La liturgie de la nouvelle Église (2)

Crédit photo : Mateus Campos Felipe / Unsplash

Suite des réflexions sur la réforme litur­gique extraites de la Lettre à nos frères prêtres.

Nous pour­sui­vons nos réflexions sur la réforme de la litur­gie à la suite du concile Vatican II, réflexions com­men­cées avec le numé­ro 101 de mars 2024 de la Lettre à nos Frères prêtres (« L’église de la nou­velle litur­gie »), puis dans le numé­ro 103 de sep­tembre 2024 (« La litur­gie de la nou­velle Église, par­tie I »). Nous pro­po­sons donc ici la seconde par­tie de l’étude sur l’ecclésiologie que pré­sup­pose la réforme liturgique.

Comme il a été déjà dit, nous avons recou­ru pour cela aux réflexions et remarques des meilleurs spé­cia­listes litur­giques écri­vant à la suite de Vatican II.

L’Église signifiante

L’un des points de cette ecclé­sio­lo­gie nou­velle pro­cla­mée par Vatican II est la notion de l’Église comme « signe de salut pour le monde ». Nous nous pro­po­sons de mettre en lumière, par quelques textes, cer­tains aspects de cette notion et ses liens avec la liturgie.

L’Église est en elle-​même signe de salut. Mais évi­dem­ment, il est néces­saire que ce signe soit faci­le­ment per­çu par les hommes. « Il faut que le signe soit le plus par­lant pos­sible et que les géné­ra­tions d’hommes puissent aisé­ment le com­prendre » [1].

C’est en par­ti­cu­lier dans sa litur­gie que l’Église signi­fie le salut. Or, le monde auquel elle s’adresse a évo­lué au point que cer­tains rites ont per­du leur signi­fi­ca­tion ou leur oppor­tu­ni­té. Il est donc urgent de réno­ver la litur­gie pour que celle-​ci, loin d’être un obs­tacle à la com­pré­hen­sion, soit au contraire acces­sible de façon immé­diate. Aussi, « l’Église, pour demeu­rer signi­fiante dans le monde, doit pro­vo­quer l’évolution des rites sacra­men­tels, afin d’assurer l’homogénéité de la tota­li­té de son signe » [2]

« En rai­son même de leur sens, il importe de “signi­fier” les sacre­ments d’une manière qui soit com­prise de l’homme contem­po­rain : il s’agit de faire affleu­rer, au sein d’une vie et d’une civi­li­sa­tion dyna­miques, la réa­li­té et l’enjeu spi­ri­tuel des actes pri­vi­lé­giés du Christ. Il s’agit encore de nour­rir d’anthropologie contem­po­raine (dûment puri­fiée) les rites sacra­men­tels qui, sans rien perdre de leur sub­stance, mon­tre­ront plus clai­re­ment qu’ils sont bien les rites sau­veurs de l’homme total » [3].

Il ne faut pas oublier, en effet, que « le sacre­ment est enra­ci­né dans l’homme, dans la foi humaine, dans les cultures, les civi­li­sa­tions, les aspi­ra­tions des hommes » [4]. Mais « dire que les sacre­ments sont enra­ci­nés dans la vie des hommes, c’est affir­mer que les gestes les plus sacrés doivent atteindre l’homme dans ce qu’il a de plus humain » [5].

Cependant, un tel pro­jet de renou­ve­ler la signi­fi­ca­tion même du cor­pus sacra­men­tel se heurte à des dif­fi­cul­tés. En effet, aujourd’hui, « l’Eglise se trouve elle-​même en pleine muta­tion. Elle ignore la figure que pren­dront les com­mu­nau­tés de demain ; elle ignore aus­si le type de ministres qui y exer­ce­ront des res­pon­sa­bi­li­tés. (…) On sait à la fois que les sacre­ments auront tou­jours leur place, mais que l’on ne pour­ra plus les célé­brer “comme avant”. En d’autres termes, les sacre­ments – aus­si res­pec­tables soient-​ils – sont tou­jours inclus dans une pas­to­rale géné­rale de l’Église. Lorsque le visage de l’Eglise évo­lue, une ques­tion se pose : quelle poli­tique avons-​nous en matière de sacre­ments ? » [6].

