La messe est ce qu ’il y a de plus beau et de meilleur dans l “Eglise […] Aussi le démon a‑t-il toujours cherché au moyen des hérétiques à priver le monde de la messe.
Saint Alphonse de Liguori
A l’opposé d’une telle pensée, Luther ne masquait pas son rejet vigoureux de la messe :
« Quand la messe sera renversée, je pense que nous aurons renversé la papauté ! Car c’est sur la messe comme sur un rocher que s’appuie la papauté tout entière, avec ses monastères, ses évêchés, ses collèges, ses autels, ses ministres et sa doctrine… Tout s’écroulera quand s’écroulera la messe sacrilège et abominable »[1]
Au-delà de la virulence du propos, ce dernier manifeste l’abîme séparant la conception luthérienne de la doctrine catholique au sujet de la messe.
Cette opposition semble avoir été considérablement diminuée par la réforme du missel romain opérée par Paul VI en avril 1969. Dès le mois de mai 1969, le protestant Max Thurian de la communauté de Taizé affirmait placidement : « Avec la nouvelle liturgie, des communautés non-catholiques pourront célébrer la Sainte Cène avec les mêmes prières que l’Église catholique. Théologiquement c’est possible ».
Comment expliquer un tel changement ? Le nouveau rite se serait-il rapproché de la position protestante ? Ou seraient-ce les protestants qui auraient changé ?
Deux avis, l’un émanant d’un catholique, l’autre d’un protestant, favorisent la première interprétation.
Mgr Bugnini, principal artisan de la réforme liturgique, eut l’étonnante simplicité de l’avouer : « [dans la réforme liturgique] l’Église a été guidée par l’amour des âmes et le souci de tout faire pour faciliter à nos frères séparés le chemin de l’union, en écartant toute pierre qui pourrait constituer ne serait-ce que l’ombre d’un risque d’achoppement ou de déplaisir »[2].
Les termes employés sont révélateurs « « tout faire », « l’ombre », « d’un risque », « d’achoppement ou de déplaisir ». Pour éviter ce genre d’ombre de risque, Mgr Bugnini n’a rien négligé. Six pasteurs protestants ont ainsi été appelés pour l’aider à concevoir cette nouvelle messe.
Le second avis procède d’un protestant. En 1984, à la suite de l’indult du pape Jean-Paul II autorisant la célébration de la messe de saint Pie V à certaines conditions, le journal Le Monde inséra dans le courrier des lecteurs le texte suivant, signé du Pasteur Viot[3] :
« La réintroduction de la messe de saint Pie V (…) est beaucoup plus qu’une affaire de langue : c’est une question doctrinale de la plus haute importance, au cœur des débats entre catholiques et protestants, débats que pour ma part, je croyais heureusement clos. (…) Beaucoup de nos ancêtres dans la foi réformée selon la Parole de Dieu ont préféré monter sur le bûcher plutôt que d’entendre ce type de messe que le pape Pie V officialisa contre la Réforme. Aussi nous étions-nous réjouis des décisions de Vatican II sur le sujet et de la fermeté de Rome à l’égard de ceux qui ne voulaient pas se soumettre au Concile et continuaient à utiliser une messe à nos yeux contraire à l’Évangile ».
La pensée est claire, le langage franc : l’irréductibilité de la doctrine protestante et de la messe traditionnelle demeure.
Le changement de position ne provient donc pas des protestants, mais du rite catholique. Telle est la conclusion qu’il reste à étayer sur des bases plus solides.
L’étude de la messe de Paul VI n’est donc pas d’un mince intérêt. Ajoutons d’emblée, pour éviter toute équivoque auprès de nos lecteurs du Chardonnet, que l’examen de ce rite ne portera que sur le texte officiel de 1962, et non sur d’incroyables adaptations malheureusement récurrentes.
Pour aborder la réforme du missel liturgique, nous procéderons de la manière suivante :
- Quelques rappels sur la doctrine catholique.
- Le parallèle avec la messe de Luther.
- Les déficiences doctrinales de la messe de Paul VI.
- Ses auteurs.
- Le délicat problème de sa validité.
- Conséquences morales sur l’assistance à la messe de Paul VI.
Rappels de doctrine catholique
Avant de se pencher sur le rite de Paul VI, il convient de procéder à quelques rappels sur la doctrine de la messe et du sacerdoce, des rites des sacrements et enfin de l’hérésie.
1. La doctrine de la messe et du sacerdoce
La doctrine traditionnelle de la messe est la suivante :
- La messe est un vrai et authentique sacrifice.
- La finalité du sacrifice est quadruple : latreutique (rendre gloire à Dieu), eucharistique (le remercier), impétratoire (lui demander des grâces), et propitiatoire (expier nos péchés).
- Le Christ est présent, vraiment, réellement, et substantiellement sous les espèces du pain et du vin.
- Cette présence est réalisée par la transsubstantiation.
Quant au prêtre,
- Il agit à la messe premièrement in persona Christi, c’est-à-dire comme tenant la place du Christ et non comme représentant des fidèles.
- Son sacerdoce est de nature différente de celui des fidèles.
2. Les rites des sacrements
Tout rite sacramentel comporte deux parties : une partie essentielle et une partie accidentelle.
La partie essentielle cause directement l’effet sacramentel. Sans elle il ne saurait y avoir de sacrement (dans la messe, c’est la consécration, dans le baptême, c’est l’ablution d’eau avec la prononciation de la formule : « Je te baptise au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit »). La partie accidentelle entoure la partie essentielle et a pour but de rehausser la solennité du culte rendu à Dieu, préciser l’intention du ministre, disposer les âmes des fidèles à bien participer à ce culte et en recueillir les fruits spirituels. Cette préparation des fidèles vise tout spécialement à former leur foi et à exciter leur dévotion.
Par exemple, le confiteor du début de la messe aide le prêtre et les fidèles à entrer dans les dispositions voulues pour assister à la messe. La gravité des gestes imposés au prêtre au moment où il prononce les paroles de la consécration indique clairement qu’il ne s’agit pas d’un pur récit mais d’une action liturgique.
L’enseignement donné par le rite de la messe est très important pour le commun des fidèles car leur foi est gardée, instruite ou déformée par la liturgie, comme le disait très justement le cardinal Journet : « La liturgie et la catéchèse sont les deux mâchoires de la tenaille avec laquelle on arrache la foi ».
Imaginons un instant un rite qui ne comporterait aucune mention du péché et de la réparation à faire du péché, aucune allusion à une nécessaire pénitence, aucun geste de pénitence (comme le battement de coulpe) et que pendant des années, les fidèles assistent à ce rite, l’idée du péché risquerait fort d’être reléguée au fond d’une conscience jamais réveillée ni inquiétée.
