« II est des jours où même dans la solitude je ne puis avoir aucune pensée fixe et arrêtée ni de Dieu, ni d’aucun bien, ni faire oraison. » Sainte Thérèse d’Avila
Alors, que faire pour favoriser le recueillement de notre âme ?
« II est des jours où même dans la solitude je ne puis avoir aucune pensée fixe et arrêtée ni de Dieu, ni d’aucun bien, ni faire oraison. Mais je sens que j’en discerne la cause ; je vois clairement que tout le mal vient de l’entendement et de l’imagination ; car pour la volonté elle est droite et il n’est point de bonne œuvre qu’elle ne soit disposée à embrasser. Mais, telles sont les divagations de l’esprit, qu’il ressemble à un fou que personne ne peut enchaîner ; et il n’est pas en mon pouvoir de le fixer l’espace d’un Credo. Quelquefois j’en ris, et pour jouir du spectacle de ma misère je le laisse aller au gré de ses caprices et me plais à le suivre de l’œil pour voir ce qu’il fera. Jamais, grâce à Dieu, il ne me porte à rien de mauvais, mais seulement à des choses indifférentes. Je comprends alors bien mieux la grâce que Dieu m’accorde lorsque tenant ce fou enchaîné il me met dans une parfaite contemplation, et je pense aussi ce que diraient de moi ceux qui me croient bonne s’ils me voyaient dans un tel égarement d’esprit ! Je suis émue de la plus vive compassion en voyant l’âme en mauvaise compagnie et je désire si ardemment la voir libre, que je ne puis quelquefois m’empêcher de dire à Notre-Seigneur : Quand donc mon âme se verra-t-elle enfin occupée à célébrer tout entière vos louanges ? Quand donc ses puissances jouiront-elles de vous ? Ne permettez pas, Seigneur, qu’elle soit plus longtemps divisée et comme déchirée en lambeaux. »
Sainte Thérèse d’Avila, Vie, chap. 30
Se recueillir dans la prière n’est pas donc toujours une chose facile. Ce que vient de nous dire sainte Thérèse d’Avila est là pour en témoigner. Pour pouvoir se recueillir, il faut auparavant se souvenir de ce qu’est la prière. La prière est un acte de l’esprit qui cherche à s’unir à Dieu. Plus elle est véritable, plus elle est spirituelle. Le corps, ses gestes, ses habits et ses attitudes sont là pour aider l’âme à s’élever vers Dieu. Et, d’un autre côté, ils sont le reflet, le rejaillissement de la prière de l’âme. Comme notre nature humaine est faible, elle a du mal à s’élever vers Dieu, à se recueillir. Il nous faut alors nous souvenir que Dieu lui-même veut venir prier dans notre âme. « L’Esprit vient au secours de notre faiblesse. Car nous ne savons pas prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède en notre faveur par des gémissements ineffables. » (Romains, 8, 26). La prière vraie est un acte de l’esprit, plus exactement c’est un acte du Saint-Esprit qui vient par la grâce dans l’âme pour prier. L’âme doit se placer sous l’influence du Saint-Esprit pour prier. Cette prière du Saint-Esprit en nous n’est autre que la prière que veut continuer le Christ dans notre âme. C’est la raison pour laquelle la prière principale du chrétien est le Pater : « C’est ainsi que vous devez prier : Notre Père qui êtes aux Cieux… » (Saint Matthieu 6, 7) La prière est un acte de l’enfant qui s’adresse à son Père du Ciel.
Comment alors obtenir et favoriser le recueillement de notre âme dans la prière ? Comment nous recueillir ?
Avant la prière
Cet acte de l’esprit qu’est la prière demande une préparation habituelle. On peut courir de but en blanc et sans préparation un 100 mètres ou faire un saut en hauteur… mais cela n’est pas une bonne manière pour faire une bonne course ou réaliser un saut de bonne hauteur. De même, il convient de garder un certain recueillement habituel de l’âme, même en dehors des temps de prière. « Préparez votre âme avant la prière, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu. » (Ecclésiastique 18, 23) De manière éloignée, il faut éviter ce qui dissipe et empêche l’esprit de prière, surtout avant l’acte même de la prière. A Lourdes, la Vierge Marie exhorte : « Prière et pénitence. » La pénitence et l’habitude de la mortification sont une manière de ne pas laisser notre âme envahie par l’esprit du monde et donc cela diminue les causes de distractions. « Pourquoi trouve-t-on peu de contemplatifs, sinon parce que peu d’hommes savent se séparer entièrement des choses périssables et des créatures ? » (Imitation de Jésus-Christ, III, 31, 1) C’est ici qu’il convient de noter l’influence très néfaste des écrans en général et des films ou séries. L’imagination a besoin de beaucoup de temps calme pour digérer toutes les images dont elle s’est abreuvée. Et ce calme, elle le trouve dès que l’esprit veut prier… De là, l’irruption quasi immédiate des distractions dans la prière. A l’inverse, une âme qui a fait la mortification de diminuer son temps passé devant les écrans et qui regarde peu ou pas de films, cette âme fait l’expérience qu’elle prie avec plus de ferveur. Divagations de l’esprit à cause des écrans et des films, ou capacité à méditer et prier, l’alternative est réelle. Mais le chrétien n’a pas à choisir… La nécessaire mortification des sens est donc la préparation la plus fondamentale à toute prière.