« La réforme de tout le visible »

Pourtant, il n’est pas pos­sible de se conten­ter de « réfor­mettes » ponc­tuelles et sans por­tée. Car, « toute réforme litur­gique risque d’être vaine si elle n’est pas l’expression d’une réforme plus pro­fonde : la réforme de tout le visible de l’Église qui mani­feste au monde le salut en Jésus-​Christ » [7].

Il faut bien le com­prendre : « La réforme litur­gique ne consiste pas à rem­pla­cer du latin par du fran­çais, du cas­tillan ou du chi­nois. Si elle n’était que cela, on ne voit pas pour­quoi un concile y aurait atta­ché tant de soins. En fait, elle a pour but un renou­vel­le­ment des rites qui per­mette à ceux-​ci d’exprimer plus réel­le­ment, pour les hommes d’aujourd’hui, la vie de l’Église peuple de Dieu. Il faut lire et relire, à ce sujet, le pre­mier cha­pitre de la Constitution sur la litur­gie qui expose les prin­cipes géné­raux de la réforme. Comme nous le fai­sait remar­quer avec insis­tance Mgr Jenny, évêque auxi­liaire de Cambrai et membre du Conseil post­con­ci­liaire, “si l’on com­pare ce cha­pitre avec la Constitution sur l’Église, on s’aperçoit que c’est le déve­lop­pe­ment de la même doc­trine et même que cer­tains mots-​clés sont conte­nus dans les deux textes. Nous sommes là au cœur de la vision théo­lo­gique de Vatican II qui nous fait pas­ser d’un chris­tia­nisme abs­trait et sco­laire à un chris­tia­nisme vivant et concret, cen­tré sur la per­sonne du Christ” » [8].

C’est donc bien en tant que « signe de salut » que l’Église doit se mani­fes­ter aisé­ment aux hommes. C’est en tant que signe que l’Église doit être tour­née vers le monde, le monde d’aujourd’hui, pour lui signi­fier le salut. C’est pour­quoi elle devait impé­ra­ti­ve­ment pro­vo­quer cette réforme litur­gique géné­rale. « L’ensemble de l’œuvre de Vatican II est tra­ver­sé par l’idée que l’Église doit s’adapter aux condi­tions du monde de ce temps » [9]. Dans la réforme litur­gique, « il s’agit moins en effet de retrou­ver une tra­di­tion ancienne ou même de se faire mieux com­prendre des hommes d’aujourd’hui, que de consti­tuer le signe de l’Église au monde » [10].

Les rapports Église-monde

La per­cep­tion exacte des rap­ports Église-​monde est donc essen­tielle dans l’appréciation de la réforme litur­gique. « Le pro­blème litur­gique n’est au fond qu’un aspect du pro­blème plus géné­ral de la posi­tion et de la fonc­tion de l’Église dans le monde moderne » [11], et il « est fon­da­men­ta­le­ment en accord avec la tâche d’ensemble que s’est assi­gnée le concile, à savoir de rendre l’Église pal­pable au monde et de la renou­ve­ler » [12]. Car « le troi­sième pro­jet fon­da­men­tal du concile reste le nou­veau rap­port entre l’Église et le monde » [13].

Ce rap­port de l’Église au monde a tou­jours été un rap­port dif­fi­cile, oscil­lant entre une condam­na­tion radi­cale du monde et une dilu­tion de la spé­ci­fi­ci­té chré­tienne. Ainsi, par exemple, « j’ai plu­sieurs fois enten­du for­mu­ler une ques­tion fon­da­men­tale : “Si, comme Vatican II l’a affir­mé, le Christ est par­tout pré­sent et agis­sant dans le monde, quel besoin avons-​nous d’une Église ? Si l’humanité est sur la voie du salut par Jésus-​Christ à tra­vers la pro­mo­tion et l’assomption des valeurs humaines, a‑t-​elle encore besoin de litur­gie ?” » [14].

Ces inter­ro­ga­tions, ces dif­fi­cul­tés et ces pistes de recherche expliquent en fin de compte que « le dia­logue entre l’Église et le monde tel que l’entend la Constitution pas­to­rale Gaudium et spes de Vatican II aura de plus en plus de réper­cus­sions sur la pas­to­rale litur­gique » [15].