À l’inverse, si un rite demande aux fidèles (prêtres et laïcs) de faire une génuflexion devant le tabernacle, de se mettre à genoux pour recevoir l’hostie des mains d’un prêtre qui tient ses pouces et index joints une fois les paroles de la consécration récitées, de tels fidèles sont à même de savoir et saisir l’enseignement de l’Église au sujet de la présence réelle.
Lex orandi, lex credendi
Ce rapport entre rite et foi est si vrai que dans l’Antiquité le pape saint Célestin 1er usa d’une expression qui devait avoir une notoriété multiséculaire et que bien d’autres papes ont reprise (Benoît XIV, Léon XIII, Pie XI, Pie XII).
« Legem credendi statuat lex supplicandi, lex credendi legem statuat supplicandi », que l’on peut traduire ainsi : « la loi de la prière détermine la loi de la foi, la loi de la foi détermine la loi de la prière », formule reprise de manière synthétique : Lex orandi, lex credendi.
En d’autres termes, la liturgie est le véhicule d’une doctrine et on ne saurait mieux faire pour changer la doctrine d’un peuple que de lui changer sa liturgie.
Ce point est essentiel, car tout sacrement constitue ainsi une profession publique de la foi[4]. Assister à la messe catholique est une profession de cette foi, assister à une messe équivoque tient lieu de caution à une profession de foi douteuse.
La licéité du changement
L’Église a reçu du Sauveur une certaine liberté quant aux rites des sacrements. Elle est libre de façonner un rite accidentel et plus ou moins libre de toucher aux parties essentielles.
Toutefois, le changement liturgique doit conduire au progrès dans l’expression de la foi, la solennité du culte, ou la piété des fidèles, mais assurément pas dans l’appauvrissement du culte ou de la foi des fidèles. Comme le disait Mgr Lefebvre lui-même :
« Nous n’avons jamais refusé certains changements, certaines adaptations qui témoignent de la vitalité de l’Église. En matière liturgique, ce n’est pas la première réforme à laquelle assistent des hommes de mon âge : je venais juste de naître quand saint Pie X se préoccupa d’apporter des améliorations, spécialement en donnant plus d’importance au cycle temporal, en avançant l’âge de la première communion pour les enfants et en restaurant le chant liturgique qui avait connu un obscurcissement. Pie XII, par la suite, a réduit la durée du jeûne eucharistique en raison des difficultés inhérentes à la vie moderne, autorisé pour le même motif la célébration de la messe l’après-midi, (…) Jean XXIII a fait lui-même quelques retouches, avant le concile, au rite dit de saint Pie V. Mais rien de cela n’approchait de près ou de loin ce qui a eu lieu en 1969, à savoir une nouvelle conception de la messe »[5].
Et le grand artisan de la nouvelle messe, Mgr Bugnini le reconnaissait lui-même :
« Il ne s’agit pas seulement de retouche à une œuvre d’art de grand prix, il faut parfois donner des structures nouvelles à des rites entiers (sic). Il s’agit d’une restauration fondamentale, je dirais presque d’une refonte et, pour certains points, d’une création nouvelle »[6].
3. L’hérésie
Il existe deux types d’hérésies : la positive et la négative, la franche et la sournoise.
L’hérésie positive consiste à nier ouvertement une vérité de foi. Ainsi du protestant qui enseigne clairement que le sacrifice de la messe n’est pas un sacrifice propitiatoire.
L’hérésie négative, qui est plus précisément le chemin vers l’hérésie positive ou caractérisée, consiste premièrement à taire intentionnellement une vérité de foi sans la contredire ouvertement pour quelle tombe petit à petit dans l’oubli.
Pie VI condamna ainsi une proposition d’un « synode » de l’Assemblée janséniste tenue par l’évêque de Pistoie en 1794 pour la simple raison quelle omettait de mentionner le mot « transsubstantiation »[7].
Cette manière sournoise d’induire l’hérésie consiste également à orienter l’esprit dans un sens contraire à la foi. Ainsi, en baisant le coran, le pape Jean-Paul II a clairement incité les catholiques à considérer le coran comme un livre sacré et nullement contraire à la foi catholique.
Cette négation sourde des mystères et cette nouvelle orientation doctrinale par des silences intentionnels apparaissent clairement dans la messe de Paul VI si on les compare avec la cène luthérienne.
La messe de Luther
Zélé défenseur de la messe traditionnelle, Mgr Lefebvre n’hésitait pas à qualifier le NOM[8] de « messe de Luther ». Exagération rhétorique ou réalité doctrinale ? Un rapide parallèle entre les deux répond à la question.
1. La doctrine protestante
La doctrine protestante de la « messe » est fondée sur trois principes clefs : la transsubstantiation, le sacerdoce ministériel (du prêtre) et le sacrifice de la messe sont des inventions, sinon du diable, du moins des hommes.
- La présence réelle : dans l’hostie, il y a une présence réelle mais purement spirituelle. Il n’y pas de transsubstantiation, c’est-à-dire de conversion du pain en corps, sans que rien ne reste du pain que les apparences, mais le pain demeure et Jésus-Christ y vient spirituellement par la foi des fidèles et n’y demeure que le temps de la cène ;
- Le sacerdoce catholique est une prétention injustifiée. Tout baptisé est prêtre. Celui qui tient le rôle du prêtre n’a tout au plus qu’un rôle de président d’assemblée, afin que celle-ci offre un sacrifice de louange, c’est-à-dire une prière, avec ordre et dignité.
- Le sacrifice de la messe est une abomination. La cène ou l’eucharistie est un pur mémorial, une louange de Dieu et une prédication faite aux hommes, mais non pas un sacrifice où serait immolé le Christ, a fortiori en expiation de nos péchés. L’offertoire qui exprime cette dimension sacrificielle et expiatoire est donc la première prière à supprimer.
2. La tactique de Luther
Voulant déraciner dans l’âme des Allemands le sens de la messe, Luther comprit qu’il fallait procéder avec habileté. « Pour arriver plus sûrement au but, disait-il, il faut conserver certaines cérémonies de l’ancienne messe pour les faibles qui pourraient être scandalisés par le changement trop brusque ». Par voie de conséquence, Luther conserva certaines prières, certains chants (le Kyriale) pour faire basculer en douceur les fidèles vers l’hérésie.
Conseil qui ne fut pas oublié du père Mortimart, une des chevilles ouvrières du prétendu progrès liturgique : « Si l’on décide des modifications plus radicales, on pourrait conserver les vieux usages, les anciens chants, les formules qui ont charmé notre sacerdoce, dans les monastères et dans certaines églises, qui, par leur caractère ne sont pas fréquentées par un public populaire ; la chapelle Sixtine, les abbayes n’attireront jamais qu’une élite accessible aux chefs‑d’œuvre de la prière et de l’art »[9].
En somme, une messe pour les esthètes et une autre pour le peuple ! Pour y arriver, il fallait procéder avec méthode, en dosant un certain nombre de suppressions et d’ajouts, que l’on retrouve justement dans la messe de Paul VI.
