Saint Ignace de Loyola

Fondateur de la Compagnie de Jésus (1495–1556).

Fête le 31 juillet.

Chaque fois que la chré­tien­té semble mena­cée, Dieu sus­cite une croi­sade, dont le chef appa­raît tout de suite comme l’homme providentiel.

Au xie siècle, ce fut Pierre l’Ermite ; dans la pre­mière moi­tié du xvie, ce fut Ignace de Loyola. A cette époque, où la confu­sion était dans tous les esprits, où la foi catho­lique était mena­cée par des princes voleurs, des moines apos­tats, par un cou­rant d’idées d’inspi­ration toute païenne, dit de la Renaissance, il fal­lait une croi­sade plus intel­lec­tuelle, unis­sant la poli­tesse humaine aux ver­tus des apôtres, la science à la foi, qui fût tou­jours prête à jus­ti­fier cette foi par­mi les igno­rants et les savants, les fidèles et les héré­tiques, les pauvres et les riches. Ce rôle d’adaptation sur­na­tu­relle fut celui de la « Compagnie de Jésus » et de son fon­da­teur, Ignace de Loyola.

Enfance et jeunesse de saint Ignace.

C’est au châ­teau de Loyola, dans la pro­vince de Guipuzcoa, en pays basque, tout voi­sin de la fron­tière fran­çaise, qu’il naquit, en 1491, dans la nuit de Noël, ou plus vrai­sem­bla­ble­ment en 1495 Il reçut le bap­tême en l’église d’Azpeitia, sous le nom d’Ignace — en espa­gnol Inigo. Son père, Bertrand de Loyola, eut de son mariage avec dona Maria Saenz treize enfants ; Ignace fut le der­nier des fils. Pour situer d’une façon plus concrète la vie d’Ignace, disons qu’il naquit sous le règne de Ferdinand le Catholique, et qu’il mou­rut deux ans avant l’empereur Charles-​Quint. Arrivé à l’âge d’homme, et capi­taine à la solde de Ferdinand, dont il avait été page, il nous appa­raît comme « un de ces fils de famille, si nom­breux à ces époques de tur­bu­lence », épris de la vie des cours et aus­si des batailles, galants par faux point d’honneur et grands fan­fa­rons de parade.

Certes, Ignace avait des prin­cipes de reli­gion et d’honneur ; mais nous n’oserions affir­mer qu’ils furent suf­fi­sants pour le garer de lamen­tables écarts. Les his­to­riens, d’ailleurs, dif­fèrent d’opinion sur la jeu­nesse du héros ; il est cer­tain qu’elle fut très mon­daine. Voies mys­té­rieuses de la Providence ! Ce fut peut-​être en vue de son rôle à venir que Dieu per­mit ces fai­blesses, et que le fon­da­teur d’un Ordre dont le rôle serait de rani­mer la confiance des pécheurs abat­tus eût connu lui-​même cer­taines détresses morales.

Siège de Pampelune. — Conversion. — Départ pour Montserrat.

Or, voi­ci qu’en l’an 1521, alors que, en qua­li­té de com­man­dant, il est char­gé de défendre Pampelune contre les troupes de François Ier, roi de France, un bou­let lui casse la jambe. Transporté presque mou­rant au châ­teau de Loyola, il subit une série d’opérations et d’affreuses tor­tures, qu’il endure sans un cri, afin de ne pas res­ter boi­teux. De cette bles­sure, il lui res­ta tou­jours une légère claudi­cation. Pour trom­per l’en­nui de sa lente conva­les­cence, il se fit appor­ter des lec­tures et deman­da l’Amadis des Gaules, sorte de roman d’aventures amou­reuses et bel­li­queuses qui fai­sait les délices de François Ier. Pourquoi la Providence voulut-​elle que le livre fût alors éga­ré et rem­pla­cé par un recueil de Vies des Saints et par la Vie du Christ, de Ludolphe le Chartreux ? Contraint par l’immobilité à la réflexion, il dut donc, bon gré, mal gré, s’intéresser à tant d’his­toires de pau­vre­té volon­taire, d’humilité et de fai­blesse plus forte que la force, de dés­in­té­res­se­ment. Il lui fal­lut se fami­lia­ri­ser avec l’idéale figure du Christ souf­frant de nou­veau sa Passion pour les crimes des pécheurs, et peu à peu il péné­tra, presque à son insu, dans le monde surnaturel.

