Martyr en Vermandois (+ vers 287).
Fête le 31 octobre.
Vie résumée
Saint Quentin fut un de ces jeunes Romains qui, comme saint Crépin et saint Crépinien, vinrent prêcher l’Évangile dans les Gaules et y communiquer le trésor de la foi qu’ils avaient reçu. Amiens fut le centre de son apostolat. Les miracles confirmaient son enseignement ; il traçait le signe de la Croix sur les yeux des aveugles, et ils voyaient ; il faisait parler les muets, entendre les sourds, marcher les paralytiques. Ces éclatants prodiges excitaient l’admiration des uns et la haine des autres.
Quentin fut bientôt dénoncé à ce monstre de cruauté qui avait nom Rictiovarus, gouverneur romain, et il comparut devant lui : « Comment t’appelles-tu ? lui demande le tyran.
– Je m’appelle chrétien. Mon père est sénateur de Rome ; j’ai reçu le nom de Quentin.
– Quoi ! un homme de pareille noblesse est descendu à de si misérables superstitions !
– La vraie noblesse, c’est de servir Dieu ; la religion chrétienne n’est pas une superstition, elle nous élève au bonheur parfait par la connaissance de Dieu le Père tout-puissant et de Son Fils, engendré avant tous les siècles.
– Quitte ces folies et sacrifie aux dieux.
– Jamais. Tes dieux sont des démons ; la vraie folie, c’est de les adorer.
– Sacrifie, ou je te tourmenterai jusqu’à la mort.
– Je ne crains rien ; tu as tout pouvoir sur mon corps, mais le Christ sauvera mon âme. »
Une si généreuse confession est suivie d’une flagellation cruelle ; mais Dieu soutient Son martyr, et l’on entend une voix céleste, disant : « Quentin, persévère jusqu’à la fin, Je serai toujours auprès de toi. » En même temps, ses bourreaux tombent à la renverse. Jeté dans un sombre cachot, Quentin en est deux fois délivré par un Ange, va prêcher au milieu de la ville, et baptise six cents personnes.
Tous ces prodiges, au lieu de calmer le cruel Rictiovarus, ne servent qu’à allumer sa fureur. Il envoie reprendre le martyr et le fait passer successivement par les supplices des roues, des verges de fer, de l’huile bouillante, de la poix, des torches ardentes : « Juge inhumain, fils du démon, dit Quentin, tes tourments me sont comme un rafraîchissement. » Le tyran invente alors un supplice d’une férocité inouïe et fait traverser le corps du martyr, de haut en bas, par deux broches de fer ; on lui enfonce des clous entre la chair et les ongles. Enfin l’héroïque Quentin eut la tête tranchée. Les assistants virent son âme s’envoler au Ciel sous la forme d’une blanche colombe.
Abbé L. Jaud, Vie des Saints pour tous les jours de l’année, Tours, Mame, 1950
Version longue (La Bonne Presse)
Vers la fin du iiie siècle, sous les empereurs Dioclétien et Maximien, une troupe de jeunes Romains vinrent apporter l’Evangile dans le nord des Gaules. Pleins de jeunesse et d’amour de Dieu, ils quittèrent leur patrie, leurs biens, pour enrichir cette région des bienfaits de la loi divine.
Saint Quentin dans les Gaules.
Parmi les missionnaires que leur zèle poussa ainsi à quitter la capitale de l’empire se trouvait Quentin, fils d’un sénateur romain.
En compagnie de saint Lucien il se rendit jusqu’à la ville d’Amiens. Là, les deux apôtres se séparèrent afin que la parole divine fût distribuée à un plus grand nombre d’âmes. Lucien se retira à Beauvais tandis que Quentin demeurait à Amiens.
Dès lors, l’un et l’autre se mirent à publier le nom du Christ, à prêcher sa parole, confirmant leurs enseignements et leurs prédications par le témoignage de leurs miracles. Ils traçaient le signe de la croix sur les yeux malades, et les aveugles voyaient ; au nom de Jésus, ils faisaient parler les muets, entendre les sourds, marcher les paralytiques. Mais ces merveilles, qui comblaient de joie les fidèles du Christ, suscitèrent par contre l’irritation des idolâtres.
Rictiovare le bourreau.
A cette époque s’alluma, en effet, dans tout l’empire la persécution de Dioclétien. Le Gaules eurent particulièrement à en souffrir en raison de la cruauté du préfet Rictiovare. Comme ce fonctionnaire passait à Bâle, en route pour son nouveau poste, il y fît rechercher les chrétiens de la ville, puis, les trouvant inébranlables, il ordonna de les noyer au lieu où la Birsa se jette dans le Rhin.
