votre Sainteté de résoudre ce point avant le 30 juin de cette année ». Il pré­cise que les évêques, « tou­jours choi­sis par­mi les prêtres de la Tradition », auraient une juri­dic­tion sur les per­sonnes au lieu d’une juri­dic­tion ter­ri­to­riale. Enfin, il demande l’exemption vis-​à-​vis de la juri­dic­tion des Ordinaires des lieux, tout en cher­chant à ce que de bonnes rela­tions puissent s’instaurer. Pour cela, les supé­rieurs d’œuvres tra­di­tion­nelles feront des rap­ports sur leurs acti­vi­tés auprès de l’Ordinaire, sans être « tenus à deman­der une auto­ri­sa­tion » pour fon­der un nou­veau centre. En conclu­sion, Mgr Lefebvre résume sa posi­tion de tou­jours : « Nous serions très heu­reux de renouer des rela­tions nor­males avec le Saint-​Siège, mais sans chan­ger, en quoi que ce soit, ce que nous sommes ; car c’est ain­si que nous sommes assu­rés de demeu­rer enfants de Dieu et de l’Eglise romaine ».

Du Canada, le 11 mars, le car­di­nal Gagnon informe Mgr Lefebvre qu’un pro­jet devrait lui être pré­sen­té à la mi-​avril. Le car­di­nal Ratzinger, le 18 mars, pro­pose une ren­contre entre des experts (un théo­lo­gien et un cano­niste) avant de prendre des déci­sions définitives.

III. Le protocole du 5 mai 1988

La ren­contre des experts a lieu du mar­di 12 avril au jeu­di 14 avril 1988 à Rome. En pré­sence du Père Benoît Duroux o.p., qui joue le rôle de modé­ra­teur, don Fernando Ocariz, théo­lo­gien, et don Tarcisio Bertone, cano­niste, font face à l’abbé Bernard Tissier de Mallerais, théo­lo­gien, et Patrice Laroche, cano­niste. Les bases d’un accord sont défi­nies et immé­dia­te­ment sou­mises à Mgr Lefebvre. Celui-​ci ne cache pas son conten­te­ment. Dès le 15 avril, à la lec­ture du procès-​verbal éta­bli par le Père Duroux, il écrit d’Albano au car­di­nal Ratzinger qu’il est très heu­reux que « nous nous ache­mi­nions vers un accord ».

Mgr Lefebvre se féli­cite de l’érection de la Fraternité Saint-​Pie X comme Société de vie apos­to­lique de droit pon­ti­fi­cal, jouis­sant d’une pleine auto­no­mie et capable de for­mer ses membres, d’incardiner ses clercs et d’assurer la vie com­mune de ses membres. De plus, selon les termes du procès-​verbal qui ser­vi­ra de pro­to­cole d’accord, Rome accorde « une cer­taine exemp­tion par rap­port aux évêques dio­cé­sains pour ce qui concerne le culte public, la cura ani­ma­rum et les autres acti­vi­tés apos­to­liques ». La juri­dic­tion à l’égard des fidèles sera confé­rée soit par les Ordinaires des lieux soit par le Siège apos­to­lique. Une Commission romaine sera consti­tuée par les soins du Saint-​Siège, et seule­ment « un ou deux membres appar­te­nant à la Fraternité » y siè­ge­ront. Le docu­ment men­tionne enfin que, « au niveau pra­tique et psy­cho­lo­gique, on envi­sage l’utilité de la consé­cra­tion d’un évêque membre de la Fraternité ». Les pro­po­si­tions de Mgr Lefebvre ont été pour l’essentiel entendues.

Aussi se réjouit-​il vive­ment, dans sa lettre au car­di­nal Ratzinger, d’avoir enfin un suc­ces­seur dans l’épiscopat. Mais, observe-​t-​il, « un seul évêque aura bien de la peine à suf­fire à la tâche, ne serait-​il pas pos­sible d’en avoir deux, ou au moins qu’il soit pré­vu la pos­si­bi­li­té d’en aug­men­ter le nombre d’ici six mois ou un an ? » Il glisse éga­le­ment une idée pro­mise à un bel ave­nir : à l’occasion de cet accord, « ne serait-​il pas sou­hai­table que soit accor­dée à tous les évêques et les prêtres la pos­si­bi­li­té d’utiliser les Livres litur­giques de Jean XXIII ? » Il fau­dra attendre presque vingt ans pour que soit recon­nu à tous les prêtres du monde catho­lique le droit d’utiliser la litur­gie d’avant le Concile

1. La signature

Enfin, Mgr Lefebvre accepte le prin­cipe et la teneur d’une courte décla­ra­tion doc­tri­nale, bien qu’à l’origine il n’en fut pas ques­tion. Il en envoie le texte le jour même, 15 avril 1988. C’est, à quelques détails près, ce même texte qu’il vien­dra signer trois semaines plus tard à Rome, le 5 mai. Il consiste en cinq points :

1 – « Nous pro­met­tons d’être tou­jours fidèles à l’Eglise catho­lique et au Pontife romain, son Pasteur suprême, Vicaire du Christ, Successeur du bien­heu­reux Pierre dans sa pri­mau­té et Chef du corps des évêques ;

2 – « Nous décla­rons accep­ter la doc­trine conte­nue dans le numé­ro 25 de la Constitution dog­ma­tique Lumen gen­tium du Concile Vatican II sur le Magistère ecclé­sias­tique et l’adhésion qui lui est due ;

3 – « A pro­pos de cer­tains points ensei­gnés par le concile Vatican II ou concer­nant les réformes pos­té­rieures de la litur­gie et du droit qui nous paraissent dif­fi­ci­le­ment conci­liables avec la Tradition, nous nous enga­geons à avoir une atti­tude posi­tive d’étude et de com­mu­ni­ca­tion avec le Siège apos­to­lique, en évi­tant toute polémique ;

4 – « Nous décla­rons en outre recon­naître la vali­di­té du Sacrifice de la Messe et des Sacrements célé­brés avec l’intention de faire ce que fait l’Eglise et selon les rites indi­qués dans les édi­tions typiques du Missel romain et des Rituels des Sacrements pro­mul­gués par les papes Paul VI et Jean-​Paul II ;

5 – « Enfin nous pro­met­tons de res­pec­ter la dis­ci­pline com­mune de l’Eglise et les lois ecclé­sias­tiques, spé­cia­le­ment celles conte­nues dans le Code de Droit cano­nique pro­mul­gué par le pape Jean-​Paul II, res­tant sauve la dis­ci­pline spé­ciale concé­dée à la Fraternité par une loi particulière ».

