« Que voulez-vous que je fasse ? Le père Bugnini peut se rendre dans le bureau du Saint Père et lui faire signer tout ce qu’il veut ! « (Février 1969, déclaration du cardinal Almeto Cicognani Secrétaire d’État du Saint-Siège à Mgr Lefebvre).
Au sortir de la Semaine Sainte qui nous replace chaque année face à l’institution du Sacrifice Eucharistique, sans doute est-il utile de savoir qui a porté l’exacte responsabilité de le remettre en question. En d’autres termes, qui est celui qui a prétendu abolir la foi et la prière de deux millénaires de christianisme, déjà et surtout sous prétexte d’ocuménisme.
Il semble récemment, mais avec un peu de recul, que les media se soient évertuées à prétendre, au moment des funérailles de Jean-Paul II, que la vox populi aurait réclamé sa canonisation immédiate en clamant : santo subito. Ceci démontre bien, en tout cas, qu’en matière de plébiscite spontané, on ne retient que ce que l’on veut. On constate, en effet, que, face à une manifestation similaire, on s’est empressé d’ignorer la clameur de milliers de femmes romaines sous les fenêtres de Paul VI. Celles-ci suivaient les porteurs de cent mille signatures pour un appel au Pape demandant la suppression du nouveau rite de la Messe. C’était le résultat d’une campagne lancée par le comité italien pour la défense de la civilisation chrétienne.
Les femmes scandèrent donc interminablement, au début de janvier 1970, sur la Place Saint-Pierre et sous les fenêtres de PaulVI : Santo Padre, Rede noï la Vera Missa-Saint Père, rendez-nous la Vraie Messe !
Cette démarche faisait suite aux débordements qui avaient précédé ou suivi l’obligation de célébrer la nouvelle messe, à partir du 30 novembre 1969.
Que s’était-il donc passé quatre ans après la clôture du concile ocuménique de Vatican II ? L’incurie, la fatigue ou la pusillanimité des cardinaux de curie, hormis deux d’entre eux (Ottaviani, préfet du Saint-Office et Bacci) avaient permis qu’avec l’aval de Paul VI, un seul homme, Bugnini, secrétaire à la Sacrée Congrégation pour le culte divin, disposât du pouvoir absolu d’altérer dans sa substance même la Messe Catholique universelle.
D’où venait ce personnage en demi teinte, qui tout en affectant d’arpenter discrètement les corridors du Vatican, avait su s’imposer là où il le jugeait nécessaire.
Il était né à Pavana, en Toscane, au nord de Pistoïa, dans l’Italie du Nord. À la réflexion, on peut imaginer que ce fut par une sorte de revanche diabolique. En effet, le synode diocésain illégitime de Pistoïa, en 1786, cité dans l’encyclique Mediator Dei de Pie XII (26 mars 1947) avait été exemplaire de l’erreur consistant, en matière de liturgie, à tout ramener en toute manière à l’antiquité.
Dans cette encyclique, Pie XII avait voulu pointer, une nouvelle fois, les recherches poursuivies par le bénédictin Dom Lambert Beaudouin, de l’abbaye de Mont-Desert, près de Louvain, qui avait été blâmé par Rome dès 1921, sous le pontificat de Pie XI.
S’agissant de Bugnini, on a pris le parti, toutes tendances confondues, de se borner à citer le nom seul de l’apprenti sorcier, sans chercher plus au fond comment il parvint à s’imposer peu à peu dans les corridors du Vatican et jusque dans les appartements pontificaux, à part quasi égale avec les cardinaux Secrétaires d’État. Cette situation tint à ce que, émissaire de l’ombre, il excella à brouiller toutes les pistes le concernant.
Son parcours aventureux semble avoir débuté en 1945, au moment où l’Église avait paru, pour certains, devoir composer pour exercer une influence sur le pouvoir politique, né après guerre en Italie, face à celle de la Loge.
