Saint Gilles

Saint Gilles, vitrail de l'église de l'Ile Bouchard

Solitaire et Abbé en Languedoc (+ vers 721).

Fête le 1er septembre.

Il est assez dif­fi­cile de pré­ci­ser à quelle époque a vécu saint Gilles. Quelques-​uns le font naître dans la pre­mière moi­tié du vie siècle, tan­dis que la plu­part des auteurs, s’attachant aux termes mêmes de ses Actes, dont Mabillon, d’ailleurs, déclare qu’ils n’ont rien de très authen­tique, et au com­men­taire qu’en a don­né le P. Stilting, voient en lui un contem­po­rain de Charles Martel, ce qui sup­pose que le Saint vécut aux viie et viiie siècles ; c’est cette chro­no­lo­gie que nous adopterons.

Le chrétien d’Athènes.

Gilles ou Egidius, en grec Aigidios (Chevrier), naquit à Athènes. Ses plus anciens his­to­riens assurent qu’il était de race royale. Quelle pro­vince ses ancêtres avaient-​ils jadis gou­ver­née, on ne le sait plus ; au reste, à l’époque où naquit Gilles, la Grèce était sou­mise aux Romains depuis des siècles. Son père s’appelait Théodore et sa mère Pélagie. Ils don­nèrent à leur fils l’exemple de toutes les ver­tus chré­tiennes, et le for­mèrent à un solide piété.

Quoique bien déchue de son ancienne splen­deur, Athènes encore l’un des prin­ci­paux centres intel­lec­tuels de l’Orient. Gilles, doué des plus belles qua­li­tés de l’âme et du corps, reçut une édu­ca­tion brillante à laquelle il fit hon­neur. On lui a même attri­bué des ouvrages de méde­cine et de poé­sie remar­quables. Mais Athènes avait vu tant d’autres hommes habiles dans les sciences humaines, et qui n’en étaient pas plus ver­tueux pour cela !

Ce qui devait pla­cer Gilles au-​dessus d’eux, c’était le goût des choses divines, qui le por­tait à étu­dier la science des Saints et de la per­fec­tion évan­gé­lique, à médi­ter avec fruit les Saintes Ecritures, à réa­li­ser chaque jour des pro­grès dans la pra­tique des vertus.

De bonne heure Dieu se plut à hono­rer son ser­vi­teur en lui accor­dant le don des miracles. Gilles se ren­dait sou­vent à l’é­glise. Un jour, il ren­contre sur son che­min un pauvre men­diant, malade et presque nu, qui lui demande l’aumône. Emu de com­pas­sion, le géné­reux étu­diant se dépouille de sa riche tunique et la lui donne. A peine le men­diant s’en est-​il revê­tu qu’il recouvre une par­faite san­té. Gilles com­prit à ce miracle com­bien l’aumône était agréable à Dieu. Aussi, quelque temps après, la mort de ses parents l’ayant lais­sé maître d’une for­tune consi­dé­rable, il la dis­tri­bua toute aux mal­heu­reux, se réser­vant pour lui-​même de suivre Jésus-​Christ dans la pau­vre­té volon­taire, la souf­france et l’humilité.

De nou­veaux miracles atti­rèrent sur le jeune homme l’attention de ses com­pa­triotes. Un homme, piqué par un ser­pent, voyait déjà l’enflure gagner ses membres sous l’action d’un venin mor­tel, quand il fut subi­te­ment gué­ri par les prières du Saint. Un dimanche, un mal­heu­reux, pos­sé­dé du démon, rem­plis­sait l’église de ses hurle­ments ; Gilles, qui était mêlé à l’assemblée des fidèles, for­ça le malin esprit de quit­ter sa vic­time. Le jeune exor­ciste se vit dès lors entou­ré de la véné­ra­tion publique, la foule se pres­sait sur son pas­sage, répé­tait ses louanges, lui ame­nait des malades à gué­rir. L’humilité de Gilles s’effraya de tant d’honneurs. Il s’enfuit secrè­te­ment d’Athènes et s’embarqua sur un navire en par­tance pour l’Occident.

Ermite en France. — Saint Vérédème.