Il se disait en lui-​même : « Quoi ! si je fai­sais ce qu’ont fait saint François ou saint Dominique ? » Mais les pen­sées mon­daines reve­naient tou­jours, mêlées aux pen­sées nou­velles de reli­gion. Il se mit alors à obser­ver com­ment les unes et les autres com­men­çaient et finis­saient. Il décou­vrit que les mau­vaises pen­sées en s’évanouissant lui lais­saient le cœur vide, tan­dis que les autres rem­plis­saient son âme. Et ces obser­va­tions ont été le point de départ de la fameuse théo­rie du « dis­cer­ne­ment des esprits », qui rem­pli­ra plus tard les Exercices spi­ri­tuels.

Saint Ignace bles­sé au siège de Pampelune.

Mais réflexions et lec­tures ne suf­fi­saient pas à le conten­ter. Il fal­lait, pour cette âme ardente, pas­ser aux actes. Une de ses pre­mières pen­sées fut de se faire Chartreux, mais après qu’il serait allé à Jéru­salem. Il nour­ris­sait donc le des­sein de quit­ter sa famille pour com­mencer sa vie de péni­tence. Il mon­ta un jour à dos de mulet, après avoir par­lé de visi­ter le duc de Nagera, vice-​roi de Navarre, alors à Navarete ; en route, il s’arrêta au célèbre sanc­tuaire de Notre-​Dame d’Aranzazu, puis, en quit­tant Navarete, il se ren­dit à Notre-​Dame de Montserrat, près de Barcelone. En che­min, il for­mu­la le vœu de chas­te­té per­pé­tuelle et com­men­ça de prendre la dis­ci­pline tous les soirs, ce qu’il pra­ti­qua tou­jours fidèlement.

Arrivé au pied de la mon­tagne de Montserrat, il ache­ta, en vue de son pèle­ri­nage aux Lieux Saints, un équi­pe­ment com­plet de pèle­rin, habit de grosse toile, cein­ture et san­dales de corde, bour­don et calebasse.

Il pas­sa trois jours à Montserrat et les employa à lire à un reli­gieux sa confes­sion géné­rale, après quoi il sus­pen­dit devant l’autel mira­culeux de la Vierge son épée et son poi­gnard, dont en route le bouillant che­va­lier avait failli per­cer un Maure, cou­pable d’avoir mal par­lé de Notre-Dame.

A Manrèze. — Les « Exercices spirituels ».

Avant de s’embarquer, car la peste était à Barcelone, il se ren­dit à Manrèze, où se trou­vait un hôpi­tal pour les pèle­rins. Il y soi­gna les malades, vivant d’aumônes, s’imposant les péni­tences les plus rudes, recher­chant de pré­fé­rence la com­pa­gnie de ceux qui l’accablaient de sar­casmes, à cause de sa tenue volon­tai­re­ment négli­gée ; car il s’étudiait, après avoir été d’une tenue raf­fi­née dans son élé­gance, à se vaincre sur ce point en se don­nant un aspect mal­propre. Il eut donc à subir les pires ava­nies. Mais il dut sur­tout pas­ser par les ten­ta­tions les plus dou­lou­reuses. Ses scru­pules enva­hirent son ima­gi­na­tion sur­menée ; il eut même la han­tise du sui­cide, qu’il repous­sait avec hor­reur à la pen­sée d’offenser Dieu. De cette épreuve où il faillit som­brer, il gar­da toute sa vie le don par­ti­cu­lier de ras­su­rer les âmes scrupuleuses.

C’est alors qu’il eut ses célèbres visions, non pas exté­rieures et objec­tives, mais, dit son secré­taire, « il com­prit mer­veilleu­se­ment un grand nombre de choses, tou­chant soit aux sciences natu­relles, soit aux mys­tères de la foi, et reçut alors plus de lumières que dans toutes ses autres visions et toutes les autres études de son exis­tence réunies ».

Quelque temps après, il eut des ravis­se­ments ou extases. L’un d’eux dura sept jours et on le crut mort. Quand il revint à lui, il pous­sa seule­ment ce cri : « Ah ! Jésus !» ; il ne vou­lut jamais révé­ler les grâces goû­tées pen­dant ces jours inoubliables.