Les rites de la nouvelle ecclésiologie

La réforme ecclé­sio­lo­gique de Vatican II n’a été que peu per­çue par nos contem­po­rains. Ce sont plu­tôt ses mani­fes­ta­tions pra­tiques qui les ont tou­chés. Parmi celles-​ci, vient en pre­mier lieu la réforme litur­gique. « Le renou­veau litur­gique s’est expri­mé de la manière la plus pal­pable dans la réno­va­tion de la messe et des sacre­ments, et à tra­vers cette réno­va­tion, c’est un visage nou­veau de l’Église qui a été décou­vert par le peuple chré­tien, ain­si que par ceux du dehors. Pour beau­coup de croyants, le mes­sage de Vatican II est pas­sé par les formes nou­velles de la messe, des sacre­ments du bap­tême et du mariage, des funé­railles des défunts » [16].

« Pour la plu­part des chré­tiens, la prin­ci­pale consé­quence de Vatican II a été la réforme litur­gique et ses suites, vou­lues ou non. Une modi­fi­ca­tion des rites est res­sen­tie par la sen­si­bi­li­té de tous, alors qu’un dépla­ce­ment de point de vue en théo­lo­gie – même s’il a des consé­quences litur­giques – ne touche que l’intelligence de quelques-​uns » [17].

C’est pour cela que la réforme litur­gique a été le prin­ci­pal lieu d’affrontement entre deux ecclé­sio­lo­gies, l’ancienne et la nou­velle sou­te­nue par Vatican II. « C’est au tra­vers de la pra­tique du sacré que s’est mani­fes­tée, avec le plus d’éclat et le plus d’écho, la crise post­con­ci­liaire. La litur­gie a consti­tué le pre­mier enjeu, le pre­mier cercle, autour duquel se sont orga­ni­sées, stra­ti­fiées, toutes les oppo­si­tions au renou­veau pas­to­ral. A l’instar des siècles pas­sés, où toute recherche théo­lo­gique avait eu pour pas­sage obli­gé une refor­mu­la­tion de la sacra­li­té et de ses pra­tiques, l’Église catho­lique n’a pu faire l’économie d’une crise interne qui conti­nue à la tra­ver­ser » [18].

Il serait facile de faire une étude de cha­cun des sacre­ments, de cha­cune des céré­mo­nies dans la for­mu­la­tion que leur a don­née la réforme litur­gique et de mon­trer com­ment la nou­velle ecclé­sio­lo­gie s’y exprime. Nous avons choi­si de nous can­ton­ner à trois d’entre eux, dont les sou­bas­se­ments ecclé­sio­lo­giques sont par­ti­cu­liè­re­ment évi­dents : le sacre­ment de l’ordre, la messe, la pro­fes­sion reli­gieuse. Par ces trois exemples, nous aurons une idée tout à fait suf­fi­sante des trans­for­ma­tions pra­tiques que les rites ont subies pour les mettre en har­mo­nie avec la nou­velle vision ecclésiologique.

L’ordination

Il existe un « rap­port évident entre la litur­gie et l’existence sacer­do­tale » [19], de même qu’entre le sacer­doce et l’Église. Or, ce rap­port « a été renou­ve­lé par l’ensemble de l’œuvre conci­liaire de Vatican II. Ce fai­sant, le concile a non seule­ment cueilli les fruits de toutes les décades pré­cé­dentes, il a aus­si ouvert une voie nou­velle » [20].

Dans cette optique fut déci­dée une révi­sion du rite d’ordination. Or, « un rapide exa­men de quelques publi­ca­tions théo­lo­giques fran­çaises récentes sur les nou­veaux diacres per­met­tra de se rendre compte que l’enjeu effec­tif de cette ques­tion en appa­rence péri­phé­rique est en véri­té une révi­sion de la manière dont sont conçues et vécues dans l’Église des réa­li­tés aus­si fon­da­men­tales que la rela­tion de l’Église au monde, le couple sacerdoce-​laïcat, le culte, la théo­rie et la pra­tique du sacer­doce minis­té­riel. La dis­pa­ri­tion pro­gres­sive du dia­co­nat joue le rôle d’un révé­la­teur. Elle invite à une relec­ture ecclé­sio­lo­gique de l’histoire, où l’on s’aperçoit avec Yves Congar que les notions d’Église, de minis­tère et de culte sont étroi­te­ment arti­cu­lées entre elles » [21].

