Réflexions autour d’une décision épiscopale

Crédit photo : Fred de Noyelle / Godong

Une déci­sion de l’é­vêque de Valence nous rap­pelle que le culte divin est indis­so­ciable d’une doctrine.

A Valence, Mgr François Durand a redé­fi­ni le cadre dans lequel la litur­gie tri­den­tine est célé­brée. La Fraternité Saint-​Pierre a été remer­ciée. Désormais la célé­bra­tion de la messe selon l’usage ancien est confiée à des prêtres qui tous habi­tuel­le­ment suivent le nou­veau mis­sel. Si les fidèles béné­fi­cient de la litur­gie tri­den­tine chaque dimanche, ils ne peuvent plus rece­voir un ensei­gne­ment adap­té à cette litur­gie. Les familles sont invi­tées à suivre le caté­chisme dis­pen­sé dans la paroisse qui les accueille. Cette situa­tion, simi­laire à celle d’autres dio­cèses, s’accorde avec les dis­po­si­tions prises par le pape François, tou­jours en vigueur. Le but de ces normes est connu : pro­mou­voir l’unité de l’Église autour du mis­sel issu de Vatican II. 

Cette actua­li­té rap­pelle que le culte divin est indis­so­ciable d’une doc­trine. Un mis­sel est un ensemble de prières adres­sées au Seigneur, mais aus­si un dis­cours sur Dieu, l’homme et son salut, qui se rat­tache à une tra­di­tion théo­lo­gique. Les mis­sels romains de 1962 et 1969, qui ont cha­cun leurs cham­pions, se situent sur des lignes qui peinent à se rejoindre. Le pre­mier est en har­mo­nie avec les énon­cés dog­ma­tiques du concile de Trente sur le sacri­fice de la messe. Le second s’inscrit dans la logique pas­to­rale d’une Église proche des hommes prô­née par Vatican II. La déci­sion de l’évêque de Valence illustre le carac­tère pré­caire des solu­tions mises en œuvre pour répondre aux fidèles qui demandent la litur­gie ancienne. Assurément les situa­tions adop­tées sont très dif­fé­rentes d’un dio­cèse à l’autre, mais sou­vent elles s’avèrent d’une grande fra­gi­li­té, car elles sont fon­dées sur une équi­voque. Les évêques disent un oui timide à la messe tri­den­tine, en son­geant qu’ils auto­risent pour des rai­sons pas­to­rales une forme rituelle mar­gi­nale qui n’implique pas un ensei­gne­ment par­ti­cu­lier, tan­dis que les fidèles inté­res­sés par cette offre ont un tout autre point de vue. Pour eux, cette litur­gie héri­tée d’une longue tra­di­tion doit rayon­ner dans l’Église et s’accompagner d’un caté­chisme appro­prié. Tant que ce mal­en­ten­du ne sera pas dis­si­pé, la rela­tion entre les évêques et les fidèles atta­chés à la litur­gie tri­den­tine pas­se­ra régu­liè­re­ment par des décon­ve­nues et des désillusions.

Pour les fidèles qui ont fait confiance à la hié­rar­chie ecclé­sias­tique, en pen­sant que celle-​ci res­pec­te­rait leurs convic­tions, la déci­sion prise par l’évêque de Valence est dure. Néanmoins, en droit, elle est inat­ta­quable. Un évêque dio­cé­sain donne une mis­sion pas­to­rale aux prêtres de son choix en fonc­tion des besoins qu’il dis­cerne. Il est libre d’inviter une com­mu­nau­té et de lui confier un minis­tère, avant de le lui reti­rer. Du reste l’évêque de Valence ne fait ici qu’appliquer avec zèle les direc­tives romaines et le prin­cipe d’une sup­po­sée conti­nui­té doc­tri­nale entre les deux mis­sels. Légitimer une for­ma­tion chré­tienne spé­ci­fique et une pas­to­rale propre pour les fidèles qui suivent le mis­sel pré­con­ci­liaire accré­dite la thèse d’une rup­ture entre les litur­gies d’avant et d’après Vatican II.

Dans la situa­tion embrouillée et tumul­tueuse que l’Église connaît aujourd’hui, qui­conque prend la lettre du droit et les injonc­tions de l’autorité comme unique bous­sole ne s’en sor­ti­ra pas. Le dis­cer­ne­ment est indis­pen­sable. Observer, réflé­chir, scru­ter des textes, confron­ter des argu­men­ta­tions, médi­ter les leçons de l’histoire s’imposent. Si après la réforme litur­gique de 1969 tous les clercs, reli­gieux et fidèles s’étaient sou­mis de manière incon­si­dé­rée aux déci­sions de leurs évêques, la messe tri­den­tine ne serait pas célé­brée sur tant d’autels aujourd’hui.

Source : L’Aigle de Lyon – n°387