Saint Paulin de Nole

Saint Paulin, évêque de Nole, vitrail de la cathédrale de Linz, Autriche.

Evêque de Nole (353–431). Riche patri­cien romain conver­ti au chris­tia­nisme par son épouse, il la quit­ta d’un com­mun accord et dis­tri­bua tous ses biens pour se consa­crer à Dieu.
Fête le 22 juin.

Version courte

Saint Paulin naquit à Bordeaux en 354, d’une des plus anciennes et des plus célèbres familles séna­to­riales de Rome, qui avait d’im­menses pos­ses­sions en Italie, en Aquitaine et en Espagne. Ausone, le pre­mier ora­teur et le pre­mier poète de son temps, fut son maître ; et, sous sa conduite, Paulin devint lui-​même un ora­teur et un écri­vain fort remar­quable. Ses talents, ses richesses, ses ver­tus l’é­le­vèrent aux plus hautes digni­tés de l’empire ; il fut même hono­ré du consu­lat, l’an 378.

Paulin avait vingt-​quatre ans quand il épou­sa Thérésia, opu­lente patri­cienne, pieuse chré­tienne, dont l’in­fluence rap­pro­cha peu à peu son époux de la véri­té et le condui­sit au bap­tême. Ses rela­tions avec le célèbre saint Martin, grand thau­ma­turge des Gaules, qui le gué­rit mira­cu­leu­se­ment d’une grave mala­die des yeux, contri­bua beau­coup aus­si à tour­ner ses pen­sées vers la beau­té de la per­fec­tion chré­tienne. Il reçut le Baptême et goû­ta enfin la paix qu’il cher­chait depuis long­temps. La mort de son jeune enfant, nom­mé Celsus, por­ta de plus en plus le nou­veau chré­tien au mépris des biens de ce monde.

Son immense for­tune lui était à charge ; il s’en dépouilla en faveur des pauvres, croyant que « le véri­table riche est celui qui compte sur Dieu et non celui qui compte sur la terre » et que « celui qui pos­sède Jésus pos­sède plus que le monde entier ». Dès lors Paulin et Thérésia, tout en vivant dans une union par­faite, pra­ti­quèrent la conti­nence. Ces nou­velles jetèrent l’é­ton­ne­ment dans tout l’empire ; à l’é­ton­ne­ment suc­cé­dèrent les déri­sions, les reproches, le mépris. Paulin, en revanche, voyait sa conduite exal­tée par tout le monde chré­tien et rece­vait les éloges des Ambroise, des Augustin, des Jérôme et des Grégoire.

Il fut ordon­né prêtre en 393, et alla se fixer à Nole, en Italie, où il fit de sa mai­son une sorte de monas­tère. En 409, le peuple de Nole l’ac­cla­ma comme évêque. Son épis­co­pat est célèbre par un acte de dévoue­ment deve­nu immor­tel. Une pauvre veuve avait vu son fil unique emme­né pri­son­nier par les bar­bares ; elle va trou­ver Paulin, le priant de rache­ter son enfant : « Je n’ai plus d’argent, dit le pon­tife, mais je m’offre moi-​même. » La pauvre femme ne pou­vait le croire, mais il l’o­bli­gea à se rendre avec lui en Afrique, où il se livra en échange du pri­son­nier. Au bout de quelques temps, la noblesse du carac­tère et les ver­tus de Paulin intri­guèrent son maître ; il fut obli­gé de se décou­vrir, et le bar­bare, confus d’a­voir pour esclave un évêque, lui don­na sa liber­té avec celle de tous les pri­son­niers de sa ville épis­co­pale. Sa récep­tion à Nole fut un triomphe.

Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’an­née, Tours, Mame, 1950

Version longue

Au IVe siècle vivait à Bordeaux une illustre famille, ori­gi­naire de Rome, celle de Pontius Paulinus, ancien pré­fet des Gaules ; c’est à elle qu’appartenait le noble Paulin dont nous vou­drions esquis­ser la vie. Vie d’autant plus inté­res­sante que, si elle pré­sente quelques dif­fi­cul­tés chro­no­lo­giques impos­sibles à résoudre, Paulin lui-​même en a four­ni dans ses écrits les détails les plus circonstan­ciés. Les grandes étapes sont d’ailleurs cer­taines : trente-​six ans de jeu­nesse et de vie mon­daine ; quarante-​deux de vie chré­tienne, sacer­do­tale et épis­co­pale, sanc­ti­fiés par la pra­tique des plus hautes ver­tus, qui assurent à l’illustre conver­ti un empire sou­ve­rain sur les démons et lui attirent les louanges des plus grands Saints ; Ambroise, Jérôme, Augustin, Grégoire le Grand.