Pendant la prière
Lorsque l’on va prier, il faut marquer un temps de silence pour mettre notre âme en présence de Dieu. « Lorsque vous voulez prier, entrez dans votre chambre, et, la porte étant fermée, priez votre Père dans le secret. » (Saint Matthieu 6, 6). Le premier geste de la prière est donc de fermer la porte de son âme aux sollicitations des sens, du monde, de nos projets, de nos inquiétudes. Le Père n’est qu’à l’intérieur de notre âme. Il est aussi recommandé de prier dans un endroit calme, retiré, prévu pour cela.
Pendant l’acte même de la prière, l’âme s’efforcera de poser des actes de foi, d’espérance et de charité. Poser un acte de foi dans la prière est important. Le Psalmiste le disait déjà : c’est parce que j’ai cru en Dieu que j’ai ouvert la bouche pour la prière, « Credidi propter quod locutus sum. » (Psaume 115, 1). Par exemple, dans le chapelet, on peut faire un acte de foi à chaque Ave Maria, un acte de foi au mystère que l’on médite, etc. Pour cela, il n’y a pas de secret. L’âme doit nourrir sa foi par l’étude humble et régulière du catéchisme, par la lecture d’auteurs spirituels, de notre missel pour pouvoir prier.
Et puis, bien sûr, il faut faire attention. Se recueillir, en définitive, c’est faire attention à la présence de Dieu devant notre âme, dans notre âme. On peut noter qu’il y a différentes choses auxquelles nous pouvons faire attention dans la prière. En tout premier lieu, l’esprit fera attention au prononcé des paroles : c’est l’élément nécessaire de toute prière, mais qui n’est pas suffisant à lui seul. Il marque néanmoins le respect de l’esprit, et manifeste ainsi un acte de la vertu de religion. Il y a ensuite l’attention que l’on porte au sens des paroles. Cela nous éclaire sur ce que nous devons demander et sur la manière de le demander. A la Messe par exemple, le sens des paroles de la prière liturgique impose à l’âme les sentiments et actes qu’elle doit produire dans cette prière. Dans la récitation du chapelet, on pourra dire chaque Ave Maria comme une déclaration d’amour et comme la supplication d’un pécheur qui demande des grâces.
Enfin, et par-dessus tout, l’attention principale est celle qui porte sur la présence de Dieu : c’est l’essentiel de la prière, ce qui en fait un véritable acte de la vertu de religion. La prière est ainsi un mouvement de l’âme du fils vers son Père du Ciel, en passant par le Fils Incarné et sous l’élan d’amour du Saint-Esprit. Par exemple, dans la récitation du chapelet, même si l’âme énonce comme mécaniquement les Ave Maria mais qu’elle s’entretient avec Dieu, alors la prière est bonne et agréable à Dieu. Voici ce que dit Dom Guillerand : « Ces pensées, nées de l’amour, nous tendent vers Celui auquel nous nous adressons : et c’est l’attention. Une âme attentive est une âme tendue vers l’objet qui l’attire. Une âme distraite est une âme qui se laisse tirer par d’autres objets. L’attention dépend de l’importance que nous reconnaissons à l’objet qui nous sollicite, de l’attrait qu’il exerce. Si nous le savons grand et beau, bon et fort, si nous le connaissons très parfait, riche de tout ce qui peut nous combler, l’attention est extrême. » (Dom Guillerand, Face à Dieu).
Alors que faire si l’on rencontre des distractions dans notre prière ?
