« Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : Le zèle de Votre maison Me dévore ».
Armé d’un faisceau de cordes, dans ce brouhaha de tables renversées et des pièces de monnaies qui roulaient sur le dallage sacré, au milieu du désordre des animaux effrayés et des cris des hommes, le Seigneur faisait entendre sa voix sur le l’esplanade du Temple. Emportez cela d’ici. Ne faites pas de la Maison de mon Père, une maison de négoce. Il faisait acte d’autorité, avec cette même puissance qui commandera à la tempête.
La réaction de Jean est assez étonnante, elle devrait nous interroger. Après cela, nous nous souvînmes, dira-t-il comme naïvement. Au delà de la sidération, une parole de l’Écriture lui revint à la mémoire : le zèle de votre maison me dévore. Ce à quoi il venait d’assister n’était pas une colère furieuse, mais l’exacte expression d’un zèle total et absolu, d’un zèle religieux pur et intense qui ne pouvait n’être que divin et qui enflammait tout l’être de l’Agneau de Dieu. Dans un calme étonnant, ce spectacle éveilla en lui un premier acte de Foi, bien différent de la réaction des hommes bousculés.
Dans le souvenir de son incompréhension, Jean aurait pu noter que s’accomplissait la prophétie de Zacharie – il n’y aura plus désormais de marchands dans la maison du Dieu des armées. Mais non, Jean nous écrit la résonance dans les écritures de son impression… en voyant le Christ chasser les vendeurs, une seule parole lui vint, le zèle de votre maison me dévore. Cette impression était surréelle, surnaturelle.
Dieu avait parlé de nombreuses fois, Il s’était annoncé par la voix de tant de prophètes ; voici qu’Il se montrait en personne en Notre-Seigneur. Ce n’était plus une voix, c’était la Vie qui se dévoilait aux yeux de Jean. Et Jean la découvrait comme on découvre un terre inconnue. Le mystère insondable de l’Incarnation de Dieu, de l’humanité divine du Christ s’imposait à ses yeux sans qu’il ne puisse en saisir la profondeur ; il était saisi par ce monde où seule la Foi règne et découvre l’immensité de Dieu qui se montre à celui qui croit.
Et pour l’instant, se souvenant de cette matinée dans le Temple, c’était l’image du parfait religieux qui le fascinait. Plus tard, comme une confirmation de cette impression originelle, il entendra la Voix du Père dans la nuée dire, Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui J’ai mis toutes mes complaisances… l’unique, le seul qui plait au Père.
Jean n’allait pas tarder à comprendre que cet évènement dans le Temple allait maintenant diviser radicalement les hommes et les opposer entre eux et en eux-mêmes à mort dans un dilemme : croire ou ne pas croire que Jésus est le Fils de Dieu.
Mais pour le moment, dans son souvenir une seule phrase lui venait à l’esprit… Le Zèle de la votre Maison me dévore. Jean voyait le Christ manifester cette fournaise ardente en Lui de Charité qui est la vie de la Sainte Trinité… un feu dévorant, un zèle qui embrase toute la personne du Verbe pour son Père, depuis toujours et pour toujours, un feu qui allait embraser la terre. Il venait de voir que le Christ ne pouvait être le Christ sans être embrasé totalement par la Charité.
S’il avait entendu la douce voix du Christ dans l’intimité de la première rencontre près du Jourdain, s’il avait vu sur l’indication du Baptiste, l’Agneau de Dieu, s’il avait touché cet homme exceptionnel qui attirait tout à Lui, désormais il comprenait sans le comprendre ce à quoi allait l’engager ce qu’il avait entendu à Cana des lèvres de cette Mère… Faites tout ce qu’Il vous dira. Par le plus désintéressé des actes de Foi, cette très Sainte Mère lui avait ouvert la porte du royaume des excès de la Charité de Dieu.
Au-delà et au-dessus du contact de ce que ses yeux voyaient, au delà et au-dessus du contact de ce que ses mains pouvaient embrasser, le regard surnaturel de Foi et la réponse de son cœur étaient plus sûrs et plus proches que tout ce que l’œil pouvait voir et le doigt toucher.
Dieu ne peut rien faire de plus pour aller jusqu’au bout des contacts d’amour. Il a parlé – on L’a vu ; on L’a touché. Mais pour connaître Dieu, il faut aller plus loin encore… un jour le Christ dira à Thomas, Tu as appris à croire, parce que tu m’as vu. Bienheureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont appris à croire cependant.
Jean apprend à croire, et la lecture de son évangile est pour nous une initiation au monde de la Foi. Le prologue, très certainement reçu de celle qui contempla dès le premier instant de l’Incarnation le divin Fils, son Fils, est une promesse à tout ceux qui osent la disparition intérieure qu’exige la vie de Foi.
À tous ceux qui L’ont reçu, Il leur a donné la puissance de devenir des enfants de Dieu, à ceux qui sont certains de la Vérité en son nom.
Est-il possible que vous nous aimiez autant, Seigneur ? Jean le découvre et nous découvre le zèle dévorant de l’Amour de Dieu. Est-il possible que que soyons tant aimés et si doucement aimés de Dieu pour qu’Il pense à nous en particulier, et en toutes ces petites occurrences par lesquelles, Il nous attire à Lui ? Abîme insondable de l’Amour divin qui emporte notre raison quand nous comprenons que nous pouvons tous dire, comme Jérémie… ô Seigneur, avant que je fusse, vous me regardiez et m’appeliez par mon nom.
À tous et à chacun, en ce monde, Dieu a accordé au moins l’un de ces contacts : Il s’est fait entendre dans l’Écriture et par l’oreille invisible de l’âme attentive aux murmures de la Grâce. Il s’est fait voir par les yeux de la Foi dans ceux que l’Évangile appelle les pauvres. Il s’est fait voir dans l’Église, son Corps, qui croît en âge, en grâces et en sagesse à travers les siècles.
Mais nous n’en sommes qu’aux premiers souffles du Corps Mystique… Jean regarde, il est témoin… il écoute et il retient pour nous montrer la Voie, la Vérité et la Vie. Le contact suprême, celui du toucher est réservé au petit nombre des choisis qui jouissent d’une communion totale avec Lui où il y a presque interprétation du Divin et de l’Humain, une étreinte d’Amour, quand l’Hôte divin vient dans le cœur humain qui l’invite. Quand une âme comprend cela, il ne lui faut pas beaucoup de temps pour faire d’elle un saint. Il lui faut seulement beaucoup d’Amour, car le zèle de la Maison du Père est un feu dévorant.