Jeunesse de saint Paulin. – Ses succès dans le monde.

C’est donc à Burdigala ou Bordeaux que, vers 353, naquit Pontius Meropius Anicius Paulinus, plus connu dans l’histoire sous le nom de Paulin. Ses parents, qui étaient chré­tiens, le vouèrent à saint Félix de Nole ; mal­heu­reu­se­ment, sui­vant un usage alors trop répan­du, ils dif­fé­rèrent de le faire baptiser.

Dès qu’il fut en âge d’étudier, Paulin sui­vit les cours de l’Université de Burdigala, où il eut pour pro­fes­seur Ausone, le plus célèbre rhé­teur de son temps. Le maître se prit d’une affec­tion toute pater­nelle pour ce jeune élève, dont il consta­tait les heu­reuses dis­positions, et il lui demeu­ra atta­ché toute sa vie, se réjouis­sant de ses suc­cès, alors même que ceux-​ci mena­çaient d’éclipser sa propre renom­mée. Aussi ne fut-​ce pas sans regrets qu’il le quit­ta, lorsqu’en 368 il dut aller à Trèves, appe­lé par Valentinien Ier aux fonc­tions de pré­cep­teur de Gratien, le jeune héri­tier de l’empire. Paulin, alors âgé de quinze ans, par­ta­gea ces regrets et conti­nua ses éludes avec de nou­veaux maîtres ; il s’appliqua alors sur­tout à la philo­sophie, aux sciences natu­relles et au droit.

Au reste, il ne tar­da pas à subir l’attirance de Rome. Il éprou­vait sans doute déjà pour cette ville les mêmes sen­ti­ments qu’Ausone expri­ma un jour en quatre mots : « Mon cœur, à Burdigala ; à Rome, ma véné­ra­tion. » Ses études ache­vées, il prend donc le che­min de la capi­tale de l’empire, et, presque aus­si­tôt, il voit la car­rière des charges publiques s’ouvrir devant lui. Gouverneur de l’Epire et pré­fet de Rome peut-​être, il est cer­tai­ne­ment consul sup­pléant en 378, puis il entre au Sénat et, en 380, le voi­là nom­mé gou­ver­neur de la Campanie.

Ainsi, à peine âgé de vingt-​sept ans, Paulin est par­ve­nu au faîte des hon­neurs humains et un brillant ave­nir lui semble assu­ré, lorsque tout à coup une effroyable tra­gé­die vient anéan­tir toutes ces espé­rances. Le 25 juin 383, l’empereur Gratien tombe sous les coups d’un assas­sin armé par Maxime, que les légions de Bretagne révol­tées ont éle­vé à l’empire. Dans cette triste conjonc­ture, Paulin croit devoir se plier aux cir­cons­tances. Afin de mettre sa famille à l’abri des repré­sailles de Maxime, il quitte le ser­vice de l’empereur légi­time et rentre en Aquitaine.

Voies providentielles. – Les étapes d’une conversion.Le baptême.

C’était à Burdigala que la Providence atten­dait Paulin. Déjà au début de son gou­ver­ne­ment en Campanie, un pre­mier appel s’était fait entendre. Paulin avait fixé sa rési­dence sur­tout à Nole. Or, un jour, assis­tant aux fêtes de saint Félix, il avait éprou­vé une pro­fonde impression :

A la vue des œuvres admi­rables opé­rées dans votre sanc­tuaire, s’écriera-t-il dans son 13e chant en l’honneur de saint Félix, je crus de tout mon cœur au Dieu véri­table et j’ouvris mon âme à l’amour du Christ.

Il s’était consa­cré de nou­veau au mar­tyr de Nole, avait fait répa­rer la route qui, de la ville, condui­sait à son tom­beau et, à côté de celui-​ci, il avait construit un hos­pice pour les indi­gents Ce ne fut alors qu’une étin­celle, mais qui, après avoir cou­vé pen­dant dix ans dans le cœur du jeune patri­cien, y allu­me­ra enfin la flamme qui le consu­me­ra sans retour.