3. Suppressions de la cène protestante identiques à celles du NOM
- la mention de la virginité perpétuelle de la Vierge Marie ;
- la mention des saints,
- la génuflexion avant la consécration tandis que celle qui suit était laissée. En effet, pour les protestants, c’est la foi des fidèles qui fait la présence suivant la parole du Christ : « Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ». Ainsi, le Christ n’est présent qu’une fois que l’hostie a été montrée au peuple et non avant. Or, dans le NOM, le prêtre ne fait une génuflexion qu’après avoir élevé l’hostie ;
- l’offertoire ;
- le canon ;
- le tabernacle, etc.
4. Ajouts de la cène protestante identiques à ceux du NOM
- une prière universelle ;
- une augmentation de la « liturgie de la parole ». « Le culte s’adressait à Dieu, comme un hommage, disait Luther, il s’adresse désormais à l’homme pour le consoler et l’éclairer. Le sacrifice occupait la première place, le sermon va le supplanter. »[10] ;
- l’acclamation après le Pater ;
- la double communion ;
- la présentation à haute voix des oblats et du Canon ;
- l’usage de la langue vernaculaire ;
- la célébration tournée vers le peuple, etc.
Voici pour terminer le récit d’une cène protestante du temps de Luther :
« La plus grande anarchie régnait parmi les prêtres. Chacun disait maintenant la messe à sa guise. Le conseil débordé résolut de fixer une liturgie nouvelle destinée à rétablir l’ordre en consacrant les réformes.
On y réglait la façon de dire la messe. L’Introit, le Gloria, l’Épître, l’Evangile, le Sanctus étaient conservés, suivait une prédication. L’Offertoire et le Canon étaient supprimés. Le Prêtre réciterait simplement l’institution de la Cène, dirait à haute voix et en allemand les paroles de la Consécration, et donnerait la communion sous les deux espèces. Le chant de l’Agnus Dei, de la communion et du Benedicamus Domino terminait le service.
Luther s’inquiète de créer de nouveaux cantiques. (…) Luther ménage les transitions. Il conserve le plus possible de cérémonies anciennes. Il se borne à en changer le sens. La messe garde en grande partie son appareil extérieur. Le peuple retrouve dans les églises le même décor, les mêmes rites, avec des retouches faites pour lui plaire, car désormais on s’adresse à lui beaucoup plus q’auparavant. Il a davantage conscience de compter pour quelque chose dans le culte. Il y prend une part plus active par le chant et la prière à haute voix. Peu à peu le latin fait place définitivement à l’allemand.
Le peuple a davantage conscience de compter pour quelque chose dans le culte. »
La consécration sera chantée en allemand. Elle est conçue en ces termes : « Notre Seigneur dans la nuit qu’il fut trahi prit du pain, rendit grâces, le rompit et le présenta à ses disciples en disant : “Prenez et mangez, ceci est mon corps qui est donné pour vous. Faites ceci, toutes les fois que vous le ferez, en mémoire de moi”. De la même manière il prit aussi le calice après le souper et dit : “Prenez et buvez en tous, ceci est le calice, un nouveau testament, dans mon sang qui est versé pour vous et pour la rémission des péchés. Faites ceci, toutes les fois que vous boirez ce calice, en mémoire de moi” ».
Ainsi se trouvent ajoutées les paroles quodpro vobis tradetur “qui est donné pour vous” » et supprimées mysterium fidei et pro multis dans la consécration du vin »[11].
On comprend ces remarques du R. P. Calmel sur la tactique du moderniste :
« La manière directe d’un quelconque réformateur combatif et fanatique, mais loyal, répugne à son personnage tout pétri de mensonge. Son jeu est autrement subtil. Il sait fort bien que pour faire évoluer l’Église il faut avant tout changer la Messe. Mais il faut aussi dans une entreprise d’une telle envergure éviter autant que possible de donner l’éveil. La difficulté serait résolue si l’on arrivait à forger une Messe qui, d’une part, serait encore acceptable pour ceux qui n’ont pas varié dans la foi catholique et apostolique, et d’autre part ne répugnerait pas à ceux qui ont une foi beaucoup plus large ; c’est-à-dire à ceux qui n’ont pas de foi du tout. De fait la difficulté des modernistes à forger une Messe qui puisse demeurer encore une Messe, bien quelle soit équivoque, et quelle tende à l’abolition de la Messe, bref la difficulté de mentir avec une habilité suprême a été finalement résolue. (…) Quels moyens sont mis en œuvre pour ruiner le Canon romain, pour faire régner l’équivoque et l’indévotion dans une ordonnance rituelle qui n’était jusqu’ici que vérité et piété ? Ces moyens sont les déplacements, les ajouts et surtout le silence intentionnel. (…)
Disons pour conclure le bref examen des nouvelles Preces que rien n’y est laissé au hasard. Tout est calculé. Tout s’infléchit dans une direction précise »[12].
Paul VI reconnaissait lui-même la portée « pédagogique » de la réforme liturgique :
« … la nouvelle pédagogie religieuse, que veut instaurer la présente rénovation liturgique, s’insère pour prendre la place de moteur central dans le grand mouvement inscrit dans les principes constitutionnels de l’Église de Dieu.” »[13]
De profondes déficiences doctrinales
Le plus grand reproche fait au missel de Paul VI touche la profession de la foi catholique. Le rite lui-même, dans ses gestes et ses paroles, dans l’ensemble comme dans le détail, altère la foi catholique. Il ne la contredit pas frontalement, il l’escamote, il la tait, il la noie.
1. Quant au mystère chrétien
Le rite a pour tâche d’instruire prêtres et fidèles et de les disposer au culte de Dieu par ce rappel des vérités de foi. Or, le nouveau rite s’accompagne d’un appauvrissement considérable de ces rappels. Nombre de vérités sont altérées et mises sous le boisseau moyennant la suppression de prières qui ne sont pas remplacées :
Le péché : le NOM ne contient plus les prières de l’Indulgentiam, de l’Aufer a nobis, de l’Oramus te, du Deus qui humanœ, du suscipe sancte Pater qui toutes, rappelaient la condition pécheresse de l’homme.
Le mépris des choses de ce monde : « On a changé dans ce missel nouveau toutes les oraisons, toutes les prières qui parlent du mépris des choses de ce monde pour nous attacher aux choses célestes. Quelle idée ont eue ceux qui ont changé ces choses-là ? Est-ce que vraiment les choses célestes ne sont pas telles que nous devons mépriser les choses terrestres, qui sont pour nous une occasion de péché »[14] ?
Le combat spirituel : « On a supprimé dans les oraisons tout ce qui indiquait la lutte, le combat spirituel. Les termes “persécuteurs, ennemis” , tout cela est supprimé sans raison. Par exemple saint Jean de Capistran : “[Dieu qui…] avez fait triompher [vos fidèles] des ennemis de la Croix (…) faites, nous vous en prions, que, par son intercession, ayant vaincu les pièges de nos ennemis spirituels” »[15].