Les res­pon­sables de la com­mis­sion char­gée de la réforme du sacre­ment de l’ordre, dom Bernard Botte et le père Joseph Lécuyer, se sont expli­qués tout au long sur les prin­cipes qu’ils ont sui­vis et les solu­tions qu’ils ont adop­tées. « La révi­sion des rites sacra­men­tels conte­nus dans le Pontifical romain, nous dit le père Lécuyer, pré­sente une série de pro­blèmes graves et déli­cats, non seule­ment du point de vue rituel, mais sur­tout à cause des consé­quences théo­lo­giques. Le rite, en effet, dans sa struc­ture et dans ses élé­ments par­ti­cu­liers, doit avoir un rôle didac­tique, rap­pe­lé par le concile Vatican II ; il doit donc se pré­sen­ter d’une manière claire et avec une suc­ces­sion de gestes et de paroles qui soient l’expression d’une doc­trine sûre » [22].

C’est pour­quoi les res­pon­sables ont choi­si de « tenir compte de tout l’enrichissement doc­tri­nal appor­té sur ce point par le concile Vatican II, par­ti­cu­liè­re­ment dans la Constitution sur l’Église, dans la pré­sen­ta­tion de l’épiscopat et du sacer­doce en géné­ral. Richesse doc­tri­nale que la litur­gie, en ce moment de réno­va­tion, ne peut pas ne pas accueillir dans ses for­mules des­ti­nées, non seule­ment à l’administration du sacre­ment, mais aus­si, à tra­vers le rite, à l’instruction des fidèles » [23].

En ce qui concerne l’épiscopat, nous dit dom Botte, « j’ai deman­dé au pro­fes­seur Lengeling de com­po­ser une allo­cu­tion [du consé­cra­teur au futur évêque] qui s’inspirerait des ensei­gne­ments de Vatican II. II le fit très soi­gneu­se­ment : c’était une excel­lente syn­thèse de la doc­trine du concile » [24], « un résu­mé de la doc­trine de Vatican II sur l’épiscopat » [25].

« Pour la prê­trise et le dia­co­nat, nous dit-​il, nous avions les allo­cu­tions rédi­gées par Durand de Mende [au XIIIe siècle]. Nous en avons gar­dé cer­taines for­mules par­ti­cu­liè­re­ment heu­reuses, mais il nous a paru néces­saire avant tout de nous appuyer aus­si sur la doc­trine de Vatican II » [26]. Ainsi, « leur fond [des dis­cours de l’évêque aux futurs diacres] est prin­ci­pa­le­ment biblique, mais ils portent l’empreinte du concile, non seule­ment par de nom­breuses cita­tions lit­té­rales de Lumen gen­tium et du décret Presbyterorum ordi­nis, mais parce qu’ils reflètent l’ecclésiologie conci­liaire » [27].

Il est donc évident que, « plus encore qu’une mise en œuvre de la Constitution conci­liaire sur la litur­gie, le nou­vel Ordo [des ordi­na­tions] est l’expression litur­gique du cha­pitre III de la Constitution Lumen gen­tium, comme l’établit avec net­te­té la Constitution apos­to­lique Pontificalis roma­ni recog­ni­tio du 18 juin 1968, par laquelle le pape Paul VI a pro­mul­gué le nou­veau rite. A ce titre, celui-​ci consti­tue un fruit impor­tant de Vatican II » [28].

La messe

Plus encore que le rite de l’ordination, la messe consti­tue dans l’Église catho­lique, et depuis tou­jours, le point de pas­sage obli­gé de toute ecclé­sio­lo­gie. C’est évi­dem­ment le cas dans cette réforme litur­gique. « Le nou­vel Ordo missæ se dis­tingue de l’ancien bien plus par sa men­ta­li­té théo­lo­gique et pas­to­rale que par les nou­veau­tés, d’ailleurs modestes pour la plu­part, qu’il ins­taure » [29].