Dieu réité­re­ra d’ailleurs ses appels. C’est ain­si qu’obligé par les devoirs de sa charge d’aller à Rome assez sou­vent, le gou­ver­neur de Campanie, y vit saint Jérôme ou du moins en enten­dit par­ler avec enthou­siasme. Il y apprit la géné­ro­si­té de Mélanie, sa parente, qui avait tout quit­té pour mener en Orient la vie monas­tique ; il y ren­contra la noble Paula et y fut témoin de la vie angé­lique prati­quée par les matrones de l’Aventin ; il y consta­ta sans peine le triomphe défi­ni­tif du chris­tia­nisme, assu­ré par les édits de Gratien.

Tout cela l’émut, le tou­cha et l’inclina de plus en plus vers la reli­gion qui l’attirait. La mort de Gratien fut le coup de grâce, mais six ans devaient encore s’écouler avant la conver­sion définitive.

Les pre­mières années de la retraite de Paulin en Aquitaine furent trou­blées par de nom­breux sou­cis. Suspect à l’usurpateur, l’ancien gou­ver­neur de la Campanie vit un moment ses biens confis­qués et eut à faire plu­sieurs voyages pour mettre ordre à ses affaires. La douce Providence se ser­vit de toutes ces occa­sions pour l’ache­miner peu à peu vers la foi pra­tique. Au cours d’un Voyage en Espagne, elle per­mit qu’il y ren­con­trât une jeune Espagnole, nom­mée Thérasie, qui était chré­tienne, et qu’il l’épousât. Une autre fois, pas­sant par Vienne, Paulin y vit saint Martin de Tours, et le véné­rable évêque le gué­rit mira­cu­leu­se­ment d’un mal d’yeux. A Milan, l’action divine se mani­fes­ta encore plus visi­ble­ment. Paulin y con­nut saint Alype, ami de saint Augustin, et pro­ba­ble­ment le futur évêque d’Hippone lui-​même. Surtout, il y fré­quen­ta saint Ambroise, issu comme lui des rangs du patri­ciat ; il eut avec l’illustre pon­tife des entre­tins répé­tés et assis­ta sou­vent aux ins­truc­tions que celui-​ci don­nait au peuple. Aussi écrira-​t-​il plus tard : « J’ai tou­jours été aimé d’Ambroise, et c’est lui qui m’a nour­ri dans la foi. »

Chose éton­nante, ces entre­tiens avec Ambroise n’eurent pas de résul­tats immé­diats, et Paulin hési­ta encore pen­dant deux ans à faire le der­nier pas. Trop de liens l’attachaient encore au monde. Séjour­nant tan­tôt à Burdigala, tan­tôt dans une des pro­prié­tés d’alentour, il entre­te­nait de fré­quentes rela­tions avec Ausone, son ancien maître, qui, après la mort de Gratien, s’était reti­ré à Saintes, et il s’en­tourait comme d’une cour d’amis dévoués, par­mi les­quels se trou­vait au pre­mier rang, après Ausone, Sulpice-​Sévère, le futur his­torien de l’Eglise. D’autre part, ses richesses lui per­met­taient de se pro­cu­rer tous les plai­sirs légi­times, et son urba­ni­té exquise le fai­sait aimer de tous. Enfin, il avait conser­vé un goût pro­non­cé pour les lettres païennes. Heureusement pour lui, il se remit à l’étude de la phi­lo­so­phie ; il com­prit enfin les droits de Dieu sur l’homme, ain­si que la néces­si­té du chris­tia­nisme inté­gral et il en arri­va à cette conclu­sion qu’il for­mu­le­ra plus tard en ces termes : « J’ai beau­coup étu­dié, j’ai par­cou­ru le cycle de tous les sys­tèmes et je n’ai rien trou­vé de mieux que de croire au Christ. » L’œuvre de la grâce se conti­nua avec les exhor­ta­tions bien­veillantes et pleines de tact de deux Saints qu’il aimait à comp­ter par­mi ses amis : Delphin, l’évêque de Burdigala, et Amand, véné­rable prêtre de la ville et futur pas­teur du dio­cèse ; avec les encou­ra­ge­ments répé­tés sans être impor­tuns de Thérasie, et Paulin se déci­da à rece­voir le bap­tême. Au der­nier moment, Satan s’efforça de tout faire échouer. Maxime, vain­cu par Théodose, étant mort, le démon sug­gé­ra à Paulin la pen­sée que, s’il le vou­lait, il pour­rait reprendre son rang à la cour. Grâce à Dieu, le nou­veau conver­ti, se sen­tant arri­vé au port, ne vou­lut pas se reje­ter en pleine mer, et il triom­pha géné­reusement de la ten­ta­tion. Delphin et Amand le pré­pa­rèrent donc au bap­tême et la céré­mo­nie se fit à Burdigala en 389.