Entre le 15 avril et le 5 mai, Mgr Lefebvre estime avoir obte­nu un bon accord et assu­ré la sta­bi­li­té et la péren­ni­té de son œuvre. Enthousiaste, il écrit à l’un de ses prêtres le 20 avril que les pour­par­lers « semblent s’orienter vers une solu­tion accep­table qui nous accor­de­rait ce que nous avons tou­jours deman­dé. Il est dif­fi­cile de ne pas voir l’action de Notre-​Dame de Fatima dans ce recul de Rome. Je dois bien­tôt me rendre à Rome pour signer les accords défi­ni­tifs, si rien n’est chan­gé à ce qui a été conclu la semaine dernière ».

C’est ain­si qu’il par­ti­cipe le 4 mai à un ultime col­loque à Albano, près de Rome, et qu’il signe le 5 mai la décla­ra­tion du pro­to­cole d’accord, en la fête de saint Pie V. Le jour même, il écrit au pape Jean-​Paul II pour le remer­cier des ini­tia­tives qu’il a bien vou­lu prendre et qui « ont abou­ti à une solu­tion accep­table de part et d’autre ». Le docu­ment qu’il vient de signer pour­rait, estime-​t-​il, « être le point de départ des dif­fé­rentes mesures qui nous ren­draient la léga­li­té dans l’Eglise : la recon­nais­sance légale de la Fraternité comme socié­té de droit pon­ti­fi­cal, l’utilisation des livres litur­giques de Jean XXIII, la consti­tu­tion d’une Commission romaine et autres mesures indi­quées dans le pro­to­cole d’accord ». Tout reste encore à faire. Il assure le Souverain Pontife que « les membres de la Fraternité, et toutes les per­sonnes qui lui sont mora­le­ment unies, se réjouissent de l’accord, et en rendent grâces à Dieu et à Vous-même ».

Un com­mu­ni­qué de presse est pré­pa­ré pour le 7 mai, ain­si qu’une nou­velle lettre au pape pour entrer dans le détail des pro­chaines étapes. Mais après une mau­vaise nuit, le len­de­main, ven­dre­di 6 mai, Mgr Lefebvre se rétracte. Que s’est-il passé ?

2. Un malaise, une déception, des demandes d’éclaircissement

Jusqu’au bout, Mgr Lefebvre a cru qu’il pou­vait signer ce texte et faire confiance à ses inter­lo­cu­teurs pour obte­nir au moins un suc­ces­seur et garan­tir la péren­ni­té de son œuvre. Le point essen­tiel est d’obtenir si pos­sible une ou des consé­cra­tions épis­co­pales avec l’autorisation du Saint-​Siège. Le pro­to­cole d’accord que Mgr Lefebvre accepte de signer le 5 mai 1988 pré­voit que « pour des rai­sons pra­tiques et psy­cho­lo­giques, appa­raît l’utilité de la consé­cra­tion d’un évêque membre de la Fraternité » (n°5, 2). Aucune date n’est pré­vue. Mais sur­tout, au moment de la signa­ture du pro­to­cole, le car­di­nal Ratzinger remet à Mgr Lefebvre une lettre, datée du 28 avril 1988, qui sème le trouble et la décep­tion dans l’esprit de l’homme d’Eglise.

Dans cette lettre, le Préfet de la Congrégation pour la doc­trine de la foi écrit que la nomi­na­tion d’un évêque « ne pour­rait tou­te­fois pas inter­ve­nir dans l’immédiat, ne serait-​ce qu’en rai­son de l’établissement et de l’examen des dos­siers ». Or, on l’a vu, Mgr Lefebvre tient beau­coup à ce que l’on ne tarde plus. Lors des dis­cus­sions de la mi-​avril à Rome, il a été deman­dé que cette consé­cra­tion épis­co­pale d’un prêtre issu de la Fraternité puisse inter­ve­nir dans un délai très proche, comme il l’avait men­tion­né dans sa lettre à Jean-​Paul II, le 20 février pré­cé­dent. L’urgence de la nomi­na­tion d’un suc­ces­seur est d’abord moti­vée par « le grand âge de Mgr Lefebvre et l’épuisement phy­sique qu’il res­sent depuis quelques mois » (Note au sujet de l’épiscopat dans la Fraternité, annexée au procès-​verbal du 15 avril 1988). Ce qui a été accor­dé du bout des doigts (« l’utilité de la consé­cra­tion d’un évêque ») est remis à une date inconnue.

On com­prend donc pour­quoi Mgr Lefebvre écrit dès le 6 mai au car­di­nal Ratzinger ces lignes qui en disent long sur son état d’esprit :

« Hier, c’est avec une réelle satis­fac­tion que j’ai appo­sé la signa­ture au pro­to­cole éla­bo­ré les jours pré­cé­dents. Mais vous avez pu vous-​même consta­ter la pro­fonde décep­tion à la lec­ture de la lettre que vous m’avez remise m’apportant la réponse du Saint Père au sujet de la consé­cra­tion épis­co­pale. Il m’est pra­ti­que­ment deman­dé de repor­ter la consé­cra­tion à une date ulté­rieure non fixée. Ce serait la qua­trième fois que je remet­trais la date de la consé­cra­tion à plus tard. La date du 30 juin a été bien indi­quée dans une de mes lettres pré­cé­dentes, comme étant la date limite. Je vous ai remis un pre­mier dos­sier concer­nant les can­di­dats. Et il reste encore près de deux mois pour éta­blir le man­dat. Etant don­né les cir­cons­tances par­ti­cu­lières de ces pro­po­si­tions, le Saint Père peut faci­le­ment allé­ger la pro­cé­dure pour que le man­dat nous soit com­mu­ni­qué à la mi-​juin. Si la réponse était néga­tive, je me ver­rais en conscience obli­gé de pro­cé­der à la consé­cra­tion, m’appuyant sur l’agrément don­né par le Saint-​Siège dans le pro­to­cole pour la consé­cra­tion d’un évêque membre de la Fraternité ».