Le mystère de la Rédemption : on parle de « salut » d’une manière très vague.
La virginité perpétuelle de la Vierge Marie : dans le NOM, il est possible (suivant le choix des prières proposées) de ne pas parler de la Vierge Marie. Et l’on sait que la virginité perpétuelle de Marie est une pierre d’achoppement pour les protestants… Du reste, le mot « perpétuelle » n’est présent que dans une seule des quatre prières eucharistiques. À l’inverse, l’ancien rite répétait ce dogme au moins cinq fois.
La Royauté du Christ-Roi : « À propos du Christ-Roi, on a supprimé deux strophes qui parlent du Règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ »[16].
La foi dans les fins dernières : « Le rite des défunts a été modifié. Le mot anima a fréquemment disparu de nombreuses oraisons pour les défunts, parce qu’avec les nouvelles philosophies on ne sait plus vraiment s’il y a une distinction réelle entre l’âme et le corps. Alors il ne faut plus parler d’âme. C’est incroyable, inimaginable ! Il n’y a plus de dévotion pour les défunts, il n’y a plus le sens du purgatoire »[17].
2. Quant à l’aspect sacré des mystères
Les rubriques mêmes du missel institutionnalisent cette perte du sens du sacré à travers la mutabilité permanente du rite et un relâchement liturgique général.
La mutabilité permanente du rite dénature son caractère sacré, ne serait-ce que par la diversité des messes : la première partie de la messe compte 3 formules, la deuxième 3, et le canon 4. On peut donc construire « sa » messe selon 3x3x4 possibilités. Cela en se limitant aux paroles, sans parler des gestes et autres cérémonies que l’on peut ajouter et inventer à sa guise au gré des conseils paroissiaux. Donner au prêtre et à son conseil paroissial une liberté de gestes quasi-totale et une très large part à l’initiative collective pour les textes de la messe engendre mécaniquement une perte du respect dû au rite lui-même. Il est rare que l’imagination ou la fantaisie aille de pair avec le sens du respect.
À l’inverse, l’utilisation d’un rite stabilisé depuis une quinzaine de siècles et codifié dans le détail de ses paroles et de ses gestes engendre un profond respect du prêtre et des fidèles. La moindre des règles pédagogiques pour enseigner le caractère sacré d’un objet, c’est de ne pas le mettre entre toutes les mains et d’interdire de le transformer à son gré.
Un relâchement liturgique général engendré par l’abandon et la suppression d’une grande partie des marques de respect, en particulier :
♦ De l’obligation de la pierre d’autel, ainsi que du caractère précieux des vases sacrés, d’une des trois nappes d’autel ou encore de certains ornements (le manipule, l’amict, le cordon, le voile de calice et la bourse voire la chasuble elle- même) ;
- Des génuflexions dont le nombre passe de 12 à 2, des signes de croix qui passent de 47 à 7–8,
- Du nombre de prières qui réduisent le temps de la messe – en prenant au plus court – à 10/12 minutes.
Lucide, Mgr Lefebvre l’observait : « La désacralisation a lieu d’abord par la langue vernaculaire. La suppression de la langue sacrée qu’était le latin a en quelque sorte rendu profane la sainte messe et en a fait quelque chose qui n’est plus vraiment sacré.
Par la prononciation de cette traduction à haute voix pendant toute la sainte messe. Il n’y a plus de moment silencieux, il n’y a plus de paroles dites à voix basse par le prêtre (…) qui invitent à la méditation sur le grand mystère qui s’y réalise.
Par l’introduction de la table au lieu de l’autel. (…)
Par la position du prêtre. La messe face au peuple n’invite pas du tout au recueillement face au mystère qui se déroule. Le prêtre est lui-même distrait par les personnes qu’il a devant lui. Et les gens sont distraits par le prêtre, surtout si celui-ci agit d’une manière un peu vive, un peu désordonnée, ou d’une manière qui n’est pas très respectueuse. (…)
Par la distribution de l’Eucharistie par les fidèles »[18].
3. Suppression de l’aspect sacrificiel
« La messe n’est pas un sacrifice… appelons-la bénédiction, eucharistie, cène du Seigneur… qu’on lui donne tout autre titre qu’on voudra, pourvu qu’on ne la souille pas du titre de sacrifice. Cette abomination (…) qu’on appelle Offertoire. C’est de là qu’à peu près tout résonne et ressent le sacrifice. » Luther[19]
Malheureusement, le NOM s’infléchit dans le sens d’un repas et non d’un sacrifice. Cette évolution se traduit de quatre manières :
a) Par la suppression de l’offertoire.
Dans la doctrine catholique, l’offertoire a pour finalité de préciser le but sacrificiel de la messe, à savoir l’offrande du Corps et du Sang en expiation de nos péchés. L’offertoire est ainsi l’offrande (1) anticipée du Corps et du Sang de Jésus-Christ (2) faite à Dieu le Père (3), présentée par le prêtre (4) en expiation de nos péchés (5). C’est pourquoi l’offertoire traditionnel développe ces 5 points sans aucune équivoque possible. Ce n’est plus le cas du nouvel offertoire qui n’est pas l’offrande anticipée du corps et du sang du Christ mais une prière conçue à partir d’un bénédicité juif[20].
b) Par la suppression de la mention de sacrifice propitiatoire.
« Les prières qui exprimaient explicitement l’idée de propitiation comme celles de l’offertoire et celles prononcées par le prêtre avant la communion ont été supprimées (…)[21] Le terme de sacrifice est totalement absent du Canon n° 2, dit de saint Hippolyte[22]
La diminution de la notion du sacrifice est donc évidente dans le nouveau rite, car le terme lui-même de sacrifice est rarement employé, et quand il est employé, il l’est à la manière des protestants, parce que les protestants acceptent le terme de sacrifice pour la messe, mais uniquement comme sacrifice de louange ou eucharistique, mais surtout pas propitiatoire. »[23]
c) Par le style narratif de la consécration faisant penser davantage à un récit commémoratif qu’à une action liturgique.
d) Par les gestes liturgiques eux- mêmes
« Par ailleurs, pour analyser le nouveau rite, je pense qu’il ne faut pas considérer seulement les textes, il faut prendre en compte également toutes les attitudes, les gestes nouveaux qui sont commandés : les génuflexions, les signes de la croix, les inclinations (…) et même le changement dans les objets »[24]. « Tout a été transformé ! Plus de génuflexions, plus de signe de croix ! C’est abominable ! Le signe de croix montrait bien qu’il s’agissait du sacrifice de la Croix. Ne disons pas que ce sont des détails. Ce ne sont pas des détails. Ce sont des gestes qui ont leur signification, qui ont leur valeur. »[25]
4. Diminution de la foi dans la présence réelle
«… Il est impossible de ne pas remarquer l’abolition ou l’altération des gestes par lesquels s’exprime spontanément la foi en la Présence réelle. Le nouvel Ordo Missae élimine :
- les génuflexions, dont le nombre est réduit à trois pour le prêtre célébrant, et à une seule (non sans exceptions) pour l’assistance, au moment de la consécration ;
- la purification des doigts du prêtre au-dessus du calice et dans le calice ;
- la préservation de tout contact profane pour les doigts du prêtre après la consécration ;
- la purification des vases sacrés, qui peut être différée et faite hors du corporal ;
- la pale protégeant le calice ;
- la dorure intérieure des vases sacrés (…)
- la consécration de l’autel mobile ;
- les trois nappes d’autel, réduites à une seule ;
- l’action de grâces à genoux (…) ;
- les prescriptions concernant le cas où une Hostie consacrée tombe à terre, réduites au numéro 239 à un « reverenter accipiatur » presque sarcastique.
