Cistercien, Abbé de Clairvaux et Docteur de l’Église (1091–1153)
Fête le 20 août.
Dans un vallon solitaire nommé Cîteaux, au milieu des bois qui séparent la Bourgogne de la Bresse, de fervents religieux, branche réformée du célèbre Ordre bénédictin de Cluny, avaient construit un couvent. Leur idéal commun était la pratique, aussi littérale que possible, de la règle de saint Benoît. Mais, depuis l’établissement de ce monastère par saint Robert de Molesmes en 1098, les visiteurs restaient effrayés de l’austérité de vie des moines. Aussi un moment arriva où les « nouveaux chevaliers du Christ », comme ils s’appelaient eux-mêmes, durent s’inquiéter du recrutement de leur milice. Or, comme le bienheureux abbé Etienne Harding commençait à douter de la viabilité de son œuvre, on vit arriver en 1113 à la porte du monastère un jeune homme d’un visage admirablement beau et d’une distinction remarquable. Il était suivi d’une trentaine d’autres gentilshommes ses amis, ses parents ou ses frères : « Que demandez- vous ? interrogea l’Abbé. — La miséricorde de Dieu et la vôtre, répondit le jeune seigneur. — Que désirez-vous de plus ? — Observer la règle tout entière. — Que Dieu achève en vous, dit l’Abbé, ce que Dieu y a commencé. » La communauté répondit : Amen ! Trois jours après, la jeune phalange et son chef étaient introduits en ce lieu d’anéantissement volontaire, « où les esprits avaient seuls droit d’entrée, et la chair, rien à faire ».
Ce jeune homme de vingt-trois ans était le futur saint Bernard, l’homme qui devait faire la gloire de son Ordre et de la France, le plus grand génie du xiie siècle et le dernier des Pères de l’Eglise.
Une sainte mère et son fils.
Bernard naquit en 1091 au château de Fontaine, à deux kilomètres de Dijon. Son père, Tescelin, était un de ces chevaliers châtillonnais qui, de Troyes à Dijon, possédaient une partie considérable des fiefs de la Bourgogne. Il avait en outre une terre dans les environs de Clairvaux. Sa mère, la douce et délicate Aleth ou Alix de Montbard, était la châtelaine idéale telle que la concevaient nos aïeux ; providence visible des pauvres, elle visitait elle-même les malades sans famille et ne dédaignait pas de laver leur vaisselle et de faire leur cuisine. Elle mit au monde sept enfants. Bernard était le troisième. Quand il fut en âge de fréquenter l’école, ses parents le confièrent aux prêtres du clergé paroissial de Saint-Vorles, à Châtillon-sur- Seine. Ses nouveaux maîtres l’enchantèrent ; et la douceur musicale des poètes latins, dont il s’éprit à leur école, lui gardera toujours dans son âge mûr ce goût des citations qui ranimera ses lointains enthousiasmes de la jeunesse. Mais, dépassant déjà la sphère de ces vanités, il ne jouira de cette culture générale que pour mieux interpréter l’Ecriture et pour devenir un spécialiste en choses divines. Surtout, se souvenant qu’à Châtillon il avait vu, un jour de Noël, Jésus naissant lui apparaître tout petit, tout aimable, il retiendra toujours, comme il la reçut dans son âme enfantine, « la grande et suave blessure de l’amour » !
Le regard d’ange de ses grands yeux bleus, qui frappait quiconque l’approchait, sera toujours la survivance de cette innocence enfantine. Ceux qui eussent été tentés d’en sourire se sentaient devenir graves, en présence de cette pureté qu’ils savaient être une belligérante. Bernard n’avait-il pas en une heure de tentation cuisante cherché dans l’eau glacée d’un étang l’apaisement d’une chair inquiète, et mis en fuite en criant « au voleur ! » les indiscrètes importunités d’une hôtesse éprise de sa beauté ?
L’épreuve. — Combats et victoires.