L’archevêque fait état des réti­cences romaines expri­mées tant ora­le­ment que par écrit, qui contrastent avec l’attente des prêtres et des fidèles qui ne com­pren­draient pas un nou­veau délai, et qui vivent dans l’attente « d’avoir de vrais évêques catho­liques leur trans­met­tant la vraie foi et leur com­mu­ni­quant d’une manière cer­taine les grâces du salut auquel ils aspirent pour eux et pour leurs enfants ». Il conclut en expri­mant « l’espoir que cette requête ne sou­lè­ve­ra pas un obs­tacle irré­duc­tible à la récon­ci­lia­tion en cours ».

Le jour même, le car­di­nal Ratzinger sur­soit la publi­ca­tion du com­mu­ni­qué de presse et demande à Mgr Lefebvre de recon­si­dé­rer sa posi­tion, esti­mant que ses inten­tions concer­nant la consé­cra­tion épis­co­pale d’un membre de la Fraternité le 30 juin sont en contraste très net avec ce qui a été accep­té dans le pro­to­cole. Bref, il chi­cane et veut igno­rer les demandes plu­sieurs fois expri­mées d’assurer au fon­da­teur d’Ecône une suc­ces­sion épis­co­pale. Celui-​ci s’en retourne, déçu.

3. « On veut nous mener en bateau »

Lors de la confé­rence de presse qu’il tien­dra à Ecône le 15 juin, il révè­le­ra cer­tains aspects des dis­cus­sions de ces jours-là.

Mgr Lefebvre : « D’ici le 30 juin vous avez le temps de pré­pa­rer, de faire une enquête et de me don­ner le mandat…

Cardinal Ratzinger : « Ah ! non, non, non, c’est impos­sible ; le 30 juin, impossible.

– Alors quand ? Le 15 août ? À la fin de l’année mariale ? Ah ! non, non, non, Monseigneur. Vous savez bien, le 15 août à Rome il n’y a plus per­sonne. Du 15 juillet au 15 sep­tembre ce sont les vacances, il ne faut pas comp­ter sur le 15 août, ce n’est pas possible.

– Alors disons le 1er novembre, la Toussaint ?

– Ah ! je ne sais pas, je ne peux pas vous le dire.

– Pour Noël ?

– Je ne peux pas vous le dire ».

Le sen­ti­ment géné­ral, dira Mgr Lefebvre, est qu’on veut « le mener en bateau ». Il perd confiance et ne croit plus aux pro­messes et aux assu­rances de ses inter­lo­cu­teurs… Il a aus­si l’impression qu’on abuse de ses forces, alors que les pré­pa­ra­tifs vont bon train à Ecône.

4. De nouvelles exigences de Rome

Le 17 mai, le car­di­nal Ratzinger remet à l’abbé Emmanuel du Chalard, inter­mé­diaire sur place de Mgr Lefebvre, un pro­jet de lettre « plus conforme aux exi­gences du style de la Curie romaine ».

En fait, la lettre que l’archevêque a adres­sée au pape Jean-​Paul II le 5 mai ne suf­fit plus. Il faut encore qu’il « demande hum­ble­ment par­don de tout ce qui, mal­gré [sa] bonne foi, a pu cau­ser du cha­grin au Vicaire du Christ ». Il doit sur­tout se conten­ter de sug­gé­rer, « sans exi­ger aucune date » (« sen­za esi­gere alcu­na data »), qu’un évêque soit sacré pour lui suc­cé­der. Voici les termes mêmes de la lettre défi­ni­tive qu’il est prié d’envoyer au Saint Père :

« Je sais bien que la régu­la­ri­sa­tion cano­nique de la Fraternité ne pré­voi­ra pas, parce qu’elle n’est pas néces­saire en elle-​même, l’ordination d’un évêque qui puisse prendre ma place. Cependant, en rai­son sur­tout de la néces­si­té pra­tique d’un évêque qui célèbre les fonc­tions pon­ti­fi­cales selon les rites anté­rieurs à la réforme litur­gique, je serais très heu­reux si Votre Sainteté nom­mait un évêque qui, en ce sens, pour­rait me succéder ».

La lettre doit être humble et sans condi­tion, de sorte que le pape puisse plus faci­le­ment accor­der ce qui lui est deman­dé. Une nou­velle fois, ce qui a été accor­dé du bout des doigts n’en finit plus de faire l’objet de chi­cane et d’atermoiement.

De plus, l’abbé du Chalard ayant confir­mé l’intention du fon­da­teur d’Ecône de sacrer trois évêques au 30 juin, le car­di­nal lui demande de trans­mettre une invi­ta­tion à reve­nir à Rome. Une nou­velle ren­contre est alors pré­vue pour le 24 mai.

IV. Dans l’attente du retour de Rome à la Tradition

Depuis Ecône, Mgr Lefebvre pré­pare une lettre au pape [NDLR de LPL : lettre du 20 mai 1988]. Il y dresse le constat « qu’une grave dif­fi­cul­té sur­git à l’occasion de l’épiscopat accor­dé à la Fraternité pour me suc­cé­der dans ma fonc­tion épis­co­pale ». Il com­prend que, du côté du Saint-​Siège, la ques­tion de l’épiscopat est « source d’appréhensions et de sou­cis », « qui pro­voquent des délais, des réponses éva­sives (…) depuis plus d’un an ». Tout est prêt pour le 30 juin, date ultime :

« Les accords sont signés, les noms des can­di­dats sont pro­po­sés. Si le car­di­nal Ratzinger a un emploi du temps trop char­gé pour pré­pa­rer les man­dats, le car­di­nal Gagnon pour­rait peut-​être s’en char­ger. Très Saint Père, veuillez mettre un terme à ce dou­lou­reux problème… »

Une fois encore, le pré­lat explique com­ment le renou­veau serait obte­nu si le pape don­nait à l’Eglise « des évêques libres de faire revivre la foi et la ver­tu chré­tienne par les moyens que Notre-​Seigneur a confiés à son Eglise pour la sanc­ti­fi­ca­tion des prêtres et des fidèles. Seul, un milieu entiè­re­ment déga­gé des erreurs modernes et des mœurs modernes peut per­mettre ce renou­veau ». Il ne tient qu’au pape de déve­lop­per, par ses déci­sions, un tel milieu réno­vé. Ce serait le moyen de pro­cu­rer à l’Eglise, avec la grâce de Dieu « une nou­velle jeu­nesse » qui « trans­for­me­ra la socié­té païenne en socié­té chrétienne ».

