Il y a cinquante ans, le 15 février 1973, le cardinal Achille Liénart rendait son âme à Dieu.
Ordonné prêtre en 1907, Achille Liénart fut nommé évêque de Lille en 1928 et le resta pendant quarante ans jusqu’en 1968 : une longévité exceptionnelle qui lui donna le temps d’imprimer sa marque au diocèse. L’un de nos paroissiens l’a bien connu jusque dans ses derniers moments : avec son épouse, nièce du cardinal qui avait célébré leur mariage, il prenait quelquefois le relais des religieuses qui veillaient sur le prélat atteint d’un cancer du pancréas. « Oncle Achille » lui a laissé le souvenir d’une mort édifiante. On lui avait proposé de prendre des médicaments pour atténuer ses douleurs : mais il avait refusé, afin de suivre l’exemple de Jésus-Christ qui avait souffert sans se plaindre. Et puis, ne fallait-il pas offrir ses souffrances pour l’Église ? Lui qui l’avait connue florissante dans un diocèse de Lille riche en fidèles, en vocations et en œuvres, il pouvait constater le début du naufrage. « On comptait encore 1389 prêtres dans le diocèse en 1965. Ils n’étaient plus que 1230 en 1973. Le nombre des ordinations était tombé de 35 en 1953 à 20 en 1956. La baisse continua ensuite régulièrement. En 1969, il n’y eut que 8 ordinations »[1]. Dans ses dernières années, le cardinal déplorait aussi certaines réformes dont celles des séminaires, intervenues après Vatican II[2].
Mais n’était-ce pas pleurer sur les cendres d’un incendie qu’il n’avait peut-être pas allumé lui-même, mais qu’il avait contribué à entretenir ? L’évêque de Lille était doté de qualités humaines certaines : chaleureux, d’un abord facile, il savait se montrer habile et fidèle en amitié. Mais il resta un homme « de son temps » : esprit avant tout pratique, peu adepte des déclarations de principes, il ne sut pas résister, avec la fermeté et la hauteur de vue que donne l’assise doctrinale, aux modes qui s’infiltraient dans l’Église au risque de l’éloigner de l’annonce de la foi « à temps et à contretemps ». Un épisode apparaît à ce titre significatif. En 1962, la Cité Catholique se voyait violemment attaquée par certains milieux ecclésiastiques et non des moindres puisque l’on soupçonnait que l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques, présidée par le cardinal Liénart, était derrière certaines de ces menées. Pourtant, l’œuvre de Jean Ousset diffusait fidèlement la doctrine sociale de l’Église enseignée par les papes, alors déjà remise en cause ! Mgr Lefebvre n’hésita pas à prendre la défense d’une œuvre si salutaire en publiant une lettre de soutien à la Cité Catholique. « Je faillirais à la vérité si je restais silencieux », écrivait l’évêque nommé de Tulle. Sans aborder la question de fond, l’évêque de Lille lui reprocha en retour d’avoir manqué à une attitude « plus prudente et plus fraternelle ». Réponses révélatrices de deux états d’esprit. D’un côté, la prudence chrétienne qui sait au besoin, sans lâcheté, prendre « le casque du salut et l’épée de l’esprit » (Ep 6, 17) pour défendre la foi attaquée. D’un autre côté, la fausse prudence du libéral qui a toujours des raisons opportunes de ne pas affirmer la vérité quand elle pourrait choquer.
Si aujourd’hui apparaissent plus clairement les insuffisances du pasteur nordiste, ne négligeons pas de prier pour le repos de son âme. Sans imaginer peut-être une telle postérité, il œuvra tout de même à la perpétuation du sacerdoce catholique traditionnel puisque nous lui devons l’ordination sacerdotale et la consécration épiscopale de Mgr Lefebvre !
Source : Le Carillon n°204
- Catherine Masson, Le cardinal Liénart, Cerf, 2001, p. 485. En 1928, année de la nomination de Mgr Liénart (cardinal en 1930), le diocèse de Lille comptait 1350 prêtres. Il y eut 44 ordinations en 1923. En 2020, l’annuaire diocésain indiquait 238 prêtres diocésains incardinés, 105 prêtres diocésains actifs dans le diocèse, 113 prêtres retraités et une ordination.[↩]
- Témoignage recueilli le 20 septembre 2022.[↩]