Il sentait donc, pour échapper à la chair, le besoin d’échapper au monde complice de cette chair. Ses frères devinèrent confusément son projet d’entrer à Cîteaux et ils en furent effrayés. Mais que faire pour le retenir ? Lui parler des « cours d’amour » si en vogue à son époque ? il n’avait rien d’un conteur de fleurettes ; de combats ? il n’avait rien d’un athlète ; de l’Ordre de Cluny, d’une de ces abbayes où en ce temps de relâchement les menus maigres n’étaient nullement de maigres menus et les libations de vin mélangé de miel célébraient les grands anniversaires ? « Non ! non ! disait-il. Si languissante est mon âme, qu’il lui faut une potion plus forte que celle qu’on trouve à Cluny. » Et à ses confidents, l’oncle Gandry, Guy, Gérard et André ses frères, le duc Hugues, son ami, son cousin Godefroy de La Roche, tandis qu’avec la chevalerie bourguignonne en liesse, en l’automne de 1111, ils assiégeaient Grançey-le-Château, il déclarait : « Singulière milice que la vôtre, car elle n’est qu’une malice, où l’on s’expose de gaieté de cœur à commettre le péché de meurtre ! » Et voici que, mû par cette éloquence suave, l’oncle Gandry annonce qu’il jette lui aussi son épée et accompagne Bernard à Cîteaux. « Et moi de même, s’écrie Barthélemy, l’un des jeunes frères qui avaient entendu. — Et moi aussi, je serai Cistercien, dit André. — Et je suis prêt aussi, déclare Guy à son tour ; mais il y a Elisabeth ma femme ; il y a mes deux fillettes ! — Qu’à cela ne tienne, répondit Bernard, avant Pâques ta femme aura pris la route du cloître. » Et Elisabeth, malade, renonçait à Guy et se faisait religieuse. L’une des deux fillettes devait être plus tard l’aïeule lointaine des familles de Cléron, d’Haussonville et de Mérode, qui purent ainsi saluer en Bernard un oncle lointain ! Mais aussi quel fléau que ce Bernard qui vidait ainsi les maisons, pensaient les femmes d’alors, ce Bernard qui de sa belle-sœur Elisabeth fait une veuve !
Mais les voici trente décidés à partir. Une dernière fois les cinq fils de Tescelin reprennent la route de Fontaine pour dire adieu à leur vieux père. Il était fort triste et sa fille Hombeline encore plus !
Le petit Nivard, le dernier-né, jouait avec ses camarades. Son âge du moins lui épargnait cette contagion d’un départ : « Nous partons, lui dit Guy ; adieu, mon petit Nivard, tu es riche, tu auras seul nos biens et nos terres ! – Eh quoi ! vous prenez le ciel et vous me laissez la terre, dit l’enfant ; le partage n’est pas égal. »
Jamais le château de Fontaine n’était apparu si grand ni si vide. Sans doute restait-il encore trop peuplé au gré de Dieu, puisqu’un jour viendra où Hombeline quittera le monde, comme le vieux Tescelin lui-même : par une série de coups de filet, Dieu prendra pour ses cloîtres, sans en excepter un seul, tous ceux qui naguère priaient devant le lit de mort de la sainte mère Aleth, l’épouse de Tescelin, qui les appelait au ciel
Bernard, qu’es-tu venu faire ici ?
« Bernard, qu’es-tu venu faire ici ? » La réponse qu’il allait s’infliger à lui-même était un effrayant programme : « Ici la chair n’a rien à faire ! » Bernard, pour la réaliser, eût voulu s’amputer de ses cinq sens. Ses oreilles ? il les traitait en ennemies : se jugeant trop distrait par une conversation du parloir, il les bouchait avec de l’étoupe. Ses yeux ? son regard était tout intérieur ; le plafond de la salle des novices était-il voûté ou plat ? il n’en sut jamais rien. Sa bouche ? mais cette livre de pain par jour et ces deux plats de grossiers légumes sans viande ni poisson ni œufs ni lait, leur pauvreté ne lui plaisait pas toute seule : il lui fallait encore le sentiment de leur privation, et que l’huile et l’eau finissent par avoir pour lui la même saveur ; et puis manger à sa faim, à 3 heures seulement de l’après-midi, lui semblait encore un péché de gourmandise et jamais il ne consentit à manger toute sa livre de pain noir. Le sommeil ? Les règlements du dortoir le logeaient dans une salle commune tout habillé sur une paillasse. Trop débile pour les travaux de culture, il bêchait, fendait le bois, balayait, lavait les écuelles, et il finit par manier habilement la faucille.
Cependant, dans les intervalles laissés par les exercices communs, quelle douceur de prier sans cesse, de lire, d’acquérir cette science admirable, cette suavité qui lui méritera un jour de partager avec saint Ambroise le nom de Doctor mellifluus, le « Docteur au langage doux comme le miel » !
Abbé de Clairvaux.
Cîteaux végétait quand Bernard était venu ; mais le seul nom de Bernard rabattait les vocations. Les novices affluaient. Et cette ruche essaimait une treizième fois en 1115. Treize moines sortirent donc un jour en procession, n’emportant que les objets nécessaires au culte et se dirigèrent vers une vallée solitaire de la Champagne, dont l’âpreté et la sauvagerie l’avaient fait qualifier de « vallée de l’Absinthe ». Ces chemineaux du Christ dirent merci à Dieu de les avoir guidés vers la Claire-Vallée, vers « Clairvaux » ! Ce fut le 25 juin 1115 que Bernard et ses moines s’installèrent.