Le fugi­tif voguait avec assu­rance sur cette mer Méditerranée, jadis tra­ver­sée par saint Paul et aus­si par les pre­miers apôtres des Gaules, saint Lazare et ses com­pa­gnons, quand une tem­pête ter­rible s’éleva et le vais­seau cou­rut les plus grands dan­gers. Gilles ne crai­gnait pas la mort, mais, tou­ché du déses­poir des autres pas­sa­gers, il se mit en prière et le Tout-​Puissant cal­ma les flots. On débar­qua heu­reu­se­ment à Marseille, et le jeune Grec, remon­tant à l’intérieur, s’arrêta dans la ville d’Arles où il reçut l’hospitalité chez une pieuse chré­tienne nom­mée Théocrita. Pendant que la cha­ri­table dame pré­pa­rait le repas, Gilles enten­dit des gémis­se­ments venus de la chambre inté­rieure de la mai­son. « Hélas ! sei­gneur, dit Théocrita, c’est ma fille ; voi­là trois ans qu’elle souffre de la fièvre, j’ai eu recours aux méde­cins, j’ai fait beau­coup de dépenses, tout est res­té inutile. Si vous saviez quelque remède effi­cace, vous rece­vriez de grandes marques de ma recon­nais­sance. » Comment résis­ter aux plaintes de cette pauvre mère, si cha­ri­table pour lui ? L’hôte de pas­sage pria Dieu de rendre la san­té à l’enfant, et l’enfant gué­rit. Mais Théocrita ne put témoi­gner long­temps sa recon­nais­sance à son bien­fai­teur, qui alla se cacher dans les gorges soli­taires et pro­fondes tra­ver­sées par le tor­rent du Gardon, dont les eaux élar­gies forment la rivière du Gard.

Le soli­taire savait-​il qu’un de ses com­pa­triotes l’avait pré­cé­dé dans ces parages ? S’il l’ignorait, ce dut être pour lui une bien agréable sur­prise de trou­ver en ce lieu un autre ermite, saint Vérédème, peut- être le futur évêque d’Avignon. Vérédème, Grec de nation, vivait dans une grotte natu­relle, située sur la rive gauche du Gardon, non loin de Collias. Cette grotte, d’un accès dif­fi­cile, et qui se pro­longe assez loin dans la col­line, est encore aujourd’hui un lieu de pèle­ri­nage ; on y remarque trois petites croix taillées dans le roc. Peut-​être le fervent ermite voulait-​il affir­mer par ce signe sa croyance à la Sainte Trinité. L’Athénien fugi­tif fut heu­reux de se mettre sous la direc­tion de Vérédème, dont il avait recon­nu bien vite l’éminente sain­te­té. Sous ce maître expé­ri­men­té dans les choses divines, Gilles fit de grands pro­grès dans l’oraison et l’union avec Dieu. Cependant, les habi­tants des vil­lages voi­sins venaient par­fois à la grotte prendre conseil des soli­taires, sol­li­ci­ter le bien­fait de leurs prières, et même la gué­ri­son de leurs mala­dies. La prière des ermites obte­nait sou­vent des pro­diges, dont le dis­ciple avait soin de rap­por­ter tout l’honneur à son maître. Ainsi advint-​il lors d’une séche­resse désas­treuse, que Dieu fit ces­ser à sa requête. La véné­ra­tion des habi­tants en fut accrue d’autant, et Gilles crai­gnit pour son humi­li­té les dan­gers qui l’avaient for­cé de quit­ter Athènes. Un jour qu’il était seul, on appor­ta un malade à son ermi­tage ; Gilles eut beau pro­tes­ter qu’il n’était qu’un pécheur et que Vérédème seul pou­vait leur obte­nir la gué­ri­son dési­rée, les pay­sans décla­rèrent qu’ils ne s’en retourne­raient pas avant que le malade n’eût recou­vré la san­té. Gilles céda à leurs ins­tances, il pria Dieu de récom­pen­ser la foi de ces pauvres gens et le malade fut gué­ri. Mais le soli­taire n’hésita plus. Malgré l’affection qu’il avait pour son maître, il lui dit adieu, et sans indi­quer à per­sonne le lieu de sa nou­velle retraite, il alla se fixer à six ou sept lieues de là, non loin du Rhône, dans une plaine sau­vage, cou­verte de bois et de brous­sailles, alors appe­lée la « Vallée flavienne ».

La « Vallée flavienne ». — La biche amie. — La chasse royale.