Toutes ces suppressions ne font qu’accentuer de façon provocante la répudiation implicite du dogme de la Présence réelle »[26].
5. Diminution de la foi dans la présence réelle
Cet appauvrissement doctrinal – en particulier cet affaiblissement de la notion de messe sacrifice au profit de l’idée d’une messe repas – conduit logiquement à une diminution de la place du prêtre. La messe devient une réunion présidée par un prêtre qui est moins sacrificateur qu’animateur d’une assemblée réunie pour faire mémoire à travers un repas symbolique. Ce nouveau gauchissement se manifeste par :
- La suppression de prières récitées uniquement par le prêtre ou au nom du prêtre comme le confiteor qui est désormais récité en commun. De même, des prières formulées avec un « je » ont disparu ou ont été modifiées.
- La suppression de prières récitées à voix basse par le prêtre. Tout est récité à voix haute signifiant par là que le peuple doit pouvoir entendre ce que dit le prêtre afin de faire cette offrande en même temps que lui. Or, cela était précisément un vœu des protestants, puisque ces derniers nient le caractère propre du prêtre et insistent sur l’offrande communautaire de la cène.
D’une manière habile, la distinction, au lieu, d’être niée, se fait par un simple silence, qui, à terme, conduit à occulter la distinction essentielle entre le prêtre et le fidèle.
6. Une nouvelle définition
Parmi les aspects révélateurs du changement d’orientation doctrinale du nouveau rite figure la première définition du NOM, présente dans la présentation générale du nouveau missel au n°7. Cette définition est un modèle du genre de l’hérésie par défaut.
Voici cette définition de la messe : « La cène du Seigneur, autrement dit la messe, est une synaxe sacrée, c’est-à-dire le rassemblement du peuple de Dieu, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. C’est pourquoi le rassemblement local de la Sainte Église réalise de façon éminente la promesse du Christ : “Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux ”
On peut voir que :
- nulle mention n’est faite du sacrifice tandis qu’on y parle de la « cène » du « rassemblement du peuple de Dieu » et du mémorial ;
- le prêtre est présenté comme un président et non un sacrificateur : « sous la présidence du prêtre » ;
- la présence du Christ est une présence spirituelle comme celle d’une simple prière commune : « le rassemblement local de la Sainte Église réalise de façon éminente la promesse du Christ : “Lorsque deux ou trois sont rassemblés en mon nom, je suis là, au milieu d’eux” » ;
- cette définition correspond s’applique fort exactement au nouveau rite.
En parlant de l’Institutio Generalis ou présentation générale de cette nouvelle institution liturgique, Bugnini déclarait que ce document constituait « un ample exposé théologique, pastoral, catéchétique et liturgique, une introduction à la compréhension et à la célébration de la messe »[27]. Quant au cardinal Villot, parlant au nom de Paul VI, il y voyait « une synthèse des principes théologiques, ascétiques et pastoraux indispensables tant pour la divine doctrine que la célébration, la catéchèse et la pastorale de la messe »[28].
Ce texte déclencha cependant une telle levée de boucliers que cette définition fut modifiée sans pour autant que le sens fût véritablement satisfaisant.
« Mgr Bugnini qui en était l’auteur l’a dit lui-même : – “On a voulu nous faire changer quelque chose à la définition de la messe. Certains ont protesté contre cette définition. C’est ridicule. Cette définition n’était pas du tout protestante ». Mgr Bugnini a essayé de s’excuser et il a dit : – « La nouvelle définition qui a été faite ne change rien à l’essentiel » »[29].[30]
Conclusion
En somme, c’est l’ensemble des grandes vérités de la foi qui sont diminuées, occultées, escamotées dans le rite de la messe ; le mystère de la Rédemption, le péché, l’âme immortelle, la Virginité de Marie, le sacerdoce, la nécessité de l’expiation, tout cela est altéré par ce nouveau rite.
Il n’est donc pas exagéré de conclure que cette nouvelle messe est corrosive pour la foi des prêtres qui la célèbrent et des fidèles qui la suivent, comme hélas, cinquante ans de réforme liturgique le manifestent aisément.
Ses auteurs
1. Paul VI
La messe dite de Paul VI porte son nom. Malgré toutes les pressions possibles, le NOM est signé de Paul VI, daté du pontificat de Paul VI. Il en est le premier responsable, il en est l’auteur authentique.
Il faut d’ailleurs écarter l’idée d’un Paul VI signant en aveugle les textes sur la réforme liturgique.
« Pour montrer que la réforme liturgique a été menée en étroite collaboration avec Paul VI, Mgr Bu- gnini précisera :
« “Combien d’heures en soirée j’ai passées avec lui, étudiant ensemble les nombreux, et souvent volumineux, dossiers qui s’empilaient sur son bureau ! Il lisait et examinait ligne par ligne, mot par mot, annotant tout en noir, rouge ou bleu, critiquant au besoin avec sa dialectique qui réussissait à formuler dix interrogations sur un même point.” « Mais cette description vaut surtout pour les années 1968–1969, après le départ de Lercaro et pendant la phase la plus intense de la préparation du nouvel Ordo Missœ. »[31]
2. Mgr Bugnini
La cheville ouvrière de la « réforme » du missel romain reste cependant Mgr Hannibal Bugnini comme le rappelle Mgr Lefebvre : « La réforme liturgique a été opérée, on le sait, par un père bien connu : le père Bugnini, qui avait préparé cela bien longtemps à l’avance. Déjà en 1955, il faisait traduire les textes protestants par Mgr Pintonello, (…) qui m’a dit à moi-même qu’il avait traduit les livres liturgiques protestants pour le père Bugnini, qui, à ce moment-là, n’était qu’un petit membre d’une commission liturgique. Il n’était rien. Après il a été professeur de liturgie au Latran. Le pape Jean XXIII l’en a fait partir à cause de son modernisme, de son progressisme. Eh bien, il s’est retrouvé président de la Commission de la réforme de la liturgie. C’est tout de même invraisemblable ! J’ai eu l’occasion de constater moi-même quelle était l’influence du père Bugnini. On se demande comment une chose comme celle-ci a pu se passer à Rome. »[32]
La présentation de la nouvelle messe par Mgr Bugnini
« J’étais, en ce temps-là, tout de suite après le concile, Supérieur général de la Congrégation des pères du Saint-Esprit et nous avions à Rome une association des Supérieurs généraux. Nous avons demandé au père Bugnini de nous expliquer ce qu’était sa nouvelle messe, parce qu’enfin tout de même, ce n’était pas un petit événement. (…) Alors, nous avons demandé au père Bugnini de bien vouloir l’expliquer lui-même aux quatre-vingt-quatre Supérieurs généraux qui se sont réunis, au nombre desquels j’étais, par conséquent.