Saint Paulin se retire en Espagne. – Il est ordonné prêtre.

Dès lors, les ascen­sions de Paulin dans les voies de la per­fec­tion seront constantes ; il fit, dit-​il lui-​même, comme « le voya­geur qui, avan­çant tou­jours et ne recu­lant jamais, atteint un jour insensi­blement la fron­tière et la fran­chit ». Délaissant la muse païenne, qui ne pou­vait plus char­mer son esprit désa­bu­sé, il se tour­na vers la poé­sie chré­tienne. Il mit en vers plu­sieurs psaumes, une vie de saint Jean-​Baptiste et trois admi­rables prières, où il déplore son indif­fé­rence pas­sée. Il quit­ta le bar­reau, se reti­ra à la cam­pagne, rédui­sit son train de vie et n’usa plus de ses richesses que pour faire le bien autour de lui. Une manière de vivre si peu ordi­naire ne pou­vait man­quer d’attirer à Paulin les cri­tiques les plus acerbes. Ses amis mani­fes­tèrent hau­te­ment leur répro­ba­tion ; ses com­pa­triotes se moquèrent de lui, on en vint à lui tour­ner le dos. Ausone lui-​même alla jusqu’à lui repro­cher de se cour­ber sous le joug de Thérasie.

Ne trou­vant donc plus en Aquitaine la paix et le repos aux­quels il aspi­rait, Paulin prit le par­ti d’aller les cher­cher en Espagne, où il était moins connu, et il se reti­ra à Barcino, aujourd’hui Bar­celone. Il y arri­va dans le cou­rant de l’année 390 et y vécut tran­quille pen­dant trois ou quatre ans. Deux épreuves vinrent cepen­dant l’y atteindre. En 392, Valentinien II fut assas­si­né par Arbogaste et, d’après Mgr Lagrange, le frère de Paulin fut une des vic­times de cette révo­lu­tion. Très affec­té de cette mort, Paulin le fut encore davan­tage de ce que ce frère avait vécu sans pen­ser assez au salut de son âme. Aussi, dans une lettre qu’il écri­vit à cette occa­sion à Delphin et à Amand, leur confia-​t-​il ses craintes, en les conju­rant de prier beau­coup afin que Dieu fasse misé­ri­corde au défunt. Quelque temps après, un nou­veau deuil vint le frap­per. Il avait tou­jours dési­ré les joies de la pater­ni­té, et le Seigneur les lui avait enfin accor­dées ; mais ce fils tant atten­du ne vécut que huit jours.

Désormais, déta­ché de tout, le noble patri­cien n’aspirera plus qu’à la per­fec­tion évan­gé­lique. D’un com­mun accord avec Thé­rasie, il ne vou­lut plus vivre avec elle que comme avec une sœur, il se cou­pa les che­veux et revê­tit la robe des moines, puis il son­gea à se reti­rer à Nole, près du tom­beau de saint Félix. Il en écri­vit à saint Jérôme. Le soli­taire de Bethléem lui répon­dit et lui con­seilla de se dépouiller de ses biens et de s’adonner à l’étude des Livres Saints. Paulin se mit aus­si­tôt à l’œuvre et com­men­ça la liqui­da­tion de ses domaines en Espagne. Lorsque le peuple de Barcino eut vent de ces pro­jets, il ten­ta d’en fré­ter l’exécution. Le jour de Noël 393, Paulin et Thérasie assis­taient aux offices de la cathé­drale. Tout à coup, les fidèles se lever et sup­plient l’évêque de confé­rer à Paulin l’ordination sacer­do­tale, espé­rant ain­si le fixer au milieu d’eux. Paulin résis­ta tout d’abord, se jugeant indigne d’un tel hon­neur. Il céda cepen­dant et se lais­sa ordon­ner, mais à la condi­tion qu’il ne serait pas atta­ché a cler­gé de Barcino. En fai­sant part à Delphin et à Amand de son élé­va­tion au sacer­doce, il sol­li­ci­tait l’appui de leurs prières, car, lisait-​il, « je serai votre joie si aux fruits que je por­te­rai on doit me recon­naître pour un rameau de votre arbre ».