1. Retour au Palais du Saint-Office

Le 24 mai, Mgr Lefebvre est à Rome où il ren­contre le car­di­nal Ratzinger et ses secré­taires. Il lui remet sa lettre au pape et une autre lettre, celle-​ci adres­sée au car­di­nal, rédi­gée le jour-​même. Dans ce cour­rier daté du 24 mai, il revient sur ce qu’il lui écri­vait le 6 mai, au len­de­main de la signa­ture qu’il avait appo­sée à la décla­ra­tion doc­tri­nale. « A la réflexion, lui confie-​t-​il, il nous appa­raît clai­re­ment que le but des col­loques et de la récon­ci­lia­tion est de nous réin­té­grer dans l’Eglise conci­liaire, l’unique Eglise à laquelle vous nous fai­siez allu­sion dans les entre­tiens ». Il y a méprise, puisque « nous pen­sions que vous nous don­ne­riez les moyens de conti­nuer et de déve­lop­per les œuvres de la Tradition, spé­cia­le­ment en me don­nant quelques coad­ju­teurs, au moins trois, et en don­nant aus­si dans l’organisme romain une majo­ri­té à la Tradition ». Car il s’agit tou­jours de se main­te­nir « en dehors de toute influence pro­gres­siste et conci­liaire ». Mgr Lefebvre n’a pas varié sur ce point. Dès le début des négo­cia­tions, un an plus tôt, il avait cru pou­voir tra­vailler offi­ciel­le­ment en étant recon­nu tel quel, sans avoir à adop­ter les nou­veau­tés de Vatican II.

Finalement, Mgr Lefebvre reprend les choses en main :

« C’est pour­quoi, à notre grand regret, nous nous voyons obli­gés de vous deman­der qu’avant la date du 1er juin vous nous indi­quiez clai­re­ment quelle sont les inten­tions du Saint-​Siège sur ces deux points : consé­cra­tion des trois évêques pos­tu­lés pour le 30 juin et majo­ri­té des membres de la Tradition dans la Commission romaine. Sans réponse sur ces requêtes, je pro­cè­de­rai à la publi­ca­tion des noms des can­di­dats que je consa­cre­rai le 30 juin avec le concours de S. Exc. Mgr de Castro Mayer. Ma san­té, les néces­si­tés apos­to­liques pour la crois­sance de nos œuvres, ne per­mettent plus de délais supplémentaires ».

Au cours de l’entretien, le car­di­nal fait allu­sion à la date du 15 août, sans répondre aux autres pro­blèmes en sus­pens. Une semaine plus tard, Mgr Lefebvre est au Pointet, près de Vichy, pour infor­mer les res­pon­sables des dif­fé­rentes com­mu­nau­tés et leur expo­ser les tenants et abou­tis­sants de ce que Rome appelle une « récon­ci­lia­tion ». Il parle de sacrer désor­mais quatre évêques et de la pro­messe de Mgr de Castro Mayer de venir à Ecône pour l’assister dans cet acte si important.

Le même jour, 30 mai, le car­di­nal Ratzinger écrit à Mgr Lefebvre pour lui faire part de la réponse de Jean-​Paul II à sa lettre du 20 mai et de la sienne à sa lettre du 24 mai. Sur la ques­tion de la Commission romaine, il est répon­du qu’il convient de s’en tenir aux termes – pour­tant vagues – du pro­to­cole et que le Saint-​Père sau­ra nom­mer les per­sonnes qu’il faut. Sur la ques­tion de la consé­cra­tion épis­co­pale, il est répon­du que le pape est dis­po­sé à nom­mer un évêque membre de la Fraternité, « et à faire accé­lé­rer le pro­ces­sus habi­tuel de nomi­na­tion, de manière à ce que la consé­cra­tion puisse avoir lieu pour la clô­ture de l’Année Mariale le 15 août pro­chain ». Le car­di­nal Ratzinger demande enfin à Mgr Lefebvre de renon­cer à ordon­ner trois évêques le 30 juin, bien qu’il l’ait déjà publi­que­ment annon­cé. C’est la pre­mière fois que Rome pro­pose une date pré­cise, après avoir expli­qué qu’au 15 août, en pleines vacances, c’était impos­sible. Mais il est trop tard. Mgr Lefebvre est fati­gué de tant d’atermoiement et d’obtenir si peu après tant d’efforts. Cela fait déjà plu­sieurs semaines que le lien de confiance ne tient qu’à un fil.

2. La rupture du processus de réconciliation

Mgr Lefebvre tire les consé­quences immé­dia­te­ment du cour­rier du car­di­nal Ratzinger. Le 2 juin, il écrit au Saint-​Père une lettre dans laquelle il se déclare convain­cu, au terme des échanges qui se sont tou­jours pas­sés « dans une atmo­sphère de cour­toi­sie et de cha­ri­té », que « le moment d’une col­la­bo­ra­tion franche et effi­cace n’était pas encore arrivé ».

Il rap­pelle le bien-​fondé de son entre­prise, qui demeure visi­ble­ment incom­pris de la part des auto­ri­tés romaines :

« si tout chré­tien est auto­ri­sé à deman­der aux auto­ri­tés com­pé­tentes de l’Eglise qu’on lui garde la foi de son bap­tême, que dire des prêtres, des reli­gieux, des reli­gieuses ? ». Or, « c’est pour gar­der intacte la foi de notre bap­tême que nous avons dû nous oppo­ser à l’esprit de Vatican II et aux réformes qu’il a ins­pi­rées. Le faux œcu­mé­nisme, qui est à l’origine de toutes les inno­va­tions du Concile, dans la litur­gie, dans les rela­tions nou­velles de l’Eglise et du monde, dans la concep­tion de l’Eglise elle-​même, conduit l’Eglise à sa ruine et les catho­liques à l’apostasie ».