Nous avons sou­li­gné l’apport de la nou­velle ecclé­sio­lo­gie en ce qui concerne l’Église signe de salut pour l’homme d’aujourd’hui à tra­vers ses rites. Car « il faut que les rites, selon la loi consti­tu­tive de tout sacre­ment, signi­fient ce qu’ils réa­lisent invi­si­ble­ment et que, en consé­quence, soit mani­fes­tée d’une manière sen­sible, dans la struc­ture même de la litur­gie de la messe, la pré­sence du monde d’aujourd’hui où va s’exercer la puis­sance du salut. C’est le sens de l’usage, retrou­vé et favo­ri­sé par l’Église, des langues vivantes dans l’acte litur­gique. C’est la rai­son pour laquelle, à plu­sieurs reprises au cours de son his­toire, l’Église a modi­fié les rites de la messe : deve­nus éso­té­riques, com­pris des seuls ini­tiés, ils n’étaient plus, aux yeux des hommes d’un temps, d’un pays, d’une culture, les signes du salut qui doit les atteindre dans leur réa­li­té vivante mar­quée de leur temps, de leur pays, de leur culture » [30].

Parmi les inno­va­tions majeures de la réforme se trouve la concé­lé­bra­tion. Elle a, bien évi­dem­ment, une por­tée ecclé­sio­lo­gique de pre­mier plan. « La théo­lo­gie de la concé­lé­bra­tion s’insère donc dans un ensemble de réflexions et d’attitudes spi­ri­tuelles qui vont de la concep­tion de l’Église, de ses struc­tures et de ses richesses intimes, de l’idée théo­lo­gique du sacer­doce ins­ti­tu­tion­nel, minis­té­riel, et du sacer­doce com­mun du peuple de Dieu, aux pers­pec­tives œcu­mé­niques qui jouent aujourd’hui un tel rôle de ferment et de vie au sein de l’Église catho­lique elle-​même » [31].

La per­cep­tion des modes de pré­sence du Christ durant la messe joue encore un rôle majeur dans toute ecclé­sio­lo­gie, puisqu’elle condi­tionne les atti­tudes fon­da­men­tales du peuple et des ministres. C’est pour­quoi « il y a un lien intrin­sèque entre ecclé­sio­lo­gie, théo­lo­gie eucha­ris­tique, chris­to­lo­gie quant aux divers modes de pré­sence du Christ, et enfin les struc­tures concrètes de la litur­gie de la messe » [32].

Enfin l’lns­ti­tu­tio gene­ra­lis ou Présentation géné­rale, c’est-à-dire le docu­ment pré­li­mi­naire au Novus ordo missæ qui en expli­cite les orien­ta­tions doc­tri­nales, mani­feste clai­re­ment le renou­vel­le­ment ecclé­sio­lo­gique dont la messe est le théâtre. « Ce qui nous amène, dit ain­si un auteur, à exa­mi­ner rapi­de­ment l’ecclésiologie qui se dégage de la Présentation géné­rale du mis­sel. Nous ne quit­tons pas notre ligne direc­trice, car cette ecclé­sio­lo­gie est, elle aus­si, signi­fiée par les nou­veaux rites » [33]. Ainsi, « c’est de l’ecclésiologie que la théo­lo­gie de l’assemblée a reçu un nou­vel éclai­rage » [34].

La profession religieuse

Enfin nous pou­vons jeter un rapide coup d’œil sur un rite qui n’est pas sacra­men­tel, mais où se mani­feste clai­re­ment la vision que l’Église a d’elle-même dans le monde. Il s’agit de l’engagement religieux.

« Chaque ins­ti­tut [reli­gieux], nous expose un com­men­taire offi­ciel, avant d’insérer dans l’Ordo pro­fes­sio­nis ses élé­ments propres, doit opé­rer une révi­sion cri­tique de ces élé­ments, c’est-à-dire véri­fier s’ils sont en har­mo­nie avec les prin­cipes géné­raux du renou­veau litur­gique (Constitution Sacrosanctum conci­lium), de la vie reli­gieuse (Constitution Lumen gen­tium, décret Perfectæ cari­ta­tis), des rap­ports avec le monde contem­po­rain (Constitution Gaudium et spes). En fait, cer­tains concepts qui reviennent sou­vent dans les céré­mo­niaux sont dif­fi­ci­le­ment com­pa­tibles avec la théo­lo­gie de la vie reli­gieuse expo­sée dans les grands docu­ments du concile » [35].

