Le recueillement dans la prière et la lutte contre les distractions

Jeune fille en prière par Roberto Ferruzzi, 1870, huile sur toile. Domaine public.

« II est des jours où même dans la soli­tude je ne puis avoir aucune pen­sée fixe et arrê­tée ni de Dieu, ni d’au­cun bien, ni faire orai­son. » Sainte Thérèse d’Avila

Alors, que faire pour favo­ri­ser le recueille­ment de notre âme ?

« II est des jours où même dans la soli­tude je ne puis avoir aucune pen­sée fixe et arrê­tée ni de Dieu, ni d’au­cun bien, ni faire orai­son. Mais je sens que j’en dis­cerne la cause ; je vois clai­re­ment que tout le mal vient de l’en­ten­de­ment et de l’i­ma­gi­na­tion ; car pour la volon­té elle est droite et il n’est point de bonne œuvre qu’elle ne soit dis­po­sée à embras­ser. Mais, telles sont les diva­ga­tions de l’es­prit, qu’il res­semble à un fou que per­sonne ne peut enchaî­ner ; et il n’est pas en mon pou­voir de le fixer l’es­pace d’un Credo. Quelquefois j’en ris, et pour jouir du spec­tacle de ma misère je le laisse aller au gré de ses caprices et me plais à le suivre de l’œil pour voir ce qu’il fera. Jamais, grâce à Dieu, il ne me porte à rien de mau­vais, mais seule­ment à des choses indif­fé­rentes. Je com­prends alors bien mieux la grâce que Dieu m’ac­corde lorsque tenant ce fou enchaî­né il me met dans une par­faite contem­pla­tion, et je pense aus­si ce que diraient de moi ceux qui me croient bonne s’ils me voyaient dans un tel éga­re­ment d’es­prit ! Je suis émue de la plus vive com­pas­sion en voyant l’âme en mau­vaise com­pa­gnie et je désire si ardem­ment la voir libre, que je ne puis quel­que­fois m’empêcher de dire à Notre-​Seigneur : Quand donc mon âme se verra-​t-​elle enfin occu­pée à célé­brer tout entière vos louanges ? Quand donc ses puis­sances jouiront-​elles de vous ? Ne per­met­tez pas, Seigneur, qu’elle soit plus long­temps divi­sée et comme déchi­rée en lam­beaux. »

Sainte Thérèse d’Avila, Vie, chap. 30

Se recueillir dans la prière n’est pas donc tou­jours une chose facile. Ce que vient de nous dire sainte Thérèse d’Avila est là pour en témoi­gner. Pour pou­voir se recueillir, il faut aupa­ra­vant se sou­ve­nir de ce qu’est la prière. La prière est un acte de l’es­prit qui cherche à s’u­nir à Dieu. Plus elle est véri­table, plus elle est spi­ri­tuelle. Le corps, ses gestes, ses habits et ses atti­tudes sont là pour aider l’âme à s’é­le­ver vers Dieu. Et, d’un autre côté, ils sont le reflet, le rejaillis­se­ment de la prière de l’âme. Comme notre nature humaine est faible, elle a du mal à s’é­le­ver vers Dieu, à se recueillir. Il nous faut alors nous sou­ve­nir que Dieu lui-​même veut venir prier dans notre âme. « L’Esprit vient au secours de notre fai­blesse. Car nous ne savons pas prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-​même inter­cède en notre faveur par des gémis­se­ments inef­fables. » (Romains, 8, 26). La prière vraie est un acte de l’es­prit, plus exac­te­ment c’est un acte du Saint-​Esprit qui vient par la grâce dans l’âme pour prier. L’âme doit se pla­cer sous l’in­fluence du Saint-​Esprit pour prier. Cette prière du Saint-​Esprit en nous n’est autre que la prière que veut conti­nuer le Christ dans notre âme. C’est la rai­son pour laquelle la prière prin­ci­pale du chré­tien est le Pater : « C’est ain­si que vous devez prier : Notre Père qui êtes aux Cieux… » (Saint Matthieu 6, 7) La prière est un acte de l’en­fant qui s’a­dresse à son Père du Ciel.