La première chose à faire est de détourner tranquillement son esprit et de retourner son esprit vers le Bon Dieu, son imagination vers les scènes des mystères du Rosaire, ses yeux sur le tabernacle ou sur une belle statue de la Vierge Marie, par exemple. Il faut aussi, par un simple acte de volonté, désapprouver cette distraction en s’en accusant humblement devant le Bon Dieu et non en s’excusant. La déchéance malheureuse de notre pauvre nature humaine exige que nous soyons prêts à faire cela souvent avec douceur et fermeté, autant de fois que nécessaire. Cependant, il nous est bon de nous souvenir que la foi nous enseigne qu’une distraction repoussée avec charité est méritoire.
Subir les distractions et les repousser sans cesse est une école d’humilité. Cela nous donne l’occasion de faire un acte d’humilité qui rachète cette distraction et nous remet à notre vraie place devant Dieu.
« Vraiment mon Dieu, me voilà tel que Je suis : incapable de penser à Vous, inconstant dans ma prière ; mon esprit est trop lourd pour s’élever vers Vous tout seul ; Je suis trop imbu des désirs du monde, de l’amour-propre. Guérissez-moi, Seigneur, de toutes ces maladies et accordez-moi dans Votre miséricorde la grâce de la prière. Que votre Saint-Esprit vienne en moi pour Vous offrir une prière qui Vous soit agréable. » « Vous me tolérez, mon Dieu, avec une douceur admirable. Je suis malade et Je m’écoule comme l’eau. Guérissez-moi et Je serai stable. Affermissez-moi et j’aurai de la fermeté. Mais jusqu’à ce que Vous me mettiez dans cet état, tolérez-moi. »
Saint Augustin
De manière un peu paradoxale, le combat contre les distractions rend honneur à la Majesté divine qui voit que l’âme préfère s’attacher à Dieu plutôt que de se laisser aller aux choses terrestres. Dom Guille- rand nous le dit :
« Ce qui importe, toutefois, c’est l’attention du vouloir plus que celle de l’esprit. Celle-ci nous est souvent impossible. Il est des prières distraites ravissant le cœur de Dieu. Quand nous faisons effort pour nous mettre et tenir en face de Dieu et que des dispositions du corps ou de l’âme nous arrachent sans cesse malgré nous au regard et au souvenir de cette présence aimée, quand cette impuissance torture notre désir de Lui et que nous acceptons humblement cette torture, la distraction devient un moyen d’union exceptionnellement précieux et fort. Car tout se mesure à l’amour dans nos rapports avec Dieu et toute répulsion de l’âme à l’égard du créé pour s’unir à l’Incréé est amour. »
Dom Guillerand, Face à Dieu.
En forçant l’âme à une plus grande charité, les distractions combattues donnent donc l’occasion d’une augmentation du mérite. Elles permettent ainsi l’acquisition de grâces ici-bas et une plus grande gloire au ciel. Elles exercent également la vertu de patience, et les vertus théologales ; ainsi que les vertus nécessaires pour repousser les mauvaises pensées : chasteté, foi, charité, pardon…
En définitive, l’apôtre Saint Jean résume en une formule lapidaire la raison ultime et le moyen de se recueillir dans la prière : « Dieu est Esprit ; et ceux qui L’adorent doivent L’adorer en esprit et en vérité. » (Saint Jean 4, 24). C’est l’immense labeur de l’homme sur terre depuis la Création : s’élever au-dessus de ses sens et du monde pour s’attacher avec son esprit à Dieu seul. Que le chrétien soit actif dans sa recherche du Bon Dieu et qu’il pose des actes de son esprit, voilà le tout du recueillement.
Annexe : Conseils pour prier son chapelet avec plus de ferveur et moins de distractions
- Utiliser son chapelet et l’aimer : c’est un moyen de lutte contre les distractions.
- Se souvenir que le chapelet est du temps que l’on passe avec Marie et Jésus, avec des personnes que l’on aime.
- Poser des actes de Foi, d’Espérance et de Charité avec le contenu des mystères ou des Ave.
- Lorsque l’on est seul : dans la récitation de l’Ave Maria, on peut faire une pause après le nom de Jésus ou de Marie et formuler en un mot le mystère que l’on médite (acte de Foi) ou formuler la grâce que l’on demande (acte d’Espérance), ou bien formuler un acte d’amour. Faire du chapelet une prière vocale lente, comme si on se parlait, comme si on s’enseignait à soi-même ces mystères de notre foi.
- Lorsque l’on prie le chapelet à plusieurs : pendant que l’un récite l’Ave Maria, on médite sur le mystère ou on demande une grâce ; dans tous les cas on formule une invocation jaculatoire.
- En famille : prier le chapelet devant l’oratoire familiale, demander aux enfants de donner une intention à chaque mystère, leur faire réciter une dizaine chacun à leur tour.
Source : Le Seignadou – décembre 2023