Dès lors que nous sommes, explique Mgr Lefebvre, « radi­ca­le­ment oppo­sés à cette des­truc­tion de notre foi, et réso­lus à demeu­rer dans la doc­trine et la dis­ci­pline tra­di­tion­nelle de l’Eglise, spé­cia­le­ment en ce qui concerne la for­ma­tion sacer­do­tale et la vie reli­gieuse, nous éprou­vons la néces­si­té abso­lue d’avoir des auto­ri­tés ecclé­sias­tiques qui épousent nos pré­oc­cu­pa­tions et nous aident à nous pré­mu­nir contre l’esprit de Vatican II et l’esprit d’Assise.

« C’est pour­quoi nous deman­dons plu­sieurs évêques, choi­sis dans la Tradition, et la majo­ri­té des membres dans la Commission romaine, afin de nous pro­té­ger de toute com­pro­mis­sion. Etant don­né le refus de consi­dé­rer nos requêtes, et étant évident que le but de cette récon­ci­lia­tion n’est pas du tout le même pour le Saint-​Siège que pour nous, nous croyons pré­fé­rable d’attendre des temps plus pro­pices au retour de Rome à la Tradition.

« C’est pour­quoi nous nous don­ne­rons nous-​mêmes les moyens de pour­suivre l’œuvre que la Providence nous a confiée, assu­rés par la lettre de Son Eminence le car­di­nal Ratzinger datée du 30 mai, que la consé­cra­tion épis­co­pale n’est pas contraire à la volon­té du Saint-​Siège, puisqu’elle est accor­dée pour le 15 août. Nous conti­nue­rons de prier pour que la Rome moderne, infes­tée de moder­nisme, rede­vienne la Rome catho­lique et retrouve sa Tradition bimil­lé­naire. Alors le pro­blème de la récon­ci­lia­tion n’aura plus de rai­son d’être et l’Eglise retrou­ve­ra une nou­velle jeunesse ».

3. L’intervention du pape Jean-​Paul II

La réac­tion romaine est sem­blable à celle des années 1975–1976, lorsque le pape Paul VI se déci­dait à prendre lui-​même la plume. Le 9 juin, Jean-​Paul II adresse à Mgr Lefebvre une lettre solen­nelle. Il revient aux solu­tions aux­quelles avait abou­ti l’accord du 5 mai : « elles per­met­taient à la Fraternité Saint-​Pie X d’exister et d’œuvrer dans l’Eglise en pleine com­mu­nion avec le Souverain Pontife, gar­dien de l’unité dans la Vérité. Pour sa part, le Siège Apostolique ne pour­sui­vait qu’un seul but dans ces conver­sa­tions avec vous : favo­ri­ser et sau­ve­gar­der cette uni­té dans l’obéissance à la Révélation divine, tra­duite et inter­pré­tée par le Magistère de l’Eglise, notam­ment dans les vingt et un Conciles œcu­mé­niques, de Nicée à Vatican II ».

Le pro­blème doc­tri­nal sou­le­vé par Vatican II, concile aty­pique parce que pas­to­ral, est éva­cué. Si le Saint Père avait pour inten­tion de rame­ner le pré­lat fran­çais à l’obéissance à Vatican II, il ne pou­vait que se méprendre. Dès lors, les demandes de l’archevêque au sujet des ordi­na­tions épis­co­pales ne pour­ront appa­raître « que comme un acte schis­ma­tique dont les consé­quences théo­lo­giques et cano­niques inévi­tables vous sont connues. Je vous invite ardem­ment au retour, dans l’humilité, à la pleine obéis­sance au Vicaire du Christ. »

L’incompréhension est totale et les ten­sions res­sur­gissent, désor­mais média­ti­sées pour prendre un tour plus dra­ma­tique à mesure qu’approchent les sacres du 30 juin 1988.

V. L’état de nécessité impose les sacres

1. Le 30 juin 1988

Mgr Lefebvre tient une confé­rence de presse le 15 juin à Ecône, à laquelle répond le len­de­main une Note d’information du Saint-​Siège, et le 17 une moni­tion cano­nique du car­di­nal Bernardin Gantin, alors Préfet de la Congrégation des évêques.

Devant les jour­na­listes, le pré­lat livre de nom­breux détails des dis­cus­sions orales qui ont eu lieu à Rome. Par exemple il a été ques­tion de l’église Saint-​Nicolas-​du-​Chardonnet, à Paris. Le car­di­nal Ratzinger explique à son inter­lo­cu­teur, stu­pé­fait, que désor­mais il fau­dra qu’une messe nou­velle y soit régu­liè­re­ment célé­brée, tous les dimanches.

Mgr Lefebvre dis­tri­bue aux jour­na­listes une courte pré­sen­ta­tion de cha­cun des prêtres qu’il a choi­sis pour assu­rer la péren­ni­té de la Tradition, spé­cia­le­ment en dis­pen­sant les sacre­ments de confir­ma­tion et d’ordre. Il s’agit des abbés Bernard Tissier de Mallerais, un Français ordon­né en 1975, Richard Williamson, un Anglais ordon­né en 1976, Alfonso de Galarreta, un Espagnol ordon­né en 1980, et Bernard Fellay, un Suisse ordon­né six ans plus tôt.

2. Les raisons d’un échec

Le 19 juin, un com­mu­ni­qué du pré­lat fran­çais revient sur les rai­sons de l’échec des pour­par­lers. Il explique avoir entre­te­nu « un cer­tain espoir que, l’auto-démolition de l’Eglise s’accélérant, on finisse par nous regar­der avec bien­veillance ». La lettre du 28 juillet 1987 du car­di­nal Ratzinger sem­blait ouvrir « de nou­veaux hori­zons ». Parce que Mgr Lefebvre avait annon­cé qu’il allait se don­ner des suc­ces­seurs, subi­te­ment il sem­blait que « Rome nous regar­dait d’un œil plus favorable ».