En par­ti­cu­lier, « quant à la for­mule de la remise de l’habit, on doit évi­ter cer­taines expres­sions qui reviennent sou­vent dans les céré­mo­niaux et qui aujourd’hui paraissent dépas­sées, exces­sives ou usant de la sainte Ecriture d’une manière fau­tive » [36].

Pourtant, il est évident que seuls de graves impé­ra­tifs théo­lo­giques peuvent jus­ti­fier de tels chan­ge­ments, car « modi­fier les rites de l’engagement, c’est tou­cher à quelque chose d’extrêmement pro­fond dans la spi­ri­tua­li­té d’une famille reli­gieuse » [37]. Nous pou­vons donc en être cer­tains : c’est uni­que­ment parce que tous les nou­veaux rites doivent être l’expression de la nou­velle ecclé­sio­lo­gie que des modi­fi­ca­tions majeures ont dû y être apportées.

Conclusion

Pour syn­thé­ti­ser notre recherche, nous dirons qu’il fal­lait néces­sai­re­ment qu’il y eût réforme litur­gique en pro­fon­deur à par­tir du moment où il y avait une muta­tion ecclé­sio­lo­gique de cette ampleur. A contra­rio, il faut noter que l’ensemble des chan­ge­ments appor­tés à la litur­gie depuis Vatican II s’expliquent et se coor­donnent uni­que­ment en réfé­rence à cette nou­velle ecclé­sio­lo­gie. Ainsi, la litur­gie issue de Vatican II est bien la litur­gie d’une nou­velle Eglise, dans le sens d’une nou­velle concep­tion de l’Eglise.

Comme le fai­sait remar­quer un auteur, « on a dit trop sou­vent que la ques­tion de la célé­bra­tion eucha­ris­tique n’était pas le pro­blème essen­tiel. C’est vrai et c’est faux. (…) La litur­gie est l’acte déci­sif où le peuple chré­tien affirme et reçoit sa véri­table iden­ti­té. La litur­gie est un lan­gage, un mes­sage, par sa forme encore plus que par son conte­nu. Elle dit qui est notre Dieu. Elle dit que nous sommes son peuple : Lex oran­di, lex cre­den­di. La litur­gie donne forme à notre foi. Les sacre­ments confi­gurent l’Eglise » [38]. C’est pour­quoi, « la litur­gie est désor­mais expres­sion et consé­quence d’une théo­lo­gie res­sour­cée, d’une ecclé­sio­lo­gie véri­table et d’une pas­to­rale éclai­rée » [39].

Nous l’avons sou­li­gné en débu­tant : c’est le Pape Paul VI qui a affir­mé le plus clai­re­ment le lien entre la réno­va­tion ecclé­sio­lo­gique de Vatican II et la réforme litur­gique qui en est issue. Même si, note un auteur, « par un para­doxe inat­ten­du mais pré­vi­sible, Vatican II, concile du renou­veau ecclé­sial, débouche sur une crise spi­ri­tuelle d’une rare inten­si­té, pra­ti­que­ment dif­fuse dans l’ensemble du peuple de Dieu » [40].

Le 13 jan­vier 1965, le Souverain Pontife don­na donc l’explication défi­ni­tive de sa manière de voir, en quelques mots d’une rare inten­si­té. Ce sera, pour nous aus­si, une conclu­sion sans appel, car nous pen­sons avoir jus­ti­fié au cours de notre étude le sens et la por­tée de ce texte.

« La nou­velle péda­go­gie reli­gieuse, décla­ra le Pape, que veut ins­tau­rer la pré­sente réno­va­tion litur­gique s’insère, pour prendre presque la place de moteur cen­tral, dans le grand mou­ve­ment ins­crit dans les prin­cipes consti­tu­tion­nels de l’Eglise de Dieu, et ren­du plus facile et plus impé­rieux par le pro­grès de la culture humaine » [41].