Cependant, le pèle­rin de Montserrat, qui avait fait l’apprentissage de la sain­te­té par les voies dou­lou­reuses de l’épreuve inté­rieure, et aus­si les impru­dences d’une péni­tence exces­sive, se tour­nait peu à peu vers la vie de l’âme, de la confiance et de l’amour. Il se dit alors qu’il pou­vait bien faire pro­fi­ter les autres de son expé­rience. Mais com­ment ? Sans être tout à fait igno­rant, il n’était pas, certes, un intel­lec­tuel ; il ne négli­gea donc aucune occa­sion de s’instruire, appre­nant la gram­maire, s’exerçant à par­ler, recher­chant le monde pour se faire un audi­toire, élo­quent lorsqu’il par­lait d’abondance, assez gauche s’il pré­pa­rait. On le regar­da bien­tôt avec d’autres yeux et la curio­si­té sym­pa­thique rem­pla­ça les trai­te­ments indignes. Il s’en aper­çut et, pour évi­ter ce nou­veau piège, il cher­cha une retraite où il fût plus caché qu’à l’hôpital. Il la trou­va au fond d’une val­lée voi­sine, dans une grotte brous­sailleuse ; la Santa Cueva de san­to Ignacio, ain­si qu’on l’appelle, tou­jours véné­rée à Manrèze, fut le témoin d’austérités épiques qui minèrent sa consti­tu­tion pour­tant très forte. C’est de là qu’est sor­tie l’ébauche d’un des plus purs chefs- d’œuvre de l’ascétisme : les célèbres Exercices spi­ri­tuels, qu’Ignace com­po­sa en s’inspirant, comme point de départ, d’un ouvrage du Bénédictin Cisneros, mais adap­té à son carac­tère particulier.

A vrai dire, il n’en jeta à Manrèze, durant les dix mois qu’il y res­ta, que les grandes lignes. Mais l’ébauche ne devait pas être moins pleine d’idées que l’œuvre défi­ni­tive, qu’il retou­cha ensuite durant vingt-​cinq ans. Bien peu de per­sonnes chré­tiennes ignorent ce beau livre. Le titre en est tout mili­taire, et dans la pen­sée de l’ancien défen­seur de Pampelune, c’est bien en effet une manière de plan de cam­pagne à l’usage de l’homme qui, pour se vaincre et sor­tir de son péché, se fait la guerre, et avec la grâce de Dieu s’achemine de vic­toire en vic­toire, jusqu’à la per­fec­tion, « sous l’étendard du Christ ». Tout est réglé avec un soin savant dans ce plan de réforme intérieure.

Le point de départ est la dis­tinc­tion des deux esprits dont il a été ques­tion et qu’Ignace avait entre­vue sur son lit de souf­frances ; c’est la com­pa­rai­son entre les deux états de conso­la­tion et de déso­la­tion qu’on peut res­sen­tir suc­ces­si­ve­ment en soi-​même. Personne n’est le maître de domi­ner le second de ces esprits ; mais cha­cun est libre de choi­sir le moment qui dans ces états lui paraît le mieux conve­nir à prendre une déci­sion défi­ni­tive, en vue « d’un choix de vie » ; et s’il est déjà enga­gé dans une voca­tion, il doit encore élire le mode d’usage le plus pur qu’il doit en faire. Après les prin­cipes, Ignace demande que l’on s’exerce par des moyens pra­tiques à les faire péné­trer dans sa vie : prière, exa­mens, confes­sions, com­mu­nions, médi­ta­tion appro­fondie de la vie de Notre-​Seigneur. On sait le par­ti qu’il conseille de tirer des secours de l’imagination visuelle et audi­tive, qui recons­ti­tue men­ta­le­ment dans les Préludes le lieu de la scène sacrée dont on médite le mystère.

A qui étaient des­ti­nés les Exercices ? A l’auteur d’abord, puis à ceux que, dans sa pen­sée, il vou­lait voir deve­nir ses com­pa­gnons d’apo­stolat, aux per­sonnes du monde enfin, d’un milieu social éclai­ré, « au bon chré­tien moyen », comme on dirait aujourd’hui, qui veut deve­nir plus pieux. Là est l’originalité et la force de ce livre loué par Paul III le 24 juin 1543. Depuis long­temps il a fait ses preuves ; il conti­nue et il ne ces­se­ra pas de faci­li­ter, et dans tous les milieux, par les retraites fer­mées, l’ascension des âmes vers Dieu.

