Au sud est de Rome, dans cette belle région des Abruzzes située près de l’Adriatique, se trouve un charmant petit village dont la plus grande richesse est de posséder une insigne relique : le Volto Santo de Manoppello, c’est-à-dire le Saint Visage de Manoppello.
L’apparence
Celui qui pénètre dans le sanctuaire peut apercevoir en haut de l’autel majeur, un reliquaire vitré au travers duquel on distingue le visage du Christ. Le voile a les dimensions d’un visage : 24 x 17,50 cm. D’emblée, l’œil est attiré par le regard du Christ où se lit une douceur nimbée de tristesse. La bouche du Christ est entrouverte, le visage marqué de plusieurs taches brunes. C’est le visage d’un homme de douleurs.
Au premier coup d’œil, on peut être étonné voire rebuté par le manque de beauté de cette sainte face, déroutante lorsqu’on connaît la majesté du visage du linceul de Turin révélée par la photographie de Secundo Pia en 1898 et les travaux en trois dimensions de la NASA. Mais dès que l’on scrute de plus près cette sainte face, plusieurs caractéristiques étonnantes se révèlent.
Tout d’abord, ce voile est biface ; un peu comme un négatif de photographie, on peut le regarder des deux côtés, cas unique au monde. Ensuite, le voile peut revêtir une transparence quasi complète en fonction de l’exposition à la lumière. Ainsi peut-on lire un journal derrière cette image. Puis, toujours en fonction de la luminosité, le visage prend différentes physionomies : le regard semble changer jusqu’à même disparaître. Quelle est cette étrange relique ? D’où vient-elle ? quelle est son histoire ? Serait-elle une authentique relique de la Passion ?
L’histoire
Efforçons-nous de remonter le cours du temps. Le voile apparaît de manière certaine à Manoppello en 1645 où son culte public est officiellement autorisé. Quelques années auparavant, en 1638, Antonio de Fabritiis l’avait donné aux capucins. Ainsi le précise la Relatione historica du P. Donato da Bomba, écrite en 1640. Au dire de ce dernier, Antonio de Fabritiis avait acquis la relique entre 1618 et 1620 des mains de Marzia Leonelli, descendante du docteur Giacomantonio Leonelli qui l’aurait lui-même reçue d’un pèlerin en 1506.
Marchant jusqu’alors sur des don-nées certaines, l’historien pénètre dans des conjectures plus mou-vantes. Auparavant, le voile aurait résidé à Rome à partir de 704 après avoir séjourné à Constantinople depuis 574, venant d’Égypte où il était depuis trente ans (soit en 544). Il quittait Edesse où il avait été conservé depuis la persécution de Julien l’apostat en 361 où on l’avait éloigné de Rome par précaution. Saint Pierre le tenait de l’apôtre Jude à qui la Vierge Marie l’avait confié. Telle est la reconstitution de l’itinéraire du Santo Volto[1].
D’autres dates plus récentes sont à souligner. Depuis 1690, une procession solennelle en l’honneur de la Sainte face se déroule dans les rues du village. En 1703, un curieux phénomène se réalisa : le Père Bonifacio, supérieur de Manoppello, décida de remplacer le cadre en bois de la relique par un cadre en argent. Surprise, à peine avait-on retiré la relique du cadre de bois pour l’enchâsser dans le cadre en argent, que l’image disparut. Remise dans son humble support, le visage réapparut. Depuis, une solution intermédiaire a été trouvée : le cadre en argent enchâsse le cadre de bois.
Bien des siècles auparavant, Héraclius, l’empereur qui avait repris la Croix du Christ aux Perses en 629 avait reçu une leçon divine d’un esprit comparable. Revêtu de ses habits impériaux, il s’était montré incapable de soulever la Croix du Christ tant qu’il n’avait pas endossé une mise plus conforme à la pauvreté du divin crucifié.
En 1718, Clément XI accorda une indulgence plénière et des ex-voto témoignent des grâces obtenues par les pèlerins. Venu en pèlerinage en 2006, Benoît XVI éleva l’église au rang de basilique.
Les recherches scientifiques
Si l’histoire semble embrouillée, comme souvent dès qu’il s’agit de suivre à la trace une relique dont on a perçu bien tardivement la nécessité de marquer les étapes chronologiques, la science a des renseignements plus précis et sans doute plus probants pour des hommes du XXIe siècle friands de détails matériels et technologiques.
La matière : du byssus marin
Ce petit voile intrigue par sa matière, le byssus. Il existe trois types de cette sorte de linge : le lin, la soie, ou la laine (ou soie) de fibres de coquillages. Le voile de Manoppello est de cette dernière espèce. Les fils de ce tissu sont obtenus à partir des filins par lesquels un gros coquillage, le Pinna nobilis, une sorte de grosse moule, s’arrime au fond de mer. Ces fils sont très fins et solides. De couleur naturelle, ils sont bruns. Ils ont comme propriété de ne pouvoir être peints. La peinture ne tient pas et se détache du tissu quelques minutes après y avoir été appliquée.
La seule solution pour teindre le tissu consiste à le faire cuire dans la peinture mais dans ce cas, le tissu est monochrome. Pour établir un dessin polychrome avec du byssus marin, il faut utiliser plusieurs fils préalablement teintés de couleurs différentes.