Le temps qu’il avait pas­sé sous la direc­tion de saint Vérédème avait été pour Gilles comme un novi­ciat pro­vi­den­tiel, pen­dant lequel il s’était for­mé à la vie reli­gieuse. Il pou­vait main­te­nant mar­cher seul dans un che­min connu de lui, sans craindre les sur­prises du démon trom­peur. Ayant avi­sé dans la Vallée fla­vienne une grotte près de laquelle cou­lait une petite source, il ren­dit grâces à la Providence, et s’installa dans cette demeure avec autant de joie que s’il eût décou­vert un palais. Dégagé de toute pré­oc­cu­pa­tion ter­restre, tout à Dieu, il com­men­ça un genre de vie d’une fer­veur et d’une aus­té­ri­té extra­or­di­naires. Ses jours, ses nuits presque entières s’écoulaient dans une prière conti­nuelle, dans l’adoration de Dieu et la contem­pla­tion des véri­tés célestes. Son âme, sou­vent por­tée sur les ailes de l’extase, sem­blait appar­te­nir au ciel plu­tôt qu’à la terre. Ses péni­tences étaient effrayantes, tel­le­ment que, plu­sieurs siècles après, on a cru en retrou­ver des marques visibles sur ses osse­ments. Il jeû­nait tous les jours ; le lait d’une biche de la forêt, que la Providence lui envoyait, suf­fi­sait à son entre­tien. Trois années se pas­sèrent de la sorte, pen­dant les­quelles ce soli­taire incon­nu du monde obtint pour les hommes beau­coup de grâces. Alors Dieu jugea bon d’employer son ser­vi­teur d’une manière plus directe à l’édification et au salut de ses frères.

A cette époque, écrit Jules de Kerval dans sa Vie de saint Gilles, les Wisigoths, éta­blis en Espagne, pos­sé­daient une par­tie du sud de la Gaule ; ils étaient gou­ver­nés par Wamba (670–680). Ce roi, qui se glo­ri­fiait de comp­ter par­mi ses ancêtres l’empereur Vespasien, pre­nait le sur­nom de Flavius. L’an 673, le comte Haldéric, gou­ver­neur de Nîmes, se révol­ta contre lui et chas­sa du dio­cèse l’évêque Arégius, demeu­ré fidèle à son sou­ve­rain. Flavius Wamba vint avec une armée assié­ger la ville rebelle et la for­ça à capi­tu­ler. Il demeu­ra quelque temps dans la contrée pour y éta­blir la paix.

Un jour qu’accompagné d’une suite nom­breuse il chas­sait dans la forêt, ses chiens pour­sui­virent la biche qui nour­ris­sait Gilles. Exténuée de fatigue, près de tom­ber sous les coups des chas­seurs, la pauvre bête accou­rut vers la grotte et, pous­sant des gémis­se­ments, implo­ra le secours du Saint. Celui-​ci sor­tit de la caverne : il enten­dit les aboie­ments des chiens et les cris des chas­seurs… A la pen­sée du péril qui mena­çait la biche, son cœur fut sai­si de dou­leur ; il leva ses regards vers le ciel et, en ver­sant des larmes, sup­plia le Seigneur de conser­ver la vie à cet inno­cent ani­mal. Cependant, les chiens ne ces­saient d’aboyer, sans néan­moins avan­cer vers la grotte… Un des chas­seurs, pour faire sor­tir la biche de sa retraite, déco­cha une flèche à tra­vers les brous­sailles. Elle attei­gnit à la main le ser­vi­teur de Dieu. Le roi, tou­ché d’une crainte secrète et pres­sé par la nuit, se retira.

Il revint le len­de­main, accom­pa­gné de l’évêque de Nîmes, et fit cou­per les buis­sons qui défen­daient l’accès de la caverne. Il aper­çut alors le Saint en prière, cou­vert de sang et pro­té­geant la biche réfu­giée auprès de lui. A l’aspect du saint ermite, plein de dou­ceur et de majes­té, orné de l’auréole de la sain­te­té et de la souf­france, le roi tombe à genoux, il lui demande par­don et veut faire pan­ser sa plaie. Le Saint, se sou­ve­nant de cette parole de l’Apôtre : « C’est au milieu des souf­frances que se per­fec­tionne la ver­tu », n’y vou­lut point consen­tir. Il sup­plia Dieu de ne jamais per­mettre qu’il gué­rît de cette bles­sure, mais de l’éprouver sans cesse par de nou­velles dou­leurs. Cette scène char­mante, empreinte d’une inex­pri­mable poé­sie, est res­tée chez nos pères le trait le plus popu­laire de la vie de saint Gilles. Ils y voyaient une tou­chante image du rôle bien­fai­sant de l’Eglise pro­té­geant le faible contre le fort, l’innocent contre l’oppresseur, et ins­pi­rant, à ces natures fières et sau­vages du moyen âge, la dou­ceur et l’horreur du sang, le plus beau et le plus incon­tes­table carac­tère de la civi­li­sa­tion chrétienne.