Pèlerinage à Jérusalem. — Retour en Espagne. — A Paris.

Estimant que sa san­té le lui per­met­tait désor­mais, Ignace quit­ta Manrèze pour prendre le che­min de Jérusalem, et s’embarquant à Barcelone, il abor­da à Gaëte. De là, en men­diant, il conti­nua son che­min vers Rome, où il arri­va le dimanche des Rameaux 1523. Quinze jours après, il par­tit pour Venise ; là, recom­man­dé par un riche com­pa­triote, il obtint du doge une place à bord d’un bateau qui devait le conduire à Chypre. Bien que très malade il s’embarqua et par­tit le 14 juillet. Comme il vou­lait répri­mer le liber­ti­nage des mate­lots, peu s’en fal­lut que ces endur­cis ne l’abandonnassent sur une île déserte. Mais Dieu veillait. Parvenu à Chypre, Ignace y prit le vais­seau ordi­naire des pèle­rins et arri­va après quarante-​huit jours de navi­ga­tion à Jaffa, d’où il se ren­dit en cinq jours à Jérusalem : il y entra le 4 septembre.

Il pleu­ra de joie à la vue des Lieux Saints et en visi­ta toutes les sta­tions plu­sieurs fois. Il eût vou­lu se fixer en Orient pour y tra­vailler à la conver­sion des infi­dèles ; mais le Provincial des Frères Mineurs, qui avait pou­voir apos­to­lique pour ren­voyer les pèle­rins en Europe sous peine d’excommunication, lui ordon­na au nom de l’obéissance de s’en retourner.

« Le pèle­rin », comme il s’appelle lui-​même dans des sou­ve­nirs recueillis par son secré­taire, ren­tra à Barcelone d’où il était par­ti, en repas­sant par Chypre, Venise où il arri­va au milieu de jan­vier 1524, et Gênes, où il reprit la mer.

Grâce à la géné­ro­si­té d’une bien­fai­trice, Isabelle Roser, qui devait encore favo­ri­ser plus tard son œuvre reli­gieuse, il étu­dia deux ans les huma­ni­tés, sous la direc­tion d’un saint maître, Jérôme Ardebalo, tout en conti­nuant ses aus­té­ri­tés et tra­vaillant au salut des âmes. Il par­tit de là pour l’Université d’Alcala, où il retrou­va trois com­pa­gnons aux­quels se joi­gnit un jeune Français.

Comme par­tout, il y vécut d’aumônes. Son zèle à tra­vailler à la conver­sion des pécheurs et à répandre la pra­tique des Exercices spi­rituels lui atti­ra des enne­mis, et par leurs machi­na­tions il se vit en pri­son et accu­sé d’hérésie. Renvoyé absous au bout de quarante-​deux jours, il se trans­por­ta à Salamanque pour y conti­nuer ses études avec l’appui maté­riel de l’archevêque de Tolède.

Ignace et ses trois com­pa­gnons n’y furent pas plus heu­reux, puisque de nou­veau ils connurent la pri­son ; l’insuffisance de liber­té pour tra­vailler au salut des âmes don­na au chef du groupe l’inspi­ration de venir à Paris, où étu­diaient un grand nombre d’étrangers. Il y arri­va seul, le 2 février 1528, et sui­vit les cours du col­lège de Montaigu, puis les leçons de phi­lo­so­phie au col­lège de Sainte-​Barbe et devint maître ès arts le 14 mars 1535.

Cependant, le temps appro­chait où Dieu allait don­ner à l’Eglise, par son entre­mise, la Compagnie de Jésus. Il ins­pi­ra donc pre­mièrement à six excel­lents jeunes hommes de se joindre à Ignace pour tra­vailler sans relâche au salut du pro­chain. C’étaient Pierre Le Fèvre ou Favre, prêtre, ori­gi­naire de la Savoie ; François Xavier, qu’il avait conquis par son indul­gente bon­té ; Jacques Laynez, Alphonse Salmeron, Nicolas Simon, dit Bobadilla, et Simon Rodri­guez, qui tous sont deve­nus écla­tants par leur doc­trine et leur sain­teté. Pourtant, ni eux ni Ignace n’eurent avant l’année 1538 l’idée de fon­der la Société reli­gieuse aujourd’hui célèbre dans le monde entier. Le jour de l’Assomption de l’année 1534, ils firent vœu, de concert, en la cha­pelle du mar­tyr saint Denis, au monas­tère des Bénédictines de Montmartre, de se rendre à Jérusalem, de se consa­crer à la conver­sion des infi­dèles du Levant, et si le voyage leur était impos­sible, d’aller se jeter aux pieds du Pape, afin que celui-​ci dis­po­sât entière­ment d’eux pour les œuvres de l’Eglise. Ce vœu fut renou­ve­lé au même lieu et à la même date en 1535 et 1536.

