Au-​delà des roses et des images pieuses : la petite voie contre le culte du moi

Baptême de sainte Thèrèse de Lisieux. Crédit : Dorothée Quennesson / Pixabay

Sainte Thérèse nous ramène à l’es­sen­tiel de la vie chré­tienne, chose trop sou­vent oubliée : la sim­pli­ci­té d’une âme en face de Dieu. 

Dans un monde qui ne vit plus que d’incohérences, d’ap­pa­rences, ou d’indifférence, la lec­ture des écrits de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus est plus qu’un simple exer­cice spi­ri­tuel ; c’est un acte de salu­bri­té, un peu comme la prise d’un puis­sant anti­dote. Car la sainte nous ramène à l’es­sen­tiel de la vie chré­tienne, chose trop sou­vent oubliée : la sim­pli­ci­té d’une âme en face de Dieu. Mais cette sim­pli­ci­té n’est pas ce que l’on pour­rait croire. Sainte Thérèse ne pro­pose pas un che­min facile, mais un che­min simple, ce qui est une nuance fon­da­men­tale. Sa « petite voie » est l’ex­pres­sion d’un para­doxe puis­sant : celui de la sim­pli­ci­té du cœur qui recon­naît tout tenir de Dieu seul.

La simplicité… qui demande tout : paradoxe de la voie d’enfance

La voie d’en­fance, telle que sainte Thérèse la pré­sente, est en soi un para­doxe. Notre Seigneur Jésus-​Christ a dit : « Si vous ne chan­gez pas et ne deve­nez pas comme les petits enfants, vous n’en­tre­rez point dans le Royaume des Cieux » (Matthieu 18, 3). Sainte Thérèse a pris cette parole au pied de la lettre. Mais deve­nir un enfant spi­ri­tuel ne signi­fie pas être naïf ou irres­pon­sable. Cela demande de se dépouiller de tout ce qui est super­flu : l’or­gueil, le désir de paraître, la volon­té de se jus­ti­fier par soi- même. C’est un retour à la source, à la dépen­dance totale à Dieu. Or, ce dépouille­ment exige une sim­pli­ci­té radi­cale qui ne se tra­duit que par l’héroïsme dans la pra­tique des ver­tus chré­tiennes. Sainte Thérèse écrit : « Je suis tou­jours petite, inca­pable de grandes actions, mais je vou­drais trou­ver un ascen­seur pour m’é­le­ver jus­qu’à Jésus, car je suis trop petite pour mon­ter le rude esca­lier de la per­fec­tion. » Cette image de l’ascenseur est là encore para­doxale : il s’a­git de renon­cer à la force de l’es­ca­lier que l’on monte tout seul, pour s’a­ban­don­ner à l’im­puis­sance de l’as­cen­seur où on est éle­vé au Ciel par un autre, le Christ. C’est un acte héroïque de foi, d’humilité, de dépen­dance. Là où beau­coup redoutent de recon­naître leurs fra­gi­li­tés, leurs fai­blesses et leurs chutes, sainte Thérèse fait de cette impuis­sance sa force. Car une véri­table force naît de cet aveu de nos fai­blesses. Plus elle se sait petite, plus elle se laisse atti­rer par le bras puis­sant de Dieu.

La force dans la petitesse : paradoxe de l’humilité et de la confiance

L’humilité de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus prouve la sim­pli­ci­té de son âme. Elle est la recon­nais­sance de sa propre peti­tesse, non pas pour se rabais­ser, de manière vani­teuse, mais pour lais­ser toute la place à Dieu et se mettre à sa vraie place en face de la Sainte Trinité. Son humi­li­té est faite de ce regard simple de Dieu sur elle, et ensuite d’elle sur Dieu, dans la foi et la charité.