Le monastère.

L’humble ermite avait espé­ré ache­ver ses jours dans cette soli­tude silen­cieuse, sans être connu des hommes ; ce fut pour son âme une Vive dou­leur de se voir ain­si décou­vert, mais il se sou­mit plei­ne­ment à la volon­té de Dieu. Le roi pro­fi­tait de son séjour dans la contrée pour venir voir sou­vent l’homme de Dieu, dont il admi­rait la sain­te­té et dont les entre­tiens étaient gran­de­ment utiles à son âme. Il lui offrit sou­vent des pré­sents de toutes sortes, mais l’ermite ne vou­lut jamais rien accep­ter. Un jour que le prince insis­tait davan­tage, Gilles lui dit : « Si vous tenez à signa­ler votre géné­ro­si­té dans une bonne œuvre, fon­dez un monas­tère où vous pla­ce­rez des reli­gieux d’une vie très régu­lière, qui ser­vi­ront Dieu fidè­le­ment jour et nuit et prie­ront pour vous. — Je veux bien, répon­dit Wamba, mais à une condi­tion, c’est que vous consen­ti­rez à être supé­rieur de l’abbaye, et à diri­ger dans la ver­tu ceux qui vien­dront s’y consa­crer au Seigneur. » Cette réponse décon­cer­ta le soli­taire ; il se croyait inca­pable et indigne de com­man­der à per­sonne, et peut-​être songeait-​il à se cher­cher quelque nou­velle retraite incon­nue. Mais le roi le sup­plia si vive­ment, que Gilles eut peur d’empêcher, par un refus obs­ti­né, une œuvre si utile à la gloire de Dieu et au bien des âmes. Il accepta.

Wamba, tout joyeux, don­na immé­dia­te­ment l’ordre de construire deux églises, et le bon ermite en indi­qua l’emplacement et les dimen­sions ; l’une fut dédiée en l’honneur de saint Pierre et de tous les Apôtres, l’autre en l’honneur de saint Privat, évêque de Mende et mar­tyr. Cette der­nière était près de la grotte de l’homme de Dieu, qui ne vou­lut pas avoir d’autre cellule.

Un monas­tère s’éleva près de l’église Saint-​Pierre. Le roi, avant de retour­ner en Espagne, avait four­ni les sommes néces­saires aux construc­tions et don­né à la nou­velle abbaye toute la Vallée fla­vienne, sur un rayon de quinze milles. De nom­breux dis­ciples, dési­reux de se consa­crer à Dieu sous la direc­tion de Gilles, ne tar­dèrent pas à peu­pler le monas­tère. L’ancien com­pa­gnon de saint Vérédème fut ordon­né prêtre et condui­sit sa famille reli­gieuse avec un zèle plein de vigi­lance, de fer­me­té et d’incomparable dou­ceur. Nul ne le sur­passait dans les jeûnes, la prière et les saintes veilles.

Afin de don­ner à son œuvre toute la sta­bi­li­té dési­rable, Gilles vou­lut la pla­cer sous la pro­tec­tion du Pape. Il fît donc le pèle­ri­nage de Rome, se pros­ter­na avec amour aux tom­beaux des saints Pierre et Paul, véné­ra les sou­ve­nirs des mar­tyrs, se pré­sen­ta au Souverain Pontife, saint Benoît II, qui l’accueillit avec une bon­té pater­nelle, et, par une Bulle datée du 26 avril 685, mit sous la juri­dic­tion immé­diate du Saint-​Siège le monas­tère de la Vallée fla­vienne. Le pèle­rin quit­ta Rome, com­blé de pré­sents et de bénédictions.

Séjour en Espagne.

C’est une ancienne tra­di­tion de la Catalogne et des pro­vinces voi­sines, que l’abbé du monas­tère Saint-​Pierre a vécu quelque temps en Espagne. Sans doute céda-​t-​il de nou­veau, peu d’années après son retour de Rome, en voyant sa fon­da­tion monas­tique soli­de­ment éta­blie, à son attrait pour la vie soli­taire et cachée. « La mon­tagne de Nuria, au ter­ri­toire de la ville de Caralps, sur les confins du dio­cèse d’Urgel, lui offrit une grotte pro­fonde. Un manus­crit de la plus haute anti­qui­té atteste que saint Gilles habi­ta la mon­tagne de Nuria, qu’il y sculp­ta l’image de la Vierge véné­rée aujourd’hui, et qu’au moment de son départ, il la cacha dans la grotte où elle fut mira­cu­leu­se­ment décou­verte en 1079, et où elle n’a ces­sé, depuis plus de huit siècles, d’opérer les pro­diges les plus écla­tants. » (Abbé d’Everiange.) On attri­bue le retour de Gilles en France, aux persé­cutions exer­cées contre les catho­liques, par l’un des indignes suc­cesseurs de Wamba, le débau­ché Witiza, grand enne­mi de la morale chré­tienne, et dont le règne fut néfaste à l’Espagne qui, en 711, un an après sa mort, tom­ba sous le joug des Sarrasins.