Paulin ne put quit­ter l’Espagne qu’après les fêtes de Pâques de l’an 394. Au lieu de cin­gler direc­te­ment vers l’Italie à tra­vers la Méditerranée, il pré­fé­ra remon­ter vers la Gaule, où il vit en pas­sant à Narbonne Sulpice-​Sévère, qui vou­lait le suivre, puis il alla à Florence, où se trou­vât alors saint Ambroise. Le vieil évêque le reçut à bras ouverts et l’a­gré­gea à son cler­gé, tout en lui lais­sant la liber­té de rési­der où bon lui sem­ble­rait. De Florence, Paulin s’achemina vers Rome. Accueilli avec mépris par les séna­teurs païens, ses anciens col­lègues, froi­de­ment par le Pape Sirice, qui trou­vait irré­gu­lières son ordi­na­tion pré­ci­pi­tée et sa situa­tion à l’égard de Thérasie, il fut reçu avec enthou­siasme par les amis de saint Jérôme et de sainte Paule. Il est facile de com­prendre qu’en de telles conjonc­tures, il ne tint pas à pro­lon­ger son séjour dans la capi­tale. Il se hâta donc de des­cendre en Campanie et de se diri­ger vers Nole ; il y arri­va aux envi­rons de l’automne.

Saint Paulin à Nole, – Vie monastique.

Ce fut une joie pour les habi­tants de la ville, qui se rap­pe­laient encore la man­sué­tude avec laquelle il avait admi­nis­tré la pro­vince quinze ans aupa­ra­vant ; l’évêque de Nole, Paul, l’autorisa à se fixer près du tom­beau de saint Félix. A proxi­mi­té de ce tom­beau, Paulin avait construit, nous l’avons dit, un hos­pice pour les indi­gents. Il l’éleva d’un étage, s’en réser­va une aile pour lui et ses com­pa­gnons, céda l’autre aile à Thérasie et à quelques femmes pieuses qui l’avaient sui­vie. Il put alors lais­ser échap­per de son cœur ce cri d’amour à l’adresse de saint Félix : « Maison, patrie, famille, vous me tien­drez lieu de tout. » Il don­na à sa nou­velle demeure le nom de monas­tère, et de fait on y menait à peu près la même vie que les moines de saint Martin à Marmoutiers. On se levait avant le jour pour chan­ter Matines et Laides ; le soir, on se réunis­sait pour les Vêpres. Le jeûne était presque conti­nuel et la réfec­tion ne se pre­nait que vers le soir ; l’abs­ti­nence était per­pé­tuelle et l’usage du vin fort res­treint. On se ser­vait de vais­selle d’argile ou de bois, on por­tait la tête rasée, et Paulin se conten­tait le plus sou­vent d’une tunique en poils de chèvre ou de cha­meau. La soli­tude était jalou­se­ment gar­dée et l’homme de Dieu ne s’en dépar­tait que si la cha­ri­té le deman­dait. C’est ain­si qu’à plu­sieurs reprises il accueillit dans sa retraite divers mes­sa­gers que lui envoyaient ses amis de Gaule ou d’ailleurs, et qu’en deux circon­stances il don­na l’hospitalité à sainte Mélanie et aux per­sonnes qui l’accompagnaient : une pre­mière fois lorsque la noble dame revint de Palestine après une longue absence, puis lorsqu’elle se réfu­gia en Sicile, à l’époque où Alaric mena­çait Rome. Cet amour de la soli­tude n’empêchait pas cepen­dant Paulin de prê­cher quel­que­fois la parole de Dieu aux fidèles et nous avons de lui un ser­mon, le seul d’ailleurs qui nous reste, sur l’aumône. Enfin, il avait pris l’habitude d’aller à Rome chaque année célé­brer la fête des apôtres Pierre et Paul et véné­rer leurs tombeaux.