Source : Lettre à nos frères prêtres n° 104 – décembre 2024

Notes de bas de page
  1. Adrien Nocent, L’avenir de la litur­gie, Éditions uni­ver­si­taires, 1961, p. 10[]
  2. Henri Denis, « Les sacre­ments dans la vie de l’Église », La Maison Dieu 93, 1er trim. 1968, p. 50[]
  3. ibid., p. 52)(.

    Une liturgie pour un monde fragmenté

    Mais le monde moderne est un monde qui se frag­mente, se diver­si­fie, en même temps qu’il s’universalise et s’ouvre à des cultures diverses. Étant signe de salut pour tous les hommes, « l’Église doit être vrai­ment catho­lique, ce qui signi­fie qu’elle doit s’incarner dans des cultures dif­fé­rentes les unes des autres. Les consé­quences de cela sont très claires pour ce qui concerne l’expression litur­gique : puisqu’il n’existe aucune uni­té de culture, il ne peut y avoir d’expression litur­gique uni­forme. (…) On doit entre­prendre de recher­cher, sans se las­ser, des signes et des sym­boles adap­tés sans les­quels il n’y a pas de litur­gie. (…) Cela consiste à recher­cher sans cesse une expres­sion de la litur­gie pour chaque culture et, à l’intérieur de chaque culture, pour chaque com­mu­nau­té en prière » ((Rembert Weakland, « Le renou­veau litur­gique : pers­pec­tives d’avenir », Communautés et Liturgies 1, janvier-​février 1975, p. 85, 86 et 87[]

  4. Henri Denis, Des sacre­ments pour notre temps, Service de pas­to­rale sacra­men­telle de Lyon, 2e éd., 1975, p. 13[]
  5. ibid., p. 14[]
  6. ibid., p. 4[]
  7. Robert Coffy, Eglise signe de salut au milieu des hommes, Centurion, 1972, p. 56[]
  8. « Le peuple par­ti­cipe. De l’Angleterre au Japon : la réforme litur­gique », Informations catho­liques inter­na­tio­nales 231, 1er jan­vier 1965, p. 17.[]
  9. Dominique Lebrun, « L’adaptation en litur­gie du second concile du Vatican au rituel de Paul VI », La Maison Dieu 183–184, 3e-4e trim. 1990, p. 25[]
  10. Thierry Maertens in La litur­gie dans les docu­ments de Vatican II, Biblica, 1966, p. 8[]
  11. Père Schmidt, La Croix, 27 octobre 1962, p. 4[]
  12. Herman Volk, Pour une litur­gie renou­ve­lée, Desclée, 1965, p. 24[]
  13. Stefan Moysa, « L’œuvre du concile est-​elle encore actuelle ? », Esprit et Vie. L ’Ami du cler­gé 20, 19 mars 1983, p. 295[]
  14. Marie-​Joseph Le Guillou, « La sacra­men­ta­li­té de l’Église », La Maison Dieu 93, lertrim. 1968, p. 13).

    « Célébrer dans le monde de ce temps implique pour l’Église la prise en compte d’un homme contem­po­rain qui a per­du ses repères cultu­rels et qui erre à la recherche de son âme. Peut-​il donc y avoir un homme nou­veau par la grâce du bap­tême et des autres sacre­ments là où il y a un homme mort ou du moins pri­vé d’ouverture au spi­ri­tuel ? Face à une ques­tion de ce genre, la litur­gie ne peut plus réagir seule­ment en termes d’adaptation. Que signi­fie­rait pour la litur­gie s’adapter à un homme sans désir spi­ri­tuel, sinon tom­ber dans l’insignifiance ? Que signi­fie­rait s’adapter à une socié­té divi­sée, sinon mettre en péril l’unité dont elle a la charge ? De pro­fondes inter­ro­ga­tions, mais aus­si une tâche : il s’agit pour la litur­gie de rendre compte de sa capa­ci­té, dans la puis­sance de l’Esprit, à fon­der l’homme nou­veau ain­si que la com­mu­nau­té nou­velle » ((Jean-​Claude Crivelli, « Missel de saint Pie V, un libé­ra­lisme en forme de porte étroite », Vie [bul­le­tin des paroisses catho­liques romandes de Suisse], décembre 1984, p. 14[]