Saint Gilles et Charles Martel. — Derniers jours.

Après avoir conquis l’Espagne, les sec­ta­teurs de Mahomet fran­chirent les Pyrénées en 719, et enva­hirent le midi de la France. Gilles se réfu­gia auprès de Charles Martel, duc d’Austrasie. Divers miracles signa­lèrent son voyage. A Orléans, il déli­vra un pos­sé­dé du démon. Charles le reçut avec une grande joie, car il avait sou­vent enten­du par­ler de ses ver­tus. La chro­nique rap­porte que le duc, homme actif et vaillant, mais trop sou­vent domi­né par ses pas­sions, avait com­mis un péché grave, qu’il n’osait avouer à per­sonne, pas même au Saint. Il se recom­man­da tou­te­fois avec beau­coup d’instances à ses prières. Or, pen­dant que le ser­vi­teur de Dieu disait la messe et priait pour le duc d’Australie, un ange lui remit un billet où étaient écrits le péché de Charles et la pro­messe du par­don, en cas de repen­tir. Après la messe, le Saint mon­tra le billet au duc : celui-​ci, tom­bant à ses pieds, confes­sa qu’il était, en effet, cou­pable de cette faute, et en reçut l’absolution. En sou­ve­nir de ce trait, on invo­quait autre­fois saint Gilles contre la timi­di­té qui para­lyse par­fois les pécheurs au tri­bu­nal de la Pénitence.

L’année 721, le duc Eudes d’Aquitaine ayant vain­cu les Sarrasins dans une grande bataille livrée sous les murs de Toulouse, Gilles et ses reli­gieux purent rele­ver les ruines de leur monas­tère et reprendre leurs exer­cices régu­liers. Le saint fon­da­teur y ache­va ses jours et mou­rut âgé d’environ quatre-​vingts ans.

Le culte de saint Gilles. — L’abbaye et la ville.

Les nou­velles inva­sions des Sarrasins n’empêchèrent pas les moines d’affluer dans la Vallée fla­vienne. Les nom­breux miracles opé­rés au tom­beau du Saint ren­dirent son culte popu­laire dans tout l’Occident. Une ancienne ville, depuis long­temps rui­née, se refor­ma peu à peu autour de l’abbaye, qui devint, grâce à la science de ses reli­gieux, le siège d’une école célèbre au moyen âge. De tous les points de la chré­tien­té on accou­rait en pèle­ri­nage à Saint-​Gilles, dont la popu­la­tion, sans cesse accrue aux xie, xiie et xiiie siècles, alla jusqu’à dépas­ser, dit-​on, cent mille habi­tants. En 1095, le Pape, le bien­heu­reux Urbain II, venu en France pour sus­ci­ter l’héroïque mou­ve­ment des Croisades, s’arrête à Saint-​Gilles et y consacre l’autel majeur d’une magni­fique crypte ; sur cette église sou­ter­raine, ne tarde pas à s’élever une splen­dide basi­lique, la mer­veille de l’art romano- byzan­tin dans nos contrées occidentales.

L’un des chefs les plus intré­pides de la pre­mière Croisade, Raymond IV, comte de Toulouse, qui, par dévo­tion pour le Saint, se fai­sait appe­ler Raymond de Saint-​Gilles, tom­ba malade après la conquête de Nicée (1096). En quelques jours, raconte Raymond d’Agile, son cha­pe­lain et son his­to­rien, le mal fît d’effrayants pro­grès, et ce fut dans l’armée un déses­poir immense. Or, un che­va­lier saxon se pré­sen­ta sous la tente du malade, et lui dit : « A deux reprises votre patron saint Gilles m’est appa­ru : Va trou­ver, m’a‑t-il dit, mon ser­vi­teur Raymond de Saint-​Gilles. Dis-​lui qu’il ait bonne confiance, il ne mour­ra pas de cette mala­die ; j’ai obte­nu pour lui cette grâce et je conti­nue­rai à le pro­té­ger. » Cependant, la mala­die pour­suit son cours et ne laisse plus d’espoir. Guillaume, évêque d’Orange, qui avait admi­nis­tré au comte l’Extrême-Onction, com­mence les prières des ago­ni­sants avec le légat du Saint-​Siège, Adhémar, évêque du Puy. Mais, dit l’historien, Dieu n’avait conduit le comte aux portes du tom­beau que pour mieux faire écla­ter la puis­sance de saint Gilles et rendre subi­te­ment le mori­bond à la santé.