En dehors de ces cir­cons­tances, Paulin se livrait à l’étude et aux tra­vaux de l’esprit. C’est pen­dant cette période de sa vie qu’il com­po­sa pour la fête de saint Félix qua­torze hymnes, pleines de détails inté­res­sants, à rai­son d’une chaque année, et qu’à la demande d’un prêtre de Rome, il écri­vit le pané­gy­rique de l’empereur Théodose. Sa cor­res­pon­dance était très active ; il entre­te­nait un com­merce épis­to­laire avec Alype et Augustin, avec Jérôme, avec Sulpice-​Sévère, qui menait lui aus­si une vie presque monas­tique, avec Delphin et Amand. Entre temps, il console Pammaque, gendre de sainte Paule, de la mort de sa femme Pauline, et Pneumatius, affli­gé par la perte d’un fils nom­mé Celse ; il célèbre en vers les noces de Julien avec Ya et même y assiste avec Thérasie.

Pour se dis­traire de ses tra­vaux intel­lec­tuels, le véné­rable moine ne crai­gnait pas de don­ner ses soins à un petit jar­din et s’occu­pait de la construc­tion d’une nou­velle basi­lique en l’honneur de saint Félix. Celle qui jusque-​là avait ren­fer­mé le tom­beau du Saint était sombre et entou­rée de vieilles masures. Paulin la res­tau­ra et y ajou­ta une église magni­fique, accom­pa­gnée de por­tiques. L’édi­fice avait trois nefs et trois absides ; à la voûte étaient sus­pen­dus des lustres d’argent et de cris­tal ; les murs en étaient déco­rés de pein­tures artistiques.

Evêque de Nole. – Trait de charité héroïque.

Paulin vivait ain­si à Nole depuis quinze ans et il venait de perdre Thérasie, pour laquelle il avait eu jusqu’à la fin une affec­tion toute fra­ter­nelle, lorsque mou­rut Paul, l’évêque de Nole. D’une voix una­nime, le cler­gé et le peuple élurent Paulin pour lui suc­cé­der. L’heure était cri­tique ; Alaric enva­his­sait l’Italie. Malgré son goût pour la retraite, le soli­taire ne crut pas devoir se déro­ber en face du dan­ger et il accep­ta l’épiscopat. Quelques mois plus tard, en 410, Alaric s’emparait de Rome, des­cen­dait jusqu’à Nole, se ren­dait maître de cette ville et emme­nait un grand nombre de pri­son­niers dont plu­sieurs furent ven­dus en Afrique. Parmi eux se trou­vait le fils unique d’une pauvre veuve. Sa mère déso­lée vint conju­rer l’évêque de le rache­ter. Paulin n’avait plus d’argent ; il se sacri­fia lui-​même : il par­tit pour l’Afrique, se pré­sen­ta au maître du jeune cap­tif dont il obtint de prendre la place. Emerveillé de la ver­tu de son nou­vel esclave, le bar­bare lui deman­da bien­tôt qui il était. Apprenant que Paulin est évêque, ce maître farouche est ému ; il rend la liber­té au noble pri­son­nier et lui accorde d’emmener avec lui tous les cap­tifs de son dio­cèse. Quand Paulin arri­va à Nole, les habi­tants de la ville lui firent une récep­tion triomphale.

Saint Paulin, cap­tif en Afrique, cultive le jar­din de son maître.

Le pre­mier sou­ci du véné­rable évêque fut de s’appliquer à répa­rer les ruines accu­mu­lées par les bar­bares. Sa renom­mée grandis­sait sans cesse. Lorsque Honorat fon­da le monas­tère de Lérins et qu’Eucher, le futur évêque de Lyon, vou­lut se reti­rer dans une île voi­sine de Lérins, tous deux envoyèrent à Nole des mes­sa­gers pour étu­dier le genre de vie qu’on y pra­ti­quait. Saint Augustin écri­vit à Paulin au sujet de l’hérésie péla­gienne. L’évêque de Nole com­battit cette erreur cap­tieuse qui, niant le péché ori­gi­nel, aboutis­sait à nier la néces­si­té de la grâce, et il dut excom­mu­nier plu­sieurs de ses prêtres qui la favo­ri­saient. Enfin, c’est à Paulin qu’on attri­bue l’invention des cloches. Non pas que l’usage des son­nettes ait été incon­nu avant lui, mais c’est lui qui, le pre­mier, aurait eu l’idée de faire fondre de ces ins­tru­ments plus volu­mi­neux, les cloches, qui, sus­pen­dus dans les airs au-​dessus ou à côté des églises, devaient appe­ler les fidèles aux offices divins. Dans ce des­sein, il aurait édi­fié le pre­mier clo­cher ou tour cam­pa­naire. Une splen­dide mani­fes­ta­tion de cette tra­di­tion a lieu encore à Nole le 22 juin de chaque année, pour la fête des « lis » .