Le père Bugnini, avec beaucoup de bonhomie, nous a expliqué ce qu’était la messe normative. On va changer ça, on va changer ça, on va mettre un autre offertoire, on pourra choisir les Canons, on pourra réduire les prières de la communion, on pourra avoir plusieurs schémas pour le début de la messe. On pourra dire la messe en langue vernaculaire. Nous nous regardions en nous disant : ce n’est pas possible !
Il parlait absolument comme s’il n’y avait jamais eu de messe dans l’Eglise avant lui. Il parlait de sa messe normative comme d’une invention nouvelle.
Personnellement, j’ai été tellement bouleversé, alors que je prends d’habitude assez facilement la parole pour m’opposer à ceux avec lesquels je ne suis pas d’accord, que je suis resté muet. Je ne pouvais pas sortir un mot. Ce n’est pas possible que ce soit à cet homme qui est là devant moi qu’est confiée toute la réforme de la liturgie catholique, du saint sacrifice de la messe, des sacrements, du bréviaire, de toutes nos prières. Où allons-nous ? Où va l’Eglise ?
Deux Supérieurs généraux ont eu le courage de se lever. Et l’un d’eux a questionné le père Bugnini : – « Est-ce une participation active, est-ce une participation corporelle, c’est-à-dire des prières vocales, ou bien est-ce que c’est la participation spirituelle ? En tout cas, vous avez tellement parlé de la participation des fidèles, qu’il semble que vous ne justifiez plus la messe sans fidèles puisque toute votre messe a été faite en fonction de la participation des fidèles. Nous, bénédictins, nous célébrons nos messes sans fidèles. Alors est-ce que nous devons continuer à dire nos messes privées, puisque nous n’avons pas de fidèles qui y participent ? »
Je vous répète exactement ce qu’a dit le père Bugnini, je l’ai encore dans les oreilles tant cela m’a frappé : – « À vrai dire, on n’y a pas pensé », a‑t-il dit ! Après, un autre s’est levé et a dit : – « Mon révérend père, vous avez parlé : on va supprimer ceci, supprimer cela, remplacer ceci par cela, et toujours des prières plus courtes, j’ai l’impression que votre nouvelle messe on va la dire en dix, douze minutes, un petit quart d’heure, ce n’est pas raisonnable, ce n’est pas respectueux pour un tel acte de l’Église. » Eh bien, il lui a répondu ceci : – « On pourra toujours ajouter quelque chose. » Est-ce sérieux ? Je l’ai entendu moi-même. Si quelqu’un me l’avait raconté, j’aurais presque douté, mais je l’ai entendu moi-même. »[33]
3. Les autres experts
A Bugnini, bien d’autres experts se trouvaient mêlés, Dom Botte et Dom Beauduin O.S.B., les jésuites Doncœur et Daniélou, le P. Bouyer, de l’Oratoire, le P. Gy, O.R, ou encore Mgr Dwyer, membre du Consilium de liturgie, archevêque de Birmingham, qui reconnaissait l’importance de cette réforme (conférence de presse, 23 octobre 1967) : « C’est la liturgie qui forme le caractère, la mentalité des hommes affrontés aux problèmes… La réforme liturgique est dans un sens la clé de l’aggiornamento, ne vous y trompez pas, c’est là que commence la révolution… [34]»
4. Les experts protestants
Outre Mgr Bugnini et les experts catholiques du Consilium, six pasteurs protestants participèrent à cette « réforme », comme le numéro 1562, du 3 mai 1970, de la Documentation Catholique (qui nous en présente la photo) en fait foi. Ces pasteurs, au dire de Mgr Baum, responsable pour les affaires œcuméniques de la conférence épiscopale mexicaine, « …ne sont pas là seulement en observateurs, mais aussi en consulteurs. Ils participent pleinement aux discussions sur le renouveau liturgique catholique. Cela n’aurait pas beaucoup de sens s’ils se contentaient d’écouter, mais ils contribuent[35].
Du reste, s’adressant à tous les membres du Consilium (les pasteurs étant présents), le pape Paul VI leur adressait une allocution finale le 10 avril où il s’exprimait de la sorte : « Nous tenons à vous remercier très vivement pour tout le travail que vous avez accompli ces dernières années. En effet, vous vous êtes acquittés avec diligence et compétence d’une tâche complexe et très difficile, sans attendre d’autre récompense que celle de savoir que vous travailliez pour le bien de l’Eglise. »[36]
Epilogue
Une anecdote lamentable sur la rédaction des nouveaux textes liturgiques laisse rêveur sur le professionnalisme des « réformateurs » et leur dévotion pour le trésor de l’Église.
« Mgr Bugnini reconnaîtra qu’une de ces nouvelles prières eucharistiques (qui deviendra la IVe prière eucharistique) fut composée à la hâte, “par un travail quasiment à marche forcée”. Un des consulteurs de la sous-commission, le Père Bouyer, a décrit la même chose, non sans humour et ironie, pour la rédaction de la IIe prière eucharistique, qu’il a rédigée avec Dom Botte, grand spécialiste de saint Hippolyte. Il a dû la composer en urgence, en vingt-quatre heures : « “Entre des fanatiques archéologi- sant à tort et à travers, qui auraient voulu bannir de la prière eucharistique le Sanctus et les intercessions, en prenant telle quelle l’eucharistie d’Hippolyte, et d’autres, qui se fichaient pas mal de sa prétendue Tradition apostolique, mais qui voulaient seulement une messe bâclée, Dom Botte et moi nous fumes chargés de rapetasser son texte, de manière à y introduire ces éléments, certainement plus anciens, pour le lendemain ! Par chance je découvris, dans un récit sinon d’Hippolyte lui-même, assurément dans son style, une heureuse formule sur le Saint-Esprit qui pouvait faire une transition, du type Vere Sanctus, vers la brève épiclèse. Botte, pour sa part, fabriqua une intercession plus digne de Paul Reboux et de son “A la manière de…” que de sa propre science. Mais je ne puis relire cette invraisemblable composition sans repenser à la terrasse du bistrot du Transtévère où nous dûmes fignoler notre pensum, pour être en mesure de nous présenter avec lui à la porte de Bronze à l’heure fixée par nos régents !” » [37]
Intention et validité du nouveau rite
Un sacrement peut être invalide si la matière (par exemple du riz au lieu de pain), la forme (par exemple dire : « ceci est le corps du Christ ») ou le ministre (un laïc au lieu d’un prêtre) font défaut ou également si l’intention de ministre est faussée. Pour que l’intention du ministre suffise à la validité d’un sacrement, il doit avoir l’intention de faire ce que fait l’Église. Or, ce que fait l’Église dans la messe traditionnelle est sans aucune ambiguïté : de toute évidence, l’Église entend offrir un sacrifice propitiatoire.