Deux ecclésiastiques qui avaient, par avance, des relations efficaces avec la Loge, vont y siéger comme observateurs, en vertu d’une dispense spéciale. Ce sont un Substitut de la Secrétairie d’État et le P. Annibal Bugnini. Ce singulier privilège sera, pour le second, le tremplin d’une carrière fulgurante dans une congrégation romaine de 1969 à 1975, celle du Culte Divin.
En attendant, en 1945, le P. Bugnini fut attaché à la délégation apostolique de Londres. Il put ainsi prendre des contacts avec la Grande Loge d’Angleterre et le secrétaire général du Grand Conseil anglican de Cantorbéry. Ceux-ci le mirent en rapport avec d’autres membres du Conseil Ocuménique des Églises alors basé en Suède.
On notera qu’à la même époque, Mgr Jean-Baptiste Montini, Substitut de la Secrétairie d’État, avait pris l’habitude de fréquenter la communauté ocuménique de Taizé en Bourgogne, animée par Max Thurian. Ce dernier se signala en envoyant, le 21 novembre 1948, une délégation à Rome pour protester contre la perspective du dogme de l’Assomption, qui sera d’ailleurs proclamé le 1er novembre 1950. À l’appui de cette démarche, une longue étude du P. Bugnini prétendit qu’il était imprudent, sinon faux, de dire que l’Assomption de la Vierge avait, de tout temps, été un article de Foi.
De retour à Rome, en 1948, le P. Bugnini fut nommé secrétaire d’une commission de huit membres qui allaient travailler dans le secret le plus absolu jusqu’en 1960. Elle fut instaurée par Pie XII, le 28 juin 1948, en marge de la Congrégation des rites, présidée alors par le cardinal Micara, puis par le cardinal Geatano Cicognani.
Cette commission dite commissio piana débuta son travail dans les catacombes, selon une formule lancée par Bugnini. Par ailleurs, celui-ci campait à l’Institut Pontifical du Latran où il était professeur de liturgie et dirigeait conjointement les Éphémérides Liturgicae.
Le cardinal Augustin Bea qui régnait à l’Institut du Latran et faisait partie, de surcroît, de la commissio piana, confesseur de Pie XII depuis 1945, fit enfin en sorte que le P. Bugnini eût un accès direct auprès du Pape.
Tout ce parcours insidieux connut cependant un sérieux accroc, deux ans après l’avènement de Jean XXIII, le 20 octobre 1958. Le P. Bugnini fut révoqué de sa chaire d’enseignement au Latran et écarté du secrétariat de la commissio piana qui semblait s’éteindre par suite du décès de son second président, le cardinal G. Cicognani, le 5 février 1962. Celui-ci avait refusé jusqu’à la fin le schéma de réformes proposées par Bugnini.
Le jeudi 11 octobre 1962, Jean XXIII présida la séance d’ouverture du Concile. Très vite les dix présidents des commissions préconciliaires furent amenés à différer la discussion des quatre premières constitutions dogmatiques, car il fut annoncé le 16, que le premier schéma soumis à discussion serait la constitution sur la liturgie. Le 20 octobre vit le début de vingt interventions. La seconde fut celle du cardinal Montini, archevêque de Milan, qui, tout en recommandant que des commissions fussent créées après le concile afin de rendre l’héritage liturgique du passé plus évident, plus compréhensible et plus utile pour les hommes de notre temps…, conclut en donnant son appui sans réserve au principe selon lequel les cérémonies devraient être une fois encore réduites à une forme plus simple. On ne pouvait être plus proche de Bugnini dans l’expression.
En attendant, l’éclipse apparente de ce dernier n’allait durer que quelques mois. La disparition de Jean XXIII, le 3 juin 1963, allait le ramener sur le devant de la scène. L’avènement de Paul VI, le 21 juin, fut presque aussitôt suivi de la refonte générale de la Curie par un Pape qui en connaissait les moindres rouages.