Comment alors obte­nir et favo­ri­ser le recueille­ment de notre âme dans la prière ? Comment nous recueillir ?

Avant la prière

Cet acte de l’es­prit qu’est la prière demande une pré­pa­ra­tion habi­tuelle. On peut cou­rir de but en blanc et sans pré­pa­ra­tion un 100 mètres ou faire un saut en hau­teur… mais cela n’est pas une bonne manière pour faire une bonne course ou réa­li­ser un saut de bonne hau­teur. De même, il convient de gar­der un cer­tain recueille­ment habi­tuel de l’âme, même en dehors des temps de prière. « Préparez votre âme avant la prière, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu. » (Ecclésiastique 18, 23) De manière éloi­gnée, il faut évi­ter ce qui dis­sipe et empêche l’es­prit de prière, sur­tout avant l’acte même de la prière. A Lourdes, la Vierge Marie exhorte : « Prière et péni­tence. » La péni­tence et l’ha­bi­tude de la mor­ti­fi­ca­tion sont une manière de ne pas lais­ser notre âme enva­hie par l’es­prit du monde et donc cela dimi­nue les causes de dis­trac­tions. « Pourquoi trouve-​t-​on peu de contem­pla­tifs, sinon parce que peu d’hommes savent se sépa­rer entiè­re­ment des choses péris­sables et des créa­tures ? » (Imitation de Jésus-​Christ, III, 31, 1) C’est ici qu’il convient de noter l’in­fluence très néfaste des écrans en géné­ral et des films ou séries. L’imagination a besoin de beau­coup de temps calme pour digé­rer toutes les images dont elle s’est abreu­vée. Et ce calme, elle le trouve dès que l’es­prit veut prier… De là, l’ir­rup­tion qua­si immé­diate des dis­trac­tions dans la prière. A l’in­verse, une âme qui a fait la mor­ti­fi­ca­tion de dimi­nuer son temps pas­sé devant les écrans et qui regarde peu ou pas de films, cette âme fait l’ex­pé­rience qu’elle prie avec plus de fer­veur. Divagations de l’es­prit à cause des écrans et des films, ou capa­ci­té à médi­ter et prier, l’al­ter­na­tive est réelle. Mais le chré­tien n’a pas à choi­sir… La néces­saire mor­ti­fi­ca­tion des sens est donc la pré­pa­ra­tion la plus fon­da­men­tale à toute prière.

Pendant la prière

Lorsque l’on va prier, il faut mar­quer un temps de silence pour mettre notre âme en pré­sence de Dieu. « Lorsque vous vou­lez prier, entrez dans votre chambre, et, la porte étant fer­mée, priez votre Père dans le secret. » (Saint Matthieu 6, 6). Le pre­mier geste de la prière est donc de fer­mer la porte de son âme aux sol­li­ci­ta­tions des sens, du monde, de nos pro­jets, de nos inquié­tudes. Le Père n’est qu’à l’in­té­rieur de notre âme. Il est aus­si recom­man­dé de prier dans un endroit calme, reti­ré, pré­vu pour cela.

Pendant l’acte même de la prière, l’âme s’ef­for­ce­ra de poser des actes de foi, d’es­pé­rance et de cha­ri­té. Poser un acte de foi dans la prière est impor­tant. Le Psalmiste le disait déjà : c’est parce que j’ai cru en Dieu que j’ai ouvert la bouche pour la prière, « Credidi prop­ter quod locu­tus sum. » (Psaume 115, 1). Par exemple, dans le cha­pe­let, on peut faire un acte de foi à chaque Ave Maria, un acte de foi au mys­tère que l’on médite, etc. Pour cela, il n’y a pas de secret. L’âme doit nour­rir sa foi par l’é­tude humble et régu­lière du caté­chisme, par la lec­ture d’au­teurs spi­ri­tuels, de notre mis­sel pour pou­voir prier.