Au moyen âge, la France, la Belgique, l’Angleterre, l’Ecosse, la Pologne, glo­ri­fièrent le Saint par des églises et des cha­pelles bâties en son hon­neur. Edimbourg se tar­guait de pos­sé­der un monas­tère pla­cé sous son vocable dès 1150, et sur­tout une relique insigne. Cette ville prit saint Gilles pour patron, et le repré­sen­ta dans ses armes. Par la suite, le bla­son a chan­gé, l’effigie du célèbre abbé en a dis­pa­ru, mais la biche est res­tée au moins dans l’écusson complet.

Saint Gilles était invo­qué contre la frayeur, l’incendie, l’épilepsie, la folie, la fièvre, etc. En 1085, Ladislas, prince de Pologne, et son épouse Judith, après avoir vu leur union demeu­rer sté­rile, obte­naient, par l’intercession du Saint, la nais­sance mira­cu­leuse de Boleslas III. En 1633, Louis XIII et Anne d’Autriche, à l’occasion de la nais­sance de Louis XIV, ordon­nèrent qu’une dépu­ta­tion du cler­gé et de la noblesse se ren­drait, neuf jours de suite, à l’église Saint-​Leu-​Saint- Gilles, à Paris, et que pen­dant cette neu­vaine on ferait des prières solen­nelles au saint Abbé pour la conser­va­tion du royal enfant.

A l’époque de ce der­nier évé­ne­ment, la ville de Saint-​Gilles était bien déchue. La domi­na­tion des Albigeois lui avait por­té un pre­mier coup ; les reli­gieux eux-​mêmes, oubliant leur fer­veur pri­mi­tive, ont deman­dé leur sécu­la­ri­sa­tion en 1538 ; bien­tôt les pro­tes­tants déchaînent la guerre civile contre leur patrie, des cen­taines d’églises sont ren­ver­sées, la France déchi­rée. Pour sous­traire le corps de saint Gilles à la fureur des héré­tiques, on le trans­porte à Toulouse en 1552 ; la même année, les pro­tes­tants pou­vaient écrire dans leurs fastes ecclé­sias­tiques, à la date du 15 sep­tembre : « En ce jour, la ville de Saint-​Gilles fut mise au pillage, les prêtres égor­gés et jetés dans le puits qui est joi­gnant l’église inté­rieure… » On recon­naît encore aujourd’hui, aux parois de la par­tie supé­rieure, de longues traces des mar­tyrs. La belle basi­lique est ren­ver­sée ; tou­te­fois les pro­tes­tants n’eurent pas le temps d’en détruire le por­tail. La Révo­lution n’oublia pas d’ajouter encore à leurs ravages.

Des fouilles entre­prises au xixe siècle ont per­mis de retrou­ver, le 29 août 1865, le tom­beau du Saint ; la crypte du xie siècle a été répa­rée, l’église parois­siale embel­lie. Toulouse a ren­du quelques reliques du saint Abbé ; on en a trou­vé d’autres frag­ments dans son tom­beau. Le zèle des évêques de Nîmes et des curés de Saint-​Gilles a rani­mé la foi des fidèles, et des grâces écla­tantes obte­nues par l’intercession du Saint prouvent qu’il suf­fît de l’invoquer avec la même confiance que nos pères pour en obte­nir les mêmes faveurs.

Sous le pon­ti­fi­cat du bien­heu­reux Urbain IV (xive siècle), la fête de saint Gilles a été pla­cée au rang des fêtes simples.

Maxime Viallet.

Sources consul­tées. — P. E. d’Everlange, Saint Gilles et son pèle­ri­nage (Avignon, 1876). — Jules de Kerval, Vie et culte de saint Gilles (Le Mans, 1876). — Remery Saint Gilles, sa vie, ses reliques (Bruges, 1881). — (V. S. B. P., n° 446.)