Le signe visible de la situation prépondérante qui allait être réservée au père Bugnini fut d’être pris comme théologien personnel du Pape pour la poursuite du Concile. Ouvrant la seconde session, le 1er octobre 1963, Paul VI annonçait, entre autres nouvelles, que la commission spéciale pour la réforme de la liturgie serait présidée par le bien aimé et fidèle serviteur de l’Église, le P. Annibal Bugnini. À cet instant même, le Souverain Pontife crut bon de tourner la tête dans la direction de l’intéressé, en esquissant un geste amical.
Le schéma de la constitution sur la liturgie fut présenté par Mgr Zauner, évêque de Lintz, en écho à la conférence tenue en août à Fulda.
Le vote définitif de la constitution sur la liturgie, dont Mgr Zauner exprima qu’il n’avait jamais osé espérer que l’on pourrait aller si loin, eut lieu le 4 décembre 1963, jour de clôture de la deuxième session du Concile. Le dépouillement des votes fait sur ordinateur(!) donna 2 147 voix pour, 4 contre. Puis Paul VI se leva et promulgua solennellement la constitution.
On peut se demander si ces chiffres étaient vraiment significatifs ou savamment manipulés. En toute hypothèse, on peut imaginer que les quatre votes négatifs furent ceux du directoire du Coetus Internationalis Patrum, NSS Lefebvre, de Castro Mayer, de Proença Sigaud et Carli. De toutes manières, ceux-ci avaient vraiment mérité le nom de « pères » ? du latin « peritus », qui sait par expérience – du concile de Vatican II.
Le 5 mai 1964, l’Osservatore Romano annonça la création d’un Conseil pour l’application de la constitution sur la liturgie sacrée comprenant 42 personnes, représentant 26 pays. Il était présidé par le cardinal Lercaro, le secrétaire était Annibal Bugnini.
Il lui restait cinq ans pour édifier une messe réformée dite « normative » et abolissant la liturgie romaine. Sur 255 lignes de texte pour le Missel Romain, il n’en subsista que 56 inchangées ! Le paragraphe 7 de l’ordo missæ de Paul VI, établit la terrible hérésie suivante : La Messe est la synaxe sacrée ou congrégation du peuple rassemblé dans l’unité, sous la présidence du prêtre, pour célébrer le mémorial du Seigneur. Chaque mot était destructeur…
Le 24 novembre 1967, une messe normative fut célébrée à la Sixtine. Au bout de quelques instants, le cardinal Slipyj, patriarche d’Ukraine, la quitta suivi par plusieurs évêques. En janvier 1968, 1.500 prêtres quittèrent l’Église ; ils seront 14.000 et plus par la suite. Entre temps, le nouvel ordo missæ avait pris effet le 30 novembre 1969 mais la débâcle de tous les rites les plus sacrés avait commencé dans toute la Chrétienté, tout spécialement en Europe où la France donna le ton.
À compter de cette date ouvrant officiellement « la boite de Pandore » des effets visibles du Concile, les ravages vont s’étendre à toute la catholicité. Les pays dépendant de « l’Alliance du Nord », au Concile, vont innover sans la moindre retenue et sans relâche au gré ou non des évêques. Nous pourrions aligner des pages et des pages pour décrire les méandres du processus. Le mal était fait.
Tous les catholiques ont découvert avec effarement, jour après jour, les audaces provocatrices d’un clergé déboussolé et inculte. Une minorité, infime au départ, rejoignit les deux évêques qui avaient décidé de résister. La grande majorité déserta peu à peu les paroisses dont les églises, faute de desservants, allaient fermer les unes après les autres. Non seulement la Messe mais aussi les autres sacrements cessèrent d’être administrés. Les églises, au centre des cités, avaient perdu leur sens. Elles étaient jadis le temple de « la Présence Réelle ». À partir du moment où le tabernacle fut relégué dans un coin obscur et que l’autel, avec ou sans crucifix, fut tourné vers « le Peuple de Dieu », le sanctuaire devint un temple protestant..