De là, il pénétra plus avant dans le Nord-Ouest et se rendit au fort appelé autrefois Samarobriva, et depuis Amiens. Là, on lui apprit l’ascendant qu’exerçait Quentin sur les populations par l’éclat de ses vertus et de ses miracles. Rictiovare, profondément indigné fit saisir aussitôt le missionnaire et donna l’ordre de le jeter en prison.
Interrogatoire de saint Quentin.
Le lendemain, Rictiovare le fit comparaître devant son tribunal. – Quel est ton nom ? lui demanda-t-il.
Quentin répondit :
– Je m’appelle chrétien, car je le suis en effet, et je crois de cœur au Christ et le confesse de bouche. Maintenant, j’ajouterai que je suis citoyen de Rome, fils du sénateur Zénon, et que mes parents m’appellent Quentin.
Le préfet lui dit :
– Comment ! malgré tant de noblesse, d’où vient que tu te sois livré à de telles superstitions, et que tu adores comme Dieu un homme crucifié par les Juifs ?
– La plus haute noblesse, répondit le martyr, c’est de reconnaître Dieu et d’obéir généreusement à ses lois. La religion chrétienne n’est pas une superstition ; elle nous élève à la souveraine félicité, elle nous donne la connaissance de Dieu le Père tout-puissant, de son Fils Jésus-Christ, engendré avant tous les siècles.
– Quentin, quitte ces folies, sacrifie aux dieux.
– Je ne sacrifierai point à tes dieux, car ce ne sont que des démons. Ma folie est la véritable sagesse, celle que le Fils de Dieu nous a enseignée. Et la véritable folie serait de t’obéir en sacrifiant aux dieux.
– Si tu ne sacrifies, dit alors le préfet, je te tourmenterai jusqu’à la mort.
– Je ne crains point tes menaces, et suis prêt à endurer tout ce que Dieu voudra. Tu as tout pouvoir sur mon corps, mais le Christ prendra mon âme en pitié.
Saint Quentin est battu de verges.
Ces paroles excitèrent la fureur du préfet : il ordonna de flageller Quentin. Pendant que les bourreaux déchiraient sa chair, le martyr levait les yeux au ciel, remerciait Dieu qui lui accordait ainsi la faveur de souffrir pour Jésus-Christ ; il demandait la force de vaincre le tyran, afin qu’une plus grande gloire en jaillît sur le nom divin. Comme il terminait sa prière au milieu des coups, une voix se fit entendre qui disait : « Quentin, persévérez jusqu’à la fin, car je serai toujours auprès de vous. » Au même instant, les bourreaux chancelèrent et tombèrent à la renverse, sans pouvoir se relever ; se sentant comme brûlés vifs par un feu intérieur, ils demandaient, à grands cris, du secours au préfet.
Jeté en prison, saint Quentin en sort par miracle et prêche au peuple.
Rictiovare, à ce spectacle étrange, attribua la vengeance divine au pouvoir magique du martyr ; il ordonna qu’on le jetât au plus profond de la prison, et qu’on ne permît à personne de le voir.
La nuit suivante, pendant que Quentin donnait un peu de repos à ses membres couverts de plaies, un ange lui apparut et lui ordonna de se rendre au milieu de la ville, de prêcher au peuple, afin de consoler les fidèles et de baptiser ceux qui n’avaient pas encore reçu le sacrement qui régénère, et cela pour la plus grande confusion des ennemis du nom chrétien.
Quentin se leva aussitôt ; ses fers se détachèrent d’eux-mêmes ; et, comme autrefois l’apôtre saint Pierre, sous la conduite de l’ange, il traversa les divers corps de garde de la prison, sans rencontrer aucun obstacle.
A peine était-il arrivé au lieu indiqué, que le peuple y accourut de tous les côtés en foule. L’apôtre parla alors longuement de la vanité des idoles, de la nécessité de la pénitence et du baptême. « Mes frères, disait-il, écoutez-moi ; le Seigneur m’a envoyé pour vous enseigner la vraie foi et vous gagner à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Convertissez-vous donc, faites pénitence, et recevez le baptême, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. »
Après plusieurs jours de cet apostolat, il eut la joie de voir une grande partie de ses auditeurs demander le baptême ; il le donna à six cents personnes.
Conversion des gardes.
