Peu de chrétiens se souviennent qu’ils sont enfants adoptifs d’un Père si bon… sinon, leur vie serait bien différente. Il faut y croire.
Ne faites pas de la maison de mon Père, une maison de négoce.
C’était chez le Fils de Dieu la jalousie même de l’honneur de son Père qui l’obligeait à réclamer la sainteté du Temple.
Sur les bords du Jourdain, Jean avait admiré la profondeur et la puissance de l’esprit humain de son nouveau Maître, il entrevoyait maintenant les profondeurs insondables du mystère de l’homme Dieu. Voici que Jésus parlait simplement… la maison de mon Père. Quelle simplicité, mais quelle nouveauté !
Être inventeur, trouver des idées neuves, justes et fécondes, voir par delà les horizons où s’arrêtent les regards de la foule, c’est la marque des esprits supérieurs. C’est peut-être cela qui avait d’abord attiré saint Jean, car en Jésus, l’intelligence atteignait un degré jamais égalé. Mais bien souvent les esprits brillants sont incomplets faute de discipline : des génies effrénés, incapables de contenir leur pensée fougueuse, des génies riches d’idées mais piètres administrateurs de leurs lumières intellectuelles.
Il n’en était pas ainsi de Jésus. Dans le Temple, la colère ne le domine pas. Merveilleusement lucide et ordonné, son esprit maîtrise la situation. Il chasse les vendeurs, mais d’un mot aussi simple que celui de Père, il embrasse d’une vue d’ensemble toutes les vérités qu’à partir de ce jour il va transmettre… son enseignement, Il le ramène à un seul principe, Dieu, mon Père est votre Père ; Dieu est Père. Si bien qu’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer en Lui, de sa puissance ou de sa simplicité.
Dans l’évangile, cette simplicité parfaite n’apparaît pas au premier regard. Pour introduire nos âmes dans le mystère de Dieu, les évangélistes écrivent comme ils ont été témoins des scènes qu’ils ont vues. Des transitions et des liaisons logiques, ils ont peu de souci, et les pièces de leur récit sont juxtaposées plus souvent qu’ajustées. Ils écrivent comme Jésus a parlé ; sa doctrine n’était pas un exposé complet et méthodique. Car la connaissance de Dieu n’est pas une science humaine. Il n’y a que le regard de la Foi qui nous la découvre et qui nous ravit.
Jean est témoin. Il nous transmet les leçons du divin Maître qui éveille les âmes au mieux selon son auditoire et les circonstances. Mais chaque évènement, chaque parole, est connu, prévu depuis toute éternité. Jésus domine les situations, et le récit de Jean se met à la hauteur des réalités éternelles. Ces autres hommes bousculés ne retiendront que le brouhaha et le désordre. Jean, lui, a relevé que Jésus parlait de Dieu en disant mon Père. C’est le même saisissement que connut Notre Dame dans ce même Temple, lorsque ce Fils chéri qu’elle avait perdu pendant trois jours, lui dit… ne saviez-vous pas que je devais être aux affaires de mon Père.
Nous pouvons lire les évangiles comme des historiens, où les évangélistes relatent jour par jour les paroles et les actions du Christ, et être bousculés par les vagues en surface en oubliant les insondables eaux profondes de la Révélation divine. Mais, si notre regard devient amoureux, si notre lecture est illuminée de cette foi déposée en nous le jour du baptême et qui change tout, nous découvrons cette trame merveilleuse. Nous découvrons alors le Christ éducateur de nos âmes qui nous montre à chaque pas que Dieu est Père, que la crainte que nous devons avoir à son égard ne peut plus être servile, obligée par la peur du châtiment mérité, mais que cette crainte, incontournable pour la créature face à son créateur, doit être une crainte filiale… Dieu est le Père de Jésus depuis toute éternité, et il m’a adopté en son Fils unique. Il est mon Père, et Il m’aime comme son fils.
Dans l’évangile, il y a ce qui est écrit et puis il y a la Parole, comme il y avait, ce matin, sur le parvis du Temple la bousculade et l’Autorité sereine de la Parole, de Jésus. Cette parole n’est pas celle d’un auteur mort, pris dans la trame d’un récit. Non, le Christ est vivant, et Il parle encore au travers des Évangiles, Il parle encore et Il Parle à celui qui sait lire avec Foi.
Alors, écoutons ce que nous dit Notre Seigneur. Derrière chaque évènement rapporté dans les évangiles, Il nous dit que Dieu est son père, que Dieu est notre Père. Ce sera l’idée dominante de l’enseignement de Jésus et c’est la réalité qui devrait faire basculer nos âmes dans le monde surnaturel de la Foi. Cela change tout.
Dieu est père, il engendre de toute éternité un Fils égal à Lui. Science infinie, vivante et substantielle, le Verbe connaît son Père parfaitement. Il le contemple, il l’aime, et cette contemplation amoureuse le rend parfaitement heureux. Et ce Verbe éternel, ce Fils unique, nous l’avons vu par les yeux de saint Jean, le témoin aimé.
Mais que nous montre saint Jean ? Voici que la Joie éternelle aspire à se répandre : le Verbe a voulu se donner des frères, communiquer aux hommes son titre, ses privilèges, son héritage. Ces créatures chétives et fragiles, Dieu les appelle à la dignité d’enfants adoptifs. Ce que le Verbe possède par nature, elles l’obtiendront par une faveur de la miséricorde divine. Peu de chrétiens se souviennent qu’ils sont enfants adoptifs d’un Père si bon… sinon, leur vie serait bien différente. Il faut y croire.
Deux obstacles s’opposent à cette adoption : l’ignorance et le péché. Et parmi les hommes, à part la Très Sainte Vierge, il n’y a pas d’exceptions. Immergées dans la vie charnelle, nos âmes sont étouffées par les choses sensibles et le mouvement de nos passions, et nous nous représentons les choses spirituelles à la manière de nos sensations. À nous d’oser nous enfoncer dans les eaux profondes de la Révélation, à nous de ne pas nous laisser émouvoir superficiellement par les évènements apparents, mais de voir et d’entendre parler le Verbe éternel. C’est difficile de reconnaître Notre Seigneur et la Volonté de Dieu sans lui projeter ce que nous sommes ou ce que nous voudrions qu’il soit. De là tant d’erreurs funestes comme celle des princes des prêtres qui lui demanderont par quelle autorité il agit ainsi. Comme eux, nous pourrons être déconcertés dans nos petites affaires lucratives et mal goûter que nos profits, nos espoirs humains puissent être ainsi ruinés, par une parole.
Quel signe nous donnez-vous de votre autorité, pour agir de la sorte ? Les juifs demandent une preuve. Qui était-il cet homme qui n’était même pas prêtre, et qui par conséquent n’avait aucune mission ? Comme eux, nous pourrons demander des signes de son regard sur nous, des preuves de son autorité. La seule réponse de Jésus, la seule réponse qu’il donnera à tout ceux qui l’interrogeront dans tout l’évangile et jusqu’à la fin des temps est l’annonce de sa mort et de sa résurrection. La seule réponse de Jésus est de croire en Lui, sans aucune autre assurance que sa parole.
Ma vie n’est qu’un instant. C’est l’instant de cet acte de Foi. Comme le dit Saint Paul, lorsqu’il exhortait les Hébreux à s’affermir dans la Foi, Dieu détermine encore un jour qu’Il appelle Aujourd’hui, en disant tant de temps après David : Aujourd’hui si vous entendez sa voix, n’endurcissez pas vos cœurs.