Confusément ou non, les fidèles résistèrent à la situation ainsi créée. Les prêtres avaient finalement perdu leur raison d’être. En même temps, l’abandon de leur costume consacrait leur absence visible dans la Société. Des milliers d’entre eux désertèrent ou moururent de douleur ; des congrégations religieuses se fermèrent et les séminaires se vidèrent inexorablement.
À quoi bon décrire ce dont nous avons tous souffert, à un moment ou à un autre. Une chose est certaine, nous ne pouvons « être en pleine communion » avec le morne troupeau des ralliés quand l’abomination de la désolation règne dans le sanctuaire. Au bout d’un an de pontificat, Benoît XVI réalise que c’est désormais « l’église du Concile » bien ou mal interprété, qui est désormais au bord du gouffre.
Auparavant, Bugnini, comme une bête féroce libérée de sa cage, avait pu sévir en toute impunité, pendant six ans encore, de 1969 à 1975.
Avant de parvenir au bord de la roche tarpéienne, il présentera, en avril 1970, à la face du monde, ses complices pour la fabrication de la messe normative : le Dr Georges, le chanoine Jasper, les Drs Sephard, Smith, Konneth et le frère Max Thurian, représentant le conseil ocuménique des églises, les communautés anglicanes et luthériennes et la communauté de Taizé, au côté de Paul VI. Pour lui, la consécration épiscopale et l’élévation à un archevêché, cette fois bien nommé, « in partibus infidelium » (celui de Diocleziana) viendront en 1972.
Son dernier combat ayant été mené à propos de la multiplication des canons de la Messe, frappant ainsi au cour le sacrifice eucharistique, Bugnini va vivre, en 1975, une aventure surréaliste. Il oublia dans une salle de réunion du Vatican son porte-documents contenant des preuves établissant de façon aveuglante son appartenance à La Loge et la chronologie satanique de ses entreprises. À partir de cette découverte, la taupe qui allait partout, minant le sol du Vatican, sera aussitôt pourchassée quelques heures plus tard et en moins d’une heure, le Pape, contraint et forcé, face à la nouvelle répandue comme une traînée de poudre, le destitua brutalement à la Curie, en tête d’une trentaine de ses affidés.
Tel Judas Iscariote au soir du Jeudi-Saint, une solitude diabolique allait s’établir pour lui. Nommé pour la forme « Pro-nonce » à Téhéran, son existence s’achèvera, au prix d’un juste châtiment, dans un immeuble où il fut étroitement confiné. Confronté au turban des ayatollahs, put-il même célébrer dans la plus affreuse des solitudes sa messe normative ? Sa trace se perd alors, silhouette dérisoire et infime, perdue au cour de cet islam dont il fut, à sa façon, l’un des artisans du réveil…
En définitive, on peut se demander, par quelle dérision satanique, cet autre Judas que figura Bugnini offrait l’apparence inoffensive d’une caricature monacale pour couverture de boîte à camembert. Tel quel, ce redoutable moderniste répondait pourtant parfaitement à la définition donnée par saint Pie X dans l’encyclique Pascendi Dominici gregis(1), du 8 septembre 1907 :
« 2 – Nous parlons de prêtres qui… absolument courts de théologie et de philosophie sérieuse se posent… comme rénovateurs de l’Église…
3 – Ce n’est pas du dehors, c’est du dedans qu’ils trament sa ruine… Leurs coups sont d’autant plus sûrs qu’ils savent où la frapper…
37 – Ceci est chez eux une volonté et une tactique… parce qu’ils tiennent qu’il faut stimuler l’autorité et non la détruire, parce qu’il importe de rester au sein de l’Église pour y travailler et y modifier peu à peu la conscience commune. »
Armoricus.
Pâques 2006 : Extrait du Sainte-Anne de mai 2006 (Prieuré de Lanvallay).
(1) Les numéros de citations indiquées sont ceux des paragraphes du texte latin.