Les commencements furent extrêmement rudes. Les lits au dortoir ressemblaient à des cercueils mal équarris. Bernard, comme Abbé, s’aménageait en guise de cellule une sorte de mansarde, éclairée d’une étroite lucarne faîtière. Sous ce toit était taillé, à un pied d’élévation du plancher, l’unique siège que renfermait la cellule ; et quand le pieux Abbé voulait s’asseoir ou se lever, il lui fallait baisser la tête sous peine de se heurter aux poutres.
Quant aux menus, ceux de Cîteaux auraient pris un air de bombance dans ce Clairvaux où l’on était réduit à faire le potage des Frères avec des feuilles de hêtre ; où le pain était si noir et si grossier qu’un religieux de passage au couvent en emporta un morceau pour le montrer à tout le monde comme une exhortation à la pénitence ! Cependant, cette vallée perdue où se blottissaient une douzaine de vies crucifiées devenait bientôt un foyer d’appel. Dès 1116 des étudiants survenaient. Bernard, allant à Châlons, près de son ami l’évêque Guillaume de Champeaux, les avait conquis, et il enlevait à son savant ami, un par un, ces jeunes hommes dont il dépeuplait la Champagne scolaire, comme naguère il avait fait de la Bourgogne féodale.
On vit même un jour quelques gais chevaliers qui s’en allaient à une joute, s’arrêter au passage pour saluer Bernard ; il leur offrit par devoir d’hospitalité de la bière pour se rafraîchir : « A la santé de vos âmes ! » leur dit-il. Ils rirent tous aux éclats. Mais, sur la route du tournoi, réfléchissant peu à peu à la singulière santé qu’on venait de leur porter, ils revinrent supplier qu’on les acceptât pour moines, s’offrant à laver à leur tour les écuelles de la communauté, et à faire tout ce qu’on voudrait.
Mais n’y avait-il pas dans Clairvaux des excès de sévérité ? Bernard s’avouait par la suite que peut-être il avait trop exigé de ses religieux, et sans rien céder sur les points essentiels il dut se souvenir qu’il ne faut pas demander à la nature plus qu’elle ne peut donner. Mais ce fut désormais pour lui-même qu’il réserva les excès et il en résulta une crise de santé. L’évêque Guillaume dut intervenir — il était supérieur de Bernard — et le fit décharger pour un an du gouvernement de l’abbaye. On lui construisit donc, à quatre cents mètres du couvent, « une cabane comme celle qu’on assigne aux lépreux », pour qu’il y fût au repos, et là Bernard fut remis aux soins d’un médecin qui avait quelque célébrité dans le voisinage. Hélas ! c’était un charlatan. L’empirique lui fît avaler de telles horreurs, que Bernard ne put s’empêcher de dire à Guillaume de Champeaux, avec un reste de malice bien française : « Moi qui jusqu’à présent commandais à des hommes raisonnables, je suis, par un juste jugement de Dieu, condamné à obéir à une bête ! » L’année finie, cette « bête » abdiquait son pouvoir, et Bernard rapportait au monastère un estomac définitivement compromis. Mais, après cette cure prétendue, il reprit avec une nouvelle ardeur ses anciennes austérités.
Postérité spirituelle. — Prédicateur de la vie religieuse.
Cependant, les murailles de Clairvaux étaient devenues trop étroites. Une nuit, le vigilant Abbé eut en songe la vision d’une multitude d’âmes qui se pressaient si nombreuses dans la « Claire-Vallée » que celle-ci ne pouvait les contenir. Le lendemain, le bon vieillard Tescelin venait demander l’habit à Bernard, heureux désormais d’appeler « Père » celui qu’il avait nommé jusque-là son fils.
Hombeline, la chère sœur cadette, eut à son tour la pensée d’aller voir ses frères à Clairvaux. Elle arrive donc, ornée d’une toilette éclatante, accompagnée d’une suite brillante. Mais Bernard, tout de suite : « Qu’est-ce que cette pompe, ma sœur ? lui dit-il. Est-ce que cela recouvre autre chose que de l’ordure ? » Alors Hombeline, de répondre : « Si mon frère méprise mon corps, qu’il ait au moins pitié de mon âme ! Qu’il vienne, et, quoi qu’il ordonne, je suis prête à le faire. » Et elle s’ensevelit dans le monastère de Jully-les-Nonains, où elle mourut en 1141 en odeur de sainteté, et sa fête est placée dans le Martyrologe Gallican, au 21 août.