A leur réveil, les gardes ouvrirent le cachot du martyr ; n’y voyant plus leur prisonnier, ils se mirent à sa recherche, et bientôt ils le trouvèrent au milieu du peuple qu’il évangélisait. Frappés au fond de l’âme d’un tel prodige, ils embrassèrent eux-mêmes la foi, et ne craignirent point de proclamer hautement la grandeur du Dieu que prêchait Quentin.
De là, ils allèrent trouver le préfet, lui annoncèrent ce qui s’était passé, puis se mirent à maudire les dieux et le culte idolâtre et à proclamer leur foi au Dieu unique et véritable.
Le préfet, indigné, les traita de magiciens, et ne pouvant supporter plus longtemps leurs injures envers les dieux, il les fit chasser de sa présence.
Nouvelles tortures.
« Si je ne tue ce magicien, disait Rictiovare, il finira par séduire tout le peuple et anéantir le culte de nos dieux. »
Pour tenter une seconde fois de vaincre son courage, il fît appeler de nouveau la victime. D’abord il essaya la voie de la ruse, lui promettant toutes sortes de faveurs et de richesses, des dignités, des vêtements de pourpre, des colliers d’or. « Que ferai-je de tous ces riens, de toutes ces vanités ? répondit Quentin ; le Christ Jésus seul me suffit. »
Rictiovare, à court d’arguments, crut encore une fois que les tourments auraient plus de vertu persuasive que les promesses, mais là encore, il subit la honte d’un nouvel échec.
– Tu aimes donc mieux la mort que la vie ? dit-il au martyr. Quentin répondit :
– Je ne redoute point la mort, car si je meurs par tes mains, ce sera pour vivre avec le Christ.
Le préfet lui fît alors infliger le supplice des roues avec une telle violence, que tous les membres du patient furent disloqués. Il ordonna ensuite de le frapper avec des verges de fer, de répandre de l’huile bouillante et de la poix sur ses plaies, pour rendre les douleurs plus aiguës ; et, pour assouvir davantage sa rage, il fit appliquer des torches ardentes sur les côtés du martyr.
Mais celui-ci, embrasé du feu divin, remerciait Dieu et criait au préfet : « Juge inhumain, fils du diable, tes tourments me sont comme des rafraîchissements. »
Rictiovare, outré de dépit, fit verser dans la bouche de Quentin de la chaux détrempée dans du vinaigre et dans d’autres liquides amers. Enfin, il le menaça de l’envoyer à Rome pour lui faire souffrir des tourments encore pires en présence de ses plus illustres parents. Le martyr lui répondit que Dieu étant partout, il saurait aussi bien mourir à Rome qu’en Gaule. « J’ai cependant la confiance, ajouta-t-il, qu’il n’en sera pas ainsi, parce que Dieu m’a révélé que je mourrai en Gaule. »
Le préfet se rendit au lieu appelé alors Augusta Veromanduorum, dans la région qui, du nom de ses anciens habitants, s’est appelée le Vermandois, et qui porte maintenant le nom glorieux de Saint-Quentin. Il y fit conduire le martyr, chargé de grosses chaînes et d’énormes liens. Puis il le força à comparaître de nouveau en sa présence ; mais ni les promesses ni les menaces n’ébranlèrent la constance de Quentin qui, loin d’être intimidé, se réjouissait dans le Seigneur.
Supplice des broches.
C’est alors que le tyran, au paroxysme de la fureur, imagina des tourments dont on peut à peine se faire l’idée. Sur son ordre un forgeron confectionna deux longues broches de fer, qui devaient transpercer le martyr de la tête aux jambes, tandis que dix clous lui perceraient les doigts entre la chair et les ongles. Rictiovare se félicitait d’avance que des tourments aussi aigus arracheraient enfin à sa victime ou la vie ou la foi. Il fut encore confondu. Le martyr triompha de si affreux supplices, par la grâce de Dieu. Il endura tout avec patience, et se montra aussi généreux que dans tous les tourments antérieurs.
Pendant qu’il souffrait ainsi, le préfet, dépité, l’accablait d’injures et d’outrages : « Que les chrétiens, disait-il, viennent contempler leur maître au milieu de ses tourments et qu’ils prennent exemple sur lui ! » Rictiovare ne savait pas si bien dire, car la vue d’une constance si héroïque et si digne d’imitation était un grand exemple donné aux fidèles pour les affermir dans la foi, et même aux infidèles pour les attirer à cette foi qui insufflait tant de courage à ses champions.
Mort de saint Quentin.