En effet, dans la pro­po­si­tion romaine ini­tiale, « il n’est plus ques­tion de docu­ment doc­tri­nal à signer, plus ques­tion de demande de par­don, mais un visi­teur était enfin annon­cé, la socié­té pour­rait être recon­nue, la litur­gie serait celle d’avant le Concile, les sémi­na­ristes demeu­re­raient dans le même esprit !… Nous avons accep­té alors d’entrer dans ce nou­veau dia­logue, mais à la condi­tion que notre iden­ti­té soit bien pro­té­gée contre les influences libé­rales par des évêques pris dans la Tradition, et par une majo­ri­té de membres dans la Commission romaine pour la Tradition. Or, après la visite du car­di­nal Gagnon, dont nous ne savons tou­jours rien, les décep­tions se sont accumulées ».

La décep­tion est venue du texte doc­tri­nal qu’il fal­lut sou­dai­ne­ment signer, de la sous-​représentation dans l’organisme char­gé de la Tradition à Rome, de l’absence de date pour le sacre épis­co­pal d’un prêtre de la Fraternité, accor­dé in extre­mis. Surtout, le car­di­nal Ratzinger ne ces­sait d’insister sur la néces­si­té d’appartenir à l’unique Eglise, celle de Vatican II, et donc de sug­gé­rer que la récon­ci­lia­tion en cours n’était qu’une étape avant d’admettre tout le Concile, ses réformes, son esprit, ses nou­veau­tés… Malgré cela, Mgr Lefebvre a signé le pro­to­cole du 5 mai, vou­lant bien faire confiance au vu des avan­cées sub­stan­tielles accor­dées (litur­gie, sta­tut cano­nique, for­ma­tion et ordi­na­tion des can­di­dats, suc­ces­sion dans l’épiscopat).

La date de la consé­cra­tion épis­co­pale fai­sant tant de pro­blème, comme on l’a vu, les nou­velles exi­gences de Rome – le pro­jet de lettre défi­ni­tive que lui dic­tait pra­ti­que­ment le car­di­nal Ratzinger le 17 mai – ache­vèrent de l’éclairer.

Bien qu’il ait obte­nu à force d’insistance et d’obstination une date pour un sacre (le 15 août), il doit recon­naître que « le cli­mat n’est plus du tout à la col­la­bo­ra­tion fra­ter­nelle et à une pure et simple recon­nais­sance de la Fraternité. Pour Rome le but des col­loques est la récon­ci­lia­tion, comme le dit le car­di­nal Gagnon, dans un entre­tien accor­dé au jour­nal ita­lien L’Avvenire, c’est-à-dire le retour de la bre­bis éga­rée dans la ber­ge­rie. C’est ce que j’exprime dans la lettre au Pape du 2 juin : « Le but des col­loques n’est pas le même pour vous que pour nous. »

Le pré­lat octo­gé­naire achève le communiqué :

« La Rome actuelle conci­liaire et moder­niste ne pour­ra jamais tolé­rer l’existence d’un vigou­reux rameau de l’Eglise catho­lique qui la condamne par sa vita­li­té. Il fau­dra donc encore attendre quelques années sans doute pour que Rome retrouve sa Tradition bimil­lé­naire. Pour nous, nous conti­nuons à faire la preuve, avec la grâce de Dieu, que cette Tradition est la seule source de sanc­ti­fi­ca­tion et de salut pour les âmes, et la seule pos­si­bi­li­té de renou­veau pour l’Eglise ».

3. Une Eglise parallèle ?

Evidemment, la grosse presse crie au schisme et reprend les objur­ga­tions de Rome pour que Mgr Lefebvre renonce à sacrer. Celui-​ci est habi­té par une séré­ni­té retrou­vée et la cer­ti­tude d’accomplir la volon­té signi­fiée de Dieu. L’adhésion des fidèles et du cler­gé vient confir­mer sa mâle assurance.

Il faut cepen­dant répondre aux objec­tions et aux accu­sa­tions qui se répandent. Sur le pro­to­cole d’accord, jamais Mgr Lefebvre ne regret­te­ra ou ne remet­tra en cause le conte­nu du texte doc­tri­nal qu’il a signé. Lors de la confé­rence de presse du 15 juin, il déclare que l’article 3 « nous a satis­fait ». En affir­mant que cer­tains aspects « ensei­gnés par le concile Vatican II ou concer­nant les réformes pos­té­rieures de la litur­gie et du droit » étaient « dif­fi­ci­le­ment conci­liables avec la Tradition », « en quelque sorte on nous don­nait satis­fac­tion sur ces points-​là. Cela nous per­met­tait de dis­cu­ter des points dans le Concile, dans la litur­gie, et dans le Droit canon. C’est ce qui nous a per­mis de signer ce pro­to­cole doc­tri­nal, sans quoi nous ne l’aurions pas signé ».

Sur l’accusation de consti­tuer une Eglise paral­lèle, accu­sa­tion plu­sieurs fois for­mu­lée par le car­di­nal Ratzinger pour faire plier l’archevêque, celui-​ci répond en balayant l’objection à sa racine :

« Eminence ce n’est pas nous qui fai­sons une Eglise paral­lèle puisque nous conti­nuons l’Eglise de tou­jours. Mais c’est vous qui faites l’Eglise paral­lèle en ayant inven­té « l’Eglise du Concile », celle que le car­di­nal Benelli a appe­lé « l’Eglise conci­liaire ». C’est vous qui avez inven­té une église nou­velle, pas nous, c’est vous qui avez fait de nou­veaux caté­chismes, de nou­veaux sacre­ments, une nou­velle messe, une nou­velle litur­gie, ce n’est pas nous. Nous, nous conti­nuons ce qui a été fait aupa­ra­vant. Ce n’est pas nous qui fai­sons une nou­velle Eglise ».