D’ailleurs, aucun esprit de corps chez Bernard ! Un familier de l’empereur d’Allemagne, saint Norbert, veut lui aussi propager l’exemple d’une vie mortifiée. « Qu’à cela ne tienne », dit Bernard, et il aide Norbert à grouper ses compagnons d’ascétisme, se dessaisissant pour eux de ses droits sur la fameuse forêt de Prémontré.
De temps à autre il déverse le trop-plein de l’abbaye de Clairvaux sur des filiales : Trois-Fontaines en 1118, Fontenay en 1119, Foigny en 1120.
L’apôtre de la chrétienté.
Bernard avait toujours redouté la gloire humaine. Sa réclusion le rassurait. N’est-ce pas pour cela qu’il avait quitté son manoir de Bourgogne ? Mais des desseins providentiels allaient peu à peu l’engager dans les voies imprévues. Il avait composé à l’usage de ses moines un Traité de l’Humilité, où, fort de son expérience d’Abbé, il bousculait toutes les façades d’austérité et fustigeait l’orgueil dans ses subtilités les plus ténues. Ces pages de dissection morale coururent les monastères. Guigues, prieur de la Grande- Chartreuse, souhaitait de Bernard quelques pages sur la Charité ; c’est l’origine de son beau Traité de l’amour de Dieu. Le bénédictin Suger, abbé de Saint-Denis et premier ministre de Louis VII, se convertira en lisant son livre de la Conversion des Clercs. On consultait de toutes parts l’Abbé de Clairvaux ; il devint l’oracle des peuples, le conseiller des évêques et du Pape, la lumière des Conciles, l’arbitre des princes et des rois.
Un événement qui fournit à Bernard l’occasion de déployer tout son zèle fut le schisme d’Anaclet II. Après l’élection régulière du Pape Innocent II, en 1130, un ambitieux, nommé Pierleoni, s’était fait élire à son tour par un groupe de factieux à prix d’or. A cette date, Bernard entre désormais dans l’histoire même de l’Europe.
Tous les chemins mènent à Rome, dit le proverbe : Innocent IL chassé de Rome, allait s’y faire ramener par toutes les routes de la chrétienté. Et sur ces diverses routes, Bernard allait précéder le Pape, son Pape, pour le faire reconnaître de tous les princes européens. Le roi de France, Louis VI le Gros, le reconnaissait au Concile d’Etampes pour chef de l’Eglise ; l’empereur Lothaire, longtemps récalcitrant, promettait que dans un délai de cinq mois il passerait les Alpes avec les princes d’Allemagne pour rendre Rome au Pape. Mais en Aquitaine, l’orgueilleux duc Guillaume, homme violent et vicieux, soutenait opiniâtrement le parti de l’usurpateur. Bernard se rendit à Parthenay. Il dit la messe pour la conversion du duc, puis, fendant la foule en tenant l’Hostie dans ses mains, il interpella le prince excommunié qui se tenait en dehors du sanctuaire : « Voici votre Juge, s’écria-t-il ; allez-vous le mépriser lui aussi ? » Le duc défaillait, s’affaissait avec des bavements d’épileptique. « Allons, dit Bernard, voici votre évêque. Donnez-lui le baiser de paix et remettez la paix sur vos terres. » Le duc silencieux obéit et devint le grand saint Guillaume d’Aquitaine dont l’Eglise célèbre la fête le 10 février.
Entre temps, le Souverain Pontife tint à visiter l’abbaye de Clairvaux ; il voulut que Bernard l’accompagnât en Italie pour y opérer certaines réconciliations politiques. Après avoir mis un peu de clarté dans le chaos de l’Allemagne, il descendit vers Pise, puis à Milan, semant les miracles sur son chemin, devenu l’arbitre universel et toujours écouté, celui sur qui l’on comptait de crise en crise pour sauver l’Eglise. Six jours après avoir reçu l’abdication de l’antipape, il s’éloignait de la ville aux sept collines et reprenait la route de sa chère cellule de Clairvaux.
Le Docteur de l’Église.