Inutile de préciser que ce genre de voile est précieux. Il jouit également d’une étrange réactivité à la lumière. Placé à contre-jour, le voile est transparent. Face au soleil, il prend une teinte dorée si éclatante qu’il semble tissé de fils d’or. Ce tissu est d’autant plus inconnu de notre époque qu’il ne reste plus qu’une seule personne à savoir tisser le byssus marin, Chiara Vigo. Appelée auprès du Volto santo, elle reconnut facilement le tissu marin. « Ce qui lui échappait cependant, c’était qu’on ait réussi à tisser un fil aussi fin. Les irrégularités présentes lui faisaient dire que le tissu avait été réalisé sur un cadre en bois et non sur un métier. Mais au Ier siècle, on savait réaliser des tissus de cette finesse. On en trouvait sur les momies. »[2]
Naturellement, on a regardé le voile de Manoppello au microscope pour voir si les fibres étaient recouverts de peinture. Il n’en est rien. Au dire du Pr. Donato Vittore, orthopédiste et traumatologue, de l’université de Bari, aucun pigment n’apparaît sur ce voile… polychrome. Seuls apparaissent ici ou là quelques dépôts bruns résiduels (du sang ?). Quelques roussissures – comme une brûlure analogue à celle du Linceul de Turin – se distinguent notamment pour le rond des yeux.On a également utilisé une technique (la lampe de Wood) pour voir s’il y avait quelque composition matérielle ajoutée à la matière naturelle du voile. La réponse est sans conteste : aucune trace de substance synthétique ne figure sur le voile.
À l’heure actuelle, on est dans l’impossibilité d’expliquer scientifiquement la composition de cette image. En réalité, nous nous trouvons face à une image achéropoïète, c’est-à-dire une image non peinte de main d’homme.
L’historiographie
Sœur Blandina Paschalis Shlömmer a par ailleurs mené une étude iconographie des plus troublantes.
Mettant en parallèle l’image de Manoppello avec de très nombreuses et antiques représentations du visage du Christ, elle a découvert des ressemblances extrêmement frappantes entre elles, tendant à montrer que le Saint Voile avait servi de modèle à nombre de figures antiques. La ressemblance est si grande que l’on peut superposer les images du Saint Voile et de nombreuses représentations. Le résultat est fascinant.
Le parallèle avec le Linceul de Turin et le Suaire d’Oviedo
Mais l’étude à nos jours la plus stupéfiante est celle du rapprochement entre le voile de Manoppello, le Saint Suaire de Turin et le Suaire d’Oviedo. Lorsqu’on superpose les trois images, elles se composent admirablement bien et se confortent mutuellement, donnant du visage du Christ une image plus vivante encore. Même dimensions, au millimètre près, avec les traits semblables : barbe arrachée, nez cassé. Une seule différence importante : le linceul de Turin porte la marque de pièces sur les paupières de Jésus. Le voile présente un Christ aux yeux ouverts. Serions-nous alors devant le visage du Christ à l’instant où il rouvre les yeux avant de rendre glorieux son divin corps ?
Au dire de Padre Pio, « Le Volto Santo de Manoppello est certainement le plus grand miracle que nous ayons sous les yeux. »[3]
Il reste évidemment de nombreuses questions. Sur l’histoire de cette relique, sur son identité avec le voile de Véronique. Mises à part les études iconographique, photographique, et microscopique, le voile n’a fait l’objet d’aucune autre analyse scientifique. Aucun fragment de ce voile, encore méconnu, n’a été prélevé et analysé.
Gageons que l’avenir nous réserve quelques heureuses surprises sur cette relique sur laquelle il reste quelques commentaires à faire.
Le regard du divin agneau
Le premier, c’est que cette relique de la Passion du Christ – puisqu’on a tout lieu de croire qu’elle en est – nous livre la seule reproduction du regard du Christ.
Si l’on a pu noter avec le P. Calmel que « La seule image que Jésus nous ait laissée de lui-même n’est pas celle de son visage transfiguré sur le Thabor, mais cette face dont la beauté est voilée par les humiliations et par la mort de la croix. »[4], on peut ajouter que le seul regard que le Christ nous ait laissé est ce regard aimant et douloureux de sa passion, le regard, non du souverain juge, non du transfiguré, non du divin maître prêchant les béatitudes, mais celui de l’Agneau immolé.
Mais un regard appelle un regard. Si le Christ nous regarde avec l’œil du bon pasteur qui donne sa vie pour ses brebis, il attend un autre regard, d’amour et de reconnaissance.
Le regard fixe du Christ est un appel à la contemplation dont l’objet est l’œuvre la plus grande qui soit : l’immolation du Christ pour le salut de nos âmes, car « il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ».
Abbé François-Marie Chautard
Source : Le Chardonnet n°356
- Pour en savoir plus sur les arguments qui fondent cette reconstitution, voir (sœur) Blandina Paschalis Shlömmer, Jésus-Christ Agneau et Beau Pasteur, Face à face avec le Voile de Manoppello, Librim concept, 2015, p. 92, notamment[↩]
- (sœur) Blandina Paschalis Shlömmer, Jésus-Christ Agneau et Beau Pasteur, Face à face avec le Voile de Manoppello, Librim concept, 2015, p. 75[↩]
- Cité dans l’excellent ouvrage La Passion de Jésus-Christ, éd. du MJCF, 2012, p. 64[↩]
- Père Roger-Thomas Calmel, « Si ton œil est simple » ; cité par Le Sel de la terre, n° 12 bis, mai 1995, p. 224.[↩]