Le préfet, à bout de supplices, se résolut enfin à frapper le dernier coup. Sur Je conseil d’un certain Severus, il ordonna de trancher la tête au martyr. Conduit au lieu de l’immolation, Quentin demanda aux bourreaux quelques instants pour prier. Les soldats les lui accordèrent, et le martyr, s’adressant au Seigneur, lui demanda de vouloir bien le recevoir en son glorieux paradis, afin qu’il pût jouir de sa vue pendant toute l’éternité. Sa prière finie, il présenta la tête aux bourreaux : « Je suis prêt, leur dit-il, faites votre office. » Et on lui trancha la tête.
Au même instant, les assistants virent son âme, sous la forme d’une blanche colombe, prendre son essor vers le ciel. Une voix se fit entendre : « Venez, disait-elle, Quentin mon serviteur, venez recevoir la couronne que je destine à vos mérites. » Ainsi mourut le bienheureux martyr Quentin, le 31 octobre 287, du moins c’est l’année généralement admise pour cet événement qui se place entre 285 et 303.
Le préfet ordonna de conserver et de garder avec soin le corps du martyr. Son intention n’était point de lui rendre des honneurs mérités, il voulait attendre le moment favorable de s’en défaire en secret. De fait, par son ordre, la nuit suivante les restes de Quentin furent jetés dans la Somme, le tyran espérant les dérober par ce moyen à la vénération des chrétiens.
Mission d’Eusébie.
Dieu trompa encore l’attente des persécuteurs en permettant que le corps de saint Quentin fût retrouvé, cinquante-cinq ans après, d’une manière miraculeuse.
Le cruel Rictiovare était mort misérablement ; les empereurs impies, ses maîtres, l’avaient suivi dans la tombe. L’Eglise, longtemps agitée, jouissait alors de la paix sous le règne de Constance, fils de Constantin, et de ses frères Constantin et Constant. Alors, vivait à Rome une noble dame du nom d’Eusébie, qui signifie « pieuse ». Sa naissance et ses richesses auraient pu la rendre heureuse, mais depuis neuf ans elle était aveugle. Assidue à la prière, elle implorait souvent la clémence du Seigneur. Une nuit qu’elle demandait ainsi à Dieu la guérison de son infirmité, un ange lui apparut et lui dit : « Eusébie, tes prières sont exaucées, car le Seigneur les a trouvées agréables. Lève-toi, va dans les Gaules, informe-toi du lieu appelé Augusia Veromanduorum et situé sur les rives de la Somme. Arrivée à l’endroit où la voie publique de Samarobriva (Amiens) à Laudunum (Laon) coupe la Samara (c’est-à-dire la Somme), cherche avec soin : tu trouveras le corps du bienheureux Quentin, martyr du Christ, enseveli depuis longtemps sous les eaux. Lorsque, grâce à tes soins, il aura été enlevé de là et montré aux populations, tu recouvreras l’usage de tes yeux. »
Cette vision se répéta la nuit suivante et, cette fois Eusébie ne douta plus de sa réalité. Sans retard, elle se met en route ; montée sur un char à cause de son infirmité, elle se dirige vers les Gaules. Outre les provisions du voyage, elle avait eu soin de prendre des linges précieux destinés à envelopper le trésor que Dieu lui avait fait connaître.
Parvenue, sous la direction de l’ange, au lieu indiqué, elle fit la rencontre d’un vieillard nommé Héraclien. Elle lui demanda où était le lieu nommé Augusta.
– C’est là tout près, répondit le vieillard.
Eusébie repartit :
– Dis-moi, je te prie, si tu as connu autrefois en ce lieu un homme du nom de Quentin, que les païens ont mis à mort.
– Oui, certes, dit le vieillard, j’en ai entendu parler, mais il y a longtemps que cela est arrivé.
– Si du moins tu connais l’endroit où repose son corps, dis-le moi, je t’en supplie.
– Je n’en sais rien.
Eusébie, que l’ange avait parfaitement renseignée, demanda alors :
– Je te conjure de m’indiquer seulement l’endroit où le grand chemin qui va d’Amiens à Laon traverse la Somme.
Ils cheminèrent quelque temps, puis le vieillard lui dit :
– Voici le lieu que vous cherchez.
Alors Eusébie, voyant qu’une partie de la vision s’accomplissait, ne douta plus de l’heureux succès du reste.
Le corps de saint Quentin est retrouvé.
Elle descendit joyeuse de son char, et, se jetant à genoux pour prier, conjura plus fervemment que jamais le Seigneur de lui découvrir le corps du martyr, comme il avait accordé à sa servante Hélène de découvrir le bois sacré de la Croix.