Saint Ignace en Italie. — Fondation de la Compagnie de Jésus.

Auparavant Ignace dut se rendre en Espagne pour y régler les affaires d’intérêt de ses dis­ciples. Puis il leur don­na rendez-​vous à Venise, où il les atten­dit pen­dant plu­sieurs mois.

Entre temps, trois nou­veaux adeptes s’étaient joints aux anciens : Jean Codure, d’Embrun ; Paschase Broët, d’Amiens, prêtre, et Claude Le Jay, savoyard. Tous arri­vèrent à Venise le 6 jan­vier 1537.

C’est là que ceux qui n’étaient pas encore ordon­nés reçurent la prê­trise, le jour de la Saint-​Jean de la même année, des mains du nonce, Mgr Varallo, plus tard car­di­nal. Ignace avait mis un an à s’y pré­parer et il avait pas­sé qua­rante jours dans une vieille masure, ouverte à tous les vents, jeû­nant et priant sans cesse. Encore n’osa-t-il dire sa messe tout de suite, et il avait déci­dé d’attendre une année entière : fina­le­ment, il abré­gea ce délai et choi­sit la fête de Noël.

Cependant la guerre qui sur­vint entre les Vénitiens et les Turcs avait ren­du impos­sible le pèle­ri­nage à Jérusalem. Ignace demeu­ra encore un an à Venise, envoya plu­sieurs de ses com­pa­gnons dans les Universités d’Italie pour y ins­pi­rer la pié­té aux étu­diants, en dési­gna d’autres pour l’accompagner à Rome, où il vou­lait se rendre afin d’y pres­sen­tir le Souverain Pontife et de lui expo­ser les inten­tions de la Société naissante.

Le Pape Paul III lui fit un excellent accueil. Il était à juste titre pré­oc­cu­pé de la réforme des mœurs ecclé­sias­tiques et reli­gieuses, qui devait faire l’objet prin­ci­pal des tra­vaux du Concile de Trente. Il témoi­gna une grande bien­veillance à ce groupe de prêtres zélés, ver­tueux, réa­li­sant pour leur part l’idéal que se pro­po­saient déjà les Théatins, approu­vés en 1524, et les Somasques éta­blis en 1528. Ce que se pro­po­saient alors Ignace et ses com­pa­gnons, c’était l’apostolat sous toutes ses formes, l’enseignement, les mis­sions du dedans et du dehors. En 1539, d’un com­mun accord, le groupe déci­da de for­mer un Institut nou­veau, et ce pro­jet fut approu­vé ver­ba­le­ment par le Pape le 23 sep­tembre 1539. Le 27 sep­tembre 1540, par la Constitution Regimini mili­tan­tis Ecclesiae, Paul III auto­ri­sa Ignace et ses compa­gnons à for­mer une Société, dite « Compagnie de Jésus », et à y admettre qui­conque serait dis­po­sé à faire le vœu de chas­te­té perpé­tuelle et à tra­vailler à l’avancement des âmes dans la vie chré­tienne par la pré­di­ca­tion, les exer­cices spi­ri­tuels, l’audition des confes­sions et les œuvres de cha­ri­té. Cette nou­velle ins­ti­tu­tion lut­te­ra effi­ca­ce­ment contre le pro­tes­tan­tisme en même temps qu’elle sera une aide pré­cieuse pour mettre à effet les déci­sions du Concile de Trente, auquel deux de ses membres par­ti­ci­pe­ront en qua­li­té de théo­lo­giens du Souverain Pontife.

Extension de la Compagnie. — Mort de saint Ignace.