Surtout, la force de la légi­ti­mi­té des sacres, outre les cir­cons­tances extra­or­di­naires et l’état de néces­si­té dans lequel se trouve l’Eglise, réside dans le fait que Mgr Lefebvre dis­tingue bien entre pou­voir d’ordre et pou­voir de juri­dic­tion. Il donne des évêques à l’Eglise pour conti­nuer le sacer­doce et la dis­pen­sa­tion des sacre­ments en toute sûre­té de doc­trine et d’orthodoxie, mais ces évêques n’ont aucune pou­voir de gou­ver­ne­ment, aucune juri­dic­tion propre. Il ne s’agit pas de fon­der une hié­rar­chie paral­lèle, de se sub­sti­tuer à la juri­dic­tion ordi­naire ou d’attribuer des ter­ri­toires à l’apostolat des quatre évêques qu’il sacre le 30 juin 1988. Il s’agit de don­ner les moyens à la Tradition de conti­nuer, de survivre.

Mais cette Tradition n’est pas bâtie dans les nuées. Elle est ancrée dans les réa­li­tés qui existent visi­ble­ment dans l’Eglise visible, celle de la terre. A com­men­cer par cette socié­té fon­dée légi­ti­me­ment et abu­si­ve­ment sup­pri­mée qu’est la Fraternité Sacerdotale Saint-​Pie X.

4. Des évêques auxiliaires, pas des francs-tireurs

Les évêques sacrés par Mgr Lefebvre sont catho­liques parce qu’ils sont auxi­liaires de la Fraternité. Autrement ils ne seraient que des vaga­bonds, à l’instar de ces évêques des milieux sédé­va­can­tistes, sacrés sans véri­table néces­si­té, épar­pillés et for­mant une sté­rile coterie.

Afin de bien faire com­prendre que les évêques qu’il va sacrer n’auront pas de pou­voir de gou­ver­ne­ment, Mgr Lefebvre insiste sur le rôle du Supérieur géné­ral de la Fraternité auquel ils res­tent sou­mis. A la fin de la confé­rence de presse qu’il tient à Ecône le 15 juin, il explique ain­si que « celui qui aura donc en prin­cipe la res­pon­sa­bi­li­té des rela­tions avec Rome lorsque je dis­pa­raî­trai, ce sera le Supérieur géné­ral de la Fraternité, M. l’abbé Schmidberger, qui a encore six années de supé­rio­rat géné­ral à accom­plir. C’est lui qui, éven­tuel­le­ment, aura désor­mais les contacts avec Rome pour conti­nuer les col­loques, s’ils conti­nuent ou si le contact est main­te­nu – ce qui est peu pro­bable pen­dant quelque temps puisque dans L’Osservatore Romano va sans doute titrer : « Schisme de Mgr Lefebvre, excom­mu­ni­ca­tion… » Pendant X années, peut-​être deux ans, trois ans, je n’en sais rien, cela va être la sépa­ra­tion ». Séparation sans rup­ture, afin d’organiser la Tradition après sa mort, qui sur­vien­dra moins de deux ans plus tard, le 25 mars 1991.

Le fon­da­teur de la Fraternité entre­voit donc une pause dans les contacts et les col­loques avec Rome, mais fort brève. Il se montre quelque peu opti­miste, puisqu’il fau­dra attendre une dou­zaine d’années pour que Rome se tourne à nou­veau vers la Fraternité. Le car­di­nal Darío Castrillón Hoyos, pré­sident de la com­mis­sion pon­ti­fi­cale Ecclesia Dei à par­tir de l’an 2000, consta­te­ra que les sacres épis­co­paux, bien loin de pro­vo­quer la ruine annon­cée de l’œuvre de Mgr Lefebvre, avaient pro­vi­den­tiel­le­ment per­mis son déve­lop­pe­ment dans un milieu pré­ser­vé des erreurs et des mœurs modernes.

En un mot, ces sacres ser­vi­ront à édi­fier, à construire l’Eglise, contrai­re­ment à « ceux qui la démo­lissent » en répan­dant des idées condam­nées par le magis­tère constant des pon­tifes romains : « Voilà le fond de ces évé­ne­ments que nous allons vivre (…), et il y aura un monde fou à la céré­mo­nie du 30 juin pour la consé­cra­tion de ces quatre jeunes évêques qui seront au ser­vice de la Fraternité ».

5. Au service de la Fraternité

Le 4 juillet 1988, juste après les sacres, Mgr Lefebvre revient sur le rôle et la place des évêques. A Ecône, devant les supé­rieurs de dis­tricts et de sémi­naires réunis autour de lui, il leur tient ce discours :

« Les sta­tuts de la Fraternité demeurent la règle de notre mis­sion pro­vi­den­tielle. Les sacres épis­co­paux ne sup­plantent pas la struc­ture de la Fraternité. Il est enten­du, et les évêques le com­prennent bien, qu’ils ne sont que des auxi­liaires de la Fraternité, qu’ils ne peuvent sup­plan­ter la hié­rar­chie de la Fraternité, qu’ils n’ont aucune juri­dic­tion propre en tant qu’évêques. Même si on trouve par­fois des supé­rieurs géné­raux évêques, ce n’est pas la norme. Les évêques sont consa­crés au ser­vice de la Fraternité et les groupes nor­ma­le­ment unis à elle, selon le cri­tère que Rome accep­tait de rete­nir, à savoir pour les confir­ma­tions et les ordi­na­tions. C’est le Supérieur géné­ral qui pren­dra la res­pon­sa­bi­li­té d’ordonner des can­di­dats venant de l’extérieur de la Fraternité, de socié­tés consti­tuées, dans la mesure où leurs Constitutions seraient nor­ma­le­ment dignes d’être approu­vées par l’Eglise. Les supé­rieurs de dis­tricts et de mai­sons auto­nomes orga­nisent les confir­ma­tions. La juri­dic­tion est don­née aux évêques par le cas de néces­si­té où se trouvent les fidèles ».

Précisons que cette juri­dic­tion n’est rien d’autre que la sup­pléance par l’Eglise à l’absence de juri­dic­tion ordi­naire ou délé­guée, et ce en vue d’assurer la vali­di­té des sacre­ments dans des cir­cons­tances extra­or­di­naires. Il ne s’agit nul­le­ment de s’attribuer une juri­dic­tion propre.