Comme elle achevait sa prière, le lieu où le saint corps reposait sous les eaux se mit à trembler. Aussitôt, le corps du martyr, par une merveilleuse intervention divine, s’éleva au-dessus des eaux, qui l’apportèrent elles-mêmes jusqu’au bord, à portée de la main des hommes ; et, par une autre faveur du ciel encore, la tête, qu’on avait jetée plus loin, sortit également de l’eau, et vint se réunir heureusement au corps.
La matrone, toute remplie de joie, retira de l’eau les précieuses reliques, les enveloppa dans les linges qu’elle avait apportés à cet effet, ne cessant de bénir le Seigneur et de le remercier de tant de faveurs.
Le corps du martyr était sans tache ni corruption, et dans toute son intégrité. Il était éclatant de blancheur, et répandait une suave odeur, en sorte que les assistants, émerveillés, semblaient oublier les joies profanes du monde.
Après avoir enveloppé le corps, Eusébie se disposa à le conduire avec respect pour l’y ensevelir jusqu’à la citadelle de l’Augusta, qui se trouvait à cinq milles de là. Mais le martyr ne devait pas abandonner le lieu qu’il avait arrosé de son sang : dès que le corps eut été déposé sur le sommet de la colline voisine, il devint si pesant, qu’on reconnut bien vite, à ce nouveau prodige, les volontés du ciel. Eusébie le fit donc ensevelir au même endroit, et elle commanda de bâtir un oratoire en ce lieu.
A peine avait-on achevé la sépulture, que la vénérable matrone sentit comme d’épaisses ténèbres tomber de ses yeux ; et soudain elle recouvra la lumière. Au même instant, plusieurs infirmes qui se trouvaient là eurent aussi le bonheur de retrouver la santé.
Eusébie fit retirer les broches de fer qui étaient restées enfoncées dans le corps du martyr, et elle les emporta avec elle à Rome, où elle retourna bientôt, publiant partout les merveilles que Dieu avait faites en elle, par les mérites de son glorieux serviteur. La solennité de cette invention se célèbre le 25 juin.
Autres translations. – Le culte de saint Quentin.
De nombreux miracles attirèrent bientôt les foules au tombeau de saint Quentin. La chapelle bâtie par Eusébie devint insuffisante ; il fallut une église pour la remplacer.
Cette église, bientôt célèbre, devint le siège d’un évêché, dont saint Médard fut le quatorzième pontife. Pour échapper aux invasions des barbares, qui ravageaient souvent cette partie de la France, le prélat se retira en 531 à Noyon, où il établit son siège. Les années qui suivirent marquèrent une telle période de troubles, que, pour soustraire à la profanation le corps de saint Quentin, on le confia à la terre.
Il devait faire l’objet d’une deuxième translation le 3 janvier 641, sous l’épiscopat de saint Eloi, le populaire évêque de Noyon ; nous en avons un récit détaillé dans la Vie de saint Eloi écrite par saint Ouen. Une troisième translation eut lieu au ixe siècle, que les Bollandistes fixent à l’année 835, en désaccord sur ce point avec la plupart des historiens qui proposent l’année 825. De même les archéologues disputent sur la question de savoir s’il faut attribuer à Eusébie ou bien à un moine du ixe siècle, l’Abbé Hugues, le sarcophage de marbre blanc où furent renfermées pendant des siècles les reliques de saint Quentin.
Longtemps la piété envers l’apôtre du Vermandois s’est manifestée par de grands et fréquents pèlerinages à son tombeau. Dès l’année 497 une basilique desservie par un collège de clercs s’élevait sur le lieu même de son supplice. Cette communauté était devenue une abbaye avant l’an 65o. Connue sous le nom de Saint-Quentin-en-Vermandois, elle a subsisté jusqu’à la Révolution française.
Saint Quentin, dont le Martyrologe romain fait mention au 31 octobre, a sa fête inscrite dans les Propres d’Amiens, d’Arras, de Reims, de Meaux, de Soissons. En ce qui concerne ce dernier diocèse, la S. Congrégation de la Consistoriale, faisant droit à une requête du clergé local, a décidé par décret du 21 juin 1901 que l’évêque de Soissons, qui depuis 1828 portait aussi le titre d’évêque de Laon, joindrait désormais à ce double titre celui de Saint-Quentin.
A. H. L.
Sources consultées. – Acta Sanctorum, t. I de janvier (Paris, 1863). – Dom Paul Piolin : Supplément aux Petits Bollandistes (Paris, 1892). – (V. S. B. P., n° 246.)