Nous possédons près de quatre-vingts lettres adressées par Bernard aux Papes Innocent II, Célestin II et Eugène III. C’est pour diriger ce dernier, un de ses anciens religieux de Clairvaux, dans ses hautes fonctions, qu’il écrivit le beau Livre de la Considération. De lui nous possédons aussi un grand nombre de sermons. Il réfuta victorieusement les erreurs de Gilbert de la Porée et du célèbre philosophe Abélard qui, du sacrifice du Christ sur le Calvaire faisait une simple leçon d’amour. Il combattit avec une égale force Arnaud de Brescia et les hérétiques des bords du Rhin et s’opposa aux excès du moine Raoul qui voulait faire massacrer tous les Juifs. Enfin, il ramena la paix dans le midi de la France, alors désolé par l’erreur manichéenne. Mais Bernard n’eût-il été que le prédicateur de la Vierge, il eût suffi de ce rôle pour inscrire son nom dans l’histoire. C’est surtout à partir de lui, que la piété chrétienne s’est habituée à se tourner vers Marie comme vers « l’Aqueduc par lequel toutes les eaux du ciel viennent en nous, comme vers l’efficace Médiatrice en qui ceux-là qui peuvent trembler devant la majesté de Jésus n’ont rien à redouter ».
Assistant un jour au Salve Regina, dans la cathédrale de Spire, on l’entendit s’écrier : O clemens, o pia, o dulcis Virgo Maria, paroles par lesquelles on a depuis terminé cette belle antienne à la Sainte Vierge dans l’office du Bréviaire. Enfin, on lui attribue la prière du Souvenez-vous, prière touchante, avec laquelle un saint prêtre du xviie siècle, Claude Bernard, obtint de véritables merveilles.
La deuxième Croisade.
Cependant la Palestine, si héroïquement reconquise à la première Croisade, allait de nouveau succomber sous les armes musulmanes. Peu à peu, dans l’esprit de Bernard, se dessinent les grandes lignes d’une politique de chrétienté, dont le tombeau du Christ était l’axe et l’enjeu. Ce fut à Vézelay que son apostolat commença. A son appel, le roi, les seigneurs, s’écrient : « La croix ! la croix ! » Il vole de ville en ville. « Ceignez vos reins, s’écrie-t-il, n’abandonnez pas le Roi des cieux ! » Il traverse la France, la Suisse et l’Allemagne, ébranlant les peuples. Par son action oratoire, il mobilise la chrétienté tout entière. L’Europe est aux frontières. Il prodigue les miracles. En certaine ville, dans une seule journée, les cloches sonnèrent trente-six fois pour annoncer trente-six miracles de Bernard. Hélas ! l’expédition, partie pleine d’espérance, marchait mal : elle était trop paralysée par les conflits aigus entre les princes et par leurs divergences d’intérêts ; Bernard, rentrant à Clairvaux, acceptait sans se plaindre les humiliations des hommes, glorieux cependant d’avoir fait une seconde fois réaliser l’émouvante devise de Guibert de Nogent qui, pendant des siècles, résumera et commandera le rôle historique de la France : Gesta Dei per Francos (Les actions de Dieu accomplies par les Francs).
La mort de saint Bernard.
« Chercher Dieu », tel fut le dernier mot de Bernard. A mesure que s’approchait la mort, il s’approchait de lui. De plus en plus contemplatif, il ne dormait plus, ne mangeait plus : « Je ne suis plus de ce monde, disait-il. — Ayez pitié de Clairvaux ! » suppliaient les moines. Alors un instant il semblait se reprendre à la vie, ballotté entre l’amour de ce coin de terre, le seul qu’il ne se fût jamais reproché d’aimer, et le désir de voir le Christ ; et levant au ciel ses « yeux de colombe » : « Dieu décidera », concluait-il. La décision se manifesta le 20 août 1153. Ce jour-là, lorsque sonnèrent 10 heures du matin, il ne restait plus à Clairvaux que la dépouille de Bernard, fils de Tescelin.
Saint Bernard fut canonisé le 18 janvier 1174 par Alexandre III qui lui décerna aussi le titre de Docteur. Ses restes furent transférés le 15 novembre suivant. Au xvie siècle, le Pape saint Pie V éleva sa fête au rite double ; Pie VIII, le 20 août 1830, a confirmé son titre de Docteur de l’Eglise. Ses reliques sont conservées en la cathédrale de Troyes, en celle de Langres, en la basilique de Fontaine-les-Dijon et à Sainte-Marie du Transtévère à Rome.
A. Poirson.
Sources consultées. — Abbé S. Vacandard, Vie de saint Bernard, Abbé de Clairvaux (Paris). — Georges Goyau, Saint Bernard (Paris, 1927). — Bossuet, Panégyrique de saint Bernard. — Rorhbacher, Histoire de l’Eglise, t. XV. — (V. S. B. P., nos 288, 389, 603 et 604.)