Ce jour-​là, dans les rues de la ville, se déroule une pro­ces­sion, où figurent divers tableaux vivants repré­sen­tant les prin­ci­paux épi­sodes de la vie de saint Paulin ; or, dans l’un de ces tableaux, trente jeunes gens portent une énorme pyra­mide de fleurs, de lis spé­cia­le­ment, et, cachés au sein de cette pyra­mide, des enfants agitent des clochettes.

Mort de saint Paulin. – Son culte.

Cependant, mal­gré une san­té débile, Paulin était arri­vé à sa soixante-​dix-​septième année. Au mois de juin 431, il fut atteint d’une pleu­ré­sie aiguë et dut s’aliter. Il fît alors dres­ser un autel dans sa chambre, afin de pou­voir y célé­brer encore le Saint Sacri­fice avec les évêques Symmaque et Acyndine accou­rus à son che­vet. Pendant les deux jours qui sui­virent, il tint à réci­ter Laudes et Vêpres avec ceux qui l’entouraient ; il réta­blit dans sa commu­nion les quelques prêtres péla­giens qu’il avait dû en retran­cher et qui se repen­taient ; il sol­da une petite dette oubliée avec un argent qui lui fut appor­té, on peut dire, mira­cu­leu­se­ment ; saint Janvier et saint Martin lui appa­rurent pour le récon­for­ter et, vers le soir du troi­sième jour, il expi­ra pai­si­ble­ment. Au moment où il ren­dait le der­nier sou­pir, une vio­lente secousse ébran­la la pièce où il se trou­vait ; c’é­taient, dit le prêtre Uranius, qui nous a trans­mis le récit de cette mort admi­rable, « les anges qui venaient empor­ter aux cieux l’âme de Paulin ».

Le peuple de Nole et des envi­rons pleu­ra le saint évêque comme un père, lui fît de magni­fiques funé­railles et l’ensevelit auprès de saint Félix, qu’il avait tant aimé. Plus tard, on ne sait à quelle occa­sion, les reliques de saint Paulin furent trans­por­tées à Béné­vent, mais en l’an 1000 l’empereur Othon III, pas­sant en cette ville, les empor­ta à Rome et les pla­ça dans l’église Saint-Barthélemy-en‑l’Ile, qu’il venait de construire. Elles y res­tèrent, sous l’autel de la cha­pelle à gauche du sanc­tuaire, jusqu’au début de ce siècle.

Par des lettres apos­to­liques du 18 sep­tembre 1908, saint Pie X se ren­dant au désir expri­mé à son pré­dé­ces­seur par de nom­breuses sup­pliques, accor­da à l’Eglise de Nole de ren­trer en pos­ses­sion des restes de saint Paulin. Le Pape lui-​même res­ti­tua solen­nel­le­ment les reliques, le 14 mai 1909, au cours d’une céré­mo­nie qui eut lieu au Vatican, dans la salle du Consistoire. On les vénère aujourd’hui sous l’autel du tran­sept gauche de la cathé­drale, recons­truite de fond en comble, à l’exclusion du clo­cher du xiiie siècle, qui a pu être con­servé. Le docu­ment pon­ti­fi­cal cité a éle­vé l’office de saint Paulin au rite double pour l’Eglise universelle.

Th. Vettard.

Sources consul­tées. – Œuvres de saint Paulin, dans Migne, Patr. lat., t. LXI. – Lagrange, Histoire de saint Paulin de Nole (Paris, 1882). – André Baudrillart, Saint Paulin, évêque de Nole (Collection Les Saints, Paris, 1905). – (V. S. B. P., n° 280.)