Mais tout le problème du nouveau rite est qu’il signifie d’une manière ambiguë la présence réelle ainsi que l’offrande d’un sacrifice, et ce sous une claire influence protestante.
Des protestants l’ont remarqué : le nouveau rite est tellement ambivalent qu’on peut lui prêter une signification protestante comme une signification catholique[38]. En d’autres termes, l’intention exprimée par le NOM est douteuse. Tout dépendra donc de l’intention subjective du célébrant à défaut d’une intention objective du rite.
« C’est par l’offertoire que le prêtre exprime clairement son intention. Or cela n’existe plus dans le nouvel ordo. La nouvelle messe peut donc être valide ou invalide selon l’intention du célébrant, alors que dans la messe ancienne, il est impossible pour quelqu’un qui a la foi de ne pas avoir l’intention précise de faire le sacrifice et de le faire selon les fins prévues par la sainte Église. »[39]
Et là se pose un nouveau problème : la déformation du clergé est telle, les hérésies sont tellement répandues dans l’Église qu’un doute demeure sur l’intention authentiquement catholique des prêtres qui célèbrent la messe. Quand on voit, par exemple, la légèreté avec laquelle nombre de prêtres traitent les hosties « consacrées », on est en droit de douter de leur foi en la présence réelle et donc de leur intention catholique quand ils célèbrent « l’eucharistie ».
« Tous ces changements dans le nouveau rite sont vraiment périlleux, parce que peu à peu surtout pour les jeunes prêtres qui n’ont plus l’idée du sacrifice, de la présence réelle, de la transsubstantiation et pour lesquels tout cela ne signifie plus rien, ces jeunes prêtres perdent l’intention de faire ce que fait l’Église et ne disent plus de messes valides. Certes, les prêtres âgés, quand ils célèbrent selon le nouveau rite, ont encore la foi de toujours. Ils ont dit la messe avec l’ancien rite durant tant d’années, ils en gardent les mêmes intentions, on peut croire que leur messe est valide. Mais, dans la mesure où ces intentions s’en vont, disparaissent, dans cette mesure les messes ne seront plus valides, »[40]
C’est aussi le sens de la critique adressée au pape Paul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci dès 1969 : « La portée des paroles de la consécration telles qu’elles figurent dans le Novus ordo y est conditionnée par tout le contexte. (…) Il se peut donc que ces paroles n’assurent pas la validité de la consécration. Les prêtres qui dans un proche avenir n’auront pas reçu la formation traditionnelle et qui se fieront au Novus ordo pour faire ce que fait l’Église, consacreront-ils validement ? Il est légitime d’en douter »[41].
Il est donc abusif de dire que la messe de Paul VI est valide. Elle est en soi douteuse. Elle n’est valide que si l’intention subjective du ministre est catholique. Et malheureusement, celle-ci n’est pas toujours avérée.
Conclusion : notre attitude face à la nouvelle messe
Si l’on rassemble les différents éléments de ce dossier, on peut surtout y voir :
- une protestantisation très nette de ce nouveau rite de la messe avec une désagrégation de la foi : « le nouvel ordo missæ, écrivaient au pape les cardinaux Ottaviani et Bacci, si l’on considère les éléments nouveaux, susceptibles d’appréciations fort diverses, qui y paraissent sous-entendus ou impliqués, s’éloigne de façon impressionnante, dans l’ensemble comme dans le détail, de la théologie catholique de la Sainte Messe, telle quelle a été formulée à la XXe session du Concile de Trente. »[42] Cette messe protestantisée engendre naturellement chez ceux qui la suivent régulièrement une perte du sens de la foi[43].
Ces deux défauts engendrent deux conclusions :
- une messe qui éloigne les âmes de la foi ne peut venir du Saint-Esprit et lui est même opposée. Elle n’est pas catholique ;
- dès lors, il est requis de ne pas y participer, non seulement pour ne pas se laisser gangrener mais aussi pour ne pas coopérer à un rite qui détruit la foi dans l’Église et participer à une profession de foi équivoquée. « Cette messe est empoisonnée. Cette messe est mauvaise, elle fait perdre peu à peu la foi, alors on est bien obligé de la refuser »[44].
« Au sujet de la nouvelle messe, détruisons immédiatement cette idée absurde : si la messe nouvelle est valide, on peut y participer. L’Eglise a toujours défendu d’assister aux messes des schismatiques et des hérétiques, même si elles sont valides. Il est évident qu’on ne peut participer à des messes sacrilèges, ni à des messes qui mettent notre foi en danger »[45].
Conséquence pratique
« Les catholiques fidèles doivent tout faire pour garder la foi catholique intacte et intègre : donc se rendre quand ils le peuvent, ne serait-ce qu’une fois par mois, à la messe de toujours ; apporter leur collaboration active pour aider les prêtres fidèles dans la célébration de ces messes de toujours, avec les sacrements selon les anciens rites et les anciens catéchismes.
Que ceux qui ne peuvent se rendre à ces messes lisent la messe dans leur missel le dimanche, en famille si possible, comme le font les chrétiens des pays de missions, qui ne sont visités par le prêtre que deux ou trois fois dans l’année, parfois une seule fois par an !
Ces directives sont données afin que chacun puisse prendre la ligne de conduite la plus favorable pour la préservation de la Foi. Il va de soi que le précepte dominical oblige lorsqu’il y a une messe de toujours accessible normalement.
C’est l’époque de l’héroïsme ; n’est-ce pas une grâce de Dieu de vivre en ces temps de trouble, afin de retrouver la Croix de Jésus, son sacrifice rédempteur, d’estimer à sa juste valeur cette source de sainteté de l’Église, de la remettre en honneur, de mieux apprécier la grandeur du sacerdoce ? Mieux comprendre la Croix de Jésus, c’est s’élever dans le Ciel et approfondir la vraie spiritualité catholique du sacrifice, du sens de la souffrance, de la pénitence, de l’humilité et de la mort. »[46]
Pour en savoir plus…
- Mgr Lefebvre, La messe de toujours, Clovis ;
- Collectif, La raison de notre combat, Clovis ;
- Abbé G. Célier, La dimension œcuménique de la nouvelle liturgie, Fideliter ;
- M. Davies, La réforme anglicane, Clovis ;
- Abbés Calderon et de La Rocque, Le problème de la Réforme liturgique, Clovis, 2001 ;
- R.E de Chivré O.E, La messe de saint Pie V, commentaires théologiques et spirituels, Touraine micro édition, 2006 ;
- R.E Calmel O.E, Si tu savais le don de Dieu…, T.1 la messe, NEL, 2007 ;
- La messe en question, Actes du Ve congrès théologique de Si Si No No, Paris, 2002 ;
- La messe a‑t-elle une histoire ?, éd du MJCF, 2002 ;
- Amaldo Xavier da Silveira, La nouvelle messe de Paul VI, qu’en penser ?, DEF 1975.