L’humilité thé­ré­sienne n’est pas alors ni crainte ser­vile, ni déva­lo­ri­sa­tion de soi. Elle com­prend qu’elle ne peut rien par elle-​même et que tout lui est don­né par amour. Ainsi, son humi­li­té n’écrase pas, mais ouvre à la confiance. Jésus le déclare dans l’Évangile : « Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur » (Mt 11,29). Thérèse ne fait qu’entrer dans cette école. Elle écrit : « Je res­te­rai tou­jours petite, sans avoir d’autre occu­pa­tion que de cueillir les fleurs de l’amour et du sacri­fice. » Ce lan­gage simple tra­duit une pro­fon­deur spi­ri­tuelle : elle se sait connue et aimée de Dieu, et cette véri­té suf­fit pour vivre en paix.

Cette humi­li­té engendre la confiance en Dieu qui est Père. « C’est la confiance, et rien que la confiance, qui doit nous conduire à l’Amour » nous dit sainte Thérèse. À pre­mière vue, cela semble naïf ou trop facile. Pourtant, qui a l’audace spi­ri­tuelle assez folle pour se jeter, tel un enfant, dans les bras de Dieu, sans filet de sécu­ri­té, sans rien gar­der pour soi ? Comme le dit Jésus-​Christ : « Ne vous inquié­tez donc pas du len­de­main… Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa jus­tice » (Mt 6,34). Cette confiance est fon­dée sur un acte de foi très fort qui nous fait croire que Dieu est Père, notre Père et qu’il s’occupe de nous en toutes choses.

L’infini dans le minuscule : paradoxe de la charité

La cha­ri­té de sainte Thérèse est peut-​être ce qui nous appa­raît de plus para­doxal. Elle n’a pas accom­pli de grands miracles ou de grandes actions mis­sion­naires. Elle n’a pas don­né sa vie dans le mar­tyre. Mais, avec une sim­pli­ci­té que seule la cha­ri­té rend pos­sible, elle a vécu dans un cloître, au ser­vice de Dieu et des autres sœurs, dans une vie d’ap­pa­rence très ordi­naire. Et pour­tant, elle a été pro­cla­mée sainte patronne des mis­sions. C’est le para­doxe de la cha­ri­té qui, par sa sim­pli­ci­té et sa peti­tesse, peut sau­ver les âmes du monde entier. Elle a com­pris qu’une grande cha­ri­té peut s’ex­pri­mer dans les détails du quo­ti­dien : un sou­rire, une parole aimable, un ser­vice ren­du sans bruit. Elle a offert ses moindres souf­frances et ses moindres joies pour la conver­sion des pécheurs, sou­ci constant de son âme. « Je ne veux rien pour moi, je ne désire rien que de vous aimer et d’être aimée de vous », disait-​elle. Ce désir simple est, en réa­li­té, un désir infi­ni, qui l’a pous­sée à se don­ner entiè­re­ment, mon­trant ain­si que la plus grande cha­ri­té est l’a­ban­don total. « Il n’y a pas de plus grand amour que de don­ner sa vie pour ses amis. » (Jn 15,13).

Cette cha­ri­té sainte Thérèse l’a mani­fes­tée sur­tout pour les prêtres, qu’elle appelle ses frères. Par sa plume et par sa prière, elle les accom­pa­gnait dans leur minis­tère pour la gloire de Dieu et le salut des âmes. Il est bon de la prier pour les prêtres. Il est bon de remer­cier les âmes qui la prient pour les prêtres.

« Ma grâce te suf­fit, car ma puis­sance se fait mieux sen­tir dans la fai­blesse. » (2 Cor. 12, 9). Ainsi parle Notre Seigneur lui-​même à son apôtre bien aimé, Paul. Sainte Thérèse de l’Enfant-​Jésus illustre magni­fi­que­ment cette véri­té fon­da­men­tale. Qu’est-ce que sa spi­ri­tua­li­té, sa « petite voie » comme l’on dit, si ce n’est de retrou­ver la sim­pli­ci­té d’un enfant envers son Père du Ciel, d’accepter que cette sim­pli­ci­té ne soit pas un che­min facile, mais un che­min exi­geant, fon­dé sur la confiance radi­cale en Dieu. Sa petite voie n’est pas un refuge pour les faibles, mais une source de force pour tous ceux qui, au cœur d’un monde qui se veut adulte, veulent retrou­ver la véri­table sim­pli­ci­té de l’Évangile.

Source : Le Seignadou, octobre 2025.