Le même jour, Mgr Lefebvre revient sur l’organisation qu’il entend laisser :

« C’est le Supérieur géné­ral qui entre­tient les liens avec Rome et, en un mot, prend la res­pon­sa­bi­li­té de la Tradition, car c’est la struc­ture de la Fraternité qui existe aux yeux de l’Eglise. Nous n’avons jamais vou­lu d’une orga­ni­sa­tion de la Tradition ni d’une pré­si­dence d’une telle asso­cia­tion ; mais il n’en reste pas moins que de fac­to la Fraternité est la colonne ver­té­brale de la Tradition, son ins­tru­ment pro­vi­den­tiel, sur lequel doivent s’appuyer toutes les ini­tia­tives de tra­di­tion. Les évêques n’ont aucune juri­dic­tion ter­ri­to­riale, mais pour des rai­sons pra­tiques, ils exer­ce­ront le plus sou­vent leur minis­tère res­pec­ti­ve­ment dans les pays de langue fran­çaise, anglaise, alle­mande et espagnole ».

Il s’agit de répondre aux besoins de l’apostolat, aux­quels l’ancien mis­sion­naire ne peut plus faire face.

6. Pas de schisme ni de rupture avec la Rome catholique

Les sacres de 1988 ont été bien pen­sés. Ils répondent à une situa­tion extra­or­di­naire. Ils ne sont pas le fruit d’une sédi­tion, mais un acte pour assu­rer l’ordre alors que l’anarchie se répand. L’archevêque l’explique très bien au cours de la confé­rence de presse. L’esprit d’Assise, « les idées modernes et moder­nistes qui sont pas­sées à tra­vers le Concile » et qui cor­rompent la foi, jus­ti­fient un tel acte, mal­gré les sanc­tions appa­rentes. Jamais Mgr Lefebvre ne fera schisme avec le suc­ces­seur de Pierre. Mais avec le pape moder­niste, à savoir « avec les idées qu’il répand par­tout, les idées de la Révolution, les idées modernes, oui ». Et d’insister : « Nous n’avons per­son­nel­le­ment aucune inten­tion de rup­ture avec Rome. Nous vou­lons être unis à la Rome de tou­jours et nous sommes per­sua­dés d’être unis à la Rome de tou­jours, parce que dans nos sémi­naires, dans nos pré­di­ca­tions, dans toute notre vie et la vie des chré­tiens qui nous suivent, nous conti­nuons la vie tra­di­tion­nelle comme elle l’était avant le concile Vatican II et qu’elle a été vécue pen­dant vingt siècles. Alors, je ne vois pas pour­quoi nous serions en rup­ture avec Rome parce que nous fai­sons ce que Rome elle-​même a conseillé de faire pen­dant vingt siècles. Cela n’est pas possible ».

D’ailleurs, l’infraction à une loi ecclé­sias­tique de nature dis­ci­pli­naire ne sau­rait consti­tuer un schisme, c’est-à-dire un péché contre l’unité de l’Eglise. Il ne s’agit pas de fon­der une « petite Eglise » qui ne recon­naî­trait pas le fon­de­ment pétri­nien de l’institution fon­dée par Notre Seigneur Jésus-​Christ et s’en sépa­re­rait for­mel­le­ment. Les lois de l’Eglise ne sau­raient ser­vir à sa des­truc­tion alors que les erreurs cor­rompent par­tout la foi et les mœurs. Face à un tel enjeu, le télé­gramme du car­di­nal Ratzinger du 29 juin, enjoi­gnant le pré­lat d’Ecône à « par­tir dès aujourd’hui pour Rome sans pro­cé­der aux ordi­na­tions épis­co­pales », appa­raît bien futile.

7. Le mandat de l’Eglise

Lors de la céré­mo­nie his­to­rique du 30 juin, Mgr Lefebvre lit un man­dat où il explique que le moder­nisme des auto­ri­tés de l’Eglise rend nulles les peines et les cen­sures qu’il pour­rait encou­rir. Par contre, c’est l’Eglise romaine elle-​même, « tou­jours fidèle aux saintes tra­di­tions reçues des Apôtres », qui « nous com­mande de trans­mettre fidè­le­ment ces saintes tra­di­tions – c’est-à-dire le dépôt de la foi – à tous les hommes pour le salut de leurs âmes ».

L’archevêque invoque le salut des âmes pour remon­ter à l’intention du légis­la­teur, qui ne peut vou­loir que les lois ecclé­sias­tiques soient uti­li­sées au détri­ment de la foi. Il s’agit d’un acte d’epi­kie, qui relève de la ver­tu de pru­dence dans des cas excep­tion­nels, où seule une sagesse plus haute est capable d’éclairer l’esprit de la loi pour ne pas s’arrêter à la lettre. Cet esprit, c’est que dans l’Eglise la Loi suprême est le salut des âmes (salus ani­ma­rum supre­ma lex).

Ce que l’Eglise com­mande – l’Eglise que Mgr Lefebvre qua­li­fie sou­vent « de tou­jours », pour dési­gner l’Eglise romaine fidèle à ses tra­di­tions, par oppo­si­tion à l’Eglise conci­liaire imbue des nou­veau­tés des­truc­trices de la foi –, oblige en conscience l’archevêque : « C’est pour­quoi, ayant pitié de cette foule, j’ai le très grave devoir de trans­mettre ma grâce épis­co­pale à ces chers prêtres, afin qu’eux-mêmes puissent confé­rer la grâce sacer­do­tale à de nom­breux et saints clercs for­més selon les saintes tra­di­tions de l’Eglise catholique ».

Finalement, en ce 30 juin, Mgr Lefebvre accom­plit un acte héroïque dans la plus pure conti­nui­té de ce qu’il écri­vait le 4 juillet 1984, où en quelques lignes il livrait l’esprit qui l’animait :

« C’est pour­quoi je m’entête, et si vous vou­lez connaître la rai­son pro­fonde de cet entê­te­ment, la voi­ci. Je veux qu’à l’heure de ma mort, lorsque Notre-​Seigneur me deman­de­ra : « Qu’as-tu fait de ton épis­co­pat, qu’as-tu fait de ta grâce épis­co­pale et sacer­do­tale ? » je n’entende pas de sa bouche ces mots ter­ribles : « Tu as contri­bué à détruire l’Eglise avec les autres » ».

Face au grave devoir de l’heure pré­sente, Mgr Lefebvre ne s’est pas dérobé.

Abbé Christian Thouvenot

Sources : Fsspx.Actualités