- Abbé Didier Bonneterre, Le Mouvement liturgique, Fideliter, 1980.
- Louis Salleron, La Nouvelle Messe, Collection Itinéraires, NEL, 1976.
Source : Le Chardonnet n° 346 – mars 2019
- Cité par Cristiani, Du luthéranisme au protestantisme, 1910.[↩]
- Toutes ces citations sont tirées de La messe a‑t-elle une histoire ? , éd du MJCF, 2002, p. 134, que nous ne saurions trop recommander.[↩]
- Revenu depuis à L’Église catholique et ordonné prêtre.[↩]
- « De même que les anciens Pères ont été sauvés par la foi dans le Christ à venir, ainsi sommes-nous sauvés par la foi au Christ qui, maintenant, est né et a souffert. Les sacrements sont des signes professant cette foi qui justifie. » Ilia, 61,4, c.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Lettre aux catholiques perplexes, 1984, pp. 45–46.[↩]
- A. Bugnini, conférence de presse du 4 janvier 1967, cité dans La messe a‑t-elle une histoire ? p. 131, note 1.[↩]
- Bulle Auctorem Fidei, 28 août 1794, Dz 2629[↩]
- Novus Ordo Missæ, c’est-à-dire le nouveau rite de la Messe. Nous utiliserons cette abréviation dans le reste de notre document.[↩]
- Cité dans La messe a‑t-elle une histoire ?, éd. du MJCF, p.84.[↩]
- Léon Cristiani, Du luthéranisme au protestantisme, p. 312.[↩]
- Mgr Lefebvre, La messe de Luther, dans La messe traditionnelle, Trésor de l’Église, Fideliter p.33–34[↩]
- Si tu savais le don de Dieu…, 1.1 la messe, NEL, 2007, p.95–96, 98, 114–115, 118[↩]
- Abbé Didier Bonneterre, Le Mouvement liturgique, Fideliter, 1980, p. 135.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Mantes-la-Jolie, 2 juillet 1977.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Conférence spirituelle, Écône, 25 juin 1981.[↩]
- Ibidem[↩]
- Ibidem[↩]
- Le 1er octobre 1979.[↩]
- Formulæ missæ et communiants, 1523.[↩]
- C’est la fameuse prière : « Tu es béni, Dieu de l’univers pour le pain, fruit de la terre et du travail des hommes », etc.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Conférence spirituelle, Écône, 26 octobre 1979.[↩]
- Le NOM laisse le choix entre quatre Canons dont celui dit de saint Hyppolite. Mgr Marcel Lefebvre Lettre aux catholiques perplexes, p. 33.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Conférence spirituelle, Écône, 26 octobre 1979.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Conférence spirituelle, Écône, 25 juin 1981.[↩]
- Mgr Marcel Lefebvre, Retraite, Avrilié, 18 octobre 1989.[↩]
- Bref Examen Critique du NOM des cardinaux Bacci et Ottaviani.[↩]
- Dans une conférence générale de l’épiscopat latino-américano du 30 août 1968.[↩]
- D.C. 1594 p. 866[↩]
- « Puisqu’il est dit et redit officiellement qu’on n’a trouvé aucune erreur doctrinale dans la rédaction originale et que les changements introduits ne visent qu’à couper court à d’inutiles difficultés, on peut continuer de s’appuyer sur le texte de 1969. Il représente la pensée de l’Institutio generalis comme à l’état pur, en deçà des compromis « imposés » » Jean-Marie R. Pillard, « La réforme liturgique et le rapprochement des Églises », in Liturgia opéra divina e umana. Studi sulla riforma liturgica offerti a S.E. Mgr Annibale Bugnini, Edizioni Liturgiche, 1982, p. 223.[↩]
- Mars 1986[↩]
- Yves Chiron, Mgr Bugnini [1912–1982), Réformateur de la liturgie, Desclée de Brouwer, 2016, p. 120–121.[↩]
- L’Église infiltrée par le modernisme, p. 31.[↩]
- LÉglise infiltrée parle modernisme, pp. 32–34.[↩]
- Cité par Mgr Lefebvre dans sa Lettre au cardinal Seper, 26 février 1978[↩]
- Cité dans La messe a‑t-elle une histoire ? p. 91[↩]
- D.C. 1970, n°1562, p. 416[↩]
- Yves Chiron, Mgr Bugnini (1912–1982), Réformateur de la liturgie, Desclée de Brouwer, 2016, pp. 146–147.[↩]
- En 1973, le Consistoire Supérieur de l’Église de la Confession d’Augsbourg d’Alsace et de Lorraine publiait une Déclaration officielle dans laquelle figuraient ces lignes : « Etant données les formes actuelles de la célébration eucharistique dans l’Église catholique et en raison des convergences théologiques présentes, beaucoup d’obstacles qui auraient pu empêcher à un protestant de participer à sa célébration eucharistique semblent aujourd’hui en voie de disparition. Il devrait être possible, aujourd’hui, à un protestant de reconnaître dans la célébration eucharistique la cène instituée par le Seigneur (c’est-à-dire la cène protestante)… Nous tenons à l’utilisation des nouvelles prières liturgiques dans lesquelles nous nous retrouvons, et qui ont l’avantage de nuancer la théologie du sacrifice que nous avions l’habitude d’attribuer au catholicisme ».[↩]
- Conférence spirituelle, Écône, 28 février 1975.[↩]
- Mgr Lefebvre, conférence du 15 février 1975, La Messe de Luther, Éditions Saint- Gabriel, p. 10.[↩]
- Cardinaux Ottaviani et Bacci, Bref examen critique, Rééd. Écône, note 15, page 30.[↩]
- Bref Examen critique, n°1[↩]
- Ceci se voit notamment dans la conception œcuménique et salvifique du salut. Pour ceux qui, habituellement suivent la nouvelle messe, les âmes peuvent continuer à pratiquer leur religion même s’il serait meilleur de se convertir. Quoi qu’il arrive, elles iront au ciel, comme la très grande majorité des âmes.[↩]
- Mgr Lefebvre, Conférence spirituelle, Ecône, 21 janvier 1982.[↩]
- Mgr Lefebvre Le 8 novembre 1979. Note sur le NOM et le pape.[↩]
- Mgr Lefebvre Le 20 janvier 1978.[↩]