  15. « Liminaire », Paroisse et Liturgie 5, 1er juillet 1966, p. 489[]
  16. Pierre Jounel, « La litur­gie des heures dans le renou­veau litur­gique de Vatican II », Notitiæ 98, octobre 1974, p. 334[]
  17. Alain de Penanster, Un papiste contre les Papes, Table Ronde-​Edijac, 1988, p. 29[]
  18. Franck Lafage, Du refus au schisme – Le tra­di­tio­na­lisme catho­lique, Seuil, 1989, p. 49–50[]
  19. Henri Denis, « Existence sacer­do­tale et litur­gie » in La litur­gie dans les docu­ments de Vatican II, Biblica, 1966, p. 47[]
  20. ibid., p. 47[]
  21. Matthieu Cnudde, « Bulletin de théo­lo­gie du dia­co­nat », La Maison Dieu 96, 4e trim. 1968, p. 106–107[]
  22. Joseph Lécuyer, « Commentarium », Notitiœ 41, juillet-​août 1968, p. 213[]
  23. ibid., p. 213- 214[]
  24. Bernard Botte, Le mou­ve­ment litur­gique – Témoignage et sou­ve­nirs, Desclée, 1973, p. 169[]
  25. Bernard Botte, « L’ordination de l’évêque », La Maison Dieu 98, 2e trim. 1969, p. 116[]
  26. Bernard Botte, Le mou­ve­ment litur­gique Témoignage et sou­ve­nirs, Desclée, 1973, p. 169[]
  27. Aimon-​Marie Roguet, « Les nou­veaux rituels d’ordination », La Maison Dieu 94, 2e trim. 1968, p. 181[]
  28. Pierre Jounel, « Le nou­veau rituel d’ordination », La Maison Dieu 98, 2e trim. 1969, p. 63[]
  29. Adrien Nocent, « L’acte péni­ten­tiel du nou­vel Ordo missæ », Nouvelle Revue Théologique 9, novembre 1969, p. 956[]
  30. Pierre Bellégo, « Éveiller les vigi­lances » in Le défi inté­griste. Saint- Nicolas occu­pé, Centurion, 1977, p. 202–203[]
  31. Vittorino Joannes, « Aspects théo­lo­giques de la concé­lé­bra­tion », in Théologie et pra­tique de la concé­lé­bra­tion, Marne, 1967, p. 56[]
  32. « Un nou­veau manuel pour la litur­gie de l’eucharistie », Notitiæ 160, novembre 1979, p. 662–663[]
  33. Roger Béraudy, « Les rites de pré­pa­ra­tion à la com­mu­nion », La Maison Dieu 100, 4e trim. 1969, p. 85[]
  34. Casiano Floristan, « L’assemblée et ses impli­ca­tions pas­to­rales », Concilium 12, février 1966, p. 36[]
  35. « Indications pour l’adaptation de l’Ordo pro­fes­sio­nis reli­giosæ » [docu­ment de la Congrégation pour le Culte divin], Notitiœ 57, sep­tembre 1970, p. 320[]
  36. Ibid., p. 321[]
  37. Pierre Raffin, « Liturgie de l’engagement reli­gieux : le nou­veau rituel de la pro­fes­sion reli­gieuse », La Maison Dieu 104, 4e trim. 1970, p. 166[]
  38. Joseph Thomas, « Le schisme de Marcel Lefebvre », Etudes, sep­tembre 1988, p. 258- 259[]
  39. D. S. Amalor Pavades, « Le mou­ve­ment litur­gique en Inde », Paroisse et Liturgie 8, 1963, p. 785[]
  40. Marie-​Joseph Le Guillou, « La sacra­men­ta­li­té de l’Eglise », La Maison Dieu 93, 1er trim. 1968, p. 10[]
  41. Paul VI, Audience géné­rale du 13 jan­vier 1965, Les ensei­gne­ments pon­ti­fi­caux et conci­liaires. La litur­gie. Tome II, Desclée, 1968, numé­ro 577[]