Et puis, bien sûr, il faut faire atten­tion. Se recueillir, en défi­ni­tive, c’est faire atten­tion à la pré­sence de Dieu devant notre âme, dans notre âme. On peut noter qu’il y a dif­fé­rentes choses aux­quelles nous pou­vons faire atten­tion dans la prière. En tout pre­mier lieu, l’es­prit fera atten­tion au pro­non­cé des paroles : c’est l’élé­ment néces­saire de toute prière, mais qui n’est pas suf­fi­sant à lui seul. Il marque néan­moins le res­pect de l’es­prit, et mani­feste ain­si un acte de la ver­tu de reli­gion. Il y a ensuite l’at­ten­tion que l’on porte au sens des paroles. Cela nous éclaire sur ce que nous devons deman­der et sur la manière de le deman­der. A la Messe par exemple, le sens des paroles de la prière litur­gique impose à l’âme les sen­ti­ments et actes qu’elle doit pro­duire dans cette prière. Dans la réci­ta­tion du cha­pe­let, on pour­ra dire chaque Ave Maria comme une décla­ra­tion d’a­mour et comme la sup­pli­ca­tion d’un pécheur qui demande des grâces.

Enfin, et par-​dessus tout, l’at­ten­tion prin­ci­pale est celle qui porte sur la pré­sence de Dieu : c’est l’es­sen­tiel de la prière, ce qui en fait un véri­table acte de la ver­tu de reli­gion. La prière est ain­si un mou­ve­ment de l’âme du fils vers son Père du Ciel, en pas­sant par le Fils Incarné et sous l’é­lan d’a­mour du Saint-​Esprit. Par exemple, dans la réci­ta­tion du cha­pe­let, même si l’âme énonce comme méca­ni­que­ment les Ave Maria mais qu’elle s’en­tre­tient avec Dieu, alors la prière est bonne et agréable à Dieu. Voici ce que dit Dom Guillerand : « Ces pen­sées, nées de l’a­mour, nous tendent vers Celui auquel nous nous adres­sons : et c’est l’at­ten­tion. Une âme atten­tive est une âme ten­due vers l’ob­jet qui l’at­tire. Une âme dis­traite est une âme qui se laisse tirer par d’autres objets. L’attention dépend de l’im­por­tance que nous recon­nais­sons à l’ob­jet qui nous sol­li­cite, de l’at­trait qu’il exerce. Si nous le savons grand et beau, bon et fort, si nous le connais­sons très par­fait, riche de tout ce qui peut nous com­bler, l’at­ten­tion est extrême. » (Dom Guillerand, Face à Dieu).

Alors que faire si l’on rencontre des distractions dans notre prière ?

La pre­mière chose à faire est de détour­ner tran­quille­ment son esprit et de retour­ner son esprit vers le Bon Dieu, son ima­gi­na­tion vers les scènes des mys­tères du Rosaire, ses yeux sur le taber­nacle ou sur une belle sta­tue de la Vierge Marie, par exemple. Il faut aus­si, par un simple acte de volon­té, désap­prou­ver cette dis­trac­tion en s’en accu­sant hum­ble­ment devant le Bon Dieu et non en s’ex­cu­sant. La déchéance mal­heu­reuse de notre pauvre nature humaine exige que nous soyons prêts à faire cela sou­vent avec dou­ceur et fer­me­té, autant de fois que néces­saire. Cependant, il nous est bon de nous sou­ve­nir que la foi nous enseigne qu’une dis­trac­tion repous­sée avec cha­ri­té est méritoire.

Subir les dis­trac­tions et les repous­ser sans cesse est une école d’hu­mi­li­té. Cela nous donne l’oc­ca­sion de faire un acte d’hu­mi­li­té qui rachète cette dis­trac­tion et nous remet à notre vraie place devant Dieu. 

« Vraiment mon Dieu, me voi­là tel que Je suis : inca­pable de pen­ser à Vous, incons­tant dans ma prière ; mon esprit est trop lourd pour s’é­le­ver vers Vous tout seul ; Je suis trop imbu des dési­rs du monde, de l’amour-​propre. Guérissez-​moi, Seigneur, de toutes ces mala­dies et accordez-​moi dans Votre misé­ri­corde la grâce de la prière. Que votre Saint-​Esprit vienne en moi pour Vous offrir une prière qui Vous soit agréable. » « Vous me tolé­rez, mon Dieu, avec une dou­ceur admi­rable. Je suis malade et Je m’é­coule comme l’eau. Guérissez-​moi et Je serai stable. Affermissez-​moi et j’au­rai de la fer­me­té. Mais jus­qu’à ce que Vous me met­tiez dans cet état, tolérez-moi. » 