Déjà les fils de la Compagnie de Jésus se répandent dans le monde ; avant même la publi­ca­tion de la bulle, saint François Xavier a cou­ru évan­gé­li­ser les Indes ; deux Jésuites et un novice pénètrent en Irlande au péril de leur vie. Quant à Ignace, il se don­nait à de nou­veaux tra­vaux. Il accom­plis­sait la récon­ci­lia­tion des grands enne­mis poli­tiques, il fon­dait des mai­sons de refuge pour les juifs et les péche­resses conver­ties ; il éta­blis­sait des mai­sons d’éducation.

Le 22 avril 1541, à Saint-​Paul-​hors-​les-​murs, Ignace, élu supé­rieur du nou­vel Institut, rece­vait les vœux de ses pre­miers dis­ciples et y joi­gnait les siens au moment de la Communion. Les faveurs pon­ti­fi­cales ne devaient pas faire défaut sous le pon­ti­fi­cat de Paul III ; qu’on en juge : en 1543, Ignace obtient une Bulle sup­pri­mant la limi­ta­tion du nombre des pro­fès ; en 1545 une autre Bulle per­met à la Compagnie de prê­cher et d’administrer les sacre­ments ; en 1546 vient le droit d’avoir des coad­ju­teurs tem­po­rels et spi­ri­tuels ; en 1548, à la demande du duc de Gandie, le futur P. François de Borgia, les Exercices sont exa­mi­nés et approuvés.

Le Pape Jules III confir­ma en 1550 les déci­sions de son prédé­cesseur ; par contre, Paul IV, moins favo­ra­ble­ment dis­po­sé, son­gea à modi­fier la règle sur deux points impor­tants : la nomi­na­tion d’un Supérieur géné­ral à temps et non à vie, et l’obligation de l’office au chœur. Finalement, il décla­ra s’en remettre à la Société elle-même.

Cependant, par suite de la fatigue ou par humi­li­té, Ignace, en 1547, vou­lut abdi­quer le géné­ra­lat et se faire rem­pla­cer par le P. Laynez ; de nou­veau, en 1550, après la Bulle de Jules III, il écri­vit une lettre dans laquelle il décla­rait dépo­ser le géné­ra­lat. Cette demande fut repous­sée. Le fon­da­teur employa les der­nières années de sa vie à tra­vailler aux Constitutions de l’Ordre, rédac­tion défini­tive, com­men­taire, appli­ca­tion. Au début de l’été de 1556, étant tom­bé gra­ve­ment malade, il dut lais­ser le gou­ver­ne­ment à trois Pères. Enfin, le 31 juillet, après avoir deman­dé la béné­dic­tion du Pape, il expi­ra doucement.

Il avait alors soixante et un ans ; il en avait pas­sé trente dans le monde, dix-​neuf dans ses pèle­ri­nages et seize depuis qu’avaient été jetés les fon­de­ments de la Société.

Son Ordre avait à ce moment douze pro­vinces et au moins cent col­lèges, et par lui les glo­rieuses conquêtes de la foi se pour­sui­vaient dans le monde entier.

Le corps d’Ignace fut d’abord enter­ré dans l’église de la mai­son pro­fesse de Rome en 1587, puis trans­fé­ré dans l’église du Gesù. Il fau­drait des volumes pour racon­ter les miracles obte­nus par l’inter­cession du Serviteur de Dieu. Le 12 mai 1622, il fut cano­ni­sé par Grégoire XV. Sa fête, du rite semi-​double, sous Innocent X, fut éle­vée au rite double par Clément IX, le 11 octobre 1667.

L’histoire de la Compagnie de Jésus est désor­mais insé­pa­rable de l’histoire de l’Eglise. Supprimés par le Pape Clément XIV sous la pres­sion des cours euro­péennes le 21 juillet 1773, les Jésuites furent réta­blis par Pie VII le 7 mars 1801, en Russie, où ils étaient res­tés unis, puis le 30 juillet 1804 dans le royaume de Naples, et enfin le 7 août 1814 dans le monde entier. En 1928, l’Ordre comp­tait plus de 20 000 reli­gieux, dont envi­ron 2 400 dans les missions.

A. Poirson.

Sources consul­tées. — Henri Joly, Saint Ignace de Loyola (Collection Les Saints, Paris, 1905). — Mourret, Histoire géné­rale de l’Eglise : tome V, « La Renaissance et la Réforme ». — Eugène Thibaut, S. J., Le récit du pèle­rin (Louvain, 1922). — (V. S. B. P., n° 179.)