Saint Augustin

De manière un peu para­doxale, le com­bat contre les dis­trac­tions rend hon­neur à la Majesté divine qui voit que l’âme pré­fère s’at­ta­cher à Dieu plu­tôt que de se lais­ser aller aux choses ter­restres. Dom Guille- rand nous le dit : 

« Ce qui importe, tou­te­fois, c’est l’at­ten­tion du vou­loir plus que celle de l’es­prit. Celle-​ci nous est sou­vent impos­sible. Il est des prières dis­traites ravis­sant le cœur de Dieu. Quand nous fai­sons effort pour nous mettre et tenir en face de Dieu et que des dis­po­si­tions du corps ou de l’âme nous arrachent sans cesse mal­gré nous au regard et au sou­ve­nir de cette pré­sence aimée, quand cette impuis­sance tor­ture notre désir de Lui et que nous accep­tons hum­ble­ment cette tor­ture, la dis­trac­tion devient un moyen d’u­nion excep­tion­nel­le­ment pré­cieux et fort. Car tout se mesure à l’a­mour dans nos rap­ports avec Dieu et toute répul­sion de l’âme à l’é­gard du créé pour s’u­nir à l’Incréé est amour. » 

Dom Guillerand, Face à Dieu.

En for­çant l’âme à une plus grande cha­ri­té, les dis­trac­tions com­bat­tues donnent donc l’oc­ca­sion d’une aug­men­ta­tion du mérite. Elles per­mettent ain­si l’ac­qui­si­tion de grâces ici-​bas et une plus grande gloire au ciel. Elles exercent éga­le­ment la ver­tu de patience, et les ver­tus théo­lo­gales ; ain­si que les ver­tus néces­saires pour repous­ser les mau­vaises pen­sées : chas­te­té, foi, cha­ri­té, pardon…

En défi­ni­tive, l’a­pôtre Saint Jean résume en une for­mule lapi­daire la rai­son ultime et le moyen de se recueillir dans la prière : « Dieu est Esprit ; et ceux qui L’adorent doivent L’adorer en esprit et en véri­té. » (Saint Jean 4, 24). C’est l’im­mense labeur de l’homme sur terre depuis la Création : s’é­le­ver au-​dessus de ses sens et du monde pour s’at­ta­cher avec son esprit à Dieu seul. Que le chré­tien soit actif dans sa recherche du Bon Dieu et qu’il pose des actes de son esprit, voi­là le tout du recueillement.

Annexe : Conseils pour prier son chapelet avec plus de ferveur et moins de distractions

  • Utiliser son cha­pe­let et l’ai­mer : c’est un moyen de lutte contre les distractions.
  • Se sou­ve­nir que le cha­pe­let est du temps que l’on passe avec Marie et Jésus, avec des per­sonnes que l’on aime.
  • Poser des actes de Foi, d’Espérance et de Charité avec le conte­nu des mys­tères ou des Ave.
  • Lorsque l’on est seul : dans la réci­ta­tion de l’Ave Maria, on peut faire une pause après le nom de Jésus ou de Marie et for­mu­ler en un mot le mys­tère que l’on médite (acte de Foi) ou for­mu­ler la grâce que l’on demande (acte d’Espérance), ou bien for­mu­ler un acte d’a­mour. Faire du cha­pe­let une prière vocale lente, comme si on se par­lait, comme si on s’en­sei­gnait à soi-​même ces mys­tères de notre foi.
  • Lorsque l’on prie le cha­pe­let à plu­sieurs : pen­dant que l’un récite l’Ave Maria, on médite sur le mys­tère ou on demande une grâce ; dans tous les cas on for­mule une invo­ca­tion jaculatoire.
  • En famille : prier le cha­pe­let devant l’o­ra­toire fami­liale, deman­der aux enfants de don­ner une inten­tion à chaque mys­tère, leur faire réci­ter une dizaine cha­cun à leur tour.

Source